Cet article a été écrit par mon collaborateur Raphaël.
En novembre dernier paraissait un joli petit livre, Robert de Montesquiou, Ego Imago, aux éditions Bibliothèque des Arts, qui était présenté lors d’une conférence sur ce thème par son auteur, Philippe Thiébaut, au Musée des Arts Décoratifs la semaine dernière.
Philippe Thiébaut est conservateur honoraire au musée d’Orsay, spécialiste en de l’Art nouveau, et s’intéresse depuis dix ans au cas des Dandys et à l’histoire du costume et la mode masculine. Il a publié un ouvrage sur la question dès 1999, Robert de Montesquiou ou l’art de paraître, catalogue d’une exposition menée au musée d’Orsay. De 2013 à 2015, conseiller scientifique à l’INHA, il a animé le domaine de recherche Art décoratifs, design et culture matérielle. Ce fût pour lui l’occasion de parler de mode masculine. Il anima pendant ses deux années un séminaire, La mode masculine, 1820-1970 : corps et objets.
Ego Imago est un ouvrage érudit, sur un personnage haut en couleur. J’ai eu beaucoup de plaisir à compulser les pages de ce livre qui mêle des extraits des mémoires de Montesquiou, publiées à titre posthume par son ami le docteur Paul-Louis Couchoud, Les pas effacés (1923), et d’Ego Imago, un recueil d’autoportraits où le comte se met en scène dans des poses extravagantes, et des costumes surprenants.
Qui est donc ce comte de Montesquiou, qui illustre tant les couvertures de livres sur les dandys? Aristocrate décadent, descendant direct de d’Artagnan, né en 1855, mort en 1921, il connaît son heure de gloire en 1892 (lors de la parution de son recueil de poèmes Les chauves souris). Il anime alors la vie littéraire et mondaine parisienne, donne le la du chic des salons. Il est détesté ou adoré. À ce sujet, deux anecdotes sont amusantes : les frères Goncourt l’appellent Grotesquiou, et disent attendre la traduction en français des recueils et essais du poète… dont les professeurs de latins critiquent la pauvreté de l’ art poétique! Il est vrai que Montesquiou compose des poèmes assez hermétiques.
Toujours est-il qu’il fascine. Ses tenues surprennent et choquent. Raoul Ponchon, chroniqueur de la Gazette rimée, affirme en avril 1902 : « quand il s’habillerait même avec des feuilles de chou […] il conserverait un chic suprême« . Edmond de Goncourt, ne rit qu’à moitié, de celui dont il dit que le pantalon est « fait d’un plaid d’un clan écossais« , à la date du 14 juin 1882 du troisième tome de son journal. Il jugera, un peu plus tard, le 6 avril 1887, que les tenues de Montesquiou sont des « toilettes symboliques, extrêmement chic« .
Il est aussi probable que ses contemporains exagèrent, ou fantasment ses tenues. Henri de Régnier, qui se battra avec le dandy en duel, disait qu’il dînait en ville, vêtu d’une redingote couleur abricot, qu’il visitait le matin en tenant à la main, devant son visage « le velours frais et mauve d’un bouquet de violettes, comme un jeune seigneur tiendrait un loup de bal« .
On imagine aussi le rictus de plaisir du comte, lorsqu’apparaissant à une des quatorze conférences qu’il donna de son vivant, il essuya la déception de la foule, contrariée qu’il soit vêtu d’une simple redingote noire. Montesquiou cultive le « plaisir aristocratique de déplaire« , si cher à Baudelaire.

Peu avant la Première Guerre mondiale, Montesquiou cesse quasiment de se faire photographier ; il ne veut plus montrer les ravages du temps. Nous reste donc à analyser les photographies vers 1900, pour savoir comment juger son élégance. Peut-être ce vestiaire est-il mieux décrit par la duchesse Elisabeth de Clermont-Tonnerre : « coiffé d’un chapeau mou, son costume sobre se faisait cependant remarquer à cause de certains détails de toilette, imperceptibles en eux-mêmes, et fulgurants quant à l’effet. Un léger dépassant du mouchoir, la cravate, les gants et le chamois des souliers s’harmonisaient pour faire chanter le ton mat du costume.«
Nombreux sont les écrivains qui s’inspirent de ce curieux personnage, que Thiébaut juge « narcissique congénital« . Huysmans, qui ne l’a jamais rencontré, utilise des descriptions données par Mallarmé pour imaginer l’intérieur du Duc des Esseintes, dans À Rebours ; quand Jean Lorrain le déguise sous les traits du comte de Muzareth, dans Monsieur de Phocas, en 1901… Si Proust assure ne s’être inspiré que de la voix de Montesquiou – qui couvre trois octaves – pour son personnage de Palamède de Guermantes, mondain torturé, certains auteurs prêtent plus franchement des traits détestables au comte. Henri de Régnier, se venge de Montesquiou, accusé d’avoir battu à coup de canne femmes et enfants dans l’incendie du Bazar de la Charité et le caricature dans Le Mariage de minuit, sous les traits du Vicomte Jacques de Serpini. La caricature la plus savoureuse de Montesquiou est peut-être celle d’Edmond Rostand, par le personnage du coq dans Chanteclerc, en 1910.
Adulé ou craint, autant que détesté, Grotesquiou ou « professeur de beauté« , comme disait Proust, poseur impossible, ou inspirateur de la robe aux chauves-souris de la comtesse Greffulhe, lanceur de traits d’esprits ironiques, parfois hermétiques, rarement flatteurs, toujours inspirés, Robert de Montesquiou disparaît peu à peu avec l’ancien monde, celui qui meurt quelque part entre l’été 1914 et Verdun… Le nouveau monde, de l’électricité, de l’auto, de la vitesse et du sport n’a que faire des épithètes compliquées du « souverain des choses transitoires », comme il s’autoproclame. Il meurt dans l’indifférence, au début des années vingt. Les chroniqueurs s’étonnent alors. On le pensait mort depuis longtemps.
Belle fin d’année!