Une histoire de cintrage

L’une des esthétiques principales que nous présentent les magasines de mode masculine est le cintrage quasi systématique des vestes, souvent aidé par des pinces disposées dans le dos des mannequins. Certains voient dans cette démarche une féminisation des coupes sur le chemin de l’androginité, d’autres y voient le diable ‘Slimane’, mais tentons ce soir d’être objectif.

Le grand tailleur Rousseau à Paris avait une habitude lors des essayages: il pointait du doigt la veste à la perpendiculaire du corps pour chercher l’aisance, et disait régulièrement, comme une sorte d’adage qu’il fallait toucher tout de suite pour y être! Cette idée est représentative d’une bonne démarche de coupe.  L’aisance doit être prise en compte, mais il ne s’agit pas de flotter dans le veston.

L’histoire de la coupe a toujours cherché le bon compromis entre élégance et aisance, ce qui touche à des questions d’appréciation et de goût. Ces quarante dernières années ont vue des évolutions contradictoires en terme d’élégance masculine, le point culminant étant le flasque des années 80. Pour autant les bons tailleurs ont souvent eu comme préceptes de rechercher la ligne juste plus que la ligne de la mode, même si encore une fois cela renvoie à des questions d’appréciations personnelles.

La coupe cherche perpétuellement à renouveler ses codes. Les schémas ci-dessous représentent trois stades d’évolution de cette dernière. Une veste se compose principalement de deux devants, de deux petits-côtés et du dos en deux parties aussi. Sur les schémas, ils sont représentés en haut à plat. En rouge les bords qui seront piqués ensemble, en vert l’emmanchure de la manche. Donc le premier schéma représente la version de base, datée années 50. Le petit côté (celui du milieu) est relativement droit et se termine par le bas de l’emmanchure. Il se raccorde sur le devant en tangente horizontale et se raccorde sur le dos en tangente quasi verticale. Le dos est donc peu marqué par les manches.

La première proposition pourrait donc dater des années 50 (schéma 1). Souvenons nous dans les anciens magazines ou films de ces vestes taillées comme des armoires et proposant des bustes très larges, très masculins pourrait-on dire. Ces vestes étaient taillées comme des tubes, ce qui donnera d’ailleurs à Pierre Cardin l’idée de ces vestes tuyaux  à basques carrés dans les années 60/70. Nos amis grands bretons furent d’un sens les premiers à chercher le cintrage, sans pour autant modifier la coupe en profondeur (schéma 2). Le petit côté reste quasi le même. Les italiens (je généralise d’un sens, car l’histoire est bien plus complexe) sont allés plus loin en modifiant la coupe du petit côté, qui se raccorde dès lors au dos avec une pente moins importante de l’emmanchure. Cela fait reposer sur le dos une partie plus importante de l’emmanchure. Il s’agit de la démarche la plus actuelle.

Ces trois démarches proposent trois visions stylistiques différentes. La première donne une carrure (carrure en U), la deuxième un léger cintrage mais proposant toujours un dos large (carrure en V) et la troisième une silhouette très près du corps et beaucoup plus fluide. Mais si la dernière est fortement représentée dans le commerce du prêt-à-porter, un tailleur sera capable de proposer les trois suivants le ‘gabarit’ du client qu’il rencontre. Quelqu’un de fort et de carré sera parfaitement à l’aise dans la première. Une personne sportive sera plus confortablement habillée par la deuxième et enfin le drop mince et urbain sera quant à lui parfaitement à l’aise dans la troisième. Les différences apparaissent fortement sur les hanches devant et sur les épaules dos.

Voici trois exemples de coupes montrant l’infinie possibilité de l’art tailleur pour créer des silhouettes différentes loin de la standardisation industrielle. Ces trois schémas presente aussi trois histoires de la coupe et du style qu’il est innévitable de comprendre pour bien appréhender les spécificités historiques du costume masculin. Et notons enfin à quel point, pour un simple cintrage, ou plutôt une simple coupe ‘près du corps’, il aura fallu du temps pour définir et redéfinir les normes tailleurs, sans changer les fondements, mais en les améliorant, dans une démarche presque darwiniste d’évolution.

A bord de l’Orient Express (fin)

Ce soir, découvrons les trois derniers personnages masculins du film de Sydney Lumet:

  • premièrement, le comte Andrenyi (joué par le jeune -à l’époque- Michael York) qui est jeune marié avec la comtesse Eléna ou Héléna Greewood, sœur de la défunte Mrs Armstrong. Jeune diplomate, il s’habille de manière très luxueuse -nous pensons notamment à son magnifique manteau de fourrure du début du film- et pour l’occasion de dessin, en négligé d’intérieur, complet sans la veste en laine grise et foulard en ascot.
  • Comptons également Hercules Poirot, joué pour l’occasion du long métrage par Albert Finney qui signe là l’un de ses grands rôles! Nous retenons la tenue du dénouement, à savoir un costume croisé marron à rayures plus claires, porté avec un gilet, une chemise blanche et un nœud papillon à motifs painsley. La veste du croisé arbore d’ailleurs un couvre-col en velours marron clair.
  • Enfin le meurtrier (mais pas celui que l’on croit…), Samuel Ratchett (joué par Richard Widmark) qui arbore le costume typique de l’américain des années 30: le croisé noir à rayures grises.

Cette série d’article est maintenant finie, après un tour complet des personnages masculins et de leurs tenues en dessins. Si l’art costumier dans ce film n’excelle pas forcément, nous retonnons l’atmosphère homogène qui s’en dégage. Notons par exemple la forte présence de tissus à rayures et de coupes généreuses (les revers notamment) tout à fait de bon ton dans l’entre-deux guerres. Retenons aussi la justesse des propositions pour chaque classe sociale, donnant immédiatement une lisibilité à l’ensemble des ‘jurés’, comme un condensé de la société, justifiant plus ou moins moralement le sort réservé à Ratchett; les domestiques, suivant leur rang, ressemblent à des domestiques, les aristocrates de même. En revanche nous penserons à regret à la faible présence de mouchoirs de pochettes. Notons enfin que les costumes sont un savant mélange d’un style des années 30 rêvé et de la mode des années 70. Car nous le savons bien entre gentlemen, les années 30 restent une référence en terme d’élégance, mais elles sont bien souvent réinterprétés -malgré nous ou consciemment- dans un esprit plus ‘contemporain’…

L’Orient Express et son crime (MàJ 1)

Réalisé en 1974 et nommé plusieurs fois aux oscars, Le Crime de L’Orient Express a été adapté du roman éponyme d’Agatha Christie par Sydney Lumet qui a réuni pour l’occasion une belle pléiade d’acteurs, signant là l’une des adaptations les plus ambitieuses des aventures d’Hercules Poirot. Le détective belge fut joué par Albert Finney, qui donna pour l’occasion la réplique à (entres autres) Sean Connery, Lauren Bacall ou encore John Gielgud.

Ce film est remarquable à plusieurs niveaux, que ce soit de la musique (de Richard Rodney) aux décors (de Tony Walton), en passant par les costumes, (du même décorateur) l’occasion pour Stiff Collar de revenir sur cette vision des années 30. Commençons ce soir par quatre des personnages masculins secondaires:

  • Bianchi ou Blanchet (suivant la langue) d’abord (joué par Martin Balsam), qui est l’ami de Poirot et le directeur de la ligne de l’Orient Express. Il lui permet d’accéder à bord pour rentrer en France. Ce personnage arbore pendant le film un complet en prince de galles gris, additionné d’une chemise à rayures bleus et d’un nœud papillon blanc à pois bleus.
  • Cyrus Hardman ensuite (joué par Colin Blakely), ancien policier et fiancé de la nounou des Armstrong puis détective de l’agence Pinkerton, porte quant à lui une veste en gros prince de galles additionnée d’un pantalon de flanelle grise, d’un pull en jacquard et d’une chemise rose.
  • Gino Foscarelli (joué par Denis Quilley) est l’ancien chauffeur des Armstrong devenu vendeur de voitures. Il arbore, ‘en bon italien’, un costume voyant noir à rayures beiges, additionné d’un gilet gris et d’une chemise à rayure. Les revers de sa veste sont typiques de l’époque et de sa profession avec ses pointes marquées.
  • Enfin le docteur Constantine (joué par George Coulouris) est l’aide de Poirot et de Blanchet à bord du train où il effectuera l’autopsie du corps de Ratchett. Il porte un complet dont la matière reste difficile à définir, entre le pied de poule et le petit carreau.

Dans la semaine, nous étudierons le reste des personnages masculins! En attendant, régalez-vous avec le roman et son intrigue complexe où la morale le dispute au suspens 😉

Les quatre personnages que nous étudirons ce soir sont:

  • Le valet de Ratchett, le bon Bedoes et qui est joué par l’excellent John Gielgud.  Il porte pour l’occasion ce que l’on pourrait qualifier de Stroller, à savoir la version plus ‘usuelle’ de la jaquette du maître d’hôtel. Il se compose d’une veste et d’un gilet noir, d’un pantalon à rayures et d’un chemise à col cassé portée avec une cravate club.
  • Le secrétaire de Ratchett, le curieux Hector McQueen (joué par Anthony Perkins) qui arbore en bon ancien étudiant américain son blazer à écusson, additionné d’un pull jacquard et d’une cravate club. Le pantalon de flanelle complète l’ensemble d’un manière fort classique.
  • L’ami de Mary Debenham et ancien collègue de M. Armstrong est le colonel Arbuthnot (joué par  Sean Connery). Il portait pour rentrer en angleterre un complet de tweed en pied de poule avec une cravate club. Sa moustache très british convenait parfaitement à l’acteur qui plus est!
  • Enfin le conducteur du wagon-lit est le français Pierre Michel (joué par Jean-Pierre Cassel). Il arbore sa livrée noire gansé de rouge, à col officier avec beaucoup de tenue!

A lundi!

Le pantalon dépareillé

Au cours d’une visite récente dans une grande surface de l’habillement, un ami m’a demandé ce que je pensais d’un pantalon anthracite à rayures violettes vendu seul, sans veste; et je dois dire que j’ai été bien incapable de me prononcer sur le sujet: mais avec quel type de veste et dans quelle occasion un tel pantalon pourrait-être porté? De même pour nombre de références en prince de galles (très à la mode apparemment) ou à rayures multiples. Donc voici l’occasion de revenir aux fondamentaux en terme de pantalon.

Traditionnellement chez les hommes, nous avons en résumé deux tenues: le complet (de ville ou de campagne) autrement appelé costume et la tenue sport. Si la première est évidemment unie, le pantalon et la veste étant coupés dans le même drap, la seconde ouvre des possibilités infinies de combinaisons. Nous appelons habituellement et par extension vêtement de sport les vestes réalisées dans des tissus différents des étoffes de villes (plutôt bleu marine ou gris/noir, à rayures ou pas) car souvent plus épaisses et peut-être moins unis en terme de motifs. Du gros chevrons aux carreaux en passant par le glencheck plaid, le répertoire est important pour cette composition vestimentaire des instants de détente. Nous comptons également dans ce registre les blazers, droits ou croisés, même si l’assemblage est osé!

Bref, dès qu’une veste est vendue seule, elle peut être catégorisée dans les vestes de sport. C’est une appellation avant tout, ayant perdu ses origines depuis les clubs. Avec ces vestes, que portons nous en bas?

  • La première possibilité, évidemment, est le pantalon de flanelle grise (unie). Historiquement portée l’été, cette étoffe s’est rendue indispensable pour compléter les vestes aussi bien que les blazers. Il s’agit du canon de l’élégance masculine, incontournable aux quatre coins du monde occidental. La flanelle peut se présenter en plusieurs épaisseurs et diverses nuances, de l’anthracite au gris clair. Ce pantalon doit arborer un pli de repassage et peut avoir des revers;
  • Les pantalons en gros chevrons peuvent constituer une réponse ad hoc à la campagne et pourquoi pas à la ville, à vous de tenter, de même pour les pantalons en tartans.
  • Nous classerons en troisième le chino de coton, très utile et qui s’est fortement démocratisé sans être aussi vulgaire que le jean. De couleurs variées, du bleu marine au beige en passant par le blanc, il propose une lecture plus décontractée de la tenue de sport, sans son pli marqué et sa résistance accrue, notamment au lavage mécanique. Nous noterons que le cavalry twill, une forte armure de laine souvent en beige ou mastic, reste l’ancêtre toujours usité du chino.
  • Les velours côtelés constituent une importante catégorie de possibles, dans de nombreuses couleurs mais restent plutôt hivernaux, de même que les moleskines.
  • Enfin pour l’été, un nombre important de laines froides ou de laines vierges pourront compléter les vestes légères en soie ou en lin, dans des motifs souvent unis.

Voilà pour l’état des lieux des classiques possibles et qui laissent entrevoir de nombreuses variantes malgré tout, dans un cadre tenu de modèles. Pour autant je n’ai pas répondu à la question préliminaire du pantalon à rayures violettes. Car la rayure est un motif de ville par excellence, et le collisionner avec des attributs sportifs (synonyme de dépareillé donc) me pose problème. Je n’ai pas d’idée, comme pour le pantalon noir uni par exemple, à part peut-être de le completer avec une maille, pull ou cardigan, mais je n’ai jamais été un admirateur de ces pièces, à la différence des créateurs actuels appatés par les volumes à prix réduits qu’ils permettent de réaliser. Une veste coûte en effet plus chère, surtout si vous cherchez à en avoir autant que de tricots, mais l’effet est plus construit, plus recherché et nécessite un peu de goût, entre la pochette et la cravate, car oui, une cravate est toujours utile, au moins pour tenir le cou au chaud!