Avec les fêtes qui approchent, je voulais vous parler du smoking. Mais pour faire ça bien, j’ai décidé d’évoquer d’abord la queue de pie, son ancêtre. Ce faisant, j’ai tellement écrit que l’article est devenu autonome. Découvrons là ce jour avant de voir les différentes formes de smoking dans un prochain article.
Le forme de la queue de pie est un lien direct avec les vêtements de l’ancien régime, longs eux aussi. Les habits de dessus dès Louis XIV ont adopté une coupe évasée sur le devant et fuyante sur l’arrière pour une question de commodité à cheval. Dès cette époque, le triptyque justaucorps long, gilet moyen et culotte s’est mis en place. Le justaucorps a lui même évolué doucement. D’abord très évasé et ample, il devient sous Louis XVI plus fin, plus léger, presque ressemblant à une jaquette (en rouge dessous). Ce vêtement long et dégagé devant va continuer d’évoluer, notamment en Angleterre où la forme croisée va apparaitre, notamment avec le fameux Beau Brummell (en vert dessous). L’empire français reviendra sur la forme Louis XVI mais pas seulement.
Pour suivre admirablement le cheminement cet habit long, il est intéressant de regarder tous les présidents américains depuis les origines (1789). Car d’un héritage franco-anglais très aristocratique, il va être le reflet, 4 ans par 4 ans de l’évolution stylistique. Il est d’autant plus représentatif que : 1- le rythme des successions ne fut pas troublé, que 2- ce sont des civils qui sont représentés, et non des militaires ou des princes en habits aristocratiques. Captivante épopée. Je ferai ce relevé un petit peu après Noël, cela s’annonce passionnant !
Enfin bref, revenons à la queue de pie. Celle-ci est reconnaissable à sa coupe en deux temps : corsage ajusté et basques décalées sur le côté et fuyantes. Cette coupe fut utilisée pour les vêtements de jour comme du soir de 1790 à 1850 environ, et souvent fermée devant voire croisée (comme dans le dessin vert). Passé 1850, la forme va se refermer pour le jour et donner 1- la redingote et 2- la jaquette, voir dessins ci-dessous. Les anglais appellent la redingote frock coat, à ne pas confondre avec le frac, qui en français désigne la queue de pie !
Pour le soir et à partir de 1850 donc, la queue de pie va acquérir ses lettres de noblesse. Puisqu’elle devient exclusive du soir, elle devient noire. Sans exception. Certes dans les années 50 fut elle réalisée en bleu nuit, mais je trouve cela maladroit. Encore pour le smoking, cette fantaisie passe, autant pour une queue de pie, elle est incongrue.
Mais non contente d’être noire et unie, la queue de pie hérite de la fantaisie du XIXème siècle qui consistait à mettre des textures plus brillantes sur les revers. Ainsi une soie de revers fut plaquée, d’abord sous la forme de trottoir (voir dessin de la redingote) puis recouvrant le revers entier. Cette soie était tissée en faille (similaire à du satin mais un ton moins brillant) ou en gros grain (présentant des cotes en relief horizontales). Les boutons étaient le plus souvent brodés.
La queue de pie est appelée par les services protocolaires ‘cravate blanche’ ou ‘habit’. Les anglais disent ‘tail coat’, ‘white tie’ ou ‘full formal’. Le terme lui même est une ellipse de langage, car la queue de pie désigne la panoplie entière : la veste longue, le gilet très court et le pantalon. Détaillons les :
La queue de pie en elle même est une veste qui ne se ferme pas. Exactement sur le même schéma que les justaucorps ancien régime. Ainsi, il n’y a pas de bouton pour la fermer. Les six boutons présents sur le devant sont décoratifs. Plus ils sont disposés en V, plus la queue de pie paraitra allurée.
Les revers sont en pointe, toujours, et recouverts de soie. Pour la mienne, ne trouvant pas de gros grain de soie, je me suis rebattu sur un gros grain de tapissier, 100% coton. L’effet est le même !
Il n’y a qu’une seule poche, celle de poitrine pour mettre un mouchoir blanc par exemple.
Les basques doivent arriver juste derrière le genoux. La queue de pie peut être un petit peu plus courte que la jaquette, car elle est fait pour s’assoir et danser et se doit d’être assez légère. Le dos de la basque présente deux plis, un vestige des habits Louis XVI et Louis XV très repliés au dos. La doublure dos en bas dissimule le long de la fente une ou deux poches. Les chefs d’orchestres y dissimulent le baguette !
Le corsage, c’est à dire le haut de la jaquette s’arrête très tôt, environ au nombril. Donc le pantalon doit monter jusque là. Le gilet ne doit sous aucun prétexte dépasser ! C’est un crime punissable ! Donc de nouveau, le pantalon doit monter très haut ! Les bretelles sont impératives. Hélas, ce n’est pas un vêtement pour les gros. Certes sous la IIIème république, les tailleurs étaient capables de prouesses ; c’est plus difficile de nos jours. Regardez d’ailleurs comment certains académiciens portent leur habit…
Le pantalon n’a pas de particularité. Il peut avoir des pinces comme en 1930 ou aucunes comme en 1910. Il est par contre assez étroit en bas. Sur le côté, il doit y avoir un galon assez large (d’origine militaire) ou deux galons de smoking parallèles avec un espace entre.
Le gilet est dont très courts. Quand j’ai coupé le mien, cela m’a même choqué. Quelque chose comme 45cm de haut. C’est plus joli ainsi. Classiquement le gilet est droit, avec trois petits boutons de nacre. Il peut aussi être croisé. Il peut se finir horizontalement, ou avoir des pointes, ou avoir des pointes rondes. Le gilet a toujours des revers, d’une forme caractéristique et il peut être dépourvu de dos pour avoir moins chaud (il ressemble alors à une paire de bretelles avec des pans devant).
Le gilet est par ailleurs toujours en tissu nid d’abeille blanc ou blanc cassé, appelé coton Marcella. Cette matière est utilisée pour le nœud papillon aussi. Gros point d’intérêt ici, l’habit du soir ne se porte avec rien d’autre qu’un nœud papillon blanc. La chemise aussi est blanche, mais lisse. Cela contraste. Ce papillon blanc, illustre descendant des lavallières blanches en dentelle donne par ellipse là encore le nom officiel : ‘cravate blanche’. Par opposition à la ‘cravate noire’ qui désigne le smoking.
Les souliers peuvent être des richelieus vernis ou des opéra pump, plus formels et plus old school aussi.
Les studs, appelés en français goujons et qui servent à fermer la chemise à la place des boutons sont en argent et nacre. L’argent est le métal qui correspond à la queue de pie alors que l’or est le métal du smoking !
Alors c’est bien joli me direz-vous, mais qui utilise encore la queue de pie. C’est vrai. Il existe toutefois deux déclinaisons de l’habit : le spencer et la veste de kilt. Ces deux vestons sont plutôt issus du domaine militaire ou guerrier, comme l’atteste les boutons en métal ou les épaulettes.
Le spencer était très en vogue dans les années 30. Il était assez mal vu chez les civils. Les élégants le trouvaient grotesque. Par contre les militaires le consacrèrent comme le vêtement d’apparat des officiers. C’est encore le cas, surtout au Royaume Uni. Les serveurs et groom des grands hôtels ont très vite utilisé ce vêtement pratique car court. Tellement court d’ailleurs qu’il rend son usage contemporain curieux, notre œil n’étant plus habitué aux pantalons très hauts.
Le spencer peut se fermer devant avec une chainette. Il existe aussi en blanc pour l’été. C’est un vêtement amusant.
Enfin, les écossais qui ont en commun avec les anglais un honorable formalisme ont adopté une coupe revue de la queue de pie pour l’associer au kilt. Si le haut est strictement identique, la basque au dos est très courte, comme une queue de castor. Deux poches en forme de couronne y sont disposées, à la manière des poches carniers sur les vestes de chasse. Les boutons sont carrés.
Il est amusant de constater comment ces vêtements ont évolué. Quel filiation depuis les débuts avant la révolution ! Et encore, ce n’est pas fini. La semaine prochaine, nous verrons comment le smoking est né. Quelle aventure !