D’où vient le cran parisien         

C’est une question que l’on me pose assez souvent. Mais d’où vient le cran parisien? Pourquoi l’est-il d’ailleurs ? La première chose à faire est de caractériser cette forme de revers de veste.

Le cran parisien désigne la forme particulière que prend l’encoche séparant – ou liant – le revers de la veste et le col. Posons d’abord le référentiel, soit le cran normal, que les anglais appellent « notch lapel », formant une sorte de coin à presque 90°. Dans ce cran, la ligne d’anglaise (la couture liant revers et col, en rouge) est rectiligne et descendante. Le col lui épouse l’anglaise, puis s’en éloigne d’un coup, formant le cran ouvert. C’est la contre-anglaise, en vert.

Dans le cran pointu, une autre forme traditionnelle issue de l’École anglaise, la ligne d’anglaise se brise en deux. Elle est d’abord descendante, puis montante. Et le col épouse cette anglaise. Par couture d’abord, par simple jonction ensuite. Voyez ces schémas :

Le cran parisien se caractérise par une ligne d’anglaise brisée, descendante d’abord. Et moins descendante ensuite. Elle vient « taper » le bord du revers en formant un angle à 90° environ. Le col épouse l’anglaise, puis à l’instar du col normal, s’en éloigne. Mais s’en éloigne relativement peu.

De fait, l’ouverture du cran est légèrement plus fermée. Il existe quelques variantes, suivant les tailleurs, ou suivant que la veste est 2 ou 3 boutons. L’équilibre y est très subtil, entre dessin pur et lignes moches. La symétrie est très importante aussi. Et ce cran présente mieux s’il est un peu plus bas. Sur mon petit schéma ci-dessous, on pourrait penser que le canonique, à la Camps de Luca est ne n°2 et le Smalto, quelque chose entre les deux derniers :

Globalement, le cran parisien se caractérise donc par une ligne d’anglaise brisée et un cran peu ouvert, que les italiens appellent « bouche de loup » ou les anglais « bouche de grenouille ». Et je crois avoir entendu bien d’autres termes que j’ai oublié. D’une certaine manière, le col du polo-coat est une forme de cran parisien.

Toutefois, est-ce à Paris que l’on a inventé ce cran ? Certainement pas. Mais c’est à Paris qu’il est resté une forme de tradition, remise au goût du jour dans les années 60/70 par un certain Joseph Camps, qui eut un élève, Francesco Smalto. D’une certaine manière, tous les deux ont creusé le sillon de ce revers élégant. Qui n’était pas le revers des autres tailleurs avant et après. Evzeline, Cardin, Cifonelli n’utilisaient pas cette forme. Que vous n’avez pas vu sur Jean Gabin, ni Alain Delon, ni Philippe Noiret.

Les frères Grimbert chez Arnys avaient mis ce revers à l’honneur, mais cela uniquement sur la fin, après l’an 2000. Car avant, les vestes Arnys n’étaient pas ainsi coupées. Mais en revers anglais normal. La tradition infusait un peu et devenait distinctive. Marc Guyot est de ceux qui ont vu l’intérêt de cette ligne de revers et en ont fait un argument esthétique. Le tailleur japonnais Kenjiro Suzuki a aussi compris l’intérêt de cette ligne.

Quelques Présidents africains, le Roi du Maroc, et d’érudits industriels ont vu aussi là une griffe caractéristique, qui ne fait pas costume anglais. Admirez ci-dessous, Omar Bongo. Félix Tshisekedi. Macky Sall. Paul Biya. Patrick Drahi. Globalement, les états d’Afrique francophone sont plus enclins à aimer le cran parisien. Al Sissi en Egypte s’en fiche bien. Que de beaux costumes finement coupés n’est-ce pas :

Ce cran parisien est une marotte des tailleurs de la capitale française depuis les années 70 disons. Toutefois, on en trouve des traces auparavant. Et pas qu’en France. Aux États-Unis, il était une forme assez répandue en fait. Admirez ce portrait officiel de Richard Nixon :

De mon côté, j’en avais vu un dans Columbo, très ostentatoire, très opulent. En fait pour les tailleurs, il semble que cette forme est / était une sorte d’étude technique et esthétique, entre le cran classique et le cran en pointe. Une variante du cran en pointe en fait. Et encore avant les années 70, dans les années 1920, cette forme de revers était utilisée. Même assez caractéristique des années 20. Voyez Charly Chaplin et deux fois Rudolf Valentino :

Lorsque la télévision diffuse des images d’archives des années 20, je me mets à scruter très attentivement l’image, les personnages et les arrières plans. Non pas que j’y cherche un copain perdu de vu. Mais ces formes de revers justement. Ou de poches. Ou les épaules. Pour voir comment on faisait, quelle était l’esthétique exacte. Ainsi, je peux le dire à force d’expérience, le cran parisien ne l’est pas vraiment. Toutefois, reconnaissons qu’il est actuellement un trait distinctif des tailleurs de la capitale.

Je vous souhaite une belle et bonne semaine. Julien Scavini.

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Quelle musique ai-je écouté pour écrire cet article? L’Introduction et Allegro op 47 d’Elgar. Et plusieurs fois le Sospiro op 70, par Sir John Barbirolli.

Petit rajout suite à un commentaire avisé :

Le croisé, une question au carré

Sur la photo du Prince Michael de Kent (pour ceux qui ne le savent pas, un cousin germain d’Élisabeth II) publiée la semaine dernière, Monsieur A. à la boutique m’a fait remarquer le positionnement très bas des boutons. Il est vrai que les passepoils des poches côtés se retrouvent placés comme au milieu du carré de bouton.

C’est qu’à la fois les poches sont assez hautes en fait (pour ma part je les aurais placé un peu plus bas), et qu’à la fois le carré de boutons est assez bas. Cette position, je la trouve pour ma part assez bonne. Si l’on cache les poches, on remarque un placement des boutons un peu bas certes, mais cela permet de donner un V assez marqué pour placer de généreuses et opulentes cravates.

Soit le tailleur aurait pu descendre un peu les poches. Soit il aurait pu remonter un peu les boutons. Ce que cela nous montre, c’est qu’il n’y a jamais une seule bonne réponse en art tailleur.

Ce qu’il faut avoir à l’esprit, c’est qu’à cause de sa croisure double, le V de la veste croisée se trouve rogné un petit peu. Un boutonnage haut sur une veste croisée donne un V court, similaire à une veste droite à 3 boutons. Un boutonnage placé plus bas, comme sur le Prince permet de dégager un V digne d’une veste droite à 2 boutons, à peu près. Voyez plutôt ce dessin :

Mais aujourd’hui, j’ai envie de vous parler un peu de ce carré de boutons devant. Sur le Prince Michael de Kent, les boutons sont disposés devant en formant un carré fort scrupuleux.  C’est tout à fait satisfaisant pour l’esprit. Une sorte de quadrature.

Cela dit, est-ce que le carré est digne des proportions de l’Homme ? Pourquoi un rectangle aux proportions d’or ne serait-il pas mieux ? Un rectangle posé à la verticale, plus haut que large. Après tout, lorsque les drapiers dessinent des prince-de-galles et autres carreaux-fenêtres, ils ne dessinent jamais des carrés. Mais des rectangles verticaux. Car le rectangle vertical sied mieux à la verticalité du corps humain.

C’est avec cette logique que bien des tailleurs et stylistes composent le croisé. Et ce faisant, ils définissent plutôt un rectangle devant, vertical. Deux paramètres donnent ce rectangle un peu vertical : d’abord une croisure moindre, ensuite un corps relativement mince.

Car c’est le grand défi du croisé. Lorsque le porteur est mince, fluet, élancé, on manque un peu de tissu devant pour bien réaliser le carré de bouton. On ne peut pas trop forcer la croisure, car alors le bord du devant viendrait embrasser la poche. Et on ne peut pas non plus repousser la poche vers le dos, car alors celle-ci irait chatouiller la fente dos. Il y a un équilibre subtil à trouver et placer les quatre boutons un peu en forme rectangulaire vertical est obligatoire.

De là à dire que le croisé est plus facile à caler sur quelqu’un de corpulent, il n’y a qu’un pas que je peux bien franchir.

D’ailleurs, à l’inverse exactement, lorsque le client a un peu de « surface », il est aussi possible dans certaines circonstances d’obtenir un croisé avec des boutons disposés en rectangle… horizontal. C’est encore bien autre chose. Les stylistes de chez Ralph Lauren sont assez tentés par cela, comme une disposition un peu forcée du croisé, un stéréotype un peu outré. C’est ainsi que l’on forge des images.  

Ci-dessous : le carré, le rectangle vertical, le rectangle horizontal :

Pour finir, revenons au carré. Au bon carré bien régulier. Ses dimensions peuvent varier. Les tailleurs un peu « tradi » ont tendance à faire des petits carrés devant. Moi je trouve cela trop chiche. Le Roi Charles porte un peu comme ça. Petit croisé. J’aime mieux lorsque le carré prend une belle dimension, disons 12cm de côté. Au lieu de 10cm comme chez Charles. C’est subtil vous me direz.

Il est vrai. Le croisé, c’est fort subtil à bien dessiner et à bien calibrer. Et il dépend un peu de chaque client, de sa corpulence et de son rapport hauteur largeur. Quel art… ! Interprété avec diversité aussi bien par les tailleurs que par les clients ! & bloggeurs…

Ci-dessous, une image d’un croisé Ralph Lauren et une autre du Roi Charles, avec son petit croisé de boutons… et sa rustine en bas à gauche de la veste :

Bonne semaine, Julien Scavini

Les boutons du croisé

Si le croisé 6 en 1 façon années 90 revient un peu sur le devant de la scène sartoriale (à cause ou grâce à Lorenzo Cifonelli?), le modèle classique reste toutefois le 6 en 2. Soit pour celles et ceux qui ne suivraient pas, 6 boutons visibles sur le devant, dont 2 se boutonnent du côté droit.

Ce faisant, s’il y a 2 boutonnant à droite, il y a en retour 2 décoratifs à gauche, question de symétrie. Certains stylistes se sont essayés à l’asymétrie. Ainsi qu’un client une fois qui m’avait demandé de ne pas disposer les boutons ne « servant à rien ». C’est un style…

Le croisé classique 6 en 2 présente sur le devant 4 boutons disposés en carré. Plus deux boutons un peu plus haut, sur les poitrines. Pourquoi? Allez savoir. Probablement une question de silhouette et de forme en V. Le carré seul devant fait un peu pataud, comme ci-dessous à gauche. Ajouter ces deux boutons de manière un peu excentré, ça redonne une ligne à la veste en évasant son dessin vers les épaules. Une veste croisé avec un carré devant, mais sans les deux boutons aux poitrines, c’est tout à fait singulier. Ça fait pauvre. Voyez plutôt :

Sauf si la poche poitrine est plaquée. Alors dans ce cas, on ne met pas le bouton. Cela donne un vieux style de Lord en goguette. Car on ne le coud pas sur la poche. Comme je l’ai vu dans une publicité une fois. Ou une autre fois j’ai vu une médiocre fabrication chinoise qui se voulait sartoriale. Ne sachant pas quoi faire des deux boutons du haut, ils les avaient placés plus bas, en les rapprochant du carré. Quelle curiosité comme sur mon dessin ci-dessous à droite :

A titre informatif, je pense que les deux boutons décoratifs se placent au même espacement que les boutons du bas. Si 12cm, alors, 12cm. La diagonale fera un peu plus logiquement. Voir flèches en orange.

Anglais et italiens n’ont je crois pas la même approche de ce positionnement. Les anglais ont tendances à placer ces boutons proches du centre, donnant un V peu marqué, ci-dessous à gauche. A l’inverse les italiens placent les boutons de manière plus excentrés ci-dessous à droite, accentuant le V. Ralph Lauren est le maître en la matière, avec des boutons de poitrine placés sur les pinces devant. Je fais ainsi presque. J’aime bien. C’est selon les goûts.

Il y a aussi la hauteur de positionnement des boutons du croisé. J’ai tendance à penser que sur un croisé, il faut franchement abaisser ce niveau de boutonnage. Placer les deux boutons fonctionnels plus bas que si c’était une veste droite. En descendant le rang du bas sous la poche. C’est aussi une vision, que ne partagent pas toujours les ateliers.

La semaine prochaine si tout va bien on parlera du carré devant.

Reste enfin une dernière touche de symétrie sur le croisé. Avec une ou deux milanaises au revers… ? Pour moi, c’est deux comme la photo ci-dessous du cousin d’Elizabeth II, Mickael de Kent. Une de chaque côté. Autant aller sur la symétrie jusqu’au bout ! Mais ça aussi, c’est une question de goût !

Amusante photo enfin, autour du Président Truman, l’homme en papillon et croisé clair. A sa droite, un croisé à poche plaquée de poitrine, avec une bouton subtilement cousu au bord de la poche de poitrine… Et vers la gauche, un homme déboutonnant son croisé façon 4 en 1, sans les boutons de poitrine. Tout se fait, tout s’est fait !

Belle et bonne semaine. Julien Scavini

Trois manteaux d’hiver

Petit avertissement en préambule. Cet article totalement ringard illustré par le Roi Charles n’est destiné qu’aux anglomanes avertis. Les amateurs de manteaux modernes, slim et courts peuvent aller voir ailleurs.

J’aurais pu titrer ce billet « trois manteaux d’hiver qu’il faut avoir ». Mais, nous n’avons pas tous les moyens de crésus, et nous ne sommes pas tous né chez les Windsor. Et j’ai bien conscience que l’époque actuelle ne nécessite pas une telle débauche sartoriale. J’ai déjà écrit ça et là sur le manteau sans forcément ressentir le besoin de donner une réponse définitive. Mais le temps passant, je me fais une idée plus sûr des choses.

Je vous présente ce soir trois modèles de pardessus. J’aurais pu n’en proposer que deux ou au contraire quatre. Toutefois, à force de regarder des films en noir et blanc, des séries anglaises des années 90 mais dépeignant les années 50 ou 30, à force aussi de passer en revue des photos anciennes, je suis arrivé à ces trois modèles. Que par ailleurs le Roi Charles corrobore presque.

Ces trois modèles sont d’hiver. Chauds et lourds, coupés dans des molletons de laine. La gabardine un peu mi-saison, comme le manteau en whipcord, le fameux covert-coat, ne font pas partie de cette sélection permettant de lutter contre le froid.

Le premier manteau, l’absolue nécessaire, est je pense un grand croisé. Un pardessus statutaire et résolument urbain. Celui que Michael Douglas portait dans les années 80. Long, généreux, ample. Celui que l’on peut mettre pour aller au travail ou à un enterrement. Celui qui pose un personnage et donne une allure à nulle autre pareille. Je l’ai dessiné en bleu marine, car je pense que cette teinte est plus heureuse que le gris. Et plus moderne, remarquable petite concession à la modernité. Un modèle « charcoal » serait toutefois du meilleur goût aussi. Dans les deux cas, marine ou anthracite, il est possible d’opter pour un col recouvert de velours, marine ou noir. Bien que ce col donne un petit aspect… je ne sais pas, moins habillé peut-être? Plus fantaisiste? En même temps, le col de velours sur un grand croisé, c’est sublime. Premier dessin donc :

Le deuxième modèle est droit, plus simple et moins guindé. Pour être légèrement plus décontracté, je propose la couleur camel. Pour cette teinte, il y a deux choix. Soit fort clair à la manière de Loro Piana qui propose un poil de chameau lumineux et naturel, soit légèrement plus caramel à la manière des anglais, avec un mélange de laine et de cachemire. Cette teinte camel est aussi à l’aise en association avec un costume de ville gris ou bleu qu’avec une tenue de week-end plus décontractée. Elle est polyvalente. Les boutons cachés sont une option. Et le col en velours ton sur ton est une seconde option. Sachez que le velours beige, c’est presque impossible à trouver !

Enfin, dernière proposition d’hiver, dans un crescendo de décontraction, le manteau parfait pour sauter dans un train et dans une automobile rapide, un croisé à col enveloppant, type polo-coat. Réalisé dans un gros chevrons de tweed marronné, il est d’une souplesse parfaite. Ses détails nombreux, parements en bas de manche, poches boite-aux-lettres, martingale au dos, surpiqures voyantes en font un modèle sport.

Comme vous pouvez le constater, je reviens aux origines de Stiff Collar. De la rigueur anglaise et un esprit suranné affirmé. J’ai bien conscience que pour beaucoup et moi bien souvent, la doudoune est la réponse universelle. Mais, ne sommes-nous pas ici pour rêver un peu à de beaux vêtements d’un ancien temps. J’imagine que vous ne serez pas tous d’accord avec ces trois propositions, et c’est bien normal. Il existe tant d’autres manteaux tout aussi légitimes ! Et beaux.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

La doublure du pantalon

Tous les pantalons ont une doublure au niveau de la ceinture. A part les jeans. Une petite cotonnade en plusieurs morceau qui s’appelle la hausse de ceinture et qui double celle-ci, tout en camouflant le haut des sacs de poches. Le terme hausse est curieux. Il vient probablement du verbe hausser. Le dictionnaire donne : « Technique :Objet ou dispositif qui sert à hausser. » On l’aurait deviner.

Rentrons dans la technique. Chez un tailleur, la ceinture d’un pantalon est réalisée en triple épaisseur. A l’extérieur le tissu proprement dit. A l’intérieur contre la chemise, un tissu de coton, de la percaline exactement, faisant doublure. Entre les deux, en sandwich, une toile de lin fort rigide, donnant la structure verticale et le maintien de la bande de ceinture.

En industrie, il n’y a que deux couches. A l’extérieur le tissu proprement dit, légèrement thermocollé. Mais peu rigide. En revanche, la doublure intérieure (généralement en plusieurs bandes) incorpore elle une sorte de toile, un mesh, rigide. C’est le complexe de doublure, préfabriquée par une autre usine que celle qui coud les pantalons, qui incorpore cette sorte de toile qui fait la rigidité de la ceinture. De fait, ce composé, on ne l’appelle plus simplement une doublure de ceinture, mais une hausse. Car c’est lui qui tient la ceinture « debout », verticale et rigide.

Voilà pour cette première information.

Ensuite, parlons un peu de cette doublure qui est présente sur le devant de la cuisse, s’arrêtant sous le genoux. Elle n’est pas en coton elle. Mais en viscose sur les beaux pantalons. En polyester sur les mauvais. Et en soie sur les pantalons cousus à la main, si le client a apporté un bout de soie, à la fois pour faire son intéressant et pour embêter le tailleur avec des fadaises. Cette doublure rend tous les pantalons qui en ont des selvedges…. ahaha. Car cette doublure est coupée perpendiculairement au sens du tissu, et sa lisière (en anglais selvedge) un peu fileuse sert de bord non cousu.

Cette doublure est toujours présente sur les beaux pantalons, de laine. Si le pantalon est en coton ou en lin, cette doublure n’a aucun intérêt. C’est mon avis. Un chino n’a pas besoin de doublure. A priori… En mesure, j’ai l’opportunité de choisir avec mon atelier la présence ou non de cette doublure. Une fois que j’avais choisi de ne pas la mettre dans deux modèles en lin, le client a fait des histoires et j’ai du la coudre à la main… Je ne vous explique pas la galère pour rajouter une doublure dans un pantalon déjà cousu. Dès lors, j’ai tendance par défaut à laisser la doublure cuisse pour ne pas avoir d’histoires.

Cette doublure date de l’époque où la laine grattait. Car avant, oui, la laine grattait. Pourquoi dans les années 70 cette matière a perdu les faveurs du grand public et que le WoolMark a dû lancer d’immenses campagnes marketing pour ne pas faire oublier la laine… Car les anciens petits enfant se souvenaient – avec horreur – de leurs cuisses rougies par la laine qui grattait. Cette doublure cuisse devant est là où le pantalon applique le plus. Pour les laines les plus grattantes, il est aussi possible de doubler la cuisse dos.

Mais alors, de nos jours, alors que les laines ne grattent plus, ou peu, est-il utile de garder cette doublure? Pas forcément. Je me souviens que lors d’un stage chez Camps De Luca, j’avais ouï-dire que les pantalons n’étaient pas doublés. Et bien pourquoi pas. Je me suis fait cette double réflexion l’année dernière. L’été, je portais un pantalon de lin un jour de forte chaleur. La doublure de viscose me plaquait la cuisse et collait. Tout l’inverse des qualités du lin. J’ai fini par défaire le pantalon et araser la doublure en deux coups de ciseaux. Ah, le pantalon gagnait en fraicheur. Et en décembre, alors qu’il faisait bien froid, je sentais l’air froid remonter dans la jambe. La flanelle était agréable. Mais ce bout de viscose sur la cuisse était alors glacé. Désagréable. Dès, je me suis dit, peut-être qu’il est temps de se passer de cette doublure.

D’autant que cette doublure n’est pas simple à gérer avec les tissus fins. Il est obligatoire de lui donner du mou à cette doublure. En bref, d’en mettre plus que la laine elle-même. Avec comme objectif que la doublure jamais ne fasse tirer le tissu extérieur. Il y a un petit tour de main en couture à faire, pour avoir plus de doublure que de tissu. Un problème parfois ressort… le pli de la doublure n’est plus aligné avec le pli du tissu. Et le pli de la doublure se voit à travers le tissu. Et le client n’est pas content. En bref encore, la doublure fait du bazar et le tailleur est fautif.

Alors quant la doublure descend jusqu’à la chaussure, devant et derrière, je ne vous raconte pas le stress si jamais la doublure a un comportement inapproprié. Oui, car dans les tweeds bien grattant, une doublure devant et derrière, intégrale, peut être agréable. Elle peut aussi aider les chaussettes mi-bas à glisser mieux et à ne pas agripper le mollet. Je ne l’ai pas testé moi-même. Parce que l’idée de mettre une matière artificielle pour gainer entièrement un beau pantalon de laine me parait baroque. Je préfère être en contact d’une matière naturelle plutôt que d’une viscose. Mais chacun ses goûts et ses petits trucs !

Alors, avec ou sans doublure cuisse ? Faîtes vos jeux.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Le british-warm

Ce n’est pas tellement aux îles britanniques que l’on pense lorsque cherche la chaleur… (signification du mot warm). Pourtant, on peut accoler ces deux mots, pour former un nom. Et j’ai toujours pensé que c’était un nom curieux pour un manteau. Car c’est bien le nom d’un manteau : le british-warm. En fait, il s’agirait surtout d’un surnom à visée commercial donné par le créateur et pourvoyeur aux armées de ce modèle : Crombie. Un nom publicitaire en fait. Avec ce manteau, c’est la certitude d’avoir chaud.

Décrivons le. C’est un manteau qui s’arrête au genoux, à peine au dessus. Il est croisé. Il est toujours de teinte caramel, ou mastic. Parfois grisâtre. La matière est un lainage fort lourd. Le boutonnage se fait sur six boutons rangés en 2×3, et aucun bouton décoratif sur les poitrines. Les manches sont classiques, montées, et terminées par deux ou trois boutons. Il n’y a pas nécessairement de poche de poitrine. Mais toujours deux poches à rabats, simples, sur les côtés. Le revers est en pointe, comme le croisé classique ou, de forme tombante comme le polo-coat. Des surpiqures faites à la machine à coudre à 2cm du bord égayent et soulignent le modèle.

Jusque là, j’ai décrit un manteau relativement simple, presque un classique. Là où ce modèle se remarque, c’est à deux détails très caractéristiques : d’abord des boutons en cuir tressé, et enfin des épaulettes. Ce sont ses spécificités !

Le british-warm d’après wikipédia apparait durant la première guerre mondiale et sert à habiller chaudement – et élégamment – les officiers de l’armée britannique. D’où ses épaulettes. Quant aux boutons de cuir, je pense qu’ils ont du remplacer des boutons de laiton armoriés, tout en conservant la forme dîtes « en boule ».

C’est un modèle de manteau que l’on repère très souvent dans les images des années 50 et encore plus dans les séries télévisées ou les films, dont l’action se déroule dans les années 50. (Type Hercule Poirot ou Miss Marple).

En général, c’est le personnage du major ou du capitaine retraité, en bref du militaire, retraité ou en tenue « de ville ». On comprendra aisément qu’il s’agissait d’une tenue réglementaire portable en ville plus facilement qu’un manteau galonné et orné, et disponible surtout en surplus de l’armée ou auprès du fabricant, Crombie. Même si les façonniers ont dû être légion à s’emparer du modèle.

Il s’agit donc d’une icône du style britannique ! Un manteau au style affirmé. Qui occasionnellement sert à des costumiers pour illustrer un stéréotype. Celui du vieux militaire. Comme dans ce délicieux film aperçu la semaine dernière sur Arte, Tueur de dames. Une délicieuse drôlerie dans laquelle Cecil Parker joue le major Claude Courtney… et est donc habillé d’un british-warm. Voyez plutôt ces images que j’ai attrapé de ma télévision :

Finissons sur une autre photo d’illustration. Un british-warm porté par quelqu’un qui sait ce qu’est un bon vêtement, le Prince Charles :

Belle et bonne semaine à vous. Julien Scavini

Choisir une ou deux fentes dos ?

Lorsque j’ai commencé à réaliser des costumes, j’ai fait un choix, celui de proposer exclusivement deux fentes dans le dos des vestes. Une de chaque côté. Cette allure du dos des vestes, je l’avais acquise en fréquentant la maison Hackett, où les costumes coupés à l’anglaise, présentaient cette double fente. Je n’aimais pas du tout le genre une fente milieu dos, à la mode à l’époque et encore chez Dior par exemple ou d’autres maisons de tradition française.

Non, j’aimais cette double fente, permettant au fessier d’avoir de la place, et permettant aussi à la veste d’avoir de la mobilité autour du bassin. Cette double découpe dans les pans de la veste permet à celle-ci d’être très libre, plus libre. Moins empesée.

Et j’aimais cette tendance de la veste à double fente à créer comme un panneau en bas du dos, se décollant du fessier, et projetant ses coins aiguisés un peu loin du bassin. Une sorte d’allure racée, une forme d’allant en fait.

C’est un bon argument celui là d’ailleurs. Ce panneau rectangulaire se décollant en bas du dos donne du dynamisme, oui, à une veste. Nonobstant les récriminations, de la gent féminine en particulier, sur cet effet, examiné comme un défaut de couture. Parfois, on me demande si je ne mets pas des poids dans les coins. Je sais que cela se fait. J’ai tendance à penser que jamais le tissu n’aura la force de rester en suspension ainsi, et qu’avec le temps et l’usage, ce panneau sera moins strict et tendu, et qu’il s’avachira un peu. Et que donc les plombs dans les coins, c’est un peu du chiqué commercial.

Je continue de prôner la double fente. Je pense qu’elle est la plus à même de gérer les fessiers. Car avec une fente, il n’y a pas le droit à l’erreur. Une simple question de mathématique :

  • si le bassin manque de 3cm par exemple, la fente unique ouvrira de… 3cm. Autant dire qu’elle ouvrira complètement et de manière disgracieuse,
  • avec une double fente, si le bassin manque toujours de 3cm, cela fait 1,5cm par fente, ce qui est invisible,
  • étant entendu que la valeur de recouvrement d’une fente est de 4cm.

Il y a donc, c’est impossible de prétendre le contraire, une tendance de la double fente à plus pardonner le corps et à être plus généreuse pour les fessiers.

Si je reste convaincu de la double fente, il m’a bien fallu de temps à autre accepter d’en réaliser une seule. Je ne suis pas là pour contrecarrer (tous) les plans des visiteurs de l’atelier. Et j’ai pris grand plaisir à réaliser la fente milieu dos. En pensant bien à « donner » du bassin, c’est-à-dire à le faire généreux de dimensions. Pour que jamais la fente ouvre. Cela demande une certaine réflexion sur les valeurs de mesure.

Et j’étais convaincu du résultat. Car la fente unique porte en elle une esthétique des années 1920 que j’approuve. La fente unique, en donnant du bassin, donne de la hanche. Elle crée une silhouette particulière de dos, et même partiellement de face. La veste parait plus ronde, moins angulaire. Elle suit les courbes du corps et dessine des hanches presque féminines, un esprit recherché vers 1920. Chez les tailleurs, on dit que la veste « emboite » le corps. Mais il ne faut pas être chiche et donner du bassin, être généreux sur les cotes des flancs. Voilà deux bons exemples des années 1920 :

D’ailleurs, une fente et sans fente partagent les mêmes caractéristiques de mesures et d’esthétique. Il ne faut pas être chiche et en retour la veste dessine comme une silhouette de sablier, comme le montre la photo ci-dessus, même si, je le reconnais c’est le dos d’une veste de femme. Mais l’idée est bonne.

Vous l’aurez compris, faire une fente ou deux fentes pour un tailleur ne présente pas tellement de difficulté. Seulement, ne faire que l’une des deux options permet de s’appuyer sur la force de l’habitude. Moins il y a de réflexion, moins il y a de risque d’erreur. Plus l’on multiplie les paramètres, plus il faut creuser chaque sujet, avec un risque à la clef. Quoiqu’il en soit, du strict point de vue du sur-mesure, les deux options sont très valables. Et esthétiquement différentes.

En revanche, le prêt-à-porter qui doit par essence s’adapter au plus de monde, ne peut faire dans la finesse et le cas par cas. Le risque de ne faire qu’une fente en prêt-à-porter est principalement de très mal habiller l’homme qui a des grosses fesses. La fente va ouvrir en bas du dos. Désastreux pour la ligne générale. Cela fait comme une veste chiche et mal coupée. Pourtant, bien des marques qui ont pignon sur rue continuent de vanter cette ligne.

Pourquoi ? Car dans leur esprit, la fente milieu dos fait plus habillée, plus raffinée, plus digne. Là où la double fente fait plus décontractée. C’est précisément pourquoi les anglais l’ont inventé cette double fente, pour faire moins guinder. Pour donner de la fluidité à la veste et renouveler en souplesse le bon vieux costume de Savile Row. Un costume taillée à la serpette, habillement entre conservatisme, longueur de temps et spontanéité moderne. Là où la simple fente rend le bas de veste plus rigide et moins mobile. Plus précieuse ? C’est donc surtout une vision qui se joue sur cette question de fente. Intéressant n’est-il pas ?

Bonne semaine, Julien Scavini

Soufflet dans le dos

Les soufflets dans le dos des vestes sont assez mythiques. Ils sont rêvés pour l’esprit chasse, safari, ou old-school qu’ils apportent. Et puis, plus prosaïquement, ils intéressent pour le supplément d’âme qu’ils donnent à un dos de veste, ou de manteau. Car il faut bien l’avouer, le dos des vêtements, c’est un peu comme le dos des meubles. Simple et sans fioriture. Pas un grand sujet d’intérêt. Il existe la martingale, cousue ou suspendue à boutons pour donner déjà un peu de plaisir. Mais le soufflet, c’est encore mieux, plus prestigieux.

Il existe deux types de soufflets pour vestes. Le soufflet milieu dos, souvent fini avec des mouches triangulaires. Et les soufflets côtés, formant des arcs sur le flanc des omoplates.

Simon Crompton avec un manteau à soufflet milieu dos.

J’ai testé les deux dans mon exercice professionnel. Et je suis arrivé à la conclusion que dans les deux cas, les soufflets ne servent à rien et n’apportent que des problèmes. Tout simplement, car une fois le grand mouvement réalisé, le ou les soufflet(s) reste(nt) généralement ouvert(s). Eventré(s) même je dirais. Et c’est très laid. D’autant plus dans les tissus contemporains qui sont fins. Un des nœuds est là. J’avais vu il y a longtemps sur internet une illustration d’un tailleur anglais réalisant un laçage élastique (faisant des X comme sur un corset) dans la doublure pour permettre au dos de se rétracter… quel montage baroque… !

Parka en coton lourd. Notez en plus du soufflet côté la présence d’un gousset sous l’aisselle à l’articulation de la manche. Double effet.

Je pourrais émettre deux conditions à la réalisation de plis.

D’abord il faut impérativement un tissu lourd, dense et structuré pour tenir les soufflets convenablement. De ce fait, deux types de vêtements remplissent parfaitement cette condition, avec deux formes de soufflets différents. 1-Les manteaux longs de forme tailleur, réalisés en tissus épais tolèrent bien le soufflet milieu dos. 2-Les parkas courtes en coton épais genre Marlboro Classics tolèrent bien les soufflets côtés. (Ou blouson en cuir de motard).

Seconde condition, que le vêtement soit impérativement généreux dans ses dimensions. Et c’est précisément le cas des deux vêtements cités. Ils sont faits pour être généreux, permettant vestes ou gros pull-overs dessous. Il faut du volume pour permettre aux soufflets de ne pas être mis beaucoup en jeu. Tout est là. Le ou les soufflets doivent servir en dernier recours, pour les gestes de vraiment grande ampleur. Dans le cadre d’un vêtement ajusté parfaitement, le soufflet se met immédiatement en jeu, et alors, il va rester ouvert tout le temps. Disgracieux.

Je ne cite donc pas de veste. Car oui, la veste étant un vêtement ajustée, le soufflet crée des problèmes. Il ouvre et après, reste ouvert et c’est moche. Ou alors, il faudrait faire une veste vraiment très large pour être sûr que ça marche. D’ailleurs, je constate que les clients qui m’apportent des modèles ne se rendent généralement pas compte à quel point la veste modèle est large. Et que c’est un désir vain de reproduire trop de largeur.

Il faudrait sinon… de la grande mesure. Quelque chose de fait main, avec essayages multiples et moult précautions. On trouve de très belles photos sur StyleForum de vestes avec des soufflets. Ce sont des pièces de collection à chaque fois !

Si l’on veut vraiment une veste permettant de tirer au fusil ou de faire des grands et généreux mouvements, inutile de faire des soufflets. Il suffit juste de faire une veste trop large, point. Et même mieux pour les chasseurs, une manche à gousset sous l’aisselle, permettant un total mouvement. Je ne sais absolument pas la patronner toutefois.

Dessous de manche à soufflet

Après, pour la veste, il existe la solution des années 1920/1930 consistant à couper un dos extrêmement généreux, qu’une martingale plaquée ramène à de plus justes proportions à la taille. Cela donne un effet blousant, une troisième forme de soufflets. Les plis divers partant des omoplates sont fixés par la martingale. Et l’aisance dans le haut du dos et formidable. Une manière détournée de créer de l’aisance, une forme de soufflet.

Dos avec volume façon 1920.

Bonne réflexion. Et bonne semaine. Julien Scavini

Relever le col d’une veste ou d’un manteau

Le revers d’une veste, ou d’un manteau, présente toujours à l’endroit de son raccord avec le col, une découpe particulière. S’il n’y a aucune démarcation, il s’agit du col châle, qui fusionne revers et col dans un seul et même mouvement continu. Mais ce revers est bien rare. Non, dans une majorité de cas, c’est une encoche en forme de coin ouvert qui délimite revers et col.

Ce revers, à la fin du XIXème siècle, on ne savait pas vraiment comment l’appeler. Il prenait le nom alors de « bavaroise ». On disait, une veste avec des bavaroises. Soit une veste avec deux retombées de tissus sur les poitrines. Ces deux bavaroises (une de chaque côté) avaient la possibilité de se boutonner sur le côté opposé. Pour en fait enfermer bien au chaud le porteur, au ras du cou.

Certaines vestes autrichiennes présentent encore ces bavaroises un peu généreuses, qui souvent sont boutonnés rabattues sur l’épaule par un bouton de corne de cerf. Sur la photo bien médiocre que j’ai trouvé ci-dessous (une veste de femme avec boutons en métal), ces revers un peu curieux sont bien présents.

J’ai déjà par le passé vu des photos du début du siècle avec de telles vestes. Je me souviens en particulier d’un modèle très similaire sur un homme, au Pays-Basque avant la première guerre mondiale (vu au Musée Basque de Bayonne.) Ce qui me laisse à penser que peut-être, cette forme de veste n’est pas exclusivement autrichienne. Mais peut-être une forme ancestrale de veste ordinaire pan-européenne, par opposition aux fracs et autres redingotes plus élégantes. Il y aurait une étude à faire.

Mais revenons à cette veste ci-dessus et ses bavaroises. On sent bien, et très logiquement, que si l’on cherche à déboutonner le bouton du haut, et que l’on cherche un peu à dégager le cou qui est très protégé là, on va repousser du tissu. Ces bavaroises vont donc s’élargir un peu et le pied de col (dit officier maintenant) va suivre le mouvement et s’épancher un peu. Dès lors que se passe-t-il ?

Le col officier se retourne sur lui-même et s’aligne sur la cassure de la bavaroise, pardon, du revers. Et alors cette sorte d’encoche qui forme le revers maintenant apparait (flèche rouge). Il est très probable que le revers à encoche que nous connaissons bien maintenant soit une forme esthétisée et travaillée de ce qui était à l’origine le bord du pied de col. J’ai essayé un petit croquis, sans triche de dessin aucune. La brisure du revers (le repli) est l’axe de symétrie par lequel les traits du dessin de gauche sont basculés pour devenir revers.

Ainsi donc, notre cran de revers actuel correspond plus ou moins à l’emplacement de la pomme d’adam. La veste arrive en ras de cou, et le col (dit officier) ménage un petit espace.

Ca c’est pour l’origine historique. Alors logiquement, l’hiver lorsque l’on a froid, il serait fort possible de basculer ses revers de vestes pour se protéger du froid. On pourrait même idéalement boutonner le revers gauche sur le pan droit pour vraiment avoir chaud et re-former le col ancien (dit officier).

Sauf qu’avec le temps, nos crans de revers se sont dissociés de cet usage, et même sont remontés encore, dans une vie esthétique autonome. Le cran de revers est aujourd’hui sur la clavicule. Il est trop haut. Si le revers gauche est rabattu à droite, le cran de revers tombe dans le menton. C’est plutôt inconfortable à moins qu’il fasse moins vingt degrés. Et le dessin du cran de revers s’est fait au long d’une ligne droite. Sur cet autre petit croquis, je confronte un revers actuel, et sa version à droite plus ancienne, courbée comme l’encolure :

Certaines maisons de prêt-à-porter pour retrouver un peu cet usage ont eu l’idée d’une patte sous le col comme Hackett, ou d’un col avec patte prolongée à gauche. Mais là encore, c’est plus de l’esthétique que du très pratique !

Il y a l’option sinon de baisser le cran de revers, pour obtenir quelque chose de moins moderne, mais ayant la possibilité de se boutonner. C’est rare. Sur une veste, peu utile d’ailleurs peut-être. Sur un manteau, c’est intéressant. C’est par exemple le cas de mon atelier en Italie, Sartena, qui depuis toujours réalise son manteau droit avec un col plutôt bas. Permettant absolument un boutonnage opposé par temps froid.

En revanche, inutile d’essayer de rabattre un revers en pointe. Les pointes tombent sur le menton voir devant la bouche. Les pointes sont purement de l’esthétique. Rien de fonctionnel. Il ne faut pas chercher à rendre chaleureux un manteau à col pointe. Sa stricte utilité est d’être d’une opulence ostentatoire. Pas pratique !

Bonne semaine, Julien Scavini

La position des boutons sur le devant d’une veste

Un admirable client me reprochait hier matin de ne jamais avoir parlé sur Stiff Collar de la position des boutons devant une veste. Que voilà une faille, même si comme le montre cet article j’avais bavardé sur cela quand même. Intéressons nous prioritairement à la veste deux boutons (voire un), qui pose plus de questionnement que la veste à trois boutons.

J’avais écrit ici et dans Monsieur il y a une dizaine d’année, au sortir de l’école des tailleurs, que la position du bouton principal (que l’on appellera bouton actif par opposition au bouton du bas non actif) était 2cm au dessus du nombril. Avec l’expérience, je dirais que cette valeur est déraisonnablement trop petite.

Le bouton actif sur une veste est probablement plutôt 4 à 6cm au dessus du nombril, et c’est plutôt le bouton du bas qui est 2 à 3cm sous le nombril. Cela est pour poser le débat. Une sorte de 2 tiers / 1 tiers.

Mais il y a deux variables évidentes. D’abord, le nombril n’est pas toujours au même endroit. Et ensuite, la mode fait jouer ce dimensionnement. De deux manières. Il y a la hauteur des boutons. Et il y a l’écartement entre les boutons. Deux notions qui varient avec les modes.

De nos jours, admettons que l’écartement entre les deux boutons est de 10cm pour une taille 48/50 et que pour quelqu’un de grand, en taille 58, cet écart sera de 12cm. 13 peut-être. 9cm pour les petites tailles. C’est un fait.

Cela étant posé, il y a une deux autres variables qui entrent en jeu. La longueur de la veste, évidement, et la hauteur des poches côtés par rapport au bas de la veste.

Je dirais que de nos jours, une veste en taille 48 de 74cm de long est classique. Et que la norme est plutôt à une veste moderne de taille 48 mesurant 71cm de long dans le dos. Plus courte. De ce fait, les boutons devant, s’ils respectent 10cm d’écartement, ne peuvent pas être à la même hauteur. Sur la veste courte, les boutons seront plus hauts.

Sur cette même veste, en 48 classique, la poche sera à 25cm du bas de la veste. En 48 moderne, la poche sera à 23cm. Et généralement, là est un point crucial de l’exposé, le bouton du bas est aligné sur les passepoils de la poche, autrement dit, le haut du rabat de poche.

Généralement aussi, une veste un peu courte est mariée avec un pantalon un peu taille haute. Dès lors, la ceinture du pantalon et le bouton actif sont plutôt écarté. Il est alors inévitable de voir un triangle de chemise entre cette ceinture de pantalon et le bouton. Je dirais même plus que ce triangle de chemise visible est devenu l’emblème du costume de ce début de siècle. Si vous voulez au cinéma ou dans une série faire comprendre que le costume est actuel, il faut montrer ce triangle de tissu. Comme l’illustre ce schéma :

A l’inverse, avec une veste longue, généralement le pantalon monte un peu. Dès lors, l’écart se resserre et la ceinture du pantalon s’approche du bouton inactif, voir du nombril…

Ainsi nait un théorème d’élégance : un pantalon taille naturelle, arrivant au nombril ou juste en dessus, permet à la ceinture d’être pile poil entre les deux boutons de la veste, disons au tiers bas.

J’aimerais maintenant faire une petite digression. On place le bouton bas du devant au niveau des passepoils de la veste. Et on calcule donc 10cm environ plus haut pour caler le bouton actif. Mais il est tout à fait possible de descendre un peu ce bouton bas, en donc le bouton du haut par la même occasion. J’ai tendance à considérer qu’un bouton placé au milieu du rabat, donc en gros 2,5cm plus bas est tout à fait acceptable. Et cela, je considère que c’est de la finesse. On peut positionner le bouton en haut du rabat ou au milieu suivant le client, suivant l’œil en fait. Et pourquoi pas en bas du rabat ? Cela se peut totalement oui. Voir ce schéma donc :

Sur cette photo de deux célèbres américains, on peut se rendre compte que subtilement, les boutons sont alignés sur les passepoils, mais que dans le cadre du costume marron, l’espacement est plus petit, alors que sur le costume gris rayé, l’espacement est bien plus contemporain :

16 juillet 1981 – Official portrait of President Reagan and Vice President Bush

En particulier pour le croisé. Je pense qu’un beau croisé, le carré s’aligne sur le bas du rabat de poche, ou 5cm en dessous des passepoils dans le cas d’une poche sans rabat. C’est ainsi que le croisé est le plus beau. Un carré de bouton aligné très bas permet de garder un V un peu correct et permet à ce carré d’avoir justement une belle ampleur, de n’être pas tout minuscule. D’avoir 11 à 12cm de côté en fait. Cela encore demande un peu de finesse. Si l’on fait confiance aux industriels du costume, leurs règles trop rigides donnent toujours le même résultat, sans relief. Voir le schéma ci-dessous & la photo du Prince Charles.

Sur le croisé, j’ai même tendance à penser que les poches doivent être un peu plus bas, sans en faire religion.

Cela dit, si sur un croisé le positionnement bas est idéal, sur une veste droite, le résultat peut être curieux, car le bouton du bas se retrouve fort dans la courbure de la basque.

The Prince of Wales, Charles, meeting the Vice President, Shri Mohd. Hamid Ansari, in New Delhi on November 08, 2013.

Mais revenons à l’étude initiale d’une veste deux boutons. J’ai donc dit qu’actuellement, on aligne le bouton bas sur les passepoils, et que l’on rajoute 10 à 12 au dessus pour le bouton actif.

Si l’on allonge la veste façon année 80, les boutons vont logiquement descendre, un peu. Mais à l’époque, les boutons étaient bien plus bas. Pour deux raisons. D’abord les poches étaient placées un peu plus basses. Descendant encore la ligne visuelle. Et surtout, l’écart entre les boutons était fortement réduit. Sur les vestes de François Mitterrand, on peut découvrir que 7cm environ séparent les boutons. Un extrême rapprochement qui choque l’œil actuel mais caractérise le style de cette époque, comme le triangle de chemise d’aujourd’hui. Pour autant, sur la veste de François Mitterrand, les poches ne sont pas si basses.

19 octobre 1981 – President Reagan & president Francois Mitterrand at the Battle of Yorktown Bicentennial celebration in Virginia

Pour avoir déjà mis la main sur quelques vestes typiques de l’époque, dont une formidable Lanvin de 1991, le bouton principal tombait pile… sur ma ceinture de pantalon, soit un peu en dessous du nombril. Un V superbe se dégageait. Le corolaire est une veste bien longue, mais aussi ample de partout, sans que cette ampleur soit de trop. C’est tout un équilibre savant. Ce schéma reprend cette idée de boutonnage surbaissé et rapproché.

Donc concrètement, avec votre tailleur, vous pouvez jouer sur la hauteur du pantalon, et sur la hauteur des boutons devant. Ainsi que sur l’écartement. En revanche, il est en général difficile de modifier la hauteur de la poche en demi-mesure. Mais pas impossible. Essayer de faire descendre la ligne de boutonnage doit aussi être en rapport avec une longueur de veste suffisante. Inutile de chercher à boutonner bas sur une veste de longueur moderne.

De nos jours, les vestes étant un peu courte, par effet de style, les boutons se trouvent assez haut généralement. Parfois même, les vestes sont si courtes, que le bouton actif se trouve peu ou prou à la hauteur du premier bouton d’une veste trois boutons… Je vois parfois sur des clients des vestes que je qualifie de « chinoise » vue la qualité médiocre de fabrication. Très courtes avec des tout petits revers. Le boutonnage est si haut qu’il m’évoque alors le boutonnage « paddock » des années 30 et 60 (voir photo ci-dessous). Or, on aurait pu penser qu’un styliste un peu avisé aurait rapproché les boutons et descendu ceux-ci pour donner à la veste courte et moderne un V un peu plus avenant. Ce n’est pas le cas.

Une fois cet exposé très complexe mis par écrit, je vois poindre la question ultime : mais qu’est-ce qui est le plus avantageux ? Le plus joli ? Je ne saurais vraiment pas le dire, tout est une question de mode et d’époque. D’habitude de l’œil. C’est tout le relativisme de la couture. Ce qui se fait aujourd’hui pourra être jugé comme démodé plus tard. Il est certain que les deux boutons doivent encadrer un peu le nombril. Actuellement, cet écart est d’un tiers sous le nombril et deux tiers au dessus. Il peut être de moitié moitié. Et dans les années 80, il tendait à l’inverse. Les deux sont élégants.

Le nombril correspond plus ou moins à la partie la plus cintrée du buste. Lorsque l’on est mince. En revanche, en prenant un peu de poids, cette ligne de cintrage remonte un peu, et le cintrage peut s’appliquer plus fortement sur le côté des côtes. Est-ce à dire qu’il faut monter le boutonnage ? Pas sûr. Il n’y a pas un rapport forcément évident entre position du bouton et place du cintrage peut-être.

Questionnons le 1 bouton aussi. Généralement, je considère pour ma part qu’il est au même niveau que le bouton actif. Et que simplement, c’est l’absence de bouton du bas qui crée la forme  1 bouton. Mais je ne suis pas prophète en ce domaine, et beaucoup estiment bon de descendre ce bouton actif de quelques centimètres. Doit-il alors se placer sur le nombril ? Je dirais que c’est un peu bas pour ma part, mais c’est faisable.

Enfin, le 3 boutons. L’écart n’est plus de 10cm, mais plutôt de 9cm je dirais pour une taille 48. Cela dit, j’ai déjà fait pour un client très grand 13cm d’écart. Tout est une question de proportion. .

J’espère que vous m’avez suivi !

Belle et bonne semaine, Julien Scavini