Les capes

Nous avons donc passé en revue la semaine dernière les petits capes s’ajoutant aux manteaux, dîtes pèlerines. Regardons pour ce dernier article de l’année leurs grandes sœurs, les capes. Elles sont très rares maintenant. Peut-être même plus rares en fait que les pèlerines qui, ça et là sur des manteaux de chasse ou de ferme, sont encore en usage.

Avant l’invention du manteau à l’ère moderne, la cape était le vêtement de référence. Sous l’ancien régime même, les rois étaient sacrés avec une cape d’hermine brodée. A Reims, au Palais du Tau, la cape de Charles X, que le Centre des Monuments Nationaux devrait faire restaurer prochainement, est une merveille. Elle est d’ailleurs appelée manteau du sacre. La langue anglaise confond aussi les deux termes si l’on remonte un peu dans le temps, le terme « cloak » ayant le double sens de manteau et de cape.

Pour présenter une image plus contemporaine, amusons nous à observer les super-héros, souvent vêtus d’une cape. Et dans la série Game of Thrones, les personnages les plus en vue arborent de lourdes capes en fourrure, dont le poids seul suffirait à m’écraser. Un esprit de la Renaissance. Enfin dans l’image ci-dessous, l’acteur Tygh Runyan porte une cape dans la série de Canal+, Versailles :

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Les prêtres enfin revêtent une chasuble souvent rehaussée de superbes broderies, qui dans son ampleur, n’est pas sans rappeler la cape. Il me semble que chez les rabbins, il est aussi normal de se couvrir les épaules d’une grande étoffe.

Et chez les peuples d’Afrique du Nord, il est aussi possible de trouver le burnous, à capuche souvent. Lors de sa visite à Paris, le roi du Maroc et son fils, portaient des sortes de capes, qui doivent avoir un nom traditionnel que je ne connais pas. Une allure certaine, qui change un peu, loin de l’internationalisme stylistique :

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La cape est donc porteuse d’un très fort pouvoir symbolique. Elle est digne et supérieure. Tout en étant, là est son grand paradoxe, tout à fait simplissime. La cape est pleine de cette dualité, vêtement signifiant, exprimant une aura magistrale ; vêtement élémentaire, remontant aux origines des savoir-faire.

Il y a quelques années, un jeune client en portait une. Neuve. Je lui demandai d’où elle provenait. Tabarro me répondit-il. Un petit tour sur leur site internet avait confirmé l’excellence de cette maison. Une cape ne manque jamais d’allure. Quelle prestance. Même si au quotidien, elle parait légèrement… comment dire, apprêté ? Précieux ?

Pour réaliser une cape, le tailleur a besoin d’une grande quantité de tissu. « Y faut du métrage » comme dirait l’autre ! La base est toujours la même, un immense arc-de-cercle autour de l’encolure. En France, cette grande forme en plein est appelée une « rotonde » mais également « cape espagnole ». Elle se coupe en deux morceaux, un droit, un gauche. Regardez sur ces deux grands pans de tissus comment se fait le placement. Il faut toute la largeur d’un panneau ! Le col est dit « chevalière » et souvent en velours. Les modèles ecclésiastiques ont plutôt une sorte de petit col cheminée, sans retombée.

Quelques notabilités en France recourent encore à la cape. Il y a les académiciens comme évoqué la semaine dernière, ainsi que les préfets. La grande rotonde à col est le modèle des officiers de toutes les armées soit dit en passant. Si tant est qu’ils portent encore la cape… Quelle beauté cette cape !

Et pour finir, il faut faire remarquer que le plus délicat dans la cape est peut-être son fermoir en métal. Ce sont souvent des soleils ou des têtes de lions. Qui se placent normalement juste sous le cou. Les préfets les ont anormalement basses me semble-t-ils. Ces agrafes sont superbes chez Tabarro. Un ami il y a longtemps s’était vu offrir un tel fermoir en argent. Bel objet dont on ne pourrait deviner la provenance sur l’étal d’une brocante. Et bien, il m’a fait faire une rotonde pour le simple plaisir de pouvoir y positionner son agrafe ! Comme sur le modèle ancien en photo ci-dessous :

  Bonne semaine & de belles fêtes ! Profitez en bien. Ou autant que possible… Julien Scavini

Les pèlerines

Un lecteur me demandait récemment de traiter la cape. Il faut bien avouer que je m’étonne moi-même, en onze ans de blog, de n’avoir jamais traité des capes ! Pourtant, sur ce journal résolument suranné pour ne pas dire totalement dépassé dans le monde actuel hi-tech, la cape a toute sa place.

Elle est devenue très rare aujourd’hui. Seuls quelques rares académiciens élégants la sorte encore pour les cérémonies extérieures. Souvent des enterrements. Je me souviens de l’hommage à Jean d’Ormesson, des capes de ce rang d’académicien que le vent froid de la cour des Invalides faisait virevolter. Il faut dire d’ailleurs qu’avec l’habit, la cape est la meilleure option, le manteau long étant un peu moins habillé. Sur cette photo amusante, on voit également à quoi sert la cape ; à faire couverture ! L’honorable académicienne au bout du rang n’a rien d’autre que ce caban gris digne d’une ouvrière de l’usine Solex ? Mais l’époque n’est plus à ce genre de concepts me direz-vous.

C’est peut-être le vêtement le plus primitif qui soit. La simplicité même d’un coupon de tissu jeté sur les épaules. Mais à la différence d’une étole ou d’une toge, la cape est coupée et cousue. Elle répond à une géométrie précise. Il y a des règles, même si l’approximation sied bien quand même à cette forme, vague par essence. Il existe plusieurs sortes de capes et demi-capes.

Commençons par la plus petite, la moins opulente, la pèlerine. C’est une petite cape, qui se coud généralement sur le haut d’un manteau. Les femmes peuvent porter la pèlerine seule sur une robe du soir, qui s’arrête au bout des bras. Mais sur un homme ce n’est pas une pratique courante. La pèlerine permet de créer une couche de tissu supplémentaire pour protéger les épaules de la pluie, avant l’invention des draps caoutchouté étanches. En la retournant, elle peut aussi protéger la tête ci-besoin.

Il est possible d’additionner plusieurs pèlerines à la manière des poupées gigognes. Le but est logique, plus il y a de couches, moins l’eau pénètrera, et le froid. C’est pourquoi les manteaux de cochers avaient souvent beaucoup de pèlerines. Ou Sherlock Holmes. Voici un manteau à multiples pèlerines d’époque Régence Anglaise, l’époque du Beau Brummel. Que de couches !

Le tracé de la pèlerine se base sur le devant et le dos. Le tracé primaire suit les épaules. Il existe deux types de pèlerines : la pèlerine à empiècement ou à la pèlerine trois-quarts. De quoi moduler le volume recherché.

Pour la première version, moins généreuse, devant et dos du vêtement doivent être positionnés d’équerre à 90°. Il faut conserver les lignes d’épaules, puis donner de l’ampleur à partir des bras. Une couture permet de moduler l’ampleur. Cette pèlerine est donc en quatre morceaux. Petit volume, peu de godets.

La seconde version est plus généreuse. Devant et dos s’alignent par les épaules, ils s’opposent donc à plus de 90°. Et la pèlerine suit alors un tracé simple en arc de cercle sans couture. Cette pèlerine est donc en deux morceaux. A couper dans le biais idéalement. Volume important, beaucoup de godets. Les deux dessins dessous expliquent cette nuance :

Ces pèlerines s’ajoutent à des manteaux. Ce type alors, en France, nous l’appelons mac farlane. Les anglo-saxons inverness-cape. A la fin du XIXème siècle, les manches disparaissent curieusement. L’avantage pour le tailleur est de faciliter de travail. Pas de manche à faire, ça c’est le pied. Et le client fait une économie de main-d’œuvre. Mais pas de tissus ! Sur cette photo du futur (ou déjà?) roi Édouard VII, son mac farlane en prince-de-galles (on y revient toujours!) est une démonstration de style. Cette pèlerine semble du type 1 :

Avec le XXème siècle qui approche, ces manteaux à capelines n’était plus portés que le soir par les élégants. Les manches ont n’auraient alors plus aucune utilité de toute manière. La pèlerine arrive jusqu’au poignet. Le manteau dessous est une sorte de grand gilet. Sur cette gravure ancienne des années 1900, la manche du gentleman est clairement celle de son habit. Et l’autre de dos présente une variante à demi-pèlerine, seulement sur l’avant :

Le col avec une pèlerine est souvent rabattu et en velours, mais quelques variations à revers de soie existent, surtout à partir des années 30 je dirais. C’est une sorte de forme plus aboutie, plus select, à une époque où toutefois, ces modèles marquaient sévèrement le pas ! Et encore à demi-pèlerine avant à droite de l’image.

Toutefois, les manches ont longtemps existé sur les manteaux à pèlerine aussi. C’est tout de même plus chaud. Cet exemple d’un manteau de régiment français de 1885 est intéressante à ce titre, avec sa pèlerine du second type :

La semaine prochaine, pour le dernier article de l’année, nous étudierons la cape proprement dîtes !

 Bonne semaine, Julien Scavini

Petite histoire du prince-de-galles

Superbe prince-de-galles qui continue années après années d’enthousiasmer les élégants et d’animer la surface de leurs costumes. Ce motif sied aussi bien aux costumes qu’aux vestes seules, gage de durabilité et de longévité vis-à-vis des rayures par exemple, toujours un peu curieuses sur une veste seule il faut le reconnaitre. Le prince-de-galles sait par ailleurs se faire discret, passant avec certains caviars et chevrons dans la catégorie des faux-unis. On ne le voit que de près, et au loin, le costume parait uni. Ce qui plait encore plus. Mais d’où vient ce motif ?

Il fut popularisé dans les années 1920, il y a un siècle donc, par le Prince de Galles d’alors, David d’un de ses prénoms, fils de George V. C’est lui qui abdiqua rapidement pour suivre son grand amour, l’américaine Wallis Simpson. C’est aussi lui qui avait quelques sympathies nazies. Bref, quoiqu’il en soit, dans ses jeunes années, ce fringant jeune homme toujours à la pointe du style aimait faire de l’effet par ses vêtements. Certains diront qu’il avait un goût très sûr, d’autres qu’il savait être grotesque. Quoiqu’il en soit, il mit ce tissu écossais sur le devant de la scène, et en particulier aux États-Unis d’Amérique, ce motif fit florès. Ci-dessous, le Prince de Galles porte costume et casquette en prince-de-galles. J’imagine que l’attrait venait de l’aspect ambivalent de l’étoffe, faite pour la campagne écossaise, et portée à la ville. Une sorte de dissidence vestimentaire comme d’autres font aujourd’hui. Mais il l’avait bien trouvé quelque part ce tissu ?


Précisément en Écosse. Patrie des tartans, ces grands carreaux colorés, le prince-de-galles en est un lointain dérivé. Ces tartans au XIXème siècle se figent dans leurs dessins. Chaque famille, chaque clan, chaque région adoptent le leurs. Mais pour ceux qui n’en n’ont pas, comme les riches industriels ou les aristocrates anglais en villégiature écossaise, il faut bien créer des tissus reconnaissables. C’est ainsi qu’apparurent les « shepherd’s check » et autres « gun tweed » reconnaissables à leurs lignes colorées s’entrecroisant plus ou moins en pieds-de-poule. Ci-dessous, un tweed façon « shepherd’s check » de chez Moon :


Ce serait précisément une de ces histoires qui serait à l’origine de tissu, pour habiller des gardes-chasse attachés au château d’Urquhart en Ecosse au bord du Loch Ness. On prononce « Eurqeut ». Mais au lieu de se contenter des dessins habituels en lignes colorés proposés plus haut, il eut l’idée de prendre un bête pied-de-poule noir et blanc, et d’en écraser les proportions alternativement. Ce faisant, cela crée des blocs de pieds-de-poule, reliés les uns aux autres par des harpes. Une sorte de carroyage irisé apparait. Quelle idée ! Ainsi naquit le « glen urquhart check » ou « glen urquhart plaid ». Vous reconnaitrez ci-dessous très clairement les croisures en pied-de-poules :

Historiquement, le prince-de-galles est donc très monochrome et plutôt fort dans son dessin. Ralph Lauren adore présenter de telles vestes. Si elles m’ont toujours séduites, je les trouve néanmoins assez fortes et tapageuses. Mais c’est beau. Très vite, des lignes bleue-vertes plus fortes apparaissent et encadrent les harpes, donnant plus de relief avec la superposition d’un double carreau-fenêtre. C’est ce tissu que choisit un autre Prince de Galles, grand père de ce lui évoqué. Là nous parlons du fils de Victoria, le futur Edouard VII. Il aimait l’Écosse et la vie au grand air. Il fit sien ce motif de lainage. Ci-dessous, un exemple contemporain de ce que devait-être ce premier prince-de-galles à sur-carreaux doubles :

Il y eut encore quelques perfectionnements, avant d’arriver aux prince-de-galles que nous connaissons aujourd’hui et dont nous parlerons peut-être prochainement ?

Belle et bonne semaine, Julien Scavini