Les habits iconiques de Philip Mortimer

Cela fait bien deux décennies que, régulièrement, j’entends parler d’une adaptation de Blake et Mortimer sur grand écran. Et puis… rien. Un projet chasse l’autre, un réalisateur est annoncé, puis se retire, et la montagne accouche d’une rumeur…

Blake et Mortimer, pour moi, c’est d’abord un souvenir d’enfance. Ma mère me les achetait quand j’étais petit. J’aimais ces aventures en ligne claire, ce rythme étrange, solennel, presque théâtral, de deux Britanniques figés dans une époque qui n’existait plus. Si je me suis mis à dessiner ainsi, avec cette obsession de la netteté et de la construction, c’est bien parce que je lisais Jacobs. Enfin… « lisais » est peut-être beaucoup dire. Enfant, je musardais plutôt entre les cases. Je regardais les décors, les silhouettes, les attitudes.

Récemment, j’en parlais avec un client cinéaste. Très vite, il me pose la question qui semble s’imposer :
Mais vous le tournez en français ou en anglais ?
Anglais, ai-je répondu spontanément. Quelle question. Ils sont anglais. Ils vivent à Londres. (Et puis dans ma tête, je pense plus à une adaptation élégante, parfaite pour Arte, plutôt qu’à un blockbuster. Donc l’élégance des choses me poussent au respect. De la langue?)

Mais justement, à y réfléchir, ce n’est pas si simple. Blake et Mortimer est peut-être avant tout une bande dessinée profondément francophone… pour anglophiles. Une Angleterre rêvée, reconstruite, filtrée par le regard d’un auteur belge, nourri de théâtre, d’opéra et de classicisme. Alors peut-être faudrait-il tourner en français. Ou alors faire parler des Anglais en français, avec un accent. Mais les accents au cinéma ne fonctionnent pas toujours. Ils deviennent vite des artifices, voire des caricatures.

Bref, cette conversation, amusante en apparence, m’a fait réfléchir plus que prévu.

Et puisque je suis tailleur, ce sont les vêtements qui m’ont immédiatement intéressé. Plus précisément ceux de Mortimer. Blake, lui, est souvent en uniforme : aviateur, officier, figure de l’État. Mortimer est un civil. Un savant, certes, mais un homme qui circule dans le monde ordinaire. C’est là que tout se joue.

Si Blake et Mortimer devait exister à l’écran, la vraie question serait peut-être celle-ci : comment habiller Mortimer ?

Je l’ai donc observé de plus près. Vraiment. Et j’ai découvert quelque chose d’assez troublant : Mortimer n’a pas de barbe en fait. Sans moustache, ce n’est pas une barbe. C’est un collier de barbe. Un genre Robert Hue avant l’heure. Rien que cela, ce sera difficile à assumer pour un acteur. Il n’y a guère plus anti-sexy, non ? Et pourtant, Blake et Mortimer ont un certain charme. Un charme discret, intellectuel, très britannique dans l’esprit — qu’il faudra absolument préserver. Le voilà notre pinçon, dans un dessin plus années 70 que 50, il part au Japon là :

Mais laissons un instant la pilosité faciale. Revenons à l’essentiel : les vêtements. Ceux qui font Mortimer. Ceux qui le rendent immédiatement reconnaissable, même vu de dos, même réduit à une silhouette.

Deux ensembles dominent. Le manteau. Et l’ensemble dit « sport ». C’est là que Mortimer devient iconique. Et c’est là que cela devient vraiment intéressant. Observons encore cette image sortie de La Marque Jaune, l’album fétiche :

Je me suis amusé à dessiner Mortimer plus précisément. À l’observer. Et ce faisant, je me suis heurté à une limite inhérente à la bande dessinée classique — et plus encore à la ligne claire. Dans une BD, la mise en couleur s’effectue par aplats. Il n’y a pas de place pour la texture.

  1. La technique n’est pas celle de l’aquarelle.
  2. Elle ne laisse aucune place aux nuances de gris. Il n’y a pas — ou si peu — d’ombres. La couleur est franche, posée, presque conceptuelle.

Mais de mon côté, avec un ordinateur et Photoshop, je peux faire exactement l’inverse. Je peux introduire de la matière. De la vraie. De la fibre, du grain, de l’irrégularité. Comme Rosace l’avait très justement fait dans Croquis Sartoriaux, en comprenant que le vêtement dessiné n’est pas une fin en soi, mais une suggestion.

Je me suis donc dit ceci : ce que Jacobs a dessiné à plat, moi je peux choisir de l’interpréter en texture.

La veste : clé du personnage

Le cœur du sujet, c’est cette veste sport à trois poches plaquées. Une pièce extraordinairement britannique, extraordinairement civile, et fondatrice du personnage. Elle n’est probablement pas coupée dans un tweed verdâtre uni. Pourtant, de loin, c’est exactement ce qu’elle donne à voir. Ce paradoxe est intéressant. Cela suggère un micro-motif, quelque chose qui se fond à distance. Or, qu’est-ce qui se portait abondamment dans les années 50–60 pour les vestes sport à motifs discrets ? Le gun tweed vu sur Simon Crompton ci-dessous.

Des petites harpes de couleurs variées, organisées en pieds-de-poule minuscules, sur un fond neutre. À distance : une masse calme. De près : une richesse graphique. Exactement ce que Mortimer incarne. Sa veste est donc, à mes yeux, très certainement coupée dans un gun tweed. Et puisqu’il porte un pantalon marron, il est logique qu’on retrouve dans la veste une pointe de brun, pour construire un camaïeu cohérent, savant, mais jamais démonstratif.

Mais il est probable à l’inverse ce ma démonstration, que dans un adaptation cinéma, cette finesse d’analyse soit gommée au profit d’un gros tweed vert d’eau, plus stéréotypé et de lecture plus simple à l’écran.

Dernier détail intéressant de cette veste, elle n’a qu’un seul bouton devant. Voir ci-dessous. Choix de facilité graphique certainement. Et peu ou pas aux manches suivant les albums.

Le pantalon : la stabilité

Le pantalon, lui, est plus simple. Une flanelle marron. Épaisse. Solide. Sérieuse. La flanelle est le tissu du savant britannique par excellence : chaude, mate, rassurante. Elle ancre Mortimer dans le réel, dans le quotidien, face aux délires technologiques et aux menaces extraordinaires qu’il affronte.

Les chaussures : hérésie ou francophilie ?

Aux pieds, Jacobs dessine des richelieux. Puis des derbys. Et là, je ne peux m’empêcher de sourire. Les derbys trahissent une vision continentale de l’élégance britannique. Une Angleterre interprétée. Et c’est très bien ainsi : cela fait partie du charme.

Chemise et nœud papillon

La chemise, de son côté, n’est pas blanche. Elle est écrue. Je l’imagine volontiers coupée dans un twill coton-laine, ce qui explique cette teinte chaude, légèrement sourde, et son tombé plus doux qu’un coton sec.

Quant au nœud papillon… il change de couleur tout le temps. Liberté absolue. J’ai donc choisi de le représenter dans une soie à léger motif cachemire. Une fantaisie contenue, presque intellectuelle, qui rappelle que Mortimer n’est pas un militaire, mais un homme de pensée.

On remarquera avec amusement dans toutes La Marque Jaune que le trait de la boutonnière du revers se retrouve parfois à droite… Et est absent à gauche! Diantre.

Le manteau

Ah, le manteau. Je regrette que les nouveaux dessinateurs de la franchise ne l’aient pas mieux observé comme je l’ai fait. Car ils le dessinent presque tous n’importe comment. C’est d’ailleurs l’écueil récurrent des « nouveaux » Blake et Mortimer — que je ne trouve pas élégants, il faut bien le dire : une caricature esthétique des années 50, parfois jusqu’au grotesque. Comme si l’époque se résumait à quelques clichés visuels empilés sans compréhension réelle des vêtements.

Or ce manteau, précisément, mérite mieux. Il est coupé dans un drap de laine bouillie, donnant ce relief granuleux très caractéristique. Aujourd’hui, on parle volontiers de laine casentino, mais il faut bien comprendre qu’il s’agit surtout d’un développement marketing moderne d’un drap rustique ancien. Ce type de laine existait bien avant d’être nommé et labellisé.

Mortimer l’a choisi dans un ton vert, qui se raccorde avec la veste et ne jure pas avec le pantalon marron. Une couleur intellectuelle, presque scientifique, qui s’éloigne du noir urbain comme du brun campagnard. Une couleur qui par ailleurs va si bien avec l’écharpe jaune. Un vert qui d’ailleurs varie beaucoup suivant les époques et les éditions.

La coupe

La forme est ample, typique des années 50. Un manteau fait pour être porté par-dessus une veste épaisse, sans contraindre le mouvement.

  • Épaules généreuses
  • Têtes de manches bien dodues
  • Volumes assumés

Le devant présente huit boutons, dont six forment la croisure. Une disposition devenue rare aujourd’hui, mais parfaitement logique à l’époque : ce manteau est avant tout conçu pour tenir chaud. La protection prime sur la ligne.

Le revers, très précisément dessiné, comporte une encoche profonde et une contre-anglaise courte. Elle permet au col d’être porté relevé, de se fermer réellement autour du cou et de couper le vent. Ce détail est fondamental : il montre que le manteau n’est pas décoratif, mais fonctionnel.

Les poches et la ceinture

Les poches sont des modèles dits boîtes aux lettres. Des poches plaquées, profondes et utilitaires.

La ceinture, elle, vient cinturer le manteau, provoquant un léger blousant sur le haut. Ceinture qui semble boutonnée dans le dos d’après la case ci-dessous. Cette silhouette — très présente dans les années 30 comme dans les années 50 — donne à Mortimer une allure à la fois importante et active.

Un polo coat, au fond

Tout cela fait immanquablement penser à ce qu’on appelle aujourd’hui un polo coat. Un terme très anglo-saxon, pour désigner un manteau urbain mais pas formel. Un manteau sport, au sens noble du terme. Les surpiqûres à deux centimètres, bien visibles, appuient franchement cette idée.

Ce manteau, finalement, est exactement ce que Mortimer est : un homme sérieux, mais pas rigide ; un intellectuel, mais jamais abstrait ; un Britannique rêvé, vu par un Européen.

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En redonnant de la texture à ce que Jacobs avait volontairement aplati, je n’ai pas cherché à corriger le dessin, encore moins à l’améliorer. J’ai simplement tenté de prolonger le geste dans un idéal de tissus anglais. D’Angleterre rêvée. De faire passer Mortimer de l’aplat à la fibre, du signe au tissu. Jacobs, en ligne claire, n’a pas dessiné des tissus : il a dessiné des intentions : la veste sport, avec ses poches plaquées et son gun-tweed discret, raconte l’homme civil, l’intellectuel pas guindé. A l’inverse peut-être de Blake. Le pantalon de flanelle l’ancre dans une stabilité presque rassurante. Le manteau, enfin, condense tout : protection, fonctionnalité, élégance sans ostentation. Rien n’est là pour séduire. Tout est là pour durer. Et endurer vue les aventures traversées !

Belle semaine, Julien Scavini

Une fracture esthétique au cœur du sartorial

Il existe, dans le paysage du prêt-à-porter premium et luxe sartorial, une opposition silencieuse mais tenace. Une fracture presque philosophique, qui ne dit pas son nom, mais qui conditionne pourtant nos désirs, nos imaginaires, nos achats, et la silhouette même de l’homme contemporain classique. Cette fracture, c’est celle de la matière, du toucher, du rendu. Une opposition entre deux mondes qui n’ont absolument rien à voir, et que l’on feint trop souvent d’harmoniser sous le seul mot de « beau tissu ». En réalité, il n’y a pas un beau tissu. Il y en a deux — et ils s’ignorent.

Le premier monde est celui des textures, du relief, du grain.
C’est l’univers du tweed, des gros lainages de goût britanniques, des flanelles lourdes qui sentent encore l’odeur de la bergerie. L’univers aussi des cotons pleins : velours côtelé, moleskine, drill épais qu’on devine tissées pour durer une décennie plutôt qu’une saison. Ces textiles ont une esthétique évidente :

  • ils accrochent la lumière au lieu de la refléter ;
  • ils racontent un passé au lieu de flatter le présent ;
  • ils rassurent, enveloppent, sculptent sans jamais briller.

Ils disent quelque chose de profondément terrien, presque archaïque. Ils évoquent la lande de bruyère, les couleurs de la chasse, le froid sec du matin d’hiver. Et ils parlent à une sensibilité très précise : celle de la solidité, de la fiabilité, d’un classicisme enraciné. C’est le domaine où excellent Ralph Lauren Polo, Drake’s, les maisons anglaises, et plus généralement tout ce qui assume une forme de rusticité chic. On y cherche moins l’opulence que le vécu. Moins le luxe que le caractère.

À l’opposé absolu — tant esthétiquement que sensoriellement — se situe l’autre monde : celui des tissus peignés, précieux, fluides. Ici, les fibres sont longues, fines, souvent mérinos haut de gamme ou mélangées au cachemire. Les draperies sont lisses, brillantes, d’un tombé liquide. On parle de tissus qui coulent plus qu’ils ne tiennent, qui effleurent plus qu’ils ne serrent. Même le coton est lavé, voir associé à du cachemire. C’est une esthétique du raffinement ostensible :

  • silhouettes plus épurées, plus sculpturales ;
  • lumières qui glissent ;
  • toucher qui séduit instantanément ;
  • confort presque sensuel.

Ce monde-là est celui qui inspire l’essentiel du tailoring italien : Armani, Zegna, Loro Piana, Brioni, et leurs interprétations plus accessibles chez Suit Supply, Pini Parma ou Grand Le Mar. Il s’agit d’une beauté immédiate, presque hédoniste. Une beauté de surface — dans le sens noble du terme : la surface comme expression de la finesse, de la qualité, de la modernité.

Ce qui frappe, lorsque j’observe clients, passants et marques, c’est que ces deux esthétiques se heurtent. Et que parfois, des clients mêlent les deux sans voir l’impair esthétique, en ajoutant comme une cerise confite sur le gâteau une pièce très raffinée sur un montage très rustique.

Dans le milieu sartorial, on fantasme souvent les tissus luxueux : le super 150’s lumineux, la flanelle et le cachemire, le drap qui tombe comme un rideau de théâtre. Mais dans la rue, ce que l’on voit majoritairement, ce sont les lainages texturés, les velours, les gabardines lourdes : bref, des habits faits pour vivre, pour marcher dehors, pour tenir chaud. L’opposition entre ceux deux esthétiques pourrait se résumer avec amusement au niveau de la chaussure : derbys rustiques contre mocassin léger. Desert-boot contre chuka montée goodyear. etc…

Ce paradoxe est fascinant, on rêve de luxe fluide, mais on porte du rustique solide. Cette opposition peut aussi se trouver dans les palettes de couleurs : marine profonds et nuances claires voire salissantes, versus teintes de la forêt. Un beige du goût italien et un beige du goût rustique ne seront pas pareil. Une opposition qui comme le noyau d’uranium fissible devient instable lorsque l’on essaye de forcer l’association : par exemple un grand manteau croisé (raffiné) coupé dans un gros tweed (rustique). Que se passe-t-il ? Un manteau hybride que l’on ne sait pas tout à fait qualifier.

C’est l’opposition centrale de notre époque sartoriale : le marché valorise le raffiné parce que c’est spectaculaire, instagrammable, immédiatement lisible comme « beau ». Mais l’usage réel pousse vers le rugueux, parce que c’est pratique, stable, rassurant, facilement intégrable dans une garde-robe quotidienne. Lorsqu’on développe une ligne de prêt-à-porter, cette tension devient presque existentielle. Elle le devient plus chaque jour pour moi et me tend. Faut-il aller vers la délicatesse italienne, qui fait rêver ? Ou vers la robustesse texturée, qui se porte, se vit ? Cette opposition dépasse la technique textile. Elle devient un choix d’identité. Le rustique dit : « Je suis enraciné. » « Je valorise l’usage, la durée, le vécu. » « Je suis un homme du dehors. » Le raffiné dit : « Je maîtrise l’esthétique. » « Je recherche le confort ultime, la distinction. » « Je suis un homme du dedans : salon, bureau, lumière contrôlée. »

Ce n’est pas seulement une question de matières. C’est une question de monde, de posture, de manière d’habiter son style. De life-style disent les anglo-saxons. L’allure italienne chic contemporaine fait millionnaire. Et j’ai tendance à penser que les gens qui s’habillent ainsi cherchent à distiller — comme un parfum — cette image d’eux-même. « Je suis quelqu’un qui le mérite. » « Parce que je le vaux bien » disait la pub.

Si j’ai évoqué l’Italie frontalement, je n’ai pas parlé de l’Angleterre de la même manière. Ce n’est pas un oubli. C’est un choix. Parce que le « goût anglais » – celui des tweeds, des draps cardés, des flanelles épaisses, des couleurs fanées– n’est plus seulement anglais. Il s’est diffusé à travers l’Europe continentale, et particulièrement en France, au point d’être devenu une référence quasi autonome. On le voit dans la prolifération des marques françaises et européennes qui s’installent dans ce registre : matières texturées, silhouettes robustes, couleurs minérales, références chasse, campus, outdoor chic. Ce qui était autrefois une signature britannique est devenu une esthétique de l’authenticité, largement partagée et revendiquée.

Cette démocratisation a deux raisons : Elle rassure – visuellement et matériellement. Elle s’adapte mieux à la vie quotidienne réelle que le raffinement extrême du tailoring italien. Le goût rustique a été absorbé, naturalisé. Il ne renvoie plus nécessairement à Savile Row, ni à l’héritage aristocratique anglais. Il renvoie à l’idée, plus universelle, de vêtements qui vivent, qui tiennent, qui durent. Et j’ai envie de dire quand je vois la prolifération des work-jackets, il renvoie à l’image du vêtement d’ouvrier. Simple et sérieux.

Car il faut dire la vérité : les tissus italiens haut de gamme sont fragiles. Ils s’abîment. Ils se trouent. Ils ne pardonnent pas. Or, cette réalité provoque l’un des grands malentendus du prêt-à-porter luxueux : « Si c’est cher, c’est que c’est beau. Si c’est beau, ça doit être solide. » Ce raisonnement, très répandu chez les clients, est parfaitement compréhensible… mais totalement faux. Comme aiment à le rappeler les agents de Loro Piana : « Nous fabriquons des tissus précieux. » Point final et si vous faites un trou, passez votre chemin. Ils ont raison. Si l’on veut se donner un genre riche, il faut assumer. Un tissu précieux n’est pas conçu pour affronter les mêmes usages qu’une moleskine ou un tweed shetland. Un Super 160’s n’est pas un drap militaire. Un cachemire peigné n’a rien d’un sergé de coton épais. Le problème n’est donc pas la qualité : elle est exceptionnelle. La fragilité n’est pas un défaut dans l’esthétique italienne, mais une conséquence directe de son raffinement. Et ce raffinement, pour exister, doit accepter de renoncer à la robustesse.

Face à cette fragilité assumée du « beau italien », le rustique chic semble tenir le haut du pavé. Non pas parce qu’il est plus noble. Non pas parce qu’il est plus moderne. Mais parce qu’il est plus honnête. Les lainages bruts grattent, oui. Ils accrochent les doigts. Ils pèsent. Et c’est précisément ce que le client comprend, accepte, valorise : une matière qui dit clairement ce qu’elle est. Prenons l’exemple du manteau ou de la parka en laine. Vous les choisissez pour leur douceur et leur toucher ? Suivant votre réponse, vous tomberez d’un côté ou de l’autre du versant. Cherchez-vous un croisé en poil de chameau ou un raglan en tweed ?

Lorsque l’on pose la question en termes simples :

précieux versus solide,
fragile versus fiable,
sensoriel versus pragmatique,

que répondez-vous ? En fait, rares sont les hommes qui dans ce milieu sartorial ont une boussole parfaite. Même pas moi-même. Les réponses peuvent varier suivant les goûts, l’instagram suivi ou l’instant de la vie. Le précieux impose un cadre, un usage, une discipline que l’on voudrait avoir. Le rustique, lui, accompagne simplement. Il s’intègre. Il rassure. Mais on ne veut pas toujours du pratique. On veut du Beau. Beau et pratique, ce n’est pas facile à atteindre. La quête permanente. C’est peut-être l’article le plus important que j’ai eu l’occasion d’écrire en 15 ans. La démarche sartoriale n’est pas facile… !

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Ce soir j’écoutais pour écrire du Tony Anderson. Parceque Ariana était diffusé dans l’hôtel où j’étais récemment, un grand moment de pureté mentale, habillé de laines italiennes…