Il y a un siècle, le monde et en particulier l’Europe étaient jetés dans une guerre féroce et sanguinaire, qui les faisait basculer dans le XXème siècle avec plus de force que jamais. L’ancien monde, celui du romantisme et du temps qui passe avait vécu. Il y a exactement un siècle, la première guerre mondiale bouleversait les habitudes et les styles de vie, les usages, les traditions. Le vêtement ne fut pas épargné, loin s’en faut.
Le t-shirt de coton fut une de ces révolutions. Les américains l’adoptèrent assez vite, mais ce furent les armées anglaises et françaises qui dessinèrent les contours de cette tenue avec le garment de coton et non en tricot de laine inventé dès 1870. La force des américains est leur nombre, si bien que le A-shirt pour Athletic-shirt sans manche et le T-shirt pour sa forme en T avec manches courtes furent ensuite dans l’entre deux-guerre assez vite popularisés. Mais ils restaient encore pour quelques temps un sous-vêtement.
L’évolution la plus notable est à chercher du côté des vêtements de dessus, la veste en particulier. Si la question de la couleur s’est assez vite posée, notamment du côté français où le rouge garance posait problème, la forme aussi fut remise en question. Ce faisant, il est possible de lire dans les quelques modifications de l’époque le futur du vêtement au XXème siècle, moins mais mieux. Ainsi, la veste des poilus qui était longue et présentait encore le retroussis hérité des armées napoléoniennes disparut bientôt, pour laisser place à une veste carrée plus courte, plus mobile. Les tailleurs civils avaient aussi pris cette direction du plus court depuis un moment déjà, mais l’habit long restait d’usage à la ville aux moments les plus formels et sa disparition fut hâtée.
Le changement est plus visible encore chez les officiers. Je ne me lasse pas de regarder des photos des maréchaux, comme Lyautey. La vareuse militaire a des proportions très intéressantes : épaules étroites avec manches volumineuse, taille très pincée et bas ample. Les immenses poches à carte apportent, avec un dimensionnement très visible un cachet indéniable. Mais surtout elles sont pratiques. C’est un point important. Le vêtement n’est plus seulement beau. Il ne s’agit plus d’une veste de hussard à brandebourg faite pour rendre beau, mais il s’agit d’un vêtement pratique.
Une petite pierre était posée. Plus tard durant la seconde guerre mondiale, les militaires avancèrent encore un pion en raccourcissant les vestes pour créer les blousons. La taille était très haute car les pantalons montaient hauts. C’est la naissance d’une esthétique de l’homme très différente de ce que l’on avait toujours vu. Si les épaules s’étaient élargies durant les années 40, ces blousons dépourvus d’épaulette et de rembourrage étaient assez naturels dans leur esthétique.
Le vêtement civil n’a jamais eu besoin de ce niveau de praticité. Si le costume est ou était aussi un uniforme, en particulier durant les années 60, il n’avait pas les mêmes impératifs.
Pourrait-on émettre la légère hypothèse que le vêtement militaire représente l’avant-garde du vêtement civil, avec quelques décennies d’avance ? Ou qu’au contraire le vêtement militaire exprime le vêtement du moment, le révélant plus fort ? Les tenues de combat d’aujourd’hui, plus du tout d’apparat et très techniques, connectées et intelligentes seront-elles la trame du vêtement dans 50 ans ?
Pourquoi j’interroge comme cela l’histoire, voire l’instrumentais-je me direz-vous? Car j’aime porter le costume en semaine mais n’aime pas beaucoup porter la veste le week-end et durant les moments de détente. Ainsi, je cherche une quadrature élégante et pratique. Quel niveau de praticité quotidienne puis-je emprunter au vêtement du commerce, celui-de monsieur tout-le-monde ET quel niveau d’élégance puis-je emprunter ou lire de l’histoire… ?
Et de noter la très importante diffusion aujourd’hui des parkas et autres doudounes… La forme courte voire semi-trois quart ; l’ensemble recouvert de poches très pratiques ; la réalisation dans des tissus techniques chauds et imperméables qui permettent d’être en simple chemise dessous ; la taille relativement étroite sont autant d’aspects qui renvoient aux grands principes du vêtement militaire. J’ai une de ces doudounes. Et je l’adore pour son large usage. L’été je remplace celle-ci par une sorte de saharienne couverte de poche, genre travel-jacket, en coton solide. Mais elle n’est pas d’une forme particulièrement étudiée.
Aussi en tant que tailleur je m’interroge sur ce nouveau vêtement décontracté. Cifonelli s’interroge aussi beaucoup à voir sa production de vestons sport. Le tailleur ne peut rester en marge de ce mouvement, bien au contraire il se doit de l’accompagner pour survivre et se renouveler. Et le vêtement militaire du XXème siècle m’apparait comme lumineux à plus d’un titre. Les officiers en particulier avaient le sens du beau. La field jacket ou le blouson d’aviateur court ont une forme d’élégance habillée. Les vareuses avec leurs grandes poches aussi. L’histoire est une source infinie de forme et d’usage, j’essaye d’y lire dedans !
Bonne semaine. Julien Scavini
Cet article soulève effectivement nombre de questions sur l’utilisation et l’évolution du vêtement militaire dans une garde-robe classique contemporaine. Moi-même féru d’Histoire et petit collectionneur de costumes historiques, je suis un habitué de l’adaptation de certaines pièces à mon quotidien.
C’est d’autant plus intéressant que la plupart amènent un peu de décontraction originale, mais parfois aussi un certain maintien, une manière de se souvenir de se tenir droit en toutes circonstances ! Ce qui n’est pas toujours une question de physique, d’ailleurs.
Ma préférée ? une veste de gendarmerie de 1915, entretenue avec attention. Parfaite pour la mi-saison, apte à combattre le vent comme la pluie, et semblant dire, du haut de son siècle d’existence « je suis toujours indestructible. » Quand à sa couleur, un bleu horizon bien sûr, elle s’accorde à la fois à mes yeux et aux interrogations de mes interlocuteurs devant cette couleur peu fréquente mais appréciée naturellement par les français, comme un souvenir presque oublié…
Tenez d’ailleurs, l’on parle des coupes et des idées vestimentaires françaises dans le costume militaire ancien. Ne pourrait-il s’agir d’un nouveau début de piste pour l’exploration de ce fameux insaisissable style français si mystérieux ? 😉
Article très intéressant comme d’habitude …..
Et je vous suis avec d’autant plus de plaisir que je vous vois dans « cousu main » où vos commentaires sont toujours très juste et plein de bon sens
Bonne journée
Il y a des évolutions similaires venant d’activités de production (agriculture, élevage, pêche) ou civiles autres (vêtements de conducteurs de calèches) ; c’est de là que viennent les vêtements de toile cirée type Barbour, qui ont ensuite pénétré le monde militaire (d’abord par les sous-mariniers, et ensuite dans les parka d’infanterie, où on les retrouve portée au Flakland par des officiers des Royal Marines).
Le Barbour, c’est un peu comme le Land Rover, un outil agricole tellement bien conçu qu’il finit par s’imposer un peu partout et que l’on reconstruit comme venant du monde militaire, plus prestigieux.
Personnellement je porte ma Solway Zipper l’essentiel de l’année (si je ne porte pas de costume), et à l’usage on retrouve pas mal de caractéristiques de la vareuse militaire : ceintrage par ceinturon (ce qui permet d’y accrocher des poches supplémentaires en hiver pour les gants), grandes poches en bas (plutôt pour du fourbi général que de grands documents) et poches de poitrines pour organiser des carnets ou des friandises. Lorsque la doublure d’hiver amovible ne la rend pas inaccessible, il y a une poche intérieure pour du petit gibier qui parait gigantesque pour citadin.
Dans cette esprit là, les jeunes entrepreneurs de chez Bonnegueule ont imaginé une saharienne de tout les jours en tissu technique de très bonne facture, et au style indéniable : http://shop.bonnegueule.fr/collaborations/61-la-saharienne-aigle-.html
En dehors de l’intérêt déjà grand de votre article, je viens en plus d’apprendre que les grandes poches des vestes d’officiers étaient faites pour les cartes, cette usage ne m’avait jamais effleuré l’esprit !