Les boutons du croisé

Si le croisé 6 en 1 façon années 90 revient un peu sur le devant de la scène sartoriale (à cause ou grâce à Lorenzo Cifonelli?), le modèle classique reste toutefois le 6 en 2. Soit pour celles et ceux qui ne suivraient pas, 6 boutons visibles sur le devant, dont 2 se boutonnent du côté droit.

Ce faisant, s’il y a 2 boutonnant à droite, il y a en retour 2 décoratifs à gauche, question de symétrie. Certains stylistes se sont essayés à l’asymétrie. Ainsi qu’un client une fois qui m’avait demandé de ne pas disposer les boutons ne « servant à rien ». C’est un style…

Le croisé classique 6 en 2 présente sur le devant 4 boutons disposés en carré. Plus deux boutons un peu plus haut, sur les poitrines. Pourquoi? Allez savoir. Probablement une question de silhouette et de forme en V. Le carré seul devant fait un peu pataud, comme ci-dessous à gauche. Ajouter ces deux boutons de manière un peu excentré, ça redonne une ligne à la veste en évasant son dessin vers les épaules. Une veste croisé avec un carré devant, mais sans les deux boutons aux poitrines, c’est tout à fait singulier. Ça fait pauvre. Voyez plutôt :

Sauf si la poche poitrine est plaquée. Alors dans ce cas, on ne met pas le bouton. Cela donne un vieux style de Lord en goguette. Car on ne le coud pas sur la poche. Comme je l’ai vu dans une publicité une fois. Ou une autre fois j’ai vu une médiocre fabrication chinoise qui se voulait sartoriale. Ne sachant pas quoi faire des deux boutons du haut, ils les avaient placés plus bas, en les rapprochant du carré. Quelle curiosité comme sur mon dessin ci-dessous à droite :

A titre informatif, je pense que les deux boutons décoratifs se placent au même espacement que les boutons du bas. Si 12cm, alors, 12cm. La diagonale fera un peu plus logiquement. Voir flèches en orange.

Anglais et italiens n’ont je crois pas la même approche de ce positionnement. Les anglais ont tendances à placer ces boutons proches du centre, donnant un V peu marqué, ci-dessous à gauche. A l’inverse les italiens placent les boutons de manière plus excentrés ci-dessous à droite, accentuant le V. Ralph Lauren est le maître en la matière, avec des boutons de poitrine placés sur les pinces devant. Je fais ainsi presque. J’aime bien. C’est selon les goûts.

Il y a aussi la hauteur de positionnement des boutons du croisé. J’ai tendance à penser que sur un croisé, il faut franchement abaisser ce niveau de boutonnage. Placer les deux boutons fonctionnels plus bas que si c’était une veste droite. En descendant le rang du bas sous la poche. C’est aussi une vision, que ne partagent pas toujours les ateliers.

La semaine prochaine si tout va bien on parlera du carré devant.

Reste enfin une dernière touche de symétrie sur le croisé. Avec une ou deux milanaises au revers… ? Pour moi, c’est deux comme la photo ci-dessous du cousin d’Elizabeth II, Mickael de Kent. Une de chaque côté. Autant aller sur la symétrie jusqu’au bout ! Mais ça aussi, c’est une question de goût !

Amusante photo enfin, autour du Président Truman, l’homme en papillon et croisé clair. A sa droite, un croisé à poche plaquée de poitrine, avec une bouton subtilement cousu au bord de la poche de poitrine… Et vers la gauche, un homme déboutonnant son croisé façon 4 en 1, sans les boutons de poitrine. Tout se fait, tout s’est fait !

Belle et bonne semaine. Julien Scavini

Trois manteaux d’hiver

Petit avertissement en préambule. Cet article totalement ringard illustré par le Roi Charles n’est destiné qu’aux anglomanes avertis. Les amateurs de manteaux modernes, slim et courts peuvent aller voir ailleurs.

J’aurais pu titrer ce billet « trois manteaux d’hiver qu’il faut avoir ». Mais, nous n’avons pas tous les moyens de crésus, et nous ne sommes pas tous né chez les Windsor. Et j’ai bien conscience que l’époque actuelle ne nécessite pas une telle débauche sartoriale. J’ai déjà écrit ça et là sur le manteau sans forcément ressentir le besoin de donner une réponse définitive. Mais le temps passant, je me fais une idée plus sûr des choses.

Je vous présente ce soir trois modèles de pardessus. J’aurais pu n’en proposer que deux ou au contraire quatre. Toutefois, à force de regarder des films en noir et blanc, des séries anglaises des années 90 mais dépeignant les années 50 ou 30, à force aussi de passer en revue des photos anciennes, je suis arrivé à ces trois modèles. Que par ailleurs le Roi Charles corrobore presque.

Ces trois modèles sont d’hiver. Chauds et lourds, coupés dans des molletons de laine. La gabardine un peu mi-saison, comme le manteau en whipcord, le fameux covert-coat, ne font pas partie de cette sélection permettant de lutter contre le froid.

Le premier manteau, l’absolue nécessaire, est je pense un grand croisé. Un pardessus statutaire et résolument urbain. Celui que Michael Douglas portait dans les années 80. Long, généreux, ample. Celui que l’on peut mettre pour aller au travail ou à un enterrement. Celui qui pose un personnage et donne une allure à nulle autre pareille. Je l’ai dessiné en bleu marine, car je pense que cette teinte est plus heureuse que le gris. Et plus moderne, remarquable petite concession à la modernité. Un modèle « charcoal » serait toutefois du meilleur goût aussi. Dans les deux cas, marine ou anthracite, il est possible d’opter pour un col recouvert de velours, marine ou noir. Bien que ce col donne un petit aspect… je ne sais pas, moins habillé peut-être? Plus fantaisiste? En même temps, le col de velours sur un grand croisé, c’est sublime. Premier dessin donc :

Le deuxième modèle est droit, plus simple et moins guindé. Pour être légèrement plus décontracté, je propose la couleur camel. Pour cette teinte, il y a deux choix. Soit fort clair à la manière de Loro Piana qui propose un poil de chameau lumineux et naturel, soit légèrement plus caramel à la manière des anglais, avec un mélange de laine et de cachemire. Cette teinte camel est aussi à l’aise en association avec un costume de ville gris ou bleu qu’avec une tenue de week-end plus décontractée. Elle est polyvalente. Les boutons cachés sont une option. Et le col en velours ton sur ton est une seconde option. Sachez que le velours beige, c’est presque impossible à trouver !

Enfin, dernière proposition d’hiver, dans un crescendo de décontraction, le manteau parfait pour sauter dans un train et dans une automobile rapide, un croisé à col enveloppant, type polo-coat. Réalisé dans un gros chevrons de tweed marronné, il est d’une souplesse parfaite. Ses détails nombreux, parements en bas de manche, poches boite-aux-lettres, martingale au dos, surpiqures voyantes en font un modèle sport.

Comme vous pouvez le constater, je reviens aux origines de Stiff Collar. De la rigueur anglaise et un esprit suranné affirmé. J’ai bien conscience que pour beaucoup et moi bien souvent, la doudoune est la réponse universelle. Mais, ne sommes-nous pas ici pour rêver un peu à de beaux vêtements d’un ancien temps. J’imagine que vous ne serez pas tous d’accord avec ces trois propositions, et c’est bien normal. Il existe tant d’autres manteaux tout aussi légitimes ! Et beaux.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

La doublure du pantalon

Tous les pantalons ont une doublure au niveau de la ceinture. A part les jeans. Une petite cotonnade en plusieurs morceau qui s’appelle la hausse de ceinture et qui double celle-ci, tout en camouflant le haut des sacs de poches. Le terme hausse est curieux. Il vient probablement du verbe hausser. Le dictionnaire donne : « Technique :Objet ou dispositif qui sert à hausser. » On l’aurait deviner.

Rentrons dans la technique. Chez un tailleur, la ceinture d’un pantalon est réalisée en triple épaisseur. A l’extérieur le tissu proprement dit. A l’intérieur contre la chemise, un tissu de coton, de la percaline exactement, faisant doublure. Entre les deux, en sandwich, une toile de lin fort rigide, donnant la structure verticale et le maintien de la bande de ceinture.

En industrie, il n’y a que deux couches. A l’extérieur le tissu proprement dit, légèrement thermocollé. Mais peu rigide. En revanche, la doublure intérieure (généralement en plusieurs bandes) incorpore elle une sorte de toile, un mesh, rigide. C’est le complexe de doublure, préfabriquée par une autre usine que celle qui coud les pantalons, qui incorpore cette sorte de toile qui fait la rigidité de la ceinture. De fait, ce composé, on ne l’appelle plus simplement une doublure de ceinture, mais une hausse. Car c’est lui qui tient la ceinture « debout », verticale et rigide.

Voilà pour cette première information.

Ensuite, parlons un peu de cette doublure qui est présente sur le devant de la cuisse, s’arrêtant sous le genoux. Elle n’est pas en coton elle. Mais en viscose sur les beaux pantalons. En polyester sur les mauvais. Et en soie sur les pantalons cousus à la main, si le client a apporté un bout de soie, à la fois pour faire son intéressant et pour embêter le tailleur avec des fadaises. Cette doublure rend tous les pantalons qui en ont des selvedges…. ahaha. Car cette doublure est coupée perpendiculairement au sens du tissu, et sa lisière (en anglais selvedge) un peu fileuse sert de bord non cousu.

Cette doublure est toujours présente sur les beaux pantalons, de laine. Si le pantalon est en coton ou en lin, cette doublure n’a aucun intérêt. C’est mon avis. Un chino n’a pas besoin de doublure. A priori… En mesure, j’ai l’opportunité de choisir avec mon atelier la présence ou non de cette doublure. Une fois que j’avais choisi de ne pas la mettre dans deux modèles en lin, le client a fait des histoires et j’ai du la coudre à la main… Je ne vous explique pas la galère pour rajouter une doublure dans un pantalon déjà cousu. Dès lors, j’ai tendance par défaut à laisser la doublure cuisse pour ne pas avoir d’histoires.

Cette doublure date de l’époque où la laine grattait. Car avant, oui, la laine grattait. Pourquoi dans les années 70 cette matière a perdu les faveurs du grand public et que le WoolMark a dû lancer d’immenses campagnes marketing pour ne pas faire oublier la laine… Car les anciens petits enfant se souvenaient – avec horreur – de leurs cuisses rougies par la laine qui grattait. Cette doublure cuisse devant est là où le pantalon applique le plus. Pour les laines les plus grattantes, il est aussi possible de doubler la cuisse dos.

Mais alors, de nos jours, alors que les laines ne grattent plus, ou peu, est-il utile de garder cette doublure? Pas forcément. Je me souviens que lors d’un stage chez Camps De Luca, j’avais ouï-dire que les pantalons n’étaient pas doublés. Et bien pourquoi pas. Je me suis fait cette double réflexion l’année dernière. L’été, je portais un pantalon de lin un jour de forte chaleur. La doublure de viscose me plaquait la cuisse et collait. Tout l’inverse des qualités du lin. J’ai fini par défaire le pantalon et araser la doublure en deux coups de ciseaux. Ah, le pantalon gagnait en fraicheur. Et en décembre, alors qu’il faisait bien froid, je sentais l’air froid remonter dans la jambe. La flanelle était agréable. Mais ce bout de viscose sur la cuisse était alors glacé. Désagréable. Dès, je me suis dit, peut-être qu’il est temps de se passer de cette doublure.

D’autant que cette doublure n’est pas simple à gérer avec les tissus fins. Il est obligatoire de lui donner du mou à cette doublure. En bref, d’en mettre plus que la laine elle-même. Avec comme objectif que la doublure jamais ne fasse tirer le tissu extérieur. Il y a un petit tour de main en couture à faire, pour avoir plus de doublure que de tissu. Un problème parfois ressort… le pli de la doublure n’est plus aligné avec le pli du tissu. Et le pli de la doublure se voit à travers le tissu. Et le client n’est pas content. En bref encore, la doublure fait du bazar et le tailleur est fautif.

Alors quant la doublure descend jusqu’à la chaussure, devant et derrière, je ne vous raconte pas le stress si jamais la doublure a un comportement inapproprié. Oui, car dans les tweeds bien grattant, une doublure devant et derrière, intégrale, peut être agréable. Elle peut aussi aider les chaussettes mi-bas à glisser mieux et à ne pas agripper le mollet. Je ne l’ai pas testé moi-même. Parce que l’idée de mettre une matière artificielle pour gainer entièrement un beau pantalon de laine me parait baroque. Je préfère être en contact d’une matière naturelle plutôt que d’une viscose. Mais chacun ses goûts et ses petits trucs !

Alors, avec ou sans doublure cuisse ? Faîtes vos jeux.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Le british-warm

Ce n’est pas tellement aux îles britanniques que l’on pense lorsque cherche la chaleur… (signification du mot warm). Pourtant, on peut accoler ces deux mots, pour former un nom. Et j’ai toujours pensé que c’était un nom curieux pour un manteau. Car c’est bien le nom d’un manteau : le british-warm. En fait, il s’agirait surtout d’un surnom à visée commercial donné par le créateur et pourvoyeur aux armées de ce modèle : Crombie. Un nom publicitaire en fait. Avec ce manteau, c’est la certitude d’avoir chaud.

Décrivons le. C’est un manteau qui s’arrête au genoux, à peine au dessus. Il est croisé. Il est toujours de teinte caramel, ou mastic. Parfois grisâtre. La matière est un lainage fort lourd. Le boutonnage se fait sur six boutons rangés en 2×3, et aucun bouton décoratif sur les poitrines. Les manches sont classiques, montées, et terminées par deux ou trois boutons. Il n’y a pas nécessairement de poche de poitrine. Mais toujours deux poches à rabats, simples, sur les côtés. Le revers est en pointe, comme le croisé classique ou, de forme tombante comme le polo-coat. Des surpiqures faites à la machine à coudre à 2cm du bord égayent et soulignent le modèle.

Jusque là, j’ai décrit un manteau relativement simple, presque un classique. Là où ce modèle se remarque, c’est à deux détails très caractéristiques : d’abord des boutons en cuir tressé, et enfin des épaulettes. Ce sont ses spécificités !

Le british-warm d’après wikipédia apparait durant la première guerre mondiale et sert à habiller chaudement – et élégamment – les officiers de l’armée britannique. D’où ses épaulettes. Quant aux boutons de cuir, je pense qu’ils ont du remplacer des boutons de laiton armoriés, tout en conservant la forme dîtes « en boule ».

C’est un modèle de manteau que l’on repère très souvent dans les images des années 50 et encore plus dans les séries télévisées ou les films, dont l’action se déroule dans les années 50. (Type Hercule Poirot ou Miss Marple).

En général, c’est le personnage du major ou du capitaine retraité, en bref du militaire, retraité ou en tenue « de ville ». On comprendra aisément qu’il s’agissait d’une tenue réglementaire portable en ville plus facilement qu’un manteau galonné et orné, et disponible surtout en surplus de l’armée ou auprès du fabricant, Crombie. Même si les façonniers ont dû être légion à s’emparer du modèle.

Il s’agit donc d’une icône du style britannique ! Un manteau au style affirmé. Qui occasionnellement sert à des costumiers pour illustrer un stéréotype. Celui du vieux militaire. Comme dans ce délicieux film aperçu la semaine dernière sur Arte, Tueur de dames. Une délicieuse drôlerie dans laquelle Cecil Parker joue le major Claude Courtney… et est donc habillé d’un british-warm. Voyez plutôt ces images que j’ai attrapé de ma télévision :

Finissons sur une autre photo d’illustration. Un british-warm porté par quelqu’un qui sait ce qu’est un bon vêtement, le Prince Charles :

Belle et bonne semaine à vous. Julien Scavini