Monsieur Erdoğan

Les turcs sont appelés aux urnes pour élire leur Président. Le résultat n’est pas tombé hier, un second tour aura lieu. L’occasion de se pencher sur le sortant. Recep Tayyip Erdoğan est un homme élégant. Voilà bien un angle rare pour parler du Président de la République de Turquie. Il est plus souvent question dans nos médias de son discours conservateur, teinté de religiosité, et parfois anti-occident. Mais mon blog n’est pas là pour parler politique. Je m’amuserais que cet article soit perçu comme du poil à gratter.

On peut parler vêtement. Et c’est mon angle. L’homme de 69 ans est un équilibriste au goût esthétique plutôt très sûr. Rien que sa moustache le prouve. Qui a déjà tenté l’expérience sait qu’il faut de la patience pour entretenir cette petite subtilité capillaire.

Monsieur Erdoğan sait bien s’habiller, ce qui est fort rare chez les politiques, dans le monde. De prime abord, on pourrait peut-être penser à une garde robe un peu orientale. Que les iraniens savent manier, à mi chemin entre tradition européenne et formes à l’indienne. Mais le Président turc s’habille à l’occidentale. Résolument.

En 1994, il est élu maire d’Istanbul sur la base d’un programme de lutte contre la corruption. Il est acclamé pour ses efforts visant à remédier aux pénuries d’eau, à la pollution et au chaos de la circulation. Il porte alors fièrement les vestes croisées et le blazer croisé à boutons dorés. Quant à cette chemise à carreaux, très sport, portée avec le blazer, elle est intéressante et dénote déjà, un grand sens de l’esthétique anglaise.

Il préfère maintenant la veste deux boutons, permettant de mieux mettre en valeur ses cravates, qui sont forts nombreuses, et forts bien choisies malgré quelques curiosités parfois ! Souvent à micro-motifs, parfois club ou paisley, de couleurs froides ou chaudes, voilà une variété à faire pâlir. Un florilège trouvé en quelques instants sur google, dont le seul bémol serait peut-être les nœuds, souvent un peu gros :

Lorsqu’il porte un manteau, il est long et l’écharpe est parfaitement placée. La photo avec Donald Trump pouvant, j’en ai bien conscience, faire bouillir l’eau bénite, je mets également une photo avec le Président ukrainien, pour rééquilibrer mon karma :

En veste sport à carreaux et chemise à col boutonné, il montre par ailleurs un savoir-faire même dans ce registre moins facile. Il en fait même une marque de fabrique. Ses vestes à carreaux sont même copiés par des édiles turques avides de faire du genre, comme le Président. Voir cet article. Ou cet autre article. Ses vestes sont élégantes. Un peu vieux style, mais c’est un style. Depuis Jacques Chirac, je crois qu’aucun Président ici n’a montré savoir ce qu’est une veste sport. Une variété tout à fait singulière dans le monde stylistique moderne.

Mention spéciale pour cet accord, correct du point de vue des canons masculins, mais osé :

Côté costume, il ose les rayures, parfois franches, mais jamais criardes. Il ne se contente pas du col classique, ses vestes ont parfois de généreux revers en pointe. Il n’hésite pas à porter le gilet. Sélectionne des tissus chatoyants et parfois de la flanelle. Quelques vestes, jamais trop près du corps, présentent aussi une poche ticket. Un inventaire de (très) bon ton que le tailleur applaudit. Quelle variété n’est-ce pas ?

Alors évidemment, je crains d’ici, non des représailles, mais des railleries. Sur un blog repère de je ne sais quoi… Vais-je oser écrire sur Kim Jong-un et Bachar el-Assad ? Je ne suis pas là pour faire l’apologie d’un homme, d’un mouvement politique ou même d’un pays. Simplement pour faire remarquer. En l’occurrence, qu’il y a chez monsieur Erdoğan un sens de l’esthétique. Et qui plus est, un traditionalisme totalement en phase avec ce qu’ici, nous appelons le style anglais. Un traditionalisme que d’ailleurs ici nous tâchons de faire disparaitre. Une culture vestimentaire, la nôtre, qui est maintenant moquée, vilipendée. Dès lors, j’apprécie ce panorama général et particulier d’une penderie bien élégante et variée.

Mais d’ailleurs, les turcs en ont connu un autre qui fut (très) très élégant. C’était Atatürk :

Là dessus, je vous souhaite une belle semaine !

Julien Scavini

La tête de manche ronde et fuyante

La semaine dernière nous avons évoqué la manche montée avec une cigarette, donnant une tête de manche légèrement bombée et rembourrée. Un montage est une technique tailleur ancestrale, dont les variations ont pu être constatées à travers les époques, et suivant les lieux. Cette tête de manche bombée que les italiens appellent « con rollino » n’est pas plus italienne que française. Elle est transnationale.

Toutefois, il est intéressant de constater aussi qu’à travers les époques, ce « roulé bombé » n’a pas toujours été recherché. J’ai évoqué la semaine dernière le XIXème siècle comme instant d’apparition de cette légère structure. Sous l’Ancien Régime, les habits n’étaient pas encore coupés avec l’aisance que les anglais vont codifier ensuite.

L’habit de tradition aristocratique, qu’il soit taillé à Paris par des tailleurs français ou d’origine italienne, est un justaucorps étriqué. Un collant qui moule l’homme. Pour trouver l’aisance dans les mouvements, les patronages adoptent des coupes tout à fait baroques, comme des manches très coudées ou des emmanchures cisaillant le dessous de bras. Le corps de l’homme est littéralement ventousé dans un habit d’Ancien Régime. On se demande comment y rentrer, mais une fois dedans, c’est comme une combinaison.

Cet habit ne présente absolument aucun relief à l’épaule. L’épaule n’est pas rembourrée d’ailleurs. Et la manche file avec rondeur, comme vous pouvez l’observer sur ce portrait de Louis le XVIème.

Et pour prolonger un peu cette plongée picturale et historique dans les épaules plongeantes, observons ces tableaux de Thomas Gainsborough. Oh merveilles !

Observons aussi cet habit passé en vente aux enchères. Splendeur du montage à épaules emboitées, étroites et rondes :

J’ai eu la chance il y a quelques années de voir un habit qu’un client m’avait demandé de restaurer, d’époque Charles X. L’épaule était montée en couture ouverte. Autrement appelée épaule ronde. La laine était tissée très densément à l’époque. Elle était peu élastique. Alors, pour laisser un peu d’aisance au bras, il ne fallait pas trop lisser les lignes. Il fallait ménager un peu d’aisance. C’est ce que l’on voit sur cette redingote de Napoléon exposée à Malmaison. Il y a présence de fronces :

Au XIXème siècle, on n’aimait plus ces fronces. On pensait qu’elles étaient le signe des mauvais tailleurs certainement. C’est pourquoi la cigarette fut inventée. Pour venir, par l’intérieur, pousser l’étoffe et la tendre.

Ces fronces, les tailleurs vont par tous les moyens essayer de les éradiquer au XIXème siècle. Observons ce portrait du Prince Consort du Royaume-Uni, Albert mari de la Reine Victoria. L’épaule est à peine bombée. Et la tête de manche est maintenant un peu plus nette, plus contemporaine.

Nous sommes encore dans une époque qui n’aime pas les fronces en tête de manche. Pour la plupart de mes clients, les dames en particulier qui observent tout, une fronce sur une manche, c’est signe de mauvais montage. Cela ne fut pas toujours le cas. Et puis en Italie, la fronce est même devenue une caractéristique de goût.

Quelle différence maintenant entre une tête de manche ronde, à couture ouverte, modèle ancestral, et une tête de manche dite napolitaine ? On devrait plutôt l’appeler « spalla camicia », car au fond, pourquoi napolitaine ? Les italiens de diverses villes s’enorgueillissent de faire cette épaule, avec ou sans fronce. Comme une chemise donc.

Dans ce montage, la couture de tête de manche n’est plus ouverte. Elle est carrément renversée vers l’épaule, couchée vers l’intérieur. Parceque c’est assez technique et difficile à faire, elle ne se répand pas plus que ça. Il faut trouver des moyens techniques pour faire tenir ce montage en place. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais là où l’épaule ronde est maitrisable, l’épaule napolitaine demande un petit savoir faire.

Ensuite, ce montage est permis par la relative finesse des tissus d’aujourd’hui. Allez essayer de coucher un lainage lourd et raide, ce n’est pas facile. Lorsque le tissu est un peu épais comme du Harris Tweed, la couture napolitaine crée de l’épaisseur. Une épaisseur qu’il faut écraser durement pour garder l’épaule bien nette. Cette épaisseur, si on l’inverse pour créer une manche à cigarette, c’est tellement plus logique.

Enfin bref, c’est un peu compliqué comme laïus. Retenons une chose. Historiquement, c’est plutôt l’épaule ronde, à couture ouverte, qui a les faveurs des élégants et des tailleurs. C’est le XIXème siècle, perfectionniste, qui a cherché à donner du galbe et de la netteté aux lignes, par la création de la cigarette, qui elle-même, suivant les époques, a pu être plus ou moins marquée. Enfin, à l’orée du XXIème siècle, ce montage si baroque à fronces, passage obligé d’un habit d’Ancien Régime refait surface. Et plait… La mode, éternel recommencement ?

Voici pour finir un petit comparatif trouvé sur google : épaule à cigarette (bombée), épaule ronde à couture ouverte (plate), épaule napolitaine à couture couchée (en creux). Faite votre choix :

Belle et bonne semaine, Julien Scavini.

Cette semaine, c’était Radu Lupu que j’écoutais, dans le Concerto pour piano no 1 de Brahms…

La tête de manche bombée, à cigarette

Grâce à (ou à cause de) la profusion d’informations disponible principalement sur internet, le passionné se perd parfois un peu. Youtube, instragram, les blogs, les forums, autant de sources, autant d’auteurs, autant de points de vue qui peuvent faire perdre le sens profond d’une information et même la transformer. Pour qui n’est pas très précis et super informé, il est parfois difficile de s’y retrouver dans le monde de l’information sartoriale en particulier. Combien de clients m’ont parlé d’une « émanchure » quand ils faisaient référence à une « emmanchure ».

Le point le plus notable concerne les épaules. S’il est normal que chaque tailleur manuel (dit de grande mesure) ait sa façon de monter une manche, il est anormal d’en tirer une règle ou une conclusion de portée générale. Vous n’imaginez pas les fables que l’on me présente lorsque, lors d’une prise de mesure, je questionne ce point de la veste.

Lorsque certains clients voient la tête de manche légèrement bombée, dit montage avec cigarette, ils reconnaissent cela en me disant, « c’est bien ce montage romain ? » D’autres, dans une confusion absolue croient qu’il s’agit de l’épaule napolitaine. D’autres me demandent si c’est plus italien comme façon de monter les manches. Ou est-ce que c’est français ainsi ? Je fais toujours un peu les yeux ronds.

Et puis il y a le padding. J’ai horreur de ce mot qui a été balancé à tord et à travers sur internet et qui ne veut plus rien dire du tout ! Le padding est une partie du sujet de l’épaule et de la manche, qui ne dissocie pas hélas l’épaulette, l’entoilage et la cigarette. Nous y reviendrons ultérieurement.

Donc, je crois important de repositionner les bases et de donner une (la?) référence. Commençons par les manches, et leur montage.

La seule méthode pour monter une manche, depuis au moins un siècle et demi, c’est le montage bombé avec un petit rembourrage. Ce rembourrage est appelé en France la cigarette. C’est ainsi que font tous les tailleurs, en Angleterre, en France, en Italie ou en Espagne. C’est ainsi que l’on monte une manche. On la coud sur le corps au niveau de l’emmanchure. Et pour que ce montage soit joli et pas gondolé ou froncé, on met un petit peu de feutre et de crin sous forme de la cigarette. Ce petit rembourrage rend la tête de manche net.

Pourquoi fait-on ce petit bombé me direz-vous? Je viens de l’écrire. Pour rendre net le montage de la manche. Mais aussi pour donner un peu d’aisance. Car ce petit bombé, c’est en fait une réserve de tissu pour le cas où vous tendez le bras, où vous bougez. Le bombé donne un peu de « mou ». Toutefois, je tiens à nuancer immédiatement : c’était vrai lorsque les tissus étaient raides et denses. C’est bien moins vrai avec les tissus actuels, forts souples et tendres.

Ensuite, ce montage bombé peut présenter des spécificités locales ou historiques.

L’idée de structurer un peu la tête de manche pour la démarquer un peu de l’épaule apparait probablement vers 1800. C’est la découverte peu à peu du vêtement moderne d’essence britannique. Un vêtement mieux patronner, mieux régler sur le corps, qui suit des règles précises patronage.

La première itération spectaculaire de cette manche qui trouve un peu son autonomie sur le buste apparait juste après la Révolution Française. Un courant de mode spécial dandy dirons-nous. D’une extravagance forte. Ces « incroyables » font rembourrer leurs têtes de manches. Ils se donnent des airs avec leurs cols hauts et leurs manches en gigot. Cette esthétique va fortement influencer la mode masculine, et cela tout au long du XIXème siècle, qui voit des épaules grosses ça et là. Voyez cette gravure. Quelle décadence des épaules !

Toutefois, la norme reste une tête de manche raisonnable. Comme vous pouvez le voir ci-dessous à l’aide de photos de la fin du XIXème siècle. On voit bien ces manches à cigarette. Premier clichés, les frères Caillebotte, avec de jolies épaules tombantes (très peu épaulées) mais une tête de manche gentillement bombée :

On pourrait aussi voir le manteau (ou le paletot ?) d’Eugène Delacroix :

Spécificités historiques donc.

Et locales ensuite. C’est là que la magie contemporaine opère. Où des tailleurs italiens se targuent d’utiliser comme cigarette une feuille de cuir de chèvre, pour faire une tête de manche molle. A Paris, spécificité locale importante, les deux grands tailleurs indépendant de la place, Cifonelli et Camps de Luca forcent un peu cette cigarette, en modifiant le tracé de la tête de manche. Sur cette photo de Lorenzo Cifonelli, on retrouve presque ces épaules des « incroyables ». Est-ce une sorte de tradition française de forcer un peu ce trait ? Voilà une bonne question de thèse de recherche.

Fondamentalement, c’est toujours une épaule cigarette. Mais c’est un savoir poussé à l’extrême, presque une démonstration de « know-how » comme disent les anglais. Voyons par exemple chez Henry Poole à Londres. La cigarette est là. Moins marquée, plus classique :

Et chez Liverano & Liverano ? Voyons sur Simon Crompton. Elle est présente aussi cette petit cigarette :

A la fin de ce court exposé, une chose à retenir, monter une manche avec une petite bosse, c’est normal, c’est ainsi que l’on fait chez les tailleurs. Et ce n’est pas parce que certains blogueurs ont appelé ça « rollino » que ça veut forcément dire que c’est italien… !

La semaine prochaine, on voit ensemble la tête de manche sans cigarette. (Ou presque.)

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Pour écrire cet article, j’ai écouté de Rimsky Korsakov, son Scheherazade par Leopold Stokowski avec le LSO.

Mon avis sur (De) Fursac

On me demande fréquemment ce que je pense de la marque De Fursac, qui il faut le reconnaitre, est depuis bien longtemps ancrée dans le paysage stylistique français. La marque est ancienne. Les anciens l’appellent encore « Monsieur de Fursac ». Le nom de la marque est tiré du nom d’une ville en fait, Saint-Etienne-de-Fursac, où furent installés les ateliers.

Je n’ai jamais su trop quoi penser de cette enseigne et je n’en disais donc rien. Je notais juste que beaucoup de clients se plaignaient de tissus trop fragiles aux pantalons. De mon côté, je leur rétorquais que précisément, les costumes se vendaient bien car ils étaient légers, souples. Et que cette réflexion au fond était un peu schizophrène. Déplorer les conséquences d’une cause appréciée, c’est un classique.

Je n’étais pas très sûr de savoir où positionner De Fursac. Style proche de celui de Dior, mais moins cher. Esthétique pas très loin de A.P.C. mais plus orientée costume et ville que cette dernière. Esprit relativement parisien. Prédominance du noir. Moi qui étais plus proche de l’élégance d’une maison comme Hackett, vantant la countrylife anglaise, je n’étais pas clients. Mais nombre d’amis dans les tours de La Défence aimaient De Fursac. Et surtout ses soldes, qui furent longtemps très attractives.

Un jour, je demandais à un grand industriel français du textile son avis sur De Fursac. Devant ma moue interrogative, il fut très clair et très net. « De Fursac, c’est LA référence du costume en France. C’est eux qui définissent le cahier des charges de référence, et créent le rapport produit-prix. C’est l’étalon du costume sur le marché national. Un costume De Fursac sortie des usines de France, c’était la Rolls de ce qui se faisait, en France, avant que la marque ne décide d’aller produire à l’Est de l’Europe ». Dont acte. Ci-dessous, visuels récents, au petit esprit Attrape moi si tu peux avec Léonardo DiCaprio :

Dès lors, je me mis à regarder avec plus de sérieux les vitrines de De Fursac, ainsi que ses campagnes de publicité. Quelqu’un de sérieux m’avait dit que c’était la référence. Alors soit, je le prenais au sérieux, et ne trouvais rien à redire à mes amis en De Fursac. Quand aux clients cités plus hauts, je continuais le même discours qu’avant. On aime ce qu’on achète et inversement.

Et puis voilà, la marque a été rachetée par SMCP, un gros groupe textile. Un nouveau directeur artistique est arrivé, Gauthier Borsarello jadis commentateur de mes humbles articles ici. Je ne pouvais que me dire, espérons qu’ils fassent bien les choses, ce n’est vraiment pas une industrie facile le textile. Même dans un secteur en croissance comme l’habillement masculin, ce n’est vraiment pas simple. Il faut tirer son épingle du jeu sur un marché national aux prix serrés, face à des acteurs internationaux très lourds (Hugo Boss, Suit Supply, Boggi éventuellement, etc…).Il faut avoir les bons codes, les bons réflexes de style.

Le fait est que les silhouettes proposées sont très élégantes  maintenant, et bien moins fades que par le passé. La maison surfe sur un léger revival des années 80 et 90 très à la mode et porté par un créateur jeune quadragénaire. Le catalogue présente des vêtements bien choisis (manteau long cet hiver, blouson dans de belles matières, col roulé à l’italienne, etc… Un petit mixte entre les parisiens A.P.C. , Husbands, Beige Habilleur, Dior, et les mastotodontes Ralph Lauren ou Gant. Les deux manteaux ci-dessus sont très beaux. Et ci-dessous : certes le mannequin au sourire froid d’humanoïde ne m’inspire pas. Mais les tenues sont très belles. Beaux mocassins, belles chemises aux cols généreux, cravates amusantes. Un peu esprit Wall Street 1990.

Surtout, ce que j’apprécie par-dessus tout, c’est le nouveau positionnement tarifaire. J’ai vu au CNIT jeudi dernier une vitrine présentant un pantalon en coton blanc, net, au prix de 255 euros, avec des petits ajusteurs sur le côté. Voilà un produit avec une bonne marge. Donc, une marge permettant de vivre et de se développer, une marge rémunérant un groupe et ses travailleurs, en particulier les vendeurs dans les boutiques. Sur un marché national qui s’éteint de sa propre recherche du prix toujours plus bas, c’est un signe salutaire. Un produit vaut quelque chose.

Les jeunes marques digitales ayant érigé comme un dogme l’annihilation des intermédiaires, pour vendre au prix le plus « honnête » en direct d’usine, ont renchéri sur ce phénomène franco-français. Loro Piana avait fait une étude sur ses marchés tissus, et avait découvert qu’en France, c’était le pays où il était possible d’acheter un costume en tissu Loro Piana le moins cher au monde. C’est ahurissant.

Cette politique prix de Fursac (la marque a perdu son DE, à tord ou à raison… ?) m’est apparue heureuse. On ne crée pas une envie de marque, une image, un désir en donnant ses produits. Au contraire. « Qui trop embrasse mal étreint » ai-je lu quelque part. C’est assez vrai. En même temps, le consommateur n’a pas un portefeuille extensible et donc il y a une friction de marché. Je ne sais pas du tout où en est la maison Fursac. Elle a ouvert à Londres. Va ouvrir à New-York.

On peut lui souhaiter bonne chance je crois. Voilà une jolie enseigne qui propose de jolis produits. Dessinés à Paris. Soyons orgueilleux de notre patrimoine économique. Voilà mon avis en fait.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

J’ai écouté ce soir pour rédiger cet article, Les Nocturnes de Claude Debussy, par Pierre Boulez.

D’où vient le cran parisien         

C’est une question que l’on me pose assez souvent. Mais d’où vient le cran parisien? Pourquoi l’est-il d’ailleurs ? La première chose à faire est de caractériser cette forme de revers de veste.

Le cran parisien désigne la forme particulière que prend l’encoche séparant – ou liant – le revers de la veste et le col. Posons d’abord le référentiel, soit le cran normal, que les anglais appellent « notch lapel », formant une sorte de coin à presque 90°. Dans ce cran, la ligne d’anglaise (la couture liant revers et col, en rouge) est rectiligne et descendante. Le col lui épouse l’anglaise, puis s’en éloigne d’un coup, formant le cran ouvert. C’est la contre-anglaise, en vert.

Dans le cran pointu, une autre forme traditionnelle issue de l’École anglaise, la ligne d’anglaise se brise en deux. Elle est d’abord descendante, puis montante. Et le col épouse cette anglaise. Par couture d’abord, par simple jonction ensuite. Voyez ces schémas :

Le cran parisien se caractérise par une ligne d’anglaise brisée, descendante d’abord. Et moins descendante ensuite. Elle vient « taper » le bord du revers en formant un angle à 90° environ. Le col épouse l’anglaise, puis à l’instar du col normal, s’en éloigne. Mais s’en éloigne relativement peu.

De fait, l’ouverture du cran est légèrement plus fermée. Il existe quelques variantes, suivant les tailleurs, ou suivant que la veste est 2 ou 3 boutons. L’équilibre y est très subtil, entre dessin pur et lignes moches. La symétrie est très importante aussi. Et ce cran présente mieux s’il est un peu plus bas. Sur mon petit schéma ci-dessous, on pourrait penser que le canonique, à la Camps de Luca est ne n°2 et le Smalto, quelque chose entre les deux derniers :

Globalement, le cran parisien se caractérise donc par une ligne d’anglaise brisée et un cran peu ouvert, que les italiens appellent « bouche de loup » ou les anglais « bouche de grenouille ». Et je crois avoir entendu bien d’autres termes que j’ai oublié. D’une certaine manière, le col du polo-coat est une forme de cran parisien.

Toutefois, est-ce à Paris que l’on a inventé ce cran ? Certainement pas. Mais c’est à Paris qu’il est resté une forme de tradition, remise au goût du jour dans les années 60/70 par un certain Joseph Camps, qui eut un élève, Francesco Smalto. D’une certaine manière, tous les deux ont creusé le sillon de ce revers élégant. Qui n’était pas le revers des autres tailleurs avant et après. Evzeline, Cardin, Cifonelli n’utilisaient pas cette forme. Que vous n’avez pas vu sur Jean Gabin, ni Alain Delon, ni Philippe Noiret.

Les frères Grimbert chez Arnys avaient mis ce revers à l’honneur, mais cela uniquement sur la fin, après l’an 2000. Car avant, les vestes Arnys n’étaient pas ainsi coupées. Mais en revers anglais normal. La tradition infusait un peu et devenait distinctive. Marc Guyot est de ceux qui ont vu l’intérêt de cette ligne de revers et en ont fait un argument esthétique. Le tailleur japonnais Kenjiro Suzuki a aussi compris l’intérêt de cette ligne.

Quelques Présidents africains, le Roi du Maroc, et d’érudits industriels ont vu aussi là une griffe caractéristique, qui ne fait pas costume anglais. Admirez ci-dessous, Omar Bongo. Félix Tshisekedi. Macky Sall. Paul Biya. Patrick Drahi. Globalement, les états d’Afrique francophone sont plus enclins à aimer le cran parisien. Al Sissi en Egypte s’en fiche bien. Que de beaux costumes finement coupés n’est-ce pas :

Ce cran parisien est une marotte des tailleurs de la capitale française depuis les années 70 disons. Toutefois, on en trouve des traces auparavant. Et pas qu’en France. Aux États-Unis, il était une forme assez répandue en fait. Admirez ce portrait officiel de Richard Nixon :

De mon côté, j’en avais vu un dans Columbo, très ostentatoire, très opulent. En fait pour les tailleurs, il semble que cette forme est / était une sorte d’étude technique et esthétique, entre le cran classique et le cran en pointe. Une variante du cran en pointe en fait. Et encore avant les années 70, dans les années 1920, cette forme de revers était utilisée. Même assez caractéristique des années 20. Voyez Charly Chaplin et deux fois Rudolf Valentino :

Lorsque la télévision diffuse des images d’archives des années 20, je me mets à scruter très attentivement l’image, les personnages et les arrières plans. Non pas que j’y cherche un copain perdu de vu. Mais ces formes de revers justement. Ou de poches. Ou les épaules. Pour voir comment on faisait, quelle était l’esthétique exacte. Ainsi, je peux le dire à force d’expérience, le cran parisien ne l’est pas vraiment. Toutefois, reconnaissons qu’il est actuellement un trait distinctif des tailleurs de la capitale.

Je vous souhaite une belle et bonne semaine. Julien Scavini.

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Quelle musique ai-je écouté pour écrire cet article? L’Introduction et Allegro op 47 d’Elgar. Et plusieurs fois le Sospiro op 70, par Sir John Barbirolli.

Petit rajout suite à un commentaire avisé :

Grain de poudre

Le smoking s’attire toujours les faveurs des élégants. Il y a ceux qui sautent le pas pour le plaisir d’être parfaitement vêtu lors des soirées « black tie ». Et il y a ceux qui à l’occasion de leur mariage veulent une tenue remarquable et qui sort de l’ordinaire.

Les très rigoristes bien sûr vont ergoter sur l’ineptie du smoking porté en journée. Je ne peux pas leur donner tort. En même temps, de nos jours où tout est si moche, un beau smoking s’applaudit toujours. Même le jour. D’autant plus que beaucoup de mariés chez moi optent pour le smoking d’été, à veste écrue. Quelle merveille. L’allure de James Bond quand c’est bien fait.

Le tissu ancestral du smoking est logiquement le tissu de la queue-de-pie, son ancêtre. Pour rappel, la tenue composée de cette veste aux basques longues dans le dos, associée avec une chemise à col cassé, un pantalon du même tissu, un gilet en coton nid d’abeille et un papillon du même coton, cette tenue donc s’appelle un frac.

Pour couper queue-de-pie ou smoking, le tailleur propose à son client un tissu particulier que l’on appelle en France un grain de poudre. Définition :

GRAIN DE POUDRE, locution masculine. Tissu proche d’un granité alterné (natté irrégulier 2 à 1) fabriqué en laine peignée très fine ou en soie, d’aspect sec au grain poudreux.

Pour la faire plus compréhensible, le grain de poudre ne fait pas apparaitre le dessin habituel des twill (ou serge = légère trame diagonale) ou des toiles (légère trame de fils qui s’entrecroise orthogonalement). Le grain de poudre a une surface légèrement piquée, un petit peu comme le tissu qui recouvre des enceintes audio on pourrait dire. Voyez ces diverses images à échelles différentes :

Le grain de poudre, c’est le nom français. Dans les pays de langue anglaise, on dit barathea. Mais en France aussi on peut dire une barathea, ou un barathea. Seulement, quelques drapiers interrogés font une distinction entre grain de poudre et barathea. Pour eux, le grain de poudre c’est le fin du fin, une trame dense et serrée. D’où l’impression de poudre. Alors que le barathea, c’est beaucoup plus grossier. Et de conclure, de toute manière, le grain de poudre ça n’existe plus, y’a plus que du barathea. Cette manche au dessus, c’est du barathea. On le voit sur les boutons. C’est trop granuleux pour être du grain de poudre.

Pour avoir assez souvent observé des habits du siècle précédent, je peux confirmer que les grains de poudre que j’ai vu était d’une densité incroyable. Il faut tirer l’aiguille avec une pince pour arriver à coudre un bouton dedans. (Presque).

Le grain de poudre, ou la barathea, peuvent être noir, ou écru. Ou bleu. Ou rouge même, pour des uniformes de la garde royale anglaise. Bref, comme on veut.

Mais ce n’est pas non plus obligé. Un autre tissu adapté à un smoking, surtout un smoking d’été est la toile. Qui lorsqu’elle est un peu grosse, disons composée de fils un peu épais, peut prendre le nom d’hopsack. Souvent, ces toiles ou hopsack ne sont pas 100% laine, mais laine et mohair. Le mohair apportant un brillant et une raideur bienvenus. Cette toile un peu forte type hopsack, elle est en photo ci-dessous :

Et puis il y a aussi la faille. Ahaha voilà une armure rare. La faille, définition :

FAILLE, nom féminin. Tissu, toile de soie ou de fibre artificielle, moins brillante que le taffetas, à grains très marqués. Des côtes transversales se dessinent à la surface du tissu. Elles résultent de l’utilisation de filés de soie organsins en chaîne et de gros fils de soie ou de coton glacé en trame, ou encore de l’introduction simultanée de plusieurs duites dans le même pas. Le tombé de la faille est raide mais élégant. Autrefois, la chaine était en soie cuite.

Voilà pour cette définition qui est un bonheur de langue française, mais bien difficile à saisir. Ce que l’on peut rajouter est que la faille se fait aussi en laine. Et qu’une faille de laine peut très bien être utilisée pour couper un smoking. Il aura une tendance entre mat et brillant. C’est difficile à décrire, mais c’est très beau. La faille, c’est plus brillant qu’un twill tout bête. Mais moins brillant que du satin, comme le montre peu clairement la photo ci-dessous :

D’ailleurs, en parlant de cela, évoquons les revers du smoking noir. Le tissu qui les recouvre n’est pas du satin comme les clients me disent souvent. Mais de la faille justement. Faille de soie lorsque l’on a (énormément) d’argent, faille en matière artificielle dans tous les autres cas. La faille est un tissu luisant, mais pas brillant. Elle fait un contraste très subtil avec le tissu du corps, sans pour autant être brillante. En fait, la différence entre le lainage du corps et la matière du revers doit à peine s’apercevoir. C’est justement là que l’on remarque un smoking acheté chez Tati. Ses revers sont brillants, en satin (ou taffetas). Erreur, les revers brillants, c’est pour les vestes de fumoir en velours. Que les anglais appellent « smoking jacket ». Mince, on va se perdre… !

Enfin dernière option, des revers recouverts en cannelé, aussi appelé ottoman, aussi appelé reps suivant les matières. L’ottoman c’est en laine ou en coton ou en matière artificielle, le reps, c’est en soie. Ces cannelés sont striés horizontalement, pas verticalement. Du plus bel effet :

Voilà de quoi alimenter les débats sartoriaux les plus érudits! Ou simplement enrichir son vocabulaire de mots nouveaux. Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Une devinette doublée d’une drôlerie [réponse]

Au fil d’heures de ratissage des bases de données de wikimedia commons, je trouve et j’enregistre moult images. Dont celle-ci, Churchill pendant la guerre. Je ne crois pas trop me tromper en disant que les trois armes y sont réunies. Croisé de Marine à 4 rangs de boutons et teinte profondément navy à droite. Veston de l’Air à gauche en teinte logiquement… air force blue… ou RAF blue, (en prononçant longtemps le Raaaffff) et teinte terreuse pour la Terre. C’est si élégant.

En plus, il y a dans cette photo une drôlerie je pense. Une invention. Je vous laisse observer cette photo et mettre en commentaire quelle peut bien être cette drôlerie. Et demain ou après-demain, je donne la réponse 🙂

A demain, et bon début de semaine, Julien Scavini

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Et en effet, vous étiez nombreux à l’avoir vu… la fermeture à glissière, autrement appelée fermeture éclair, autrement appelée zip… sur les richelieus noirs de Winston Churchill! Plus simple que les lacets. Plus simple que la fermeture à boucle. Et avant le scratch. Quelle idée ergonomique. Jamais vu cela ailleurs ! On osera pas poser la question du bon goût, Churchill par ses origines et ce qu’il fit de sa vie avait tous les droits en la matière !

Je ne l’avais pas fait remarquer hier de peur de mettre la puce à l’oreille, mais l’accord entre le cuir des souliers et des uniformes est implacable. Souliers noirs pour l’Air Force et la Royal Navy, et encore mieux, des richelieus! Souliers marron pour l’Armée de Terre, et encore mieux, un derby. Voilà un bel exemple de dignité vestimentaire.

Quant à la pochette sur le croisé militaire, quelle merveille. J’espère que ce petit exercice d’observation vous fut d’un agrément des plus plaisants!

A bientôt

Le croisé, une question au carré

Sur la photo du Prince Michael de Kent (pour ceux qui ne le savent pas, un cousin germain d’Élisabeth II) publiée la semaine dernière, Monsieur A. à la boutique m’a fait remarquer le positionnement très bas des boutons. Il est vrai que les passepoils des poches côtés se retrouvent placés comme au milieu du carré de bouton.

C’est qu’à la fois les poches sont assez hautes en fait (pour ma part je les aurais placé un peu plus bas), et qu’à la fois le carré de boutons est assez bas. Cette position, je la trouve pour ma part assez bonne. Si l’on cache les poches, on remarque un placement des boutons un peu bas certes, mais cela permet de donner un V assez marqué pour placer de généreuses et opulentes cravates.

Soit le tailleur aurait pu descendre un peu les poches. Soit il aurait pu remonter un peu les boutons. Ce que cela nous montre, c’est qu’il n’y a jamais une seule bonne réponse en art tailleur.

Ce qu’il faut avoir à l’esprit, c’est qu’à cause de sa croisure double, le V de la veste croisée se trouve rogné un petit peu. Un boutonnage haut sur une veste croisée donne un V court, similaire à une veste droite à 3 boutons. Un boutonnage placé plus bas, comme sur le Prince permet de dégager un V digne d’une veste droite à 2 boutons, à peu près. Voyez plutôt ce dessin :

Mais aujourd’hui, j’ai envie de vous parler un peu de ce carré de boutons devant. Sur le Prince Michael de Kent, les boutons sont disposés devant en formant un carré fort scrupuleux.  C’est tout à fait satisfaisant pour l’esprit. Une sorte de quadrature.

Cela dit, est-ce que le carré est digne des proportions de l’Homme ? Pourquoi un rectangle aux proportions d’or ne serait-il pas mieux ? Un rectangle posé à la verticale, plus haut que large. Après tout, lorsque les drapiers dessinent des prince-de-galles et autres carreaux-fenêtres, ils ne dessinent jamais des carrés. Mais des rectangles verticaux. Car le rectangle vertical sied mieux à la verticalité du corps humain.

C’est avec cette logique que bien des tailleurs et stylistes composent le croisé. Et ce faisant, ils définissent plutôt un rectangle devant, vertical. Deux paramètres donnent ce rectangle un peu vertical : d’abord une croisure moindre, ensuite un corps relativement mince.

Car c’est le grand défi du croisé. Lorsque le porteur est mince, fluet, élancé, on manque un peu de tissu devant pour bien réaliser le carré de bouton. On ne peut pas trop forcer la croisure, car alors le bord du devant viendrait embrasser la poche. Et on ne peut pas non plus repousser la poche vers le dos, car alors celle-ci irait chatouiller la fente dos. Il y a un équilibre subtil à trouver et placer les quatre boutons un peu en forme rectangulaire vertical est obligatoire.

De là à dire que le croisé est plus facile à caler sur quelqu’un de corpulent, il n’y a qu’un pas que je peux bien franchir.

D’ailleurs, à l’inverse exactement, lorsque le client a un peu de « surface », il est aussi possible dans certaines circonstances d’obtenir un croisé avec des boutons disposés en rectangle… horizontal. C’est encore bien autre chose. Les stylistes de chez Ralph Lauren sont assez tentés par cela, comme une disposition un peu forcée du croisé, un stéréotype un peu outré. C’est ainsi que l’on forge des images.  

Ci-dessous : le carré, le rectangle vertical, le rectangle horizontal :

Pour finir, revenons au carré. Au bon carré bien régulier. Ses dimensions peuvent varier. Les tailleurs un peu « tradi » ont tendance à faire des petits carrés devant. Moi je trouve cela trop chiche. Le Roi Charles porte un peu comme ça. Petit croisé. J’aime mieux lorsque le carré prend une belle dimension, disons 12cm de côté. Au lieu de 10cm comme chez Charles. C’est subtil vous me direz.

Il est vrai. Le croisé, c’est fort subtil à bien dessiner et à bien calibrer. Et il dépend un peu de chaque client, de sa corpulence et de son rapport hauteur largeur. Quel art… ! Interprété avec diversité aussi bien par les tailleurs que par les clients ! & bloggeurs…

Ci-dessous, une image d’un croisé Ralph Lauren et une autre du Roi Charles, avec son petit croisé de boutons… et sa rustine en bas à gauche de la veste :

Bonne semaine, Julien Scavini

Les boutons du croisé

Si le croisé 6 en 1 façon années 90 revient un peu sur le devant de la scène sartoriale (à cause ou grâce à Lorenzo Cifonelli?), le modèle classique reste toutefois le 6 en 2. Soit pour celles et ceux qui ne suivraient pas, 6 boutons visibles sur le devant, dont 2 se boutonnent du côté droit.

Ce faisant, s’il y a 2 boutonnant à droite, il y a en retour 2 décoratifs à gauche, question de symétrie. Certains stylistes se sont essayés à l’asymétrie. Ainsi qu’un client une fois qui m’avait demandé de ne pas disposer les boutons ne « servant à rien ». C’est un style…

Le croisé classique 6 en 2 présente sur le devant 4 boutons disposés en carré. Plus deux boutons un peu plus haut, sur les poitrines. Pourquoi? Allez savoir. Probablement une question de silhouette et de forme en V. Le carré seul devant fait un peu pataud, comme ci-dessous à gauche. Ajouter ces deux boutons de manière un peu excentré, ça redonne une ligne à la veste en évasant son dessin vers les épaules. Une veste croisé avec un carré devant, mais sans les deux boutons aux poitrines, c’est tout à fait singulier. Ça fait pauvre. Voyez plutôt :

Sauf si la poche poitrine est plaquée. Alors dans ce cas, on ne met pas le bouton. Cela donne un vieux style de Lord en goguette. Car on ne le coud pas sur la poche. Comme je l’ai vu dans une publicité une fois. Ou une autre fois j’ai vu une médiocre fabrication chinoise qui se voulait sartoriale. Ne sachant pas quoi faire des deux boutons du haut, ils les avaient placés plus bas, en les rapprochant du carré. Quelle curiosité comme sur mon dessin ci-dessous à droite :

A titre informatif, je pense que les deux boutons décoratifs se placent au même espacement que les boutons du bas. Si 12cm, alors, 12cm. La diagonale fera un peu plus logiquement. Voir flèches en orange.

Anglais et italiens n’ont je crois pas la même approche de ce positionnement. Les anglais ont tendances à placer ces boutons proches du centre, donnant un V peu marqué, ci-dessous à gauche. A l’inverse les italiens placent les boutons de manière plus excentrés ci-dessous à droite, accentuant le V. Ralph Lauren est le maître en la matière, avec des boutons de poitrine placés sur les pinces devant. Je fais ainsi presque. J’aime bien. C’est selon les goûts.

Il y a aussi la hauteur de positionnement des boutons du croisé. J’ai tendance à penser que sur un croisé, il faut franchement abaisser ce niveau de boutonnage. Placer les deux boutons fonctionnels plus bas que si c’était une veste droite. En descendant le rang du bas sous la poche. C’est aussi une vision, que ne partagent pas toujours les ateliers.

La semaine prochaine si tout va bien on parlera du carré devant.

Reste enfin une dernière touche de symétrie sur le croisé. Avec une ou deux milanaises au revers… ? Pour moi, c’est deux comme la photo ci-dessous du cousin d’Elizabeth II, Mickael de Kent. Une de chaque côté. Autant aller sur la symétrie jusqu’au bout ! Mais ça aussi, c’est une question de goût !

Amusante photo enfin, autour du Président Truman, l’homme en papillon et croisé clair. A sa droite, un croisé à poche plaquée de poitrine, avec une bouton subtilement cousu au bord de la poche de poitrine… Et vers la gauche, un homme déboutonnant son croisé façon 4 en 1, sans les boutons de poitrine. Tout se fait, tout s’est fait !

Belle et bonne semaine. Julien Scavini

Trois manteaux d’hiver

Petit avertissement en préambule. Cet article totalement ringard illustré par le Roi Charles n’est destiné qu’aux anglomanes avertis. Les amateurs de manteaux modernes, slim et courts peuvent aller voir ailleurs.

J’aurais pu titrer ce billet « trois manteaux d’hiver qu’il faut avoir ». Mais, nous n’avons pas tous les moyens de crésus, et nous ne sommes pas tous né chez les Windsor. Et j’ai bien conscience que l’époque actuelle ne nécessite pas une telle débauche sartoriale. J’ai déjà écrit ça et là sur le manteau sans forcément ressentir le besoin de donner une réponse définitive. Mais le temps passant, je me fais une idée plus sûr des choses.

Je vous présente ce soir trois modèles de pardessus. J’aurais pu n’en proposer que deux ou au contraire quatre. Toutefois, à force de regarder des films en noir et blanc, des séries anglaises des années 90 mais dépeignant les années 50 ou 30, à force aussi de passer en revue des photos anciennes, je suis arrivé à ces trois modèles. Que par ailleurs le Roi Charles corrobore presque.

Ces trois modèles sont d’hiver. Chauds et lourds, coupés dans des molletons de laine. La gabardine un peu mi-saison, comme le manteau en whipcord, le fameux covert-coat, ne font pas partie de cette sélection permettant de lutter contre le froid.

Le premier manteau, l’absolue nécessaire, est je pense un grand croisé. Un pardessus statutaire et résolument urbain. Celui que Michael Douglas portait dans les années 80. Long, généreux, ample. Celui que l’on peut mettre pour aller au travail ou à un enterrement. Celui qui pose un personnage et donne une allure à nulle autre pareille. Je l’ai dessiné en bleu marine, car je pense que cette teinte est plus heureuse que le gris. Et plus moderne, remarquable petite concession à la modernité. Un modèle « charcoal » serait toutefois du meilleur goût aussi. Dans les deux cas, marine ou anthracite, il est possible d’opter pour un col recouvert de velours, marine ou noir. Bien que ce col donne un petit aspect… je ne sais pas, moins habillé peut-être? Plus fantaisiste? En même temps, le col de velours sur un grand croisé, c’est sublime. Premier dessin donc :

Le deuxième modèle est droit, plus simple et moins guindé. Pour être légèrement plus décontracté, je propose la couleur camel. Pour cette teinte, il y a deux choix. Soit fort clair à la manière de Loro Piana qui propose un poil de chameau lumineux et naturel, soit légèrement plus caramel à la manière des anglais, avec un mélange de laine et de cachemire. Cette teinte camel est aussi à l’aise en association avec un costume de ville gris ou bleu qu’avec une tenue de week-end plus décontractée. Elle est polyvalente. Les boutons cachés sont une option. Et le col en velours ton sur ton est une seconde option. Sachez que le velours beige, c’est presque impossible à trouver !

Enfin, dernière proposition d’hiver, dans un crescendo de décontraction, le manteau parfait pour sauter dans un train et dans une automobile rapide, un croisé à col enveloppant, type polo-coat. Réalisé dans un gros chevrons de tweed marronné, il est d’une souplesse parfaite. Ses détails nombreux, parements en bas de manche, poches boite-aux-lettres, martingale au dos, surpiqures voyantes en font un modèle sport.

Comme vous pouvez le constater, je reviens aux origines de Stiff Collar. De la rigueur anglaise et un esprit suranné affirmé. J’ai bien conscience que pour beaucoup et moi bien souvent, la doudoune est la réponse universelle. Mais, ne sommes-nous pas ici pour rêver un peu à de beaux vêtements d’un ancien temps. J’imagine que vous ne serez pas tous d’accord avec ces trois propositions, et c’est bien normal. Il existe tant d’autres manteaux tout aussi légitimes ! Et beaux.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

La doublure du pantalon

Tous les pantalons ont une doublure au niveau de la ceinture. A part les jeans. Une petite cotonnade en plusieurs morceau qui s’appelle la hausse de ceinture et qui double celle-ci, tout en camouflant le haut des sacs de poches. Le terme hausse est curieux. Il vient probablement du verbe hausser. Le dictionnaire donne : « Technique :Objet ou dispositif qui sert à hausser. » On l’aurait deviner.

Rentrons dans la technique. Chez un tailleur, la ceinture d’un pantalon est réalisée en triple épaisseur. A l’extérieur le tissu proprement dit. A l’intérieur contre la chemise, un tissu de coton, de la percaline exactement, faisant doublure. Entre les deux, en sandwich, une toile de lin fort rigide, donnant la structure verticale et le maintien de la bande de ceinture.

En industrie, il n’y a que deux couches. A l’extérieur le tissu proprement dit, légèrement thermocollé. Mais peu rigide. En revanche, la doublure intérieure (généralement en plusieurs bandes) incorpore elle une sorte de toile, un mesh, rigide. C’est le complexe de doublure, préfabriquée par une autre usine que celle qui coud les pantalons, qui incorpore cette sorte de toile qui fait la rigidité de la ceinture. De fait, ce composé, on ne l’appelle plus simplement une doublure de ceinture, mais une hausse. Car c’est lui qui tient la ceinture « debout », verticale et rigide.

Voilà pour cette première information.

Ensuite, parlons un peu de cette doublure qui est présente sur le devant de la cuisse, s’arrêtant sous le genoux. Elle n’est pas en coton elle. Mais en viscose sur les beaux pantalons. En polyester sur les mauvais. Et en soie sur les pantalons cousus à la main, si le client a apporté un bout de soie, à la fois pour faire son intéressant et pour embêter le tailleur avec des fadaises. Cette doublure rend tous les pantalons qui en ont des selvedges…. ahaha. Car cette doublure est coupée perpendiculairement au sens du tissu, et sa lisière (en anglais selvedge) un peu fileuse sert de bord non cousu.

Cette doublure est toujours présente sur les beaux pantalons, de laine. Si le pantalon est en coton ou en lin, cette doublure n’a aucun intérêt. C’est mon avis. Un chino n’a pas besoin de doublure. A priori… En mesure, j’ai l’opportunité de choisir avec mon atelier la présence ou non de cette doublure. Une fois que j’avais choisi de ne pas la mettre dans deux modèles en lin, le client a fait des histoires et j’ai du la coudre à la main… Je ne vous explique pas la galère pour rajouter une doublure dans un pantalon déjà cousu. Dès lors, j’ai tendance par défaut à laisser la doublure cuisse pour ne pas avoir d’histoires.

Cette doublure date de l’époque où la laine grattait. Car avant, oui, la laine grattait. Pourquoi dans les années 70 cette matière a perdu les faveurs du grand public et que le WoolMark a dû lancer d’immenses campagnes marketing pour ne pas faire oublier la laine… Car les anciens petits enfant se souvenaient – avec horreur – de leurs cuisses rougies par la laine qui grattait. Cette doublure cuisse devant est là où le pantalon applique le plus. Pour les laines les plus grattantes, il est aussi possible de doubler la cuisse dos.

Mais alors, de nos jours, alors que les laines ne grattent plus, ou peu, est-il utile de garder cette doublure? Pas forcément. Je me souviens que lors d’un stage chez Camps De Luca, j’avais ouï-dire que les pantalons n’étaient pas doublés. Et bien pourquoi pas. Je me suis fait cette double réflexion l’année dernière. L’été, je portais un pantalon de lin un jour de forte chaleur. La doublure de viscose me plaquait la cuisse et collait. Tout l’inverse des qualités du lin. J’ai fini par défaire le pantalon et araser la doublure en deux coups de ciseaux. Ah, le pantalon gagnait en fraicheur. Et en décembre, alors qu’il faisait bien froid, je sentais l’air froid remonter dans la jambe. La flanelle était agréable. Mais ce bout de viscose sur la cuisse était alors glacé. Désagréable. Dès, je me suis dit, peut-être qu’il est temps de se passer de cette doublure.

D’autant que cette doublure n’est pas simple à gérer avec les tissus fins. Il est obligatoire de lui donner du mou à cette doublure. En bref, d’en mettre plus que la laine elle-même. Avec comme objectif que la doublure jamais ne fasse tirer le tissu extérieur. Il y a un petit tour de main en couture à faire, pour avoir plus de doublure que de tissu. Un problème parfois ressort… le pli de la doublure n’est plus aligné avec le pli du tissu. Et le pli de la doublure se voit à travers le tissu. Et le client n’est pas content. En bref encore, la doublure fait du bazar et le tailleur est fautif.

Alors quant la doublure descend jusqu’à la chaussure, devant et derrière, je ne vous raconte pas le stress si jamais la doublure a un comportement inapproprié. Oui, car dans les tweeds bien grattant, une doublure devant et derrière, intégrale, peut être agréable. Elle peut aussi aider les chaussettes mi-bas à glisser mieux et à ne pas agripper le mollet. Je ne l’ai pas testé moi-même. Parce que l’idée de mettre une matière artificielle pour gainer entièrement un beau pantalon de laine me parait baroque. Je préfère être en contact d’une matière naturelle plutôt que d’une viscose. Mais chacun ses goûts et ses petits trucs !

Alors, avec ou sans doublure cuisse ? Faîtes vos jeux.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Le british-warm

Ce n’est pas tellement aux îles britanniques que l’on pense lorsque cherche la chaleur… (signification du mot warm). Pourtant, on peut accoler ces deux mots, pour former un nom. Et j’ai toujours pensé que c’était un nom curieux pour un manteau. Car c’est bien le nom d’un manteau : le british-warm. En fait, il s’agirait surtout d’un surnom à visée commercial donné par le créateur et pourvoyeur aux armées de ce modèle : Crombie. Un nom publicitaire en fait. Avec ce manteau, c’est la certitude d’avoir chaud.

Décrivons le. C’est un manteau qui s’arrête au genoux, à peine au dessus. Il est croisé. Il est toujours de teinte caramel, ou mastic. Parfois grisâtre. La matière est un lainage fort lourd. Le boutonnage se fait sur six boutons rangés en 2×3, et aucun bouton décoratif sur les poitrines. Les manches sont classiques, montées, et terminées par deux ou trois boutons. Il n’y a pas nécessairement de poche de poitrine. Mais toujours deux poches à rabats, simples, sur les côtés. Le revers est en pointe, comme le croisé classique ou, de forme tombante comme le polo-coat. Des surpiqures faites à la machine à coudre à 2cm du bord égayent et soulignent le modèle.

Jusque là, j’ai décrit un manteau relativement simple, presque un classique. Là où ce modèle se remarque, c’est à deux détails très caractéristiques : d’abord des boutons en cuir tressé, et enfin des épaulettes. Ce sont ses spécificités !

Le british-warm d’après wikipédia apparait durant la première guerre mondiale et sert à habiller chaudement – et élégamment – les officiers de l’armée britannique. D’où ses épaulettes. Quant aux boutons de cuir, je pense qu’ils ont du remplacer des boutons de laiton armoriés, tout en conservant la forme dîtes « en boule ».

C’est un modèle de manteau que l’on repère très souvent dans les images des années 50 et encore plus dans les séries télévisées ou les films, dont l’action se déroule dans les années 50. (Type Hercule Poirot ou Miss Marple).

En général, c’est le personnage du major ou du capitaine retraité, en bref du militaire, retraité ou en tenue « de ville ». On comprendra aisément qu’il s’agissait d’une tenue réglementaire portable en ville plus facilement qu’un manteau galonné et orné, et disponible surtout en surplus de l’armée ou auprès du fabricant, Crombie. Même si les façonniers ont dû être légion à s’emparer du modèle.

Il s’agit donc d’une icône du style britannique ! Un manteau au style affirmé. Qui occasionnellement sert à des costumiers pour illustrer un stéréotype. Celui du vieux militaire. Comme dans ce délicieux film aperçu la semaine dernière sur Arte, Tueur de dames. Une délicieuse drôlerie dans laquelle Cecil Parker joue le major Claude Courtney… et est donc habillé d’un british-warm. Voyez plutôt ces images que j’ai attrapé de ma télévision :

Finissons sur une autre photo d’illustration. Un british-warm porté par quelqu’un qui sait ce qu’est un bon vêtement, le Prince Charles :

Belle et bonne semaine à vous. Julien Scavini

Le derby, une passion française?

J’ai longtemps regardé la chaussure de forme derby avec la plus grande circonspection. Ce n’était pas, pour moi, une forme valable. Mon anglo-manie probablement. Non, moi, je préférais les « oxford », enfin en français, les richelieus. Voilà une vraie chaussure, statutaire, qui pose bien et présente avec une dignité incomparable. Ces morceaux plaqués sur les flancs pour porter les lacets, ces découpes et surpiqures, non, décidément, c’était trop. D’autant que dans mon petit esprit, les derbys, c’était ces chaussures à 29,99 des galeries commerciales. Voyez, dans ce genre là :

Cette écrase-merde, passez-moi l’expression, on la voit partout. En général au bout d’un chino skinny qui n’a pas été beaucoup repassé. Façon casual-chic d’entrée d’agglomération. Je ne voulais pas de derby, car pour moi le derby, c’était cette chaussure.

Avec le temps, j’ai appris toutefois à voir de beaux derbys, avec bout demi-chasse ou cambrure racée façon Corthay. J’ai fini par sauter le pas, comme on trempe un orteil dans le lac d’Annecy l’été pour dire qu’on s’y est baigné. J’ai acheté en sortie de Covid, pour soutenir notre industrie, une jolie paire de Paraboot. Mais, non, je n’ai pas pris une Michael ou une Chambord. J’ai pris une Azay Griff II. Cette simplicité des lignes, ce bout droit rapporté devant, je me sentais là presque avec un richelieu.

Et je dois confesser qu’avec le temps, cette chaussure est un bonheur. Que je peux même partir en vacances avec et les garder quelques jours au pieds sans avoir mal, ce qui n’est pas le cas de mes Alden.

Mais si je vois le derby à travers son prisme contemporain, d’affreuses choses collées made-in-China, je sais aussi le voir à travers l’histoire. Et c’est depuis longtemps que j’ai remarqué dans la presse mode-masculine des années 50 le derby. Un derby même très présent. Très iconique d’ailleurs. A côté de la belle anglaise, ce richelieu riche et puissant vendu par Weston sur les Champs Elysées, il y avait foule de jolis derbys, coupés en courbes merveilleuses.

Et ce derby deux œillets (ou trois), si épuré que l’on fini par croire qu’il fut inventé par Xavier Corthay, on le retrouve à longueur de publicités dans les années 50. Une forme si limpide que Bata met à l’honneur. Une apothéose des courbes :

Une marque en particulier ressort très souvent dans la presse, UNIC, marque de la maison Fenestrier à Romans dans la Drôme. (Qu’est-elle devenue cette marque?) Avec le temps également et à force de réfléchir à la spécificité d’un vestiaire français, façon Arnys, j’ai associé mentalement cette si jolie chaussure, ronde et épurée, avec un goût français. Opposé à la rigueur et à la lourdeur de « l’oxford » anglais. Le derby fait français. Et le derby deux œillets fait très français. Admirez et étudiez ces quelques planches de la marque UNIC. Anteuil et Armor, quelle finesse :

Quelles beautés ces derbys vous avouerez quand même. Et impossible à trouver je pense dans le commerce actuellement. Sauf chez Corthay justement, mais là, les lignes sont plus affutées et sculpturales, là où les UNIC sont juste ce qu’il faut de rustique et de gentil.

Il n’y avait pas qu’UNIC. Nous avons vu Bata. Voyons aussi Bali et quelques autres :

Si dans les années 50 il y avait une sorte de mise en avant nationale du derby par rapport à l’oxford plus britannique, il me semble que cette spécificité continue. Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron portent des derbys noirs il me semble. Sans probablement faire la différence. Et si votre banquier porte des souliers de cuir, il y a fort à parier que ce soit des derbys noirs aussi.

Évidemment, maintenant au milieu du flot de sneakers et autres baskets, ce débat sur la ligne d’un derby et sa spécificité nationale est bien peu de chose. Mais au moins ce soir, nous aurons vu de belles formes !

Bonne semaine, Julien Scavini

Bonne année 2023

Chers amis lecteurs et lectrices. Comme j’aimerais avoir du temps pour écrire quelques lignes chaque lundi ou mardi soir. Mais hélas, quelle fatigue. Je suis exténué le soir et je manque de temps.

Je vous adresse tous mes vœux pour 2023. Joie, santé et prospérité ! A bientôt.

Les différents velours et leur fabrication

Il existe trois types de velours :

  • le velours lisse, où la surface douce et duveteuse est unie et continue. On appelle ce velours chez les tailleurs de la palatine. Et chez les anglais, on dit « velvet ».  Ce velours est idéal pour couper des habits du soir, des vêtements formels. Et habiller des fauteuils ou des coussins.
  • Le velours à côtes, où la surface douce et duveteuse est discontinue, seulement présente le long de lignes, les côtes, de largeur et de densité variables. Chez les anglais, on dit « corduroy » quand il est gros, « needle cord » quand il est petit. Les côtes se comptent par pouce. Un gros velours, c’est 8 côtes par pouces. Un velours fin, c’est 16 côtes par pouces, presque du mille-raies. Ce velours est idéal pour couper de robustes habits d’esprit campagnard.
  • Le velours façonné, mélange des deux précédents, où des dessins et arabesques sont créés par des surfaces douces et duveteuses, en relief, s’opposant à la trame de fond. En ameublement, je crois que l’on parle de velours de Gênes ou de velours Damassé.

Tous ces velours présentent des fils dressés et accrochés dans une trame de fond. Ce sont des fils dressés comme du gazon sur de la terre qui donnent la douceur et l’aspect brillant et luisant au velours.

C’est probablement le tissu le plus onéreux qu’il était possible de trouver avant la révolution industrielle. Car en plus d’une trame de fond lisse, il faut une énorme quantité de fils pour créer toute cette surface poilue. Et le fil a toujours été fastidieux à obtenir. C’est le plus long dans l’élaboration d’un tissu.

Il est bon ici de faire une remarque. Le velours est donc une manière de tisser. Qui ne préfigure en rien la matière utilisée. Pour faire du velours, on peut utiliser :

  • de la soie. La matière la plus ancienne, et la plus onéreuse, encore aujourd’hui. Le velours de soie, c’est la Rolls des tissus, impraticable ou presque pour un tailleur, apprécié pour habiller fauteuils et intérieurs de châteaux.
  • du mohair, solide et endurant. Les bancs de l’Assemblée Nationale sont en velours de mohair. Une composition exclusive de l’ameublement de luxe. 
  • du coton. C’est le plus simple de nos jours.
  • du polyester ou de la viscose. Et plein d’autres merveilles de la chimie moderne qu’il serait préférable d’oublier.
  • des mélanges. Par exemple, pour un beau velours d’habillement à côtes, mélanger coton et laine, ou coton et cachemire est un plaisir pour le porteur. Une touche d’élasthanne est aussi possible. Chez Dormeuil, j’avais le souvenir d’un velours palatine de coton et soie, une beauté.
  • de la laine. Je n’en ai jamais vu. Mais je sais que cela existe.

La création du velours lisse et du velours côtelé est une merveille d’ingéniosité. Pour faire du velours, il faut déjà créer un tissu composant le fond du velours. Ou plutôt, il faut créer deux tissus, car ce métier à tisser spécial va créer deux velours en même temps. Ces deux tissus sont fabriqués dans le métier, avec quelques millimètres de séparations. Il y a de l’air entre ces deux tissus. Chaque tissu haut et bas possède sa chaine et sa trame. En même temps, une troisième chaine (c’est à dire les fils dans les longueur) est insérée, avec détente, reliant les deux couches. Des milliers de fils, pour relier ces deux tissus, comme pour les coller. Comme un gros sandwich, lisse au dessus, lisse en dessous, et plein de milliers de fils (perpendiculaires) au milieu, comme une éponge.

En sortie de métier, une imposante lame de rasoir attend. Cette lame est située pile entre les deux tissus initiaux. Se faisant, en avançant, le rasoir coupe les milliers de fils constituant le milieu du sandwich. Il en résulte quoi ? Deux tissus de nouveau séparés, mais présentant maintenant des fils coupés et dressés, les scories de la troisième chaine. Malin n’est-ce pas ! Un bon schéma :

Légende : les tissus de fond sont composées chacune d’une trame (en orange) ainsi que d’une chaine qui zigzag entre la trame (rouge et violet). Il y a donc deux trames et deux chaines. Puis une troisième chaine est insérée (en bleu canard) qui relie et fusionne les deux étoffes. A la fin, une lame (en grise) coupe cette troisième trame, dont les bouts deviennent des poils dressés.

Précisons que les tissus de fond ne sont pas obligées d’avoir la même composition que les fibres « poilues » du velours. Généralement en habillement, c’est le cas, sauf l’élasthanne qui n’est présente par exemple quand dans les trames et non dans les « poils ». En ameublement, la trame peut être différente pour soucis d’économie, le beau du velours étant le « poil » et non le fond.

Lors du processus de fabrication de ce velours, une certaine orientation des « poils » apparait. Un velours, lorsque vous le caressez, a toujours un sens. Dans le bon sens, il est doux. A contre-sens, ou devrais-je dire à rebrousse-poil, il est plus rugueux.

Mais il y a la douceur. Et il y a la prise de la lumière. Deux choses différentes.

Car à contrario de la douceur, un velours prend mieux la lumière à rebrousse-poil. Sa couleur est plus profonde, plus vibrante, en particulier pour le velours palatine. Dans le bon sens, le même velours sera terne, presque blanchi.

Lorsqu’un tailleur coupe un vêtement en velours, il doit donc s’interroger sur le sens de la coupe. Coupe-t-il la veste dans le sens du poil pour la douceur ? Ou la coupe-t-il à contre sens, pour l’éclat de la couleur ?

Pour ma part, j’ai le plus souvent fait couper à rebrousse-poil les vestes en palatine, pour une plus grande expressivité de la teinte. Et j’alterne pour les pantalons, les côtes ayant un peu moins ce problème.

Cela dit, tous les tailleurs ne sont pas d’accord. « Un velours coupé à contre-sens s’abime plus » m’avait dit Monsieur Guilson. Pourtant, un vêtement du soir n’est pas si utilisé que cela. Et les grandes maisons italiennes, et Ralph Lauren, coupent à contre-sens ai-je souvent remarqué. Donc…

C’est un petit débat de tailleur, je le concède.

Belle et bonne semaine. Julien Scavini

L’entretien d’un costume

Des costumes me reviennent pour des réparations ou des corrections. Certains vêtements, même des années après sont comme neufs, impeccables comme au premier jour. Et puis à l’inverse, il y en a qui reviennent dans des états… Cela m’amuse parfois, comme cette belle veste coupée en laine, lin et soie « summertime » de Loro Piana, entoilée intégralement, et pas si vieille, qui était transportée dans un tote bag, en boule. Mon adorable client trouvait que le bouton se décousait. Pas de problème. Lui voyait la partie émergée de l’iceberg. Moi la partie immergée. Et quelle partie. Un chiffon, mais chiffon !! Intérieurement  je rigolais jaune. Comment est-ce possible d’être chagriné par le bouton mais pas par l’aspect général ? Diantre ! Enfin, j’ai repassé la veste au mieux après avoir recousu le bouton.

Certes ce n’est qu’un vêtement. Mais un beau vêtement, il faut y faire attention, en prendre soin, être délicat avec. C’est même la caractéristique du beau. D’être fragile, presque fugace. Voici quelques petites informations de bon sens :

  • Entreposer sa veste

La veste d’abord, il faut chaque soir la replacer sur un cintre en forme. Ce faisant, l’épaule va conserver son galbe. Et puis, il faut vider les poches. Que seul le poids du tissu repose sur le cintre. Les rabats de poches doivent être sortis et nets, la veste en position optimale sans pliure ou écrasement. Idem pour le manteau.

  • Entreposer le pantalon

Le pantalon a deux types de cintres adaptés. Le premier à pince, avec le pantalon suspendu par les pieds. Ce faisant, le poids du haut (ceinture, braguette, fonds de poches, etc) permet de tendre les lignes. L’autre à barre horizontale, impose un placement minutieux du pantalon, replié vers le genou, avec plis avants et plis arrières superposés et bien à plat. Dans les deux cas, le fermoir du pantalon doit être « ouvert ». On ne boutonne pas un pantalon qui est sur un cintre. Cela corne le fermoir et la ceinture !

Et puis il y a le valet de chambre, avec ses deux planches écrasant le pantalon. Why not. J’ai tendance à y oublier six mois le pantalon qui s’y trouve. Pour le coup il est impeccable. Le valet chauffant est une possibilité (de personne fortunée ?).

  • La question de la housse de costume & le sujet des mites.

Doit-on entreposer le costume ou tout autre vêtement dans une housse ? Je n’en suis pas complètement sûr. Si oui, il faut impérativement jeter dans le fond de la housse de l’antimite régulièrement renouvelé. Car il n’y a rien de mieux qu’un espace fermé et sombre pour que les mites arrivent. Elles adorent les placards où rien ne bouge, ou il n’y a pas de lumière et d’air frais. Bref, les intérieurs de housse. Pour ma part, j’entrepose mes costumes dans l’armoire, qui est ouverte plus ou moins tout le temps, où l’air circule, où il y a du mouvement et de la lumière. Bref, ce que les mites n’aiment pas. Ce qui ne m’empêche pas de traiter avec de l’antimite.

  • L’antimite précisément

Il existe sous deux formes en supermarché. En plaquette cartonné, par paire, sous forme de gel. Très efficace et odoriférant. L’efficacité est de trois mois, jusqu’à ce que le gel s’assèche. J’adore ce produit avec la découpe dans le carton permettant d’accrocher l’objet à la tringle de l’armoire. Vu le prix ne pas hésiter à en acheter une dizaine d’avance et à bien en mettre. Sinon, il y a les palets blancs (parfois emballés individuellement) moins odorants mais tout aussi efficaces. Ils sont vendus par sacs. A la boutique, j’en jette un peu partout sous les placards le long des plinthes. Sinon, je les dispose dans des gobelets jetables (en plastique ou en carton) ou des verres tout bêtement. En gobelet ou en verre, c’est très facile à vider tous les trois mois et à re-remplir. Enfin, il existe pour nous les professionnels des bombes aérosols, que l’on vide entièrement les veilles de week-end pour étouffer entièrement la pièce.

  • Repasser veste et costume

Pour lutter ensuite contre les marques d’usage, il y a le repassage. Peut-on le faire soi-même ? Je n’en suis pas si sûr. Le pantalon, pourquoi pas, c’est le plus facile en le plaçant bien à plat. Attention en arrivant en haut, attention aux plis des pinces. La veste, c’est déjà bien moins évident. Pour bien faire au niveau des manches, il faut investir dans une jeannette.

Conseil pour le fer, mettre à forte chaleur (presque au niveau de repassage du lin) et 100% de vapeur. Beaucoup de vapeur. Sur mon fer Calor, j’ouvre même l’entrée d’eau pour que l’air passe bien et que le dégagement de vapeur soit maximum. Ainsi je me passe de la patte mouille, et j’y vais directement avec le fer. La forte présence de la vapeur me préserve de bruler le tissu ou de lustrer la laine. Il ne faut pas s’appesantir toutefois et aller vite. La vapeur rend les lignes nettes.

ATTENTION néanmoins. Lorsque l’on repasse à la vapeur, il faut attendre un complet refroidissement du vêtement (ou de la zone repassée) pour bouger le dit vêtement. Car à chaud, vous aurez un résultat inverse à celui escompté, la laine gonflera et vous n’aurez aucune ligne nette. Vous ruinerez votre veste ou votre pantalon. Non, il faut repasser à la vapeur vive et laisser refroidir. Ainsi, les lignes se fixeront ! C’est pour ça que les pressings ont des tables aspirantes. Ils chauffent en repassant, puis refroidissent immédiatement par dépression du vêtement.

La patte mouille, c’est magnifique, mais il faut avoir un temps infini. Placer le torchon sec, l’humecter, presser le fer sec, attendre que l’eau parte, laisser refroidir, passer à la zone suivante, etc… Un travail fin il est vrai.

ATTENTION au repassage d’une veste en semi-entoilée. Vous pourriez décoller les toiles sous l’action de la vapeur. Une veste entièrement entoilée ne craint en aucun cas cela. Dans le cadre de toiles intérieures collées, il faut impérativement attendre le point « froid » pour bouger le vêtement.

  • Le coup de la salle de bain

On dit qu’il est intéressant de placer son costume dans la sdb lors d’un bain ou d’une douche très chaude. Pour que la vapeur ouvre les fibres de la laine et la détende. Ça marche, un peu. Surtout sur les manches de la veste et surtout sur le pantalon s’il est suspendu par les pieds (effet de poids de la ceinture, de la braguette et fonds de poches). Peu sur le corps de la veste elle-même. Méfiance que cela ne fasse pas gonfler les coutures non plus, effet inverse de celui recherché. En se détendant, les coutures de la laine peuvent avoir tendance à ne plus rester plates, mais à se tendre, bref à gonfler.

  • Mettre son costume au pressing

Évidement, on n’est pas obligé de s’occuper de son vêtement soi-même. On peut le confier à un professionnel. Ils sont rares les bons. Vous n’êtes pas obligés de demander un nettoyage. Un simple repassage peut suffire. Pourquoi vouloir laver tout le temps ? S’il y a nettoyage, je n’ai pas une grande amitié pour les pressings écologiques à base d’eau. Des clients y ont constaté des curiosités. Je préfère les nettoyages basés sur les solvants hydrocarbures comme le KWL. Net et sans effet sur la laine, les entoilages et les doublures.

Il faut dont faire la différence entre nettoyage complet et repassage seulement.

ATTENTION, les pressings généralement abiment les vêtements lors du repassage, en allant trop vite. Ils décollent les toiles collantes, créant des cloques ainsi, ou lustrent la laine sous trop de chaleur (action de faire briller la laine). Ce n’est pas le nettoyage qui est gênant, c’est le repassage. Privilégiez un endroit où l’on prend le temps.

  • Tous les combien ?

Des clients m’ont souvent rapporté mettre leur costume au pressing à chaque fois qu’il le mettait. Horreur et damnation. Dissocions veste et pantalon.

Le pantalon peut aller se faire nettoyer (cycle complet) tous les 8 à 12 ports. Soit, si vous mettez un costume deux fois par semaine, entre un mois et un mois et demi à deux mois.

La veste peut attendre. Deux fois par an ? Une fois par an ? Cela me semble bien suffisant. Une veste encaisse assez peu. Son allié le cintre tous les soirs et c’est bon.

Le manteau lui sera heureux au printemps de trouver le chemin du pressing.

Ne craignez pas une couleur différente entre la veste et le pantalon si vous dépareillez l’ensemble lors de l’étape pressing.

Peut-être allez-vous trouver cela peu ? Franchement, cela dépend de tout un chacun. Au niveau du pantalon, deux facteurs entrent en jeu. La transpiration et les odeurs corporelles associées, puis là où on s’assoie (transports en commun, mobiliers partagés dans les bureaux, etc.) Donc, suivant les usages et les lieux, oui, vous pourrez laver plus votre pantalon. Mais point trop n’en faut.

  • Les odeurs ?

Après une soirée ou être passé sous un orage, il est assez courant de trouver que la veste a une odeur, de tabac ou de chien mouillé. Pas d’inquiétude. Le mieux est de laisser l’ensemble sur un bon cintre, une nuit entière dehors à la belle étoile (mais abrité de la pluie quand même). L’air frais est souverain.

Un bon brossage de la veste pourra faire disparaitre quelques scories supplémentaires. Secouez votre veste. Vous pouvez même la retourner comme une peau de lapin pour exposer et aérer les doublures plutôt que l’extérieur.

Information : une veste entoilée intégralement perd plus facilement ses odeurs, n’étant composée que de matière naturelle. La toile collante incorporée dans les vestes semi-entoilées étant artificielle, elle perd plus difficilement les odeurs.

La variété et le nombre est une arme.

Voici un argument tout bête. Le volume fait la force d’une certaine manière. Une garde robe assez étendue permet d’entretenir moins. Les vêtements s’usent moins s’ils sont nombreux et qu’ils tournent souvent. Un costume ne peut pas être mis tous les jours. Surtout pas le pantalon. Quatre costumes semble idéal pour faire bien. Cela coûte un peu. Peut-être se rattrape-t-on ensuite sur le moindre entretien ?

Toutefois, l’exemple actuel l’illustre bien. Une bataille ne se gagne pas avec la plus grosse armée. Mais avec celle qui s’organise bien. Une penderie logique est bien ordonnée, si elle bien entretenue, est une vision de long terme !

Bonne semaine, Julien Scavini

Choisir une ou deux fentes dos ?

Lorsque j’ai commencé à réaliser des costumes, j’ai fait un choix, celui de proposer exclusivement deux fentes dans le dos des vestes. Une de chaque côté. Cette allure du dos des vestes, je l’avais acquise en fréquentant la maison Hackett, où les costumes coupés à l’anglaise, présentaient cette double fente. Je n’aimais pas du tout le genre une fente milieu dos, à la mode à l’époque et encore chez Dior par exemple ou d’autres maisons de tradition française.

Non, j’aimais cette double fente, permettant au fessier d’avoir de la place, et permettant aussi à la veste d’avoir de la mobilité autour du bassin. Cette double découpe dans les pans de la veste permet à celle-ci d’être très libre, plus libre. Moins empesée.

Et j’aimais cette tendance de la veste à double fente à créer comme un panneau en bas du dos, se décollant du fessier, et projetant ses coins aiguisés un peu loin du bassin. Une sorte d’allure racée, une forme d’allant en fait.

C’est un bon argument celui là d’ailleurs. Ce panneau rectangulaire se décollant en bas du dos donne du dynamisme, oui, à une veste. Nonobstant les récriminations, de la gent féminine en particulier, sur cet effet, examiné comme un défaut de couture. Parfois, on me demande si je ne mets pas des poids dans les coins. Je sais que cela se fait. J’ai tendance à penser que jamais le tissu n’aura la force de rester en suspension ainsi, et qu’avec le temps et l’usage, ce panneau sera moins strict et tendu, et qu’il s’avachira un peu. Et que donc les plombs dans les coins, c’est un peu du chiqué commercial.

Je continue de prôner la double fente. Je pense qu’elle est la plus à même de gérer les fessiers. Car avec une fente, il n’y a pas le droit à l’erreur. Une simple question de mathématique :

  • si le bassin manque de 3cm par exemple, la fente unique ouvrira de… 3cm. Autant dire qu’elle ouvrira complètement et de manière disgracieuse,
  • avec une double fente, si le bassin manque toujours de 3cm, cela fait 1,5cm par fente, ce qui est invisible,
  • étant entendu que la valeur de recouvrement d’une fente est de 4cm.

Il y a donc, c’est impossible de prétendre le contraire, une tendance de la double fente à plus pardonner le corps et à être plus généreuse pour les fessiers.

Si je reste convaincu de la double fente, il m’a bien fallu de temps à autre accepter d’en réaliser une seule. Je ne suis pas là pour contrecarrer (tous) les plans des visiteurs de l’atelier. Et j’ai pris grand plaisir à réaliser la fente milieu dos. En pensant bien à « donner » du bassin, c’est-à-dire à le faire généreux de dimensions. Pour que jamais la fente ouvre. Cela demande une certaine réflexion sur les valeurs de mesure.

Et j’étais convaincu du résultat. Car la fente unique porte en elle une esthétique des années 1920 que j’approuve. La fente unique, en donnant du bassin, donne de la hanche. Elle crée une silhouette particulière de dos, et même partiellement de face. La veste parait plus ronde, moins angulaire. Elle suit les courbes du corps et dessine des hanches presque féminines, un esprit recherché vers 1920. Chez les tailleurs, on dit que la veste « emboite » le corps. Mais il ne faut pas être chiche et donner du bassin, être généreux sur les cotes des flancs. Voilà deux bons exemples des années 1920 :

D’ailleurs, une fente et sans fente partagent les mêmes caractéristiques de mesures et d’esthétique. Il ne faut pas être chiche et en retour la veste dessine comme une silhouette de sablier, comme le montre la photo ci-dessus, même si, je le reconnais c’est le dos d’une veste de femme. Mais l’idée est bonne.

Vous l’aurez compris, faire une fente ou deux fentes pour un tailleur ne présente pas tellement de difficulté. Seulement, ne faire que l’une des deux options permet de s’appuyer sur la force de l’habitude. Moins il y a de réflexion, moins il y a de risque d’erreur. Plus l’on multiplie les paramètres, plus il faut creuser chaque sujet, avec un risque à la clef. Quoiqu’il en soit, du strict point de vue du sur-mesure, les deux options sont très valables. Et esthétiquement différentes.

En revanche, le prêt-à-porter qui doit par essence s’adapter au plus de monde, ne peut faire dans la finesse et le cas par cas. Le risque de ne faire qu’une fente en prêt-à-porter est principalement de très mal habiller l’homme qui a des grosses fesses. La fente va ouvrir en bas du dos. Désastreux pour la ligne générale. Cela fait comme une veste chiche et mal coupée. Pourtant, bien des marques qui ont pignon sur rue continuent de vanter cette ligne.

Pourquoi ? Car dans leur esprit, la fente milieu dos fait plus habillée, plus raffinée, plus digne. Là où la double fente fait plus décontractée. C’est précisément pourquoi les anglais l’ont inventé cette double fente, pour faire moins guinder. Pour donner de la fluidité à la veste et renouveler en souplesse le bon vieux costume de Savile Row. Un costume taillée à la serpette, habillement entre conservatisme, longueur de temps et spontanéité moderne. Là où la simple fente rend le bas de veste plus rigide et moins mobile. Plus précieuse ? C’est donc surtout une vision qui se joue sur cette question de fente. Intéressant n’est-il pas ?

Bonne semaine, Julien Scavini

Soufflet dans le dos

Les soufflets dans le dos des vestes sont assez mythiques. Ils sont rêvés pour l’esprit chasse, safari, ou old-school qu’ils apportent. Et puis, plus prosaïquement, ils intéressent pour le supplément d’âme qu’ils donnent à un dos de veste, ou de manteau. Car il faut bien l’avouer, le dos des vêtements, c’est un peu comme le dos des meubles. Simple et sans fioriture. Pas un grand sujet d’intérêt. Il existe la martingale, cousue ou suspendue à boutons pour donner déjà un peu de plaisir. Mais le soufflet, c’est encore mieux, plus prestigieux.

Il existe deux types de soufflets pour vestes. Le soufflet milieu dos, souvent fini avec des mouches triangulaires. Et les soufflets côtés, formant des arcs sur le flanc des omoplates.

Simon Crompton avec un manteau à soufflet milieu dos.

J’ai testé les deux dans mon exercice professionnel. Et je suis arrivé à la conclusion que dans les deux cas, les soufflets ne servent à rien et n’apportent que des problèmes. Tout simplement, car une fois le grand mouvement réalisé, le ou les soufflet(s) reste(nt) généralement ouvert(s). Eventré(s) même je dirais. Et c’est très laid. D’autant plus dans les tissus contemporains qui sont fins. Un des nœuds est là. J’avais vu il y a longtemps sur internet une illustration d’un tailleur anglais réalisant un laçage élastique (faisant des X comme sur un corset) dans la doublure pour permettre au dos de se rétracter… quel montage baroque… !

Parka en coton lourd. Notez en plus du soufflet côté la présence d’un gousset sous l’aisselle à l’articulation de la manche. Double effet.

Je pourrais émettre deux conditions à la réalisation de plis.

D’abord il faut impérativement un tissu lourd, dense et structuré pour tenir les soufflets convenablement. De ce fait, deux types de vêtements remplissent parfaitement cette condition, avec deux formes de soufflets différents. 1-Les manteaux longs de forme tailleur, réalisés en tissus épais tolèrent bien le soufflet milieu dos. 2-Les parkas courtes en coton épais genre Marlboro Classics tolèrent bien les soufflets côtés. (Ou blouson en cuir de motard).

Seconde condition, que le vêtement soit impérativement généreux dans ses dimensions. Et c’est précisément le cas des deux vêtements cités. Ils sont faits pour être généreux, permettant vestes ou gros pull-overs dessous. Il faut du volume pour permettre aux soufflets de ne pas être mis beaucoup en jeu. Tout est là. Le ou les soufflets doivent servir en dernier recours, pour les gestes de vraiment grande ampleur. Dans le cadre d’un vêtement ajusté parfaitement, le soufflet se met immédiatement en jeu, et alors, il va rester ouvert tout le temps. Disgracieux.

Je ne cite donc pas de veste. Car oui, la veste étant un vêtement ajustée, le soufflet crée des problèmes. Il ouvre et après, reste ouvert et c’est moche. Ou alors, il faudrait faire une veste vraiment très large pour être sûr que ça marche. D’ailleurs, je constate que les clients qui m’apportent des modèles ne se rendent généralement pas compte à quel point la veste modèle est large. Et que c’est un désir vain de reproduire trop de largeur.

Il faudrait sinon… de la grande mesure. Quelque chose de fait main, avec essayages multiples et moult précautions. On trouve de très belles photos sur StyleForum de vestes avec des soufflets. Ce sont des pièces de collection à chaque fois !

Si l’on veut vraiment une veste permettant de tirer au fusil ou de faire des grands et généreux mouvements, inutile de faire des soufflets. Il suffit juste de faire une veste trop large, point. Et même mieux pour les chasseurs, une manche à gousset sous l’aisselle, permettant un total mouvement. Je ne sais absolument pas la patronner toutefois.

Dessous de manche à soufflet

Après, pour la veste, il existe la solution des années 1920/1930 consistant à couper un dos extrêmement généreux, qu’une martingale plaquée ramène à de plus justes proportions à la taille. Cela donne un effet blousant, une troisième forme de soufflets. Les plis divers partant des omoplates sont fixés par la martingale. Et l’aisance dans le haut du dos et formidable. Une manière détournée de créer de l’aisance, une forme de soufflet.

Dos avec volume façon 1920.

Bonne réflexion. Et bonne semaine. Julien Scavini

Relever le col d’une veste ou d’un manteau

Le revers d’une veste, ou d’un manteau, présente toujours à l’endroit de son raccord avec le col, une découpe particulière. S’il n’y a aucune démarcation, il s’agit du col châle, qui fusionne revers et col dans un seul et même mouvement continu. Mais ce revers est bien rare. Non, dans une majorité de cas, c’est une encoche en forme de coin ouvert qui délimite revers et col.

Ce revers, à la fin du XIXème siècle, on ne savait pas vraiment comment l’appeler. Il prenait le nom alors de « bavaroise ». On disait, une veste avec des bavaroises. Soit une veste avec deux retombées de tissus sur les poitrines. Ces deux bavaroises (une de chaque côté) avaient la possibilité de se boutonner sur le côté opposé. Pour en fait enfermer bien au chaud le porteur, au ras du cou.

Certaines vestes autrichiennes présentent encore ces bavaroises un peu généreuses, qui souvent sont boutonnés rabattues sur l’épaule par un bouton de corne de cerf. Sur la photo bien médiocre que j’ai trouvé ci-dessous (une veste de femme avec boutons en métal), ces revers un peu curieux sont bien présents.

J’ai déjà par le passé vu des photos du début du siècle avec de telles vestes. Je me souviens en particulier d’un modèle très similaire sur un homme, au Pays-Basque avant la première guerre mondiale (vu au Musée Basque de Bayonne.) Ce qui me laisse à penser que peut-être, cette forme de veste n’est pas exclusivement autrichienne. Mais peut-être une forme ancestrale de veste ordinaire pan-européenne, par opposition aux fracs et autres redingotes plus élégantes. Il y aurait une étude à faire.

Mais revenons à cette veste ci-dessus et ses bavaroises. On sent bien, et très logiquement, que si l’on cherche à déboutonner le bouton du haut, et que l’on cherche un peu à dégager le cou qui est très protégé là, on va repousser du tissu. Ces bavaroises vont donc s’élargir un peu et le pied de col (dit officier maintenant) va suivre le mouvement et s’épancher un peu. Dès lors que se passe-t-il ?

Le col officier se retourne sur lui-même et s’aligne sur la cassure de la bavaroise, pardon, du revers. Et alors cette sorte d’encoche qui forme le revers maintenant apparait (flèche rouge). Il est très probable que le revers à encoche que nous connaissons bien maintenant soit une forme esthétisée et travaillée de ce qui était à l’origine le bord du pied de col. J’ai essayé un petit croquis, sans triche de dessin aucune. La brisure du revers (le repli) est l’axe de symétrie par lequel les traits du dessin de gauche sont basculés pour devenir revers.

Ainsi donc, notre cran de revers actuel correspond plus ou moins à l’emplacement de la pomme d’adam. La veste arrive en ras de cou, et le col (dit officier) ménage un petit espace.

Ca c’est pour l’origine historique. Alors logiquement, l’hiver lorsque l’on a froid, il serait fort possible de basculer ses revers de vestes pour se protéger du froid. On pourrait même idéalement boutonner le revers gauche sur le pan droit pour vraiment avoir chaud et re-former le col ancien (dit officier).

Sauf qu’avec le temps, nos crans de revers se sont dissociés de cet usage, et même sont remontés encore, dans une vie esthétique autonome. Le cran de revers est aujourd’hui sur la clavicule. Il est trop haut. Si le revers gauche est rabattu à droite, le cran de revers tombe dans le menton. C’est plutôt inconfortable à moins qu’il fasse moins vingt degrés. Et le dessin du cran de revers s’est fait au long d’une ligne droite. Sur cet autre petit croquis, je confronte un revers actuel, et sa version à droite plus ancienne, courbée comme l’encolure :

Certaines maisons de prêt-à-porter pour retrouver un peu cet usage ont eu l’idée d’une patte sous le col comme Hackett, ou d’un col avec patte prolongée à gauche. Mais là encore, c’est plus de l’esthétique que du très pratique !

Il y a l’option sinon de baisser le cran de revers, pour obtenir quelque chose de moins moderne, mais ayant la possibilité de se boutonner. C’est rare. Sur une veste, peu utile d’ailleurs peut-être. Sur un manteau, c’est intéressant. C’est par exemple le cas de mon atelier en Italie, Sartena, qui depuis toujours réalise son manteau droit avec un col plutôt bas. Permettant absolument un boutonnage opposé par temps froid.

En revanche, inutile d’essayer de rabattre un revers en pointe. Les pointes tombent sur le menton voir devant la bouche. Les pointes sont purement de l’esthétique. Rien de fonctionnel. Il ne faut pas chercher à rendre chaleureux un manteau à col pointe. Sa stricte utilité est d’être d’une opulence ostentatoire. Pas pratique !

Bonne semaine, Julien Scavini

La position des boutons sur le devant d’une veste

Un admirable client me reprochait hier matin de ne jamais avoir parlé sur Stiff Collar de la position des boutons devant une veste. Que voilà une faille, même si comme le montre cet article j’avais bavardé sur cela quand même. Intéressons nous prioritairement à la veste deux boutons (voire un), qui pose plus de questionnement que la veste à trois boutons.

J’avais écrit ici et dans Monsieur il y a une dizaine d’année, au sortir de l’école des tailleurs, que la position du bouton principal (que l’on appellera bouton actif par opposition au bouton du bas non actif) était 2cm au dessus du nombril. Avec l’expérience, je dirais que cette valeur est déraisonnablement trop petite.

Le bouton actif sur une veste est probablement plutôt 4 à 6cm au dessus du nombril, et c’est plutôt le bouton du bas qui est 2 à 3cm sous le nombril. Cela est pour poser le débat. Une sorte de 2 tiers / 1 tiers.

Mais il y a deux variables évidentes. D’abord, le nombril n’est pas toujours au même endroit. Et ensuite, la mode fait jouer ce dimensionnement. De deux manières. Il y a la hauteur des boutons. Et il y a l’écartement entre les boutons. Deux notions qui varient avec les modes.

De nos jours, admettons que l’écartement entre les deux boutons est de 10cm pour une taille 48/50 et que pour quelqu’un de grand, en taille 58, cet écart sera de 12cm. 13 peut-être. 9cm pour les petites tailles. C’est un fait.

Cela étant posé, il y a une deux autres variables qui entrent en jeu. La longueur de la veste, évidement, et la hauteur des poches côtés par rapport au bas de la veste.

Je dirais que de nos jours, une veste en taille 48 de 74cm de long est classique. Et que la norme est plutôt à une veste moderne de taille 48 mesurant 71cm de long dans le dos. Plus courte. De ce fait, les boutons devant, s’ils respectent 10cm d’écartement, ne peuvent pas être à la même hauteur. Sur la veste courte, les boutons seront plus hauts.

Sur cette même veste, en 48 classique, la poche sera à 25cm du bas de la veste. En 48 moderne, la poche sera à 23cm. Et généralement, là est un point crucial de l’exposé, le bouton du bas est aligné sur les passepoils de la poche, autrement dit, le haut du rabat de poche.

Généralement aussi, une veste un peu courte est mariée avec un pantalon un peu taille haute. Dès lors, la ceinture du pantalon et le bouton actif sont plutôt écarté. Il est alors inévitable de voir un triangle de chemise entre cette ceinture de pantalon et le bouton. Je dirais même plus que ce triangle de chemise visible est devenu l’emblème du costume de ce début de siècle. Si vous voulez au cinéma ou dans une série faire comprendre que le costume est actuel, il faut montrer ce triangle de tissu. Comme l’illustre ce schéma :

A l’inverse, avec une veste longue, généralement le pantalon monte un peu. Dès lors, l’écart se resserre et la ceinture du pantalon s’approche du bouton inactif, voir du nombril…

Ainsi nait un théorème d’élégance : un pantalon taille naturelle, arrivant au nombril ou juste en dessus, permet à la ceinture d’être pile poil entre les deux boutons de la veste, disons au tiers bas.

J’aimerais maintenant faire une petite digression. On place le bouton bas du devant au niveau des passepoils de la veste. Et on calcule donc 10cm environ plus haut pour caler le bouton actif. Mais il est tout à fait possible de descendre un peu ce bouton bas, en donc le bouton du haut par la même occasion. J’ai tendance à considérer qu’un bouton placé au milieu du rabat, donc en gros 2,5cm plus bas est tout à fait acceptable. Et cela, je considère que c’est de la finesse. On peut positionner le bouton en haut du rabat ou au milieu suivant le client, suivant l’œil en fait. Et pourquoi pas en bas du rabat ? Cela se peut totalement oui. Voir ce schéma donc :

Sur cette photo de deux célèbres américains, on peut se rendre compte que subtilement, les boutons sont alignés sur les passepoils, mais que dans le cadre du costume marron, l’espacement est plus petit, alors que sur le costume gris rayé, l’espacement est bien plus contemporain :

16 juillet 1981 – Official portrait of President Reagan and Vice President Bush

En particulier pour le croisé. Je pense qu’un beau croisé, le carré s’aligne sur le bas du rabat de poche, ou 5cm en dessous des passepoils dans le cas d’une poche sans rabat. C’est ainsi que le croisé est le plus beau. Un carré de bouton aligné très bas permet de garder un V un peu correct et permet à ce carré d’avoir justement une belle ampleur, de n’être pas tout minuscule. D’avoir 11 à 12cm de côté en fait. Cela encore demande un peu de finesse. Si l’on fait confiance aux industriels du costume, leurs règles trop rigides donnent toujours le même résultat, sans relief. Voir le schéma ci-dessous & la photo du Prince Charles.

Sur le croisé, j’ai même tendance à penser que les poches doivent être un peu plus bas, sans en faire religion.

Cela dit, si sur un croisé le positionnement bas est idéal, sur une veste droite, le résultat peut être curieux, car le bouton du bas se retrouve fort dans la courbure de la basque.

The Prince of Wales, Charles, meeting the Vice President, Shri Mohd. Hamid Ansari, in New Delhi on November 08, 2013.

Mais revenons à l’étude initiale d’une veste deux boutons. J’ai donc dit qu’actuellement, on aligne le bouton bas sur les passepoils, et que l’on rajoute 10 à 12 au dessus pour le bouton actif.

Si l’on allonge la veste façon année 80, les boutons vont logiquement descendre, un peu. Mais à l’époque, les boutons étaient bien plus bas. Pour deux raisons. D’abord les poches étaient placées un peu plus basses. Descendant encore la ligne visuelle. Et surtout, l’écart entre les boutons était fortement réduit. Sur les vestes de François Mitterrand, on peut découvrir que 7cm environ séparent les boutons. Un extrême rapprochement qui choque l’œil actuel mais caractérise le style de cette époque, comme le triangle de chemise d’aujourd’hui. Pour autant, sur la veste de François Mitterrand, les poches ne sont pas si basses.

19 octobre 1981 – President Reagan & president Francois Mitterrand at the Battle of Yorktown Bicentennial celebration in Virginia

Pour avoir déjà mis la main sur quelques vestes typiques de l’époque, dont une formidable Lanvin de 1991, le bouton principal tombait pile… sur ma ceinture de pantalon, soit un peu en dessous du nombril. Un V superbe se dégageait. Le corolaire est une veste bien longue, mais aussi ample de partout, sans que cette ampleur soit de trop. C’est tout un équilibre savant. Ce schéma reprend cette idée de boutonnage surbaissé et rapproché.

Donc concrètement, avec votre tailleur, vous pouvez jouer sur la hauteur du pantalon, et sur la hauteur des boutons devant. Ainsi que sur l’écartement. En revanche, il est en général difficile de modifier la hauteur de la poche en demi-mesure. Mais pas impossible. Essayer de faire descendre la ligne de boutonnage doit aussi être en rapport avec une longueur de veste suffisante. Inutile de chercher à boutonner bas sur une veste de longueur moderne.

De nos jours, les vestes étant un peu courte, par effet de style, les boutons se trouvent assez haut généralement. Parfois même, les vestes sont si courtes, que le bouton actif se trouve peu ou prou à la hauteur du premier bouton d’une veste trois boutons… Je vois parfois sur des clients des vestes que je qualifie de « chinoise » vue la qualité médiocre de fabrication. Très courtes avec des tout petits revers. Le boutonnage est si haut qu’il m’évoque alors le boutonnage « paddock » des années 30 et 60 (voir photo ci-dessous). Or, on aurait pu penser qu’un styliste un peu avisé aurait rapproché les boutons et descendu ceux-ci pour donner à la veste courte et moderne un V un peu plus avenant. Ce n’est pas le cas.

Une fois cet exposé très complexe mis par écrit, je vois poindre la question ultime : mais qu’est-ce qui est le plus avantageux ? Le plus joli ? Je ne saurais vraiment pas le dire, tout est une question de mode et d’époque. D’habitude de l’œil. C’est tout le relativisme de la couture. Ce qui se fait aujourd’hui pourra être jugé comme démodé plus tard. Il est certain que les deux boutons doivent encadrer un peu le nombril. Actuellement, cet écart est d’un tiers sous le nombril et deux tiers au dessus. Il peut être de moitié moitié. Et dans les années 80, il tendait à l’inverse. Les deux sont élégants.

Le nombril correspond plus ou moins à la partie la plus cintrée du buste. Lorsque l’on est mince. En revanche, en prenant un peu de poids, cette ligne de cintrage remonte un peu, et le cintrage peut s’appliquer plus fortement sur le côté des côtes. Est-ce à dire qu’il faut monter le boutonnage ? Pas sûr. Il n’y a pas un rapport forcément évident entre position du bouton et place du cintrage peut-être.

Questionnons le 1 bouton aussi. Généralement, je considère pour ma part qu’il est au même niveau que le bouton actif. Et que simplement, c’est l’absence de bouton du bas qui crée la forme  1 bouton. Mais je ne suis pas prophète en ce domaine, et beaucoup estiment bon de descendre ce bouton actif de quelques centimètres. Doit-il alors se placer sur le nombril ? Je dirais que c’est un peu bas pour ma part, mais c’est faisable.

Enfin, le 3 boutons. L’écart n’est plus de 10cm, mais plutôt de 9cm je dirais pour une taille 48. Cela dit, j’ai déjà fait pour un client très grand 13cm d’écart. Tout est une question de proportion. .

J’espère que vous m’avez suivi !

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

En majesté

Aujourd’hui avaient donc lieu les obsèques que la Reine Élisabeth II. Un évènement particulièrement intéressant qui a clos une grosse semaine d’évènements forts intéressants également. Et télévisés.

Une pause au milieu de la guerre. Une pause au milieu de la réforme des retraites. Une pause entre Sandrine Rousseau et Jordan Bardella. Une pause au milieu du Covid. En bref, un instant de détente mentale alors même qu’une mort en est à l’origine.

Dans un monde où tout va trop vite et où le temps file sans que de moins en moins nous puissions le retenir, une telle durée de réflexion et d’introspection est rare. Et précieux. Dix jours à l’échelle d’une nation et de son histoire, vous me direz, qu’est-ce que cela représente ! Mais à l’échelle humaine, c’est long. Permettant ainsi de passer d’un état immédiat de stupeur à un état de peine raisonné et intériorisé.

Tout l’inverse de l’hystérie dans laquelle nous vivons aujourd’hui, où les évènements se repoussent les uns les autres à l’écran, et où même nos politiques nous entrainent dans un délire d’injonctions parfois contradictoires. En bref, nous avions là un moment de relative quiétude. Et pour cela, nous pouvons dire merci à Sa Majesté.

Mais nous pouvons aussi la remercier pour autre chose. Yves Saint Laurent disait qu’il faut vivre en beauté. Dans les deux sens du terme. En beauté dans un sens mêlé de panache et de dignité, question d’état d’esprit. Et en beauté dans un sens plus matériel, celui de vivre entouré de jolies choses.

Et bien dans sa mort, Sa Majesté des anglais nous prouve que cela va même au-delà de la vie. Nous n’avions pas seulement à l’écran de relatifs instants de détente sans actualité. Nous avions une apothéose du Beau. Du bien fait. Du bien ordonné. Une apothéose de la Qualité. Dans les silences même résidait la qualité lorsque dimanche soir, dans les aérogares d’Heathrow le silence s’est fait comme partout au Royaume-Uni.

Ces longs épisodes d’obsèques nationales furent l’occasion pour les yeux de voir se concrétiser l’alliance du magnifique et de l’érudition. D’abord il y avait cette organisation millimétrée qui avait comme vertu première de montrer, que dans une société de l’individualisme, il peut exister un esprit de corps très fort qui permet de mettre en scène, et de faire, des choses hors-du-commun. Et cela pendant une longue période. Il y avait la célébration du corps de la Reine. Il y avait aussi, et cela crevait l’écran, une célébration de la société dans le sens d’une communauté, des militaires à monsieur tout-le-monde en passant par les corps intermédiaires.

Il y avait ensuite la manière matérielle de voir le Beau. Les lieux, en commençant par ce survol merveilleux des lochs d’Écosse. Les villes. Les églises. Les palais. Tout cela respirant une histoire bien vivante. Et puis il y avait les berlines, pas récentes, avec leur robe « maroon » et leurs étendards, accompagnés de chevaux ou de motos. Sans parler des fleurs, si rafraichissantes.

Et puis, bien sûr, les vêtements. Les anglais nous en ont mis plein la vue. Du tissu de qualité, et des coupes proportionnées. Mention spéciale pour ce drap de flanelle rouge rehaussé de galons dorés. Une explosion visuelle. Je ne parle même pas des hérauts portant des tabards brodés, probablement les plus beaux et précieux vêtements qui existent encore en ce monde. Quant aux ecclésiastiques, ils étaient tout simplement épatants. Les habits de Vatican II peuvent retourner à la sacristie… Les militaires n’étaient pas en reste, quelle variété.

A chaque instant une tenue, à cet adage le Roi Charles III nous avait habitué. Aux divers habits militaires, il a associé la jaquette noire, celle de son mariage et un gilet avec bordure blanche, le slip. Le costume noir impeccablement coupé parachevait un dégradé hiérarchique savant, que des pochettes un peu fantaisie égayaient sobrement.

Les jaquettes étaient de plein droit de sortie et elles étaient incontournables dans les premiers cercles. Lors du Conseil d’accession à Londres, d’anciens premiers ministres étaient là pour la signature du Roi Charles. De Tony Blair à Boris Johnson, aucun ne la portait portant. Sauf un, âgé maintenant, seul à pouvoir se revendiquer Conservateur pour de vrai, John Major. Cela dit, à Westminster, Tony Blair et David Cameron la portaient très bien. Pas Boris Johnson, mais est-ce étonnant ?

Je me demandais si Emmanuel Macron serait en jaquette. Un ami me répondit « mais ce n’est pas notre culture ». Pourtant René Coty la portait très bien en présence de Sa Très Gracieuse Majesté, ce qui prouve bien qu’en France, on avait aussi le talent de faire les choses bien. Il est probable qu’une consigné ait été donnée pour que les hommes politiques du monde soient en costume noir. Sans baskets. En revanche, du côté des « Royals », uniformes militaires et jaquettes étaient bien là.  

J’ai une pensée en particulier pour David Beckham, ce footballeur tatoué dont je pensais depuis toujours que ses efforts d’habillement cachaient quelque chose d’artificiel et un peu surjoué. Qui s’installa dans la longue file d’attente vers 1h du matin, sans chichi, vêtu d’un manteau marine et d’une casquette, pour dit-il, être habillé comme son grand-père, monarchiste, aurait été habillé. Matérialisation d’une forme là encore de dignité.

Comme – il faut le dire très haut – les toilettes de ces dames. La collection de chapeaux que l’on a vu pendant dix jours est une consécration de cette mode vieux style. Quelle classe.

Chaque jour de ce long périple menant au tombeau fut l’occasion de combler quelques instants un important désir de Beau, de le respirer à plein poumon. Pour se convaincre qu’on ne vit pas que dans un monde ordinaire. Que l’érudition peut s’associer au magnifique. Que la première n’est pas obligée d’être seule, supérieure et hautaine et un fait lointain. Et que le magnifique n’est pas seulement réservé aux musées et aux intérieurs privés, ou un fait de Walt Disney. Que oui, l’érudition peut se mêler au magnifique, pour donner du Beau, sans toutefois entacher la dignité, bien au contraire.

Les anglais ont perdu une Reine. Mais ils n’ont ni perdu leur élégance, ni leur dignité. Pouvons-nous en dire autant de ce côté de la Manche ?

Bonne semaine, Julien Scavini

Ce que nous aimons n’est pas nécessairement bon pour nous

Chers lecteurs, toutes mes excuses pour cette longue pause estivale. Le travail et l’activité ne manquent pas et il n’est pas toujours aisé de trouver le temps et le courage de rédiger ces quelques lignes.

Je me félicite de constater qu’années après années, le plaisir pour la question sartoriale se maintient. Et que nombreux sont les messieurs à venir pour des costumes, pour le simple fait d’avoir un beau costume. Je me félicite que le plaisir l’emporte sur l’obligation, dans une société où par ailleurs, le costume est certainement en perte de vitesse. D’autant plus depuis l’épidémie de Covid. Il y a encore et toujours une envie. Liée ou non au travail d’ailleurs.

Et les jeunes je le vois bien sont un moteur essentiel de ce mouvement. Au fil de rendez-vous riches en questionnements et en souhaits, je prends plaisir aussi à répondre à ce désir de Beau. A vouloir bien faire.

Je suis toutefois et parfois décontenancé par les demandes. Le but est souvent le même, construire une jolie garde-robe bien étayée. Complétée par quelques pièces bien cousues de chez Drake’s, Asphalte ou Pini Parma.  J’écoute et fais en sorte de présenter ce qu’il faut avoir, quelques tissus classiques et simples.

Pour de nombreux jeunes, ce costume sera unique. Un vêtement parmi d’autres. Et très vite je constate que pour ce beau costume, la recherche ne porte pas sur un essentiel, mais bien au contraire, sur quelque chose de bien plus fort, prince-de-galles très marqué avec un carreaux rouge, ou rayure craie fortement dessinée sur un fond très clair.

Grâce à la magie d’internet, les photos d’inspiration arrivent vite, façon Suit Supply. J’acquiesce et cherche alors les bons tissus, ceux qui correspondent à cette empreinte visuelle exubérante.

Au fond de moi, je ne peux m’empêcher systématiquement de penser que cette envie, n’est pas nécessairement bonne pour le client. Que peut-être quelque chose de plus simple pour commencer, de plus facile à mettre et à remettre serait mieux. Qu’un bon costume marine avec deux pantalons ferait bien le job. Mais bon, je ne peux forcer la main. Alors je l’accompagne au mieux, le but final étant de donner le sourire.

Je continue toujours toutefois de me poser cette question. Ce que nous aimons n’est pas nécessairement bon pour nous ? Faut-il toujours suivre son envie, à quel point doit-on l’aiguiller et la rendre rationnelle ? D’autant que nous parlons d’un peu d’argent là, donc de la valeur d’un investissement.

Dans le cadre de la construction rationnelle d’une penderie élégante et fonctionnelle, peut-être qu’avoir un bon costume bleu avec deux pantalons serait préférable à l’achat directement d’un costume expressif. Qui seraient plutôt le sujet suivant.

Et ce raisonnement peut bien évidemment tenir pour beaucoup de facettes de la vie.

Il y a avec internet et surtout Instagram une dualité qui s’installe et qui s’exacerbe. A la fois l’acte d’achat peut se réfléchir en amont et se nourrir d’une réflexion dans un temps long. Ce beau costume, on peut le réfléchir patiemment, lire et étayer un raisonnement d’achat. Et à la fois, l’acte d’achat est orienté vers ce qui est frappant, marquant, qui permet une image distinctive immédiate. Un « Beau » un peu féroce, celui que l’on voit sur « l’influenceur ».

Il existe toujours une balance entre le fonctionnel et le plaisir. Le temps long et le temps court. Et le costume d’une certaine manière actuellement, lorsqu’il est un achat plaisir plus qu’un achat d’uniforme, s’inscrit dans ce schéma. Où est le curseur ?

Dans le même temps, je ne fus pas moi-même un exemple de rationalité. Lorsqu’encore étudiant je faisais acheter à ma mère une veste d’été en lin marine à forte rayure tennis et revers en pointe. Pas franchement une veste utile dans une penderie. Un simple modèle beige eut été plus rationnel. Et pourtant, je me souviens de cette veste avec un grand plaisir. Je l’aimais beaucoup.

Alors ce que nous aimons n’est pas nécessairement bon pour nous ? Tout dépend quel bout de notre cervelet nous cherchons à contenter. Aucune dépense finalement n’est utile une fois le strict nécessaire satisfait. Mais il y a toujours une petite part de vanité à satisfaire, de légère extravagance. A chacun de placer le curseur où bon lui semble. Ce que j’aime est-il bon pour moi ?

Costume bleu ciel

Cette année, le costume bleu ciel fait une petite percée. Ce sont les mariés bien évidemment qui mettent cette teinte azur sur le devant de la scène. A côté des costumes verts et bleu marine. Cette couleur est d’une certaine manière si différenciante qu’elle ne passe pas inaperçue dans l’atelier. On voit bien ces costumes au milieu des autres. Je n’en avais jamais fait auparavant, sauf pour quelques sapeurs élégants. Je pensais que cette teinte faisait peur. Et je n’en ai jamais vraiment vendu…

Pourtant, force est de constater que le bleu ciel est bien présent dans les liasses des drapiers, et depuis longtemps. Surtout les drapiers anglais à vrai dire. Regardez par exemple ces tissus de chez Holland & Sherry. Une photo est extraite de Drapers, à Bologne. Mais pourquoi tant de bleu ciel dans toutes les liasses?

Chez Holland & Sherry, à peu près chaque liasse contient un de ces bleus. Que l’on ne peut pas vraiment qualifier de « ciel » en fait. D’ailleurs, le drapier ne dit pas « sky blue » sur son site internet. Mais plutôt « grey blue » ou « pearl blue ». « Pale blue » aussi. Parfois « airforce blue », ce qui est un peu exagéré, car la nuance air force est pour moi bien plus foncée et grise.

Ces bleus ont la qualité une fois coupés en costume ou en veste, d’être il est vrai assez pâles, proche du gris en réalité. Il ne sont pas agressifs, ni ostentatoires, ni très marqués. Ce sont des teintes de bleus douces. Et passées.

Mais pourquoi diantre les anglais en produisent-ils? Ces bleus ne sont pas légion dans la rue. Et puis j’ai repensé à Hercule Poirot. Dans la série de iTV des années 1990, la costumière avait opté pour habiller le célèbre détective belge ainsi lors des épisodes se déroulant l’été ou au soleil. Superbe mise d’ailleurs avec ce gilet plus sombre :

Sur la photo ci-dessous, on retrouve cette nuance de bleue, très effacée, pouvant d’ailleurs presque faire croire à du gris. D’ailleurs, dans l’image animée ci-dessous ( le retour du fichier GIF !), on ne saurait pas tout à fait dire s’il s’agit d’un costume gris perle ou bleu nacré.

La marque Hackett je crois me souvenir avait il y a longtemps réalisé des photos de collection à Nice, avec une vieille Rolls et l’univers aristo bien mis en valeur, et un costume justement de cette teinte, était au catalogue. C’est en fait une nuance d’été, qui je pense d’ailleurs était assez commune. Je n’ai pas retrouvé d’images de Louis de Funès, ou de Bourvil, mais à mon avis, il faudrait bien observer des films des années 50 à 70 et je suis sûr que l’on trouverait une foule d’exemples.

Il y avait chez nos aïeux d’une certaine manière moins de frilosité avec les couleurs de costumes. Les nuances étaient plus nombreuses et plus variées. Et je crois que l’été, à côté du costume sable ou gris clair, le costume bleu pâle avait toute sa place.

Un homme en particulier portait toujours du bleu ciel sur scène, un de mes humoristes préférés. Avec le verbe si léger, si élégant, si poétique et raffiné, Raymond Devos !

Je vous souhaite une belle semaine.

Je ne suis pas sûr d’être parfaitement au rendez-vous dans les semaines qui viennent, car je dois finir un très beau livre, écrit pendant le confinement, qu’Hugo Jacomet me fait l’honneur d’éditer. J’ai donc, du pain sur la planche ! A bientôt. Julien Scavini

La chemise à poches !

Par le passé, il m’est arrivé de faire un éloge discret de la poche de poitrine sur la chemise. Non pour y ranger le stylo quatre couleurs, mais parcequ’en vacance, le week-end, ou en voiture, ce logement est fort pratique pour une paire de lunettes de soleil ou une carte bancaire. Et qu’évidemment sur une chemise blanche habillée, ce n’est pas le plus élégant.

Mais la poche de poitrine a ses détracteurs. Elle est même honnie, un peu dans les mêmes proportions que les manches courtes d’ailleurs. Je suis intéressé de voir toutefois que depuis quelques années, la fameuse chemise à col button-down devient plus logique avec sa poche. Ringarde, la poche de poitrine regagne quelques lettres de noblesses. Ce n’est pas Hal qui nous dira le contraire :

Un client avec qui je parlais des poches de poitrine sur les chemises il y a quelques mois m’avait rapporté qu’elles étaient forts commodes dans le cadre de chemises légères, pour l’été. Car ce morceau de tissu cache les mamelons. (J’ai appris à l’instant que c’était le mot châtié pour téton). J’ai trouvé cette idée fort baroque sur l’instant. Mais alors il faut deux poches ai-je demandé. Mais oui. Sur un lin aéré ou un zéphyr de coton, tissus aux trames très transparentes, l’effet est tout à fait certain. Et sur une chemise de week-end, avec deux boutons, cela donne un aspect très « american countrywear ». N’est-ce pas Hal ?

En regardant par ailleurs un vieux Columbo, je m’étais intéressé à la tenue d’un « cop », un policier. Je crois que c’est toujours la tenue en vigueur d’ailleurs chez l’Oncle Sam. La chemise marine est coupée dans un drap bleu, du même bleu que le pantalon. D’où une harmonie visuelle très intéressante, comme un costume, mais sans la veste :

Ces chemises de policier ont tout en commun avec les chemises de militaire d’ailleurs, là-bas et ici y compris. Avec deux poches de poitrines. Les formes des rabats peuvent varier, en couronne inversée chez Columbo comme on peut l’apercevoir.

En fait, ces poches sur la chemise reprennent très exactement formes et emplacements des mêmes poches sur une veste, type militaire comme on peut le voir.

Ce faisant, pour l’été, alors que la veste devient encombrante, ces poches présentent un intérêt double. La praticité d’abord, même si le but est pas absolument de les encombrer. Esthétique ensuite, en apportant à la chemise un surplus de style, c’est le cas de le dire. Un petit plus que renforce l’impact visuel du vêtement. Un peu comme les poignets napolitains qui m’avaient questionné il y a quelques mois.

L’été, les vêtements sont sobres et très simples, les matières pures et les effets de style raisonnables. Il n’y a pas l’opulence hivernale. Aussi, la chemise à poches, au pluriel, est un vêtement à considérer avec grand intérêt. Drake’s l’a fait.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Remonter son bénard

Les messieurs qui ont un petit rond de ventre sont souvent très interrogatifs envers le tailleur. Va-t-il les sauver ? Que peut faire le tailleur pour aider ? Deux solutions existent. La première consiste à faire descendre le pantalon sous l’estomac, donc à s’approcher d’un taille basse. Le mot est presque grossier et n’a pas souvent un bon écho.

A l’inverse, la solution est de ne rien faire du tout, de tailler le pantalon à la hauteur normale. Sur le ventre. Ah oui, mais alors, le pantalon tombe et surtout il a une cuisse large. Le pantalon est taillé comme un entonnoir, mais il est difficile de faire autrement à vrai dire et d’être très généreux au ventre et aux fessiers puis très mince à la cuisse.

Si l’homme accepte parfois cette cuisse généreuse, ce n’est pas toujours le cas de madame qui aimerait un peu de modernité. Ou de jeunesse. Reste la question de cette hauteur. Le pantalon, « il tombe tout le temps » j’entends dire. Alors il y a les bretelles, mais là aussi, rares sont les aficionados.

Et bien alors, il faut remettre le bénard en place ! Vulgairement. C’est-à-dire, sans cesse le remonter. Cela devient d’ailleurs avec le temps une sorte de réflexe conditionné, et presque une attitude en fait. En se relevant d’un fauteuil, remonter le pantalon. Après quelques pas, remonter le pantalon. Bref, faire en sorte que le pantalon retrouve sa position optimum et qu’il ait l’air beau. Presque une habitude de vieux lascars pour reprendre cet argot de titi parisien.

Je suis un grand fan de la série les « Soprano » et je prête beaucoup d’attention à Tony Soprano, en photo ci-dessus, un homme plutôt corpulent. Il porte probablement des coupes italiennes, genre Cerruti ou Armani des années 90. Des coupes généreuses, à trois pinces d’ailleurs là. Et cela m’a amusé de constater, qu’en permanence, il passe ses pouces sous la ceinture pour remettre le pantalon en place. Comme un réflexe conditionné, pour avoir l’air propre sur lui et un pantalon digne de ce nom.

Et de fait, la ligne est impeccable. Sans bretelles. Le pantalon il tombe bien, ceci probablement grâce à une coupe très étudiée appelée « big & tall » aux USA. Ça c’est du falzar de compétition pourrait-on rajouter.

Évidemment, la facilité habituelle, c’est de placer le pantalon en haut des hanches, un peu taille basse comme on l’a dit, mais cela fait ressortir le ventre encore plus. Avec un pantalon qui enveloppe bien comme ici, il faut faire un effort, celui de remonter la ceinture.

Cela dit quoi tout simplement ? Que l’élégance est un travail de chaque instant et qu’elle n’est pas une facilité. Le corps oblige.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Les revers (trop) larges

La mode est aux revers de vestes très larges. Enfin, une mode pas universelle, ça c’est sûr. A côté des grandes marques mondialisées, Boss ou Dior, Hackett ou Zegna distillant l’image de costumes plutôt sobres, aux lignes relativement sages – et donc aux revers délicatement proportionnés, entre 5 et 7cm – une autre esthétique, bien différente se développe. Elle est issue du milieu des tailleurs, des petits ateliers et de l’artisanat. Elle est plutôt une mode d’origine transalpine. Une mode qui a décidé de doubler non par la gauche, par la grande voie dégagée, mais au contraire par la droite, sur la bande d’arrêt d’urgence, et en klaxonnant qui plus est !

Quand j’ai commencé le blog en 2009, personne ne parlait des revers larges. C’est-à-dire de revers au-delà de 10 voire 11cm. Personne à l’école des Tailleurs n’évoquait cela, ni sur les forums prospères à l’époque. Il y avait une sorte de consensus classique hérité des années 90, auquel je me suis toujours référé. A force de trunk show divers et variés, et surtout grâce à cette révolution de l’image instantanée qu’est Instagram, le revers de veste généreux, opulent, voire délirant est arrivé sur le devant de la scène. Une sorte de revival des années 1970 que Pitti Uomo a démultiplié.

Mais de tels revers étaient difficiles à trouver. Les échoppes de demi-mesure n’étaient pas toutes en capacité de sortie de tels revers. Et tous ne pouvaient pas s’offrir un tailleur fait-main italien. Ou Cifonelli, un autre artisan avec Hugo Jacomet comme ambassadeur de ce style débridé. Et puis Suit Supply est arrivé. D’abord ailleurs, puis en France. Alors, même ceux qui sagement achetaient dans les grandes marques précédemment citées, se sont mis à apprécier les revers larges.

Le mouvement a pris de l’ampleur. Si j’ose dire.

J’ai suivi le mouvement en proposant de nouveaux revers plus généreux dans mon petit établissement. Avec amusement. Bien qu’à titre personnel, j’ai eu tendance parfois à passer de 9cm à 8cm sur certains de mes costumes, ce qui me semblait mieux proportionné aux nœuds papillons. On en a fait des costumes avec de généreux revers, 10, 11, parfois 12cm. 13cm fut un maximum réalisé plusieurs fois sur des vestes croisées.

C’est toujours mon avant-dernière question dans le déroulé de la prise de mesure. Avec la longueur de la veste. Le but, après plus d’une heure de rendez-vous, et de faire émerger le désir profond sur ce sujet, de faire parler l’envie, spontanée mais aussi après tant d’autres questions, réfléchie. Ces deux points, longueur de veste & largeur de revers, c’est comme une sorte d’apothéose, de point final, la déclinaison ultime du style du costume, ou de la veste.

Et souvent, je m’amuse. En particulier avec les petits jeunes, qui ont envie. Qui ont bien envie d’un revers large. Mais fidèle à ma sobriété presque protestante, je tente toujours de modérer cette envie. J’aime que les gens fassent des choix qu’ils ne regrettent pas. Avec le défaut de brider peut-être la trop spontanée envie. L’équilibre de cette balance pour un commerçant n’est jamais simple, à quel point piloter le choix du client, aiguiller son désir, en le jugeant délirant ou raisonnable.

Si l’envie d’un revers de 11cm ou 12cm est forte et clairement énoncée, je m’incline et enregistre l’idée. A d’autres moment je fais tant hésiter qu’une modération apparait. Récemment j’eus l’idée de cet article. Un client hésitait précisément pour son premier beau costume, marine, tout simple. Je lui dis alors « écoutez, là, restez raisonnable, faisons 9,5cm, c’est déjà pas mal. Si vous voulez tenter 11cm, pas de problème, faites le sur une petite veste d’été, en lin. Tentez la chose sur un article un peu moins onéreux, et d’un usage plus amusant, plus distrayant. Avec en plus un avantage, grâce à la saisonnalité, vous ne vous lasserez pas de cela. »

Car il me semble, il est là l’écueil. Et je le vois avec d’autres clients. Qui avant de venir chez moi sont allés chez Suit Supply ou dans d’autres établissements de petite-mesure. Et se sont « lachés » comme ils disent sur des revers ultra larges. A eux, lorsque je pose la question de la largeur du revers, je reçois en échange un petit rire. Jaune. « Oui bon j’avais peut-être eu la main trop lourde » avec un petit sourire en coin. Et alors nous mettons d’accord sur quelque chose de plus raisonnable, mais opulent quand même, vers 9cm. Pour ne pas se lasser de cet effet démonstratif.

C’est comme ça. Il faut bien tester pour se faire un avis. Le beau costume bien coupé est en partie à l’homme ce qu’est le jouet à l’enfant, un plaisir divertissant. Dont il faut tester les rouages pour trouver le bon calibrage. Aucune erreur n’est grave en la matière, elle est une expérience acquise.

Bonne semaine, Julien Scavini

Dimanche, c’est jour d’élection

Ils sont douze, mais dimanche soir, il n’en restera plus que deux. Nous sommes déjà au premier tour de l’élection présidentielle 2022. Quatre femmes pour huit hommes sont en lice. Et le costume reste toujours l’habit incontournable des politiques, comme on peut le constater sur les affiches placardées devant les bureaux de vote.

Incontournable je dis, à l’inverse de toutes les incantations que l’on entend ça et là sur la décontraction à l’œuvre et l’abandon du vénérable costume et encore mieux, de la cravate. Oui, mais, il y a des instants plus importants que d’autres. Et le costume, ou le tailleur s’il est féminin, est un marqueur de ces instants. Amusons nous à regarder ces affiches justement, dont le montage est ci-dessous.

Honneur aux dames. Valérie Pécresse, Anne Hidalgo et Marine Le Pen ont fait un choix d’une similarité amusante, t-shirt blanc col en V et veste bleu foncé. Dans le cas de Marine Le Pen, probablement est-ce un chemisier en soie mais l’effet est le même. On nous a toujours dit que la mode féminine était plus libre et plus inventive. On nous aurait menti !

Elles ont toutes trois poussés la similarité jusqu’aux pendentifs. C’en est presque confondant finalement. Je note principalement que l’étoffe du veston de Marine Le Pen parait plus belle, d’un bleu plus profond et riche. Avec un prénom pareil, c’est encore heureux ! Valérie Pécresse a fait le choix d’un modèle croisé de son côté. Quant à Anne Hidaldo, elle a choisi le minimalisme, avec une veste au bord sans revers. Et surtout au fond, une qualité de photo digne d’un photomaton à deux euros, sans relief aucun. Elle pourra présenter son affiche pour refaire sa carte d’identité au moins, ça lui aura servi à quelque chose.

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Reste Nathalie Artaud, sans bijou et sans tailleur, simplement une chemise en popeline imprimée. Et des lunettes rouges, bien rouges. Comme le fond d’affiche de Philippe Poutou, qui partage avec sa camarade ce goût pour le vêtement décontracté et sans chichi. Amusante similarité là encore des chemises imprimées ! C’est ce qu’on appelle une tendance. Sur l’affiche de Poutou, on arrive presque à lire la marque sur le bouton. Cela m’aurait amusé de savoir. Mais je n’aurais pas voulu la même tout de même.

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Les sept autres messieurs sont en costumes. Bleus, sauf deux, le premier étant Fabien Roussel. Je l’ai souvent remarqué à la télévision, il s’habille pas mal et là, je suis content de ce costume, un fil à fil gris anthracite de fort bonne tenue, avec une petite surpiqure qualitative. Avec une chemise délicate en popeline. Cet homme a de l’allure et sur l’ensemble des photos google, je suis assez convaincu, avec de la variété, revers classiques ou en pointes, bleus indigo ou ardoises, gris cette-fois. Ça se tient !

A l’inverse, il y a Monsieur Jean Lassalle. Je tique sur l’état du costume, qui en a probablement vu d’autres avec des épaules incertaines et un aspect général un peu ternis. Qui me fait dire que non… peut-être est-ce un costume bleu marine et non pas gris ? Mince alors ! C’est dommage, car cette cravate club est intéressante, au milieu de politiques qui n’osent rien d’autre que l’uni. Elle est jolie sa cravate, même si le nœud est un peu large pour ce petit col. Chemise est bleue, choix unique.

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Cravate aussi marquée chez Jean-Luc Mélanchon. Un bon rouge synonyme d’Internationale triomphante. Remarquez que l’affiche ci-dessous n’est pas la même que sur le montage en haut. Allez-voir. Et oui, il me semble que cette même pose est réutilisée avec des fonds différents et que la colorimétrie du costume est plus ou moins ajustée. Elle est franchement bleue sur le montage général. Les soviétiques déjà faisaient des montages savants. Ils pouvaient même retirer des gens sur les portraits. Je m’interroge sur le flou au niveau du col de chemise. Qu’ont-ils trafiqués ? Auraient-ils rajoutés sa tête sur le costume d’un autre ? Pas celui de Georges Marchais toujours, il était plus beau. Ou lui ont-ils gommé des rides ? Y’a quelque chose de trafiqué là.

Le plus étonnant est l’absence de la veste de charpentier, ou veste de peintre, ou veste d’ouvrier dont il nous avait habitué. La veste classique, anglaise et bourgeoise est revenue, mais avec des revers bien chiches me semble-t-il, et un tissu peu enthousiasmant. Comme la République, c’est lui, je le mets seul dans ce paragraphe.

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Restons à gauche une dernière fois. Yannick Jadot n’a jamais l’air d’un écolo. Cheveux bien peignés, chaussures qui ne montrent pas les doigts de pieds et cravates. Souvent la cravate, et le col roulé parfois. Et comme Monsieur Roussel, il y a un peu de variété dans ses costumes. Sur son affiche, on voit très peu de chose. Mais suffisantes pour juger que l’étoffe est de qualité, de la laine fil  à fil bleue, avec une délicate surpiqure du bord du col, signe d’un bon costume. La cravate enfin, qui pointe à l’angle est une grenadine. Ça c’est bien. Chic et sobre.

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Pas chic en revanche la veste de M. Nicolas Dupont-Aignan. Ah ces revers, c’est indigne. Rien à dire de plus. Si. Qu’il pourrait oser une cravate avec plus de relief. Je lui proposerai bien un modèle bleu à pois rouges. Mais il est interdit aux candidats de mettre du bleu, du blanc et du rouge dans l’affiche…

Passons à Eric Zemmour. Quelle déception ce petit col encore, de veste et de chemise, double peine !  Une veste indigne qui le fait retomber sur son style d’avant campagne, lorsqu’il était à la télévision. Je trouve cela d’autant plus dommage que pendant la campagne, il s’était refait un look plus précis, avec de nouvelles lunettes et des costumes marines forts bien coupés, aux épaules nettes et aux cols cravatant bien. Costumes qui, je m’étais laissé dire, venaient de chez Arthur & Fox. C’était bien. Là, on retombe dans le chiche.

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Et puis, il y a Emmanuel Macron, le Président. Choix unique, celui d’un pardessus droit à collet. Est-ce une photo réutilisée sans prédestination pour la campagne ? Que penser de ce choix du manteau ? Qu’il ne craint pas la pluie, et ce faisant est-ce une allusion qu’il est préparé et résistant ? C’est remarquable au sens premier du terme en tout cas. Peu à dire par ailleurs. Je note la même cravate que Yannick Jadot, une discrète grenadine. Et un regard de Joconde.

Paradoxalement, à l’issue de ce petit tour d’horizon, ce sont Yannick Jadot et Fabien Roussel qui portent les plus beaux costumes. Certes pas de la très grande qualité italienne, mais des vestes honnêtes coupées dans de beaux tissus. Je ne l’aurais pas prétendu initialement. Qui l’eût cru. Voici un petit amusement sartorial qui ne vaut en aucun cas profession de foi. C’est dimanche que l’on vote, n’oubliez pas.

Bonne semaine, Julien Scavini

Au dos d’un pantalon, petites découpes spécifiques

Petit sujet ce soir pour répondre à la demande d’un lecteur concernant les petites découpes présentes au dos d’un pantalon. Les avez-vous déjà remarqués? Juste au dessus de la poche arrière, il y a une petite découpe qui remonte vers la ceinture. Il s’agit d’une pince réalisée dans le tissu :

Elle permet de diminuer le volume du pantalon, qui est obligatoirement plus large au bassin qu’à la taille. Normalement, la plupart des pantalons disposent d’une petite pince au dessus de chaque poche. Elles aident à gérer le volume du fessier et à faire en sorte que le pantalon « emboite » le porteur, comme on dit. Sur ce vieux patronage, remarquez l’encoche profonde en haut du panneau du dos, en forme de coin, dont la « soudure » permet de serrer la taille :

Il existe quelques coupes qui présentent deux pinces sur chaque dos. Soit quatre pour un pantalon. Ce faisant, le volume au fessier est plus important et le modèle plus confortable. Les modélistes se méfient toutefois généralement de donner trop de bassin. Ces petites pinces, lorsque doublées, donnent beaucoup de volume ce qui peut aussi nuire à l’allure générale. C’est un choix.

Généralement ces petites pinces finissent précisément dans les passepoils de la poche comme on peut le voir sur les photos précédentes. La pointe est prise dans la couture de cette poche. C’est fait exprès. Car la tête de la pince, cousue à la machine, peut avoir le défaut de se défaire avec le temps, et la pince se délite. Au moins, lorsque la poche tombe pile à cet endroit, la pince ne se défera pas.

Et encore. Il m’est arrivé de voir des pantalons portés si serrés que même ces petites pinces avaient éclatées.

Au devant en revanche, jamais de petites pinces cousues ainsi. Jamais. Des plis pincés, qui se développent et apportent de l’aisance et du style oui. Mais pas de petites pinces cousues, sauf sur quelques modèles féminins par choix du styliste.

Le jean lui a opté pour une coupe radicalement différente. Le jean est un vêtement robuste, de travail, qui ne peut se permettre de tels raffinements. Comme je l’ai dit, ces petites pinces peuvent se défaire. De surcroit, à la fabrication, elles prennent un peu de temps pour être bien cousues. Pour le jean donc, les tailleurs de l’époque ont décidé de supprimer ces petites découpes et de mettre à la place un gros panneau, coupé en forme, c’est à dire galbant le vêtement lorsque cousu. La couture n’est pas une petite encoche verticale en forme de coin, mais une grande balafre horizontale, comme ci-dessous :

Voilà donc pour ce petit sujet. Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Le pantalon grande-mesure, un poème

Depuis quelques années que je collabore avec un tailleur pour la réalisation de costumes en grande mesure, je me félicite de constater le plaisir qu’ont les clients lors de l’essayage, en particulier, du pantalon. Le pantalon en grande-mesure, un plaisir à nul autre pareil.

Certes la veste est une œuvre d’art complexe qui demande beaucoup de travail et d’ajustements. Mais le pantalon, cette pièce si souvent vue comme inférieure, ne démérite pas. La veste, comme pièce de résistance est la plupart du temps attendue au tournant. Les clients attendent de voir l’épaule, le volume de la manche, la longueur du corps, la largeur du revers, le bon positionnement du bouton. Autant de détails qui ont été pensé et dont l’assemblage global donne le ton, l’esthétique et le plaisir du costume terminé.

Le pantalon lui, il est essayé en premier, comme ça, presque comme une formalité. Et une impatience apparait, alors que les ajustements sont faits ça et là pour caler la culotte, le rond de hanche ou la longueur.

Et puis, l’humeur se détend et le pantalon est observé. Le temps passe et le pantalon devient, en amont de l’essayage de la veste, un objet à regarder. Il devient un sujet. Le client s’assoit, teste son confort.

Souvent, pour ne pas dire invariablement, une sorte d’aise apparait, un sourire. Finalement ce pantalon qui n’était pas un gros sujet d’attente devient… une surprise. Celle d’une coupe élégante et précise, qui en même temps donne un grand confort.

Je ne compte plus les clients qui en fait, m’ont félicité (même si je n’y suis pour rien ne réalisant pas les grandes-mesures moi-même) pour le pantalon. Parfois certains recommandent quelques autres modèles, en coton ou en flanelle.

A quoi est-ce dû ? Il y a la coupe pour une part, je ne puis le nier. La coupe d’un pantalon se joue presque entièrement sur deux coutures, celle de l’intérieur de la cuisse se poursuivant depuis la fourche vers le milieu dos. De la conjonction de ces deux lignes nait le pantalon, un « siège » où résident le confort et le séant de Monsieur. Et ces deux lignes ne sont pas facile à caler, j’en sais quelque chose en petite-mesure. On fait « au mieux ». Mais en grande mesure, l’ajustement est évidemment plus simple, plus efficace, plus direct.

Je ne peux nier donc une part de la coupe. Mais ce n’est qu’une part je pense. Et pas tout à fait majoritaire. Car pour moi, tout le secret d’un bon pantalon en grande-mesure est dans le montage des intérieurs, les hausses et sacs de poches, en percaline (un coton fin) la plupart du temps. Et dans l’entoilage de la ceinture, à la toile de lin, à la fois souple et rigide. « All natural ».

Tout cela est monté à la main. Une spécificité de la grande-mesure parisienne ou italienne, où tout est fait main. Peu ou pas de machine à coudre. Mais des doublures appliquées à la main, où l’on voit l’enchainement des petits points de rabattement. Ces intérieurs si particuliers sont tels que le commun des mortels le trouve passable, mal exécuté voire grossier. C’est si différent des intérieurs normalisés et cousus machine que l’on connait. Lorsque j’ai donné des cours de couture (enregistrés par Artesane), j’ai vu l’étonnement de couturiers(ères), dont l’apothéose logique était de réaliser les intérieurs les plus impeccables possibles, orthogonaux et parfaitement bien cousus à la machine. D’une netteté d’usine. A l’inverse de la couture main qui fait irrégulier, curieux et ancien.

Mais tout est là. Et pourtant, tout est là ! Tout en souplesse. Un poème d’harmonie et de douceur contre le corps. Il vaut l’avoir essayé pour le croire. De cette pure simplicité de rabattements curieux et ancestraux, presque de rustines et de patch parfois, nait un confort inénarrable. Hélas, tout le monde ne peut l’essayer vu le coût. (Sauf à trouver quelques modèles en seconde main.) Il faut alors me croire, sur parole !

Bonne semaine, Julien Scavini

La belle laine, une niche             

Se plonger dans l’univers du tailleur est un plaisir, tant les savoirs-faire sont érudits et les matières premières choyées. Toutefois, il est utile de remettre en perspective sa place ainsi que celle des drapiers, au milieu d’un « monde » textile beaucoup plus vaste.

L’Union des Industries Textile avait publié une intéressante statistique portant sur la répartition des volumes mondiaux pour trois matières : la laine, le coton, et les fibres synthétiques. En 1994, la répartition dans l’ordre était la suivante : 4%, 45% et 51%. En 2014, elle avait évolué à : 1%, 28% et 71%.

L’usage du coton a baissé au profit des fibres synthétiques. Mais, et surtout, la laine est devenue une niche, sans parler des autres belles matières précieuses, comme le lin, le cachemire ou la soie. La laine est devenue plus que rare, elle est une goutte d’eau dans l’océan textile donc.

Et encore… cette laine, il est possible de la trouver sous deux formes de production pour l’habillement : le secteur de la maille (le tricotage), et le secteur du coupé-cousu (le tissu). Le premier secteur est je pense majoritaire maintenant. Il se vend tant de pulls à travers le monde que je suis prêt à croire, sans en avoir la statistique, que ce secteur est supérieur à celui du tissu de laine. Ce tissu pourtant, où se retrouve-t-il ? Dans des costumes, des vestes et de pantalons.

Or, le marché mondial du costume baisse. Dans un article très récent, Bloomberg nous apprenait que l’office statistique britannique venait de retirer le costume masculin (2pcs et 3pcs confondus) des 700 articles répertoriés dans le calcul de l’inflation. Il y était inclus depuis 1947. Kantar de son côté avait remarqué que le volume de costume vendu au Royaume-Uni était passé de 5 à 2 millions d’unités annuelles, sur les 10 années précédent la pandémie. Austin Reed, spécialiste du costume au R-U avait bien mis la clef sous la porte avec fracas en 2016, fermant une centaine de boutiques d’un coup. Et depuis, cela ne s’est pas  arrangé avec le télétravail. Sans avoir de chiffre en France, je peux subodorer un état similaire.  

Or le costume reste un consommateur de laine important. Donc encore une fois, que reste à la laine : la maille, un secteur par ailleurs assez porteur.

Pour autant, on voit que la laine sait encore se faire une belle place, comme le beau costume, avec le succès de Suit Supply entre autres. J’aimerais voir des chiffres précis toutefois sur cette « institution », les dernières infos que j’avais eu pré-pandémie faisaient état de fonds propres négatifs et d’un endettement record.

Mais disons que oui, les amateurs de beaux produits aiment encore la laine. Pour son tomber, pour sa netteté, pour sa fluidité. Pour ses qualités naturels indépassables ! La laine est raffinée.

Qui la porte toutefois. Non en pull, mais en pièces cousues, comme un pantalon ou une veste ? Regardons autour de nous.

Je m’étais interrogé il y a quelques mois dans Le Figaro pour savoir si la laine était un signifiant social. Chère à produire (longue chaine de production faisant intervenir l’animal), complexe à vendre (produit de haute technicité nécessitant une force de vente qualifiée), précieuse à entretenir (nettoyage à sec), la laine est capricieuse, comme tous les beaux produits. Elle se fait désirer.

Mon postulat était donc : mais est-ce que laine ne serait pas réservée aux riches ? Et donc dès lors, qu’elle serait un signe extérieur de richesse. Qui porte des pantalons en laine par exemple ? A côté du chino ou du jean, peu de monde.

Toutefois, je ne suis pas sûr qu’elle soit vraiment un signe de richesse. Mark Zuckerberg et d’autres riches modernes ont beau être plein de moyens, ils n’ont pas pour autant de la laine sur eux. Et allez dans un palace faire un tour, vous ne verrez pas une tonne de laine passer. Certes les plus grands tailleurs mondiaux travaillent la laine, mais dans des qualités infinitésimales.

Il n’y a peut-être pas un rapport immédiat entre richesse personnelle et laine. Mais une thèse statistique sur le sujet serait très intéressante toutefois à monter. Qui porte de la laine ? On peut en revanche dire qu’il y a une adhésion des porteurs de laine à son idéal. On ne porte pas la laine comme n’importe qu’elle autre matière. Il faut la vouloir et la chercher. La laine n’est pas anodine. Et elle n’est pas forcément que pour les riches. En revanche, une chose est sûre, c’est un marché de passion et la laine est un plaisir. Et ça, j’en suis ravi !

Bonne semaine, Julien Scavini

Les soufflets en haut du dos des chemises

J’évoquais la semaine dernière les pinces dos sur une chemise, permettant de galber celle-ci tout en gardant un peu de marge au cas où il faudrait élargir la taille du modèle. Parlons maintenant du haut du dos, des replis d’aisance. Attention, dans cet article, je vais me contredire à chaque paragraphe !

Ces sortes de petits soufflets sont disposées à la base de l’empiècement haut du dos, cette grande plaque de tissus spécifique de la chemise. Les vestes n’ont pas cet empiècement coupé horizontalement, créant un jeu géométrique lorsque le tissu est rayé. D’ailleurs, puisque je suis en train d’évoquer cet empiècement, notons qu’il peut être en une seule pièce. Ou en deux, avec une couture au milieu.

Pourquoi l’empiècement haut peut-il être unique ou en deux parties ? Bonne question pour laquelle je n’ai jamais eu de réponse satisfaisante. Bernhard Roetzel dans L’Éternel Masculin note que s’il est en deux parties, c’est pour permettre au chemisier de mieux régler les pentes d’épaules asymétriques. Balivernes je pense, car ces pentes peuvent être différentes même avec une pièce unique.

Je rajouterais même que les grands chemisiers font en une pièce, comme Charvet. Sans aucun rapport et a contrario, je trouve personnellement qu’une chemise avec cette couture verticale et un empiècement en deux est plus élégant, plus digne d’intérêt. Ne serait-ce parcequ’il y a là un raccord de rayures ou de carreaux à faire, plus technique. Donc plus chic, comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessus, d’une chemise Turnball & Asser. A l’inverse encore, en deux, cela consomme moins de tissu qu’en un. Les industriels seraient plus tentés de le faire en deux parties. Allez donc savoir. Et vous, y aviez-vous déjà pensé ?

Ensuite donc, ces petits soufflets. Ils sont disposés de deux manières très différentes. 1- sur les côtés, généralement sur une chemise habillée. 2- au milieu, rassemblés en plus plat, généralement sur une chemise sport, à l’américaine comme on entend dire parfois.

Sont-ils obligatoires, je ne le pense pas personnellement. D’ailleurs, il me semble que les grands chemisiers réalisant du sur-mesure s’en dispensent. Il y a plus de netteté sans ces replis. Et cela permet d’aller plus près du corps.

Et pour rebondir sur les pinces dos, je pense qu’il est totalement ridicule de mettre des pinces milieu dos et des plis d’aisance en haut. Les deux ne vont pas ensemble. Les plis apportent du bouffant  aux omoplates, que les pinces reprennent de manière brutale.

Sauf dans le cas d’omoplates très développées et musclées, et/ou lorsqu’il faut avoir beaucoup d’aisance. Comme c’était le cas pour James Bond, alias Sean Connery, pour répondre au commentaire de « Eric B ». Il m’est arrivé de le faire, mais le moins possible, car cela crée un volume fort impressionnant aux omoplates. Disgracieux même.

Le but avoué de ces replis est de donner de l’aisance aux bras, aux muscles « grand rond » et « trapèze » lors des mouvements. De manière d’ailleurs plus importante lorsqu’ils sont placés sur les côtés. En soufflet rassemblé au milieu, c’est beaucoup plus une question d’esthétique il me semble que de véritable aisance. En soufflet milieu, c’est assez esthétique, je le reconnais bien volontiers. Superbe travail de raccord à l’empiècement haut vous noterez ci-dessous :

Si l’on regarde l’histoire de la chemise, on note avec quel impressionnant volume les chemisiers travaillaient. La chemise a toujours été très très opulente, généreuse. Normal, elle était un sous-vêtement caché sous un gilet et une veste. Jusqu’aux années 90, la chemise était une œuvre de grandeur. Les plis en haut du dos peuvent être vus comme une nécessité pour gérer cette ampleur. Parfois même, j’en ai vu quatre, deux de chaque côté. Un peu comme les plis en bas des manches, au poignet. Brooks Brothers en dispose 7 petits. D’autres 3 à 4. Les chemisiers contemporains sont plus chiches avec cela (2 par exemple), pour éviter de donner trop de volume à l’avant bras de la chemise.

Je crois que les plis côtés en haut du dos sont un peu un reliquat d’une époque où les chemises étaient très amples. Très généreuses. Et que maintenant, c’est plutôt le paradigme inverse. Donc exit les replis en haut et donc, bonjour les pinces en bas, pour galber.

Mais une dernière fois, je vais me contredire. Car dans le cadre d’une chemise bien près du corps, ces petits plis sont intéressants, pour converser une certaine aisance.

Si conclusion il y a, disons que dans le cadre d’une chemise très ample ou inversement, très ajustée sur un corps musculeux, les petits replis côtés apportent de l’aisance. Dans la majorité des cas, ils ne sont pas nécessaires. Quant aux replis centrés et disposés en soufflets, ils sont eux surtout très décoratifs ! A vous de choisir !

Belle et bonne semaine, malgré cette actualité totalement déprimante !

Level expert ?

Lors d’une prise de mesure par le tailleur, beaucoup de questions sont posées. Quelles sont les formes de poches, la largeur du revers appréciée, le niveau d’aisance général, et plus encore. Le novice est totalement enseveli sous cette myriade d’interrogations, et pour chaque point, il faut fournir une réponse visuelle et indiquer ce qui se fait, ne se fait pas, où est la mode, etc.  Une vraie exégèse. Qui généralement tend au normatif. Le tailleur fait alors ce qui est dans l’air du temps. Veste courte, petits revers, pantalon fuselé, tel est le quotidien du tailleur qui veut faire plaisir, sans brusquer les habitudes.

Et puis il y a les clients plus experts. Eux savent répondre précisément sur toutes ces questions. De style d’abord. Poches. Fentes dos. Épaule classique et montée, ou napolitaine. Ajusteurs latéraux ou passants de ceinture. Etc. Une promenade élégante, même si bien sûr, toutes les réponses ne sortent pas spontanément. Cela dépend de chacun.

Ces éléments de style sont facilement appréciables et de nombreux clients, novices ou plus confirmés ont les réponses, avec plus ou moins de célérité. Parce qu’ils sont visuels. Et confrontables à des exemples en vrai, que ce soit une photo sur un téléphone : « ah oui Sylvain avait des poches comme ça aussi sur son costume », ou parcequ’une veste présente cette caractéristique dans l’atelier du tailleur.

Et puis au-delà de la notion de style, il y a les mesures. Alors là, il faut être de niveau plus expert pour avoir des notions. Les mesures sont la partie du tailleur penserez-vous. C’est vrai. Sauf pour trois en particulier, facilement saisissables par le client, car renvoyant directement à un style.

Première question : quelle ouverture du bas de pantalon ?

Deuxième question : quelle largeur de revers de la veste ?

Troisième question : quelle longueur de veste ?

Avec le temps, je remarque que les clients avec un niveaux « senior » ou « confirmé » comme on dit en entreprise, ont souvent des réponses assez précises sur ces points.

  1. 19cm
  2. 8,5cm pour un col classique, 11cm pour un col de croisé
  3. 74cm

Évidemment, ces trois réponses sont données purement à titre indicatif. Il n’est pas si facile de retenir des chiffres, là où des notions de formes sont plus assimilables.

Cela dit, bien sûr que tous les passionnés n’ont pas ces notions en tête. Ils s’en remettent au professionnel et font confiance. Et n’occupent pas leur esprit avec de telles balivernes inutiles. Quelques uns toutefois s’amusent à distiller ces trois mesures au tailleur. Ils sont chef d’orchestre, et conduisent la partition. Le tailleur note et acquiesce, satisfait le plus souvent de lire la même musique !

Bonne semaine, Julien Scavini

Les pinces au dos d’une chemise

Pendant longtemps, j’ai pensé qu’une chemise canonique, c’est trois pans de tissu, deux pour le devant et un dos. Simplement liés par des coutures côtés. C’est ainsi que je voyais les chemises et que je les trouvais d’ailleurs, chez Hackett fut un temps, avant de me lancer. Après mon installation, je réalisais des chemises ainsi, avec le dos lisse.

J’avais bien une chemise de cette marque anglaise, avec des pinces dans le dos, mais je trouvais cela suspect du point de la vue de la coupe classique, comme un excès de cintrage, une volonté trop moderne du styliste. Je suis resté jusqu’à récemment avec cette idée que les pinces dos ne servaient pas. Qu’elles étaient comme les boutons carrés et les boutonnières de couleur, une abomination contemporaine.

Et puis je me suis arrêté quelques instants pour regarder de plus près la coupe des chemises. Et j’ai confronté mes idées avec une modéliste spécialisée, chef d’atelier chez mon façonnier dans les Deux-Sèvres. Depuis, j’ai radicalement changé d’avis, au point même que je pense que les pinces dos sur une chemise, sont nécessaires et souhaitables. Et cela pour deux raisons.

Rappelons d’abord ce que sont ces pinces. Ce sont des coutures, disposées dans le dos des chemises, entre 6 et 10 cm des coutures de côtés. Ces pinces, comme leur nom l’indique, se terminent aux deux extrémités, en « mourant ». Elles commencent à 5 cm du bas de la chemise et « meurent » vers les omoplates. Une pince « oblitère » entre 2 et 4 cm de tissu, soit de 4 à 8 cm de tissu en moins à la taille de la chemise. Car les pinces sont là pour rétrécir la chemise au niveau de la taille naturelle. Pour galber le dos. Ces pinces sont couchées au fer à repasser, ce qui les plaque contre la chemise.

La première raison objective pour réaliser des pinces est la possibilité d’altération du modèle. Une chemise ne se retouche pas beaucoup. Elle peut se cintrer un peu par les coutures côtés. Mais en aucun cas, elle ne peut s’agrandir. Or, une chemise sur-mesure, et beaucoup de chemises du commerce actuellement, est plutôt près du corps. Alors lorsque l’on prend quelques kilos, la chemise devient vite serré et il n’y a rien à faire. Sauf en refaire une.

Avec des pinces dos, il est possible d’agrandir la taille d’une chemise, de la décintrer. Tout simplement en diminuant les pinces voire en les escamotant. Ce qui, mine de rien, permet de gagner environ 6 cm en moyenne de tissu au tour de taille.

Donc la première raison d’être des pinces, la plus intéressante pour un commerçant, est cette capacité à agrandir le modèle.

Ensuite, est-il logique de penser qu’une chemise avec pinces est trop cintrée ? La réponse est clairement non. Une chemise peut être conçue avec des pinces tout en étant généreuse au ventre. Les pinces en fait ne sont là que pour une chose, cintrer le dos, le galber et le faire appliquer mieux au creux des reins.

Pour autant, il n’y a aucun rapport direct entre les pinces et une chemise étriquée. C’est purement un choix de patronage.

C’est même plutôt l’inverse lorsque le patronage est bien conçu. C’est là que c’est très difficile à expliquer. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est qu’une chemise avec des pinces dans le dos a des devants plus confortables. Plus d’aisance devant, au ventre justement. Il y a une balance du tissu qui se fait au moment du patronage.

Je vais essayer de vous faire comprendre simplement, avec le dessin ci-dessous :

Prenons l’exemple d’un homme, Maurice, qui mesure 84 cm de tour de ventre. Le tour de ventre classique de la chemise serait de 84 + 8 cm = 92 cm.

Disons que les coutures côtés séparent en deux cette valeur. Le dos fait 46 cm et les devants 46 cm aussi. Il y a un équilibre, les repères violets sur le dessin du haut.

Si maintenant on veut mettre des pinces dans le dos, disons de 6 cm. Si on les applique bêtement, le tour de taille va se resserrer, de 92 – 6 cm = 86 cm. Mais ça on ne veut pas en fait, car là c’est juste trop cintré, c’est à la peine le tour de ventre de Maurice. Non, on veut toujours 92 cm de tour de ventre fini.

Alors, la chemise est coupée avec 98 cm de tour de ventre. En fait 92 + 6. Soit un dos de 49cm et des devants de 49 cm, on est toujours à l’équilibre. Mais avec l’application des pinces dans le dos, la chemise va arriver à un devant de 49 et à un dos de 43 cm. Voir dessin du dessous, avec les repères bleutés.

Avez-vous suivi ? Ainsi, le dos est plus petit est vient plaquer les reins. Et le devant est plus ample de quelques centimètres. Ce qui fait qu’à mesures égales (92 cm), la chemise est plus confortable au ventre, en position assise, et élégamment cintrée en position debout. Les pinces relâchent d’autant les devants qu’elles galbent le dos.

Au final, je ne vois que des avantages à une chemise avec des pinces dos. Un, elle est facile à agrandir s’il y a un gain de poids. Deux, elle permet une certaine aisance du ventre mou et un certain galbe du dos dans le même temps. Intéressant non ?

Reste cela dit à préciser, qu’avec une chemise vraiment ample, telle qu’on les coupait dans les années 90, et comme probablement on les recoupera un jour, les pinces ne servent à rien, car de toute manière, de l’aisance, il y en a partout. Mon raisonnement est donc valable pour une chemise moderne, relativement près du corps.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Ventrales ou classiques ?

Au cours de la conversation visant à définir les contours d’un manteau sur-mesure, ou même dans la réflexion d’un styliste concevant du prêt-à-porter, la question des poches vient forcément. Un manteau classique de ville, un pardessus, qu’il soit droit ou croisé, présente généralement une poche de poitrine et deux poches un peu plus bas, au dessus des hanches, à l’instar de n’importe quelle veste.

Traditionnellement, ces poches présentent des rabats, insérés entre des paires de passepoils. C’est ainsi que le manteau se conçoit dans son absolu classicisme. Un rabat de chaque côté. Parfois une poche ticket pour faire plus anglais. Souvent ces rabats sont disposés horizontalement, parfois un peu en biais, là encore pour faire plus anglais. Pour donner un côté un peu plus sport au manteau, il est aussi possible de disposer le rabat par-dessus une poche plaquée, dans une configuration souvent appelée « boite-à-lettre », typique du polo-coat par exemple.

Traditionnellement aussi, l’imper de forme plus trapézoïdale, que l’on appelle aussi un « mac », avec son col « chevalière » entourant le cou et ses manches parfois raglan, présente lui aucune poche en poitrine, jamais, et des poches pour les mains disposées de biais, facilement accessibles. Ces poches, on les appelle poches ventrales ou poches costales, c’est selon. Elles sont idéales pour accueillir les mains au chaud.

Normalement, un manteau de ville présente des poches à rabat, qui ne sont pas faites pour mettre les mains dedans, ou alors avec l’allure décontracté du prince Charles ci-dessous qui sait que les (bons) vêtements sont faits pour être usés. Et normalement aussi, l’imper (autrement appelé gabardine, balmacaan, mac, mackintosh, raglan, etc), développe son élégance en ayant recours lui à de belles et accueillantes poches.

D’un côté donc une allure travaillée non pour l’immédiat confort mais une certaine allure, statutaire, & de l’autre une allure plus souple qui découle d’une recherche de confort immédiat. Vous me suivez ?

Seulement, depuis de nombreuses années, les manteaux de ville aussi sont passés à la poche ventrale, qui est même possible en mesure. Ce qui donne alors le choix au client. Et aux stylistes. De fait, on a vu déferlé des manteaux de ville, en laine épaisse, avec des poches ventrales. L’inverse n’étant pas vrai. L’allure d’un manteau classique et de ville, la décontraction de l’imper. Et un grand plaisir pour les mains comme le montre le Prince Philip un peu plus haut.

Et une défaite pour les gants. Car le manteau de ville avec ses poches à rabats ne permettant pas aux mains de trouver un refuge chaleureux le long des côtes, doit s’adjoindre les services de gants. Qui se font rares aux mains des hommes. Aux célébrations glaciales du 11 novembre en 2018, les chefs d’Etats sous l’Arc-de-Triomphe se les gelaient littéralement. Je me souviens que seul le Président Américain avait des gants. Le gant a perdu la bataille. Les poches ventrales ont gagné.

Mais est-ce élégant ? On me pose souvent la question au moment de choisir ce détail de style sur un pardessus classique. Moi je préfère un manteau de ville avec des poches à rabats. C’est plus comme ça que je l’aime. Mais je reconnais volontiers que pouvoir disposer ses mains dans des poches costales est très agréable. Je laisse le choix et ne tranche pas. Ce qui met alors les clients dans de beaux draps. Que choisir ?

L’élégance classique et racée des poches à rabats ? Ou celle plus instinctivement agréable des poches ventrales ? Telle est la question. Avez-vous une réponse ?

Belle semaine, Julien Scavini

Le mystère von Bülow, part. 2

Dernière partie ce soir sur Le Mystère von Bülow, une étude d’élégance années 80 entamée la semaine dernière. Dernier personnage masculin ce soir, M. Claus von Bülow, interprété par l’immense Jeremy Irons, dont il faut absolument voir, et entendre, la performance en version originale. Un phrasé et une hauteur d’être (certains diront une arrogance) tout à fait délicieuse.

La garde robe de Jeremy Irons fut sélectionnée et proposée par la maison Cerrutti, qui se proposait à l’époque bien souvent pour collaborer avec le cinéma, comme sur les films Pretty Woman ou Basic Instinct. De quoi forger une légende de l’élégance! La garde robe fut complétée par des pièces de chez Ike Behar, une marque américaine que je ne connaissais pas du tout. Ci-dessous le générique :

Jeremy Iron, aka Claus von Bülow n’a pas à l’écran une garde robe très étendue. Au contraire, elle est plutôt réduite, avec comme principal intérêt il me semble, d’être là pour donner l’esprit de la scène. Ni plus ni moins, pas d’esprit de tapage. Urbain-habillé, ou décontracté-campagne, ou intermédiaire, ou nuit. Homme de beaucoup d’argent, la production aurait pu décider de lui donner pour chaque scène un nouvel habit. Ce ne fut pas le cas. Notamment, sa veste en cachemire, toute simple, revient souvent. Le fond est vert « lovat » ou vert-de-gris, à peine rehaussé d’un carreaux ocre et jaune. Il alterne pantalon de velours vert bouteille ou pantalon de flanelle grise, col roulé ou chemise. Trois boutons en bas de manche.

La cardigan brun observé ci-dessous revient plus loin, sans veste. Notez les pantoufles en velours brodées.

Il y a aussi ce sweater à col châle, peut-être un cachemire écossais, lourd, sinon un gros shetland. Il est coupé à la même longueur qu’une veste. Je ne suis pas sûr de trouver cela très beau. Mais c’est sans doute confortable, et doit tenir chaud dans une maison froide.

Au registre des mailles, il y a aussi ce polo manches longues en laine. C’est élégant et raffiné.

On voit aussi un blazer croisé, tout à fait classique, sans fente, comme c’était encore la coutume pour les vêtements italiens de prix dans les années 80. Sinon, chemise bleue simple, ou bleue avec une rayure espacée, déjà vue précédemment. Remarquons le pois, motif archi-classique, d’abord en pochette, ensuite en ascot.

En puis il y a les costumes. Un croisé tout à fait simple, gris anthracite d’abord. La même chemise est utilisée deux fois. Les cravates varient, la rouge fut aperçue un peu plus haut. On constate une recherche de camaïeu avec la pochette, choisie plus ou moins en raccord avec la cravate. A titre personnel, je n’ai jamais tellement aimé cela !

Un seul autre costume apparait, dans une seule scène, avec veste droite à rayures. J’aime bien ce petit « gap collar » typique des années 80, une figure de style de mode, caractéristique bien souvent de vestes très confortables, opulentes. Et qui, à l’époque, n’était pas vu comme un défaut, même s’il ne fallait pas en abuser.

Fini pour les costumes. Passons aux smokings. Claus von Bülow semblait être une sorte de dandy, avec petite touche d’extravagance autorisée. Sous un smoking, il porte un gilet rouge. Sous l’autre (scène située fin des années 50), un gilet à fleurs. C’est d’un goût affreux. Mais cela se faisait. Au moins le papillon est-il noir, ce qui donne un semblant de normalité à l’ensemble. D’autant plus que les gilets, très échancrés, se voient très peu. C’est donc, presque au fond, un non sujet. Une extravagance discrète, et presque plus raffinée qu’un papillon de couleur.

Côté vie en intérieur, le film présente une belle collection de robes de chambre, de pyjamas et une veste d’intérieur à motif cachemire délicieuse. C’est là peut-être qu’il y a le plus de raffinements.

Pour finir, observons ce Barbour, tout simple, utilisé pour sortir les chiens le matin à Rhodes Island. Et un pantalon de flanelle, tout simple, avec une petite ceinture noire brillante.

La costumière du film, Judianna Makovsky, avait à l’époque 23 ans. On peut dire, que c’est une belle performance pour un tel âge. Certes, elle fut aidée par la grande maison Cerrutti, mais tout de même, il fallait un peu de hauteur de vue pour saisir et distiller, suivant les personnages, autant de qualités esthétiques. Nous l’avons vu la semaine dernière. Le fils, habillé façon étudiant de la Ivy League. L’avocat, dans la même veine, avec un côté prof en plus, tendance gipsy parfois. Et Claus von Bülow, richissime mais sans tapage, dans un confort doux et sans complication. Tout cela fut fort intéressant, varié, mais sans excès. Raisonnable et compréhensible.

J’espère ce que cette revue filmique vous a intéressé. Je vous souhaite une belle semaine. Julien Scavini

Le mystère von Bülow, part. 1

Arte, heureusement que cette chaîne existe ! La semaine dernière, elle diffusait un film que je ne connaissais pas, sur une histoire que j’ignorais, Le mystère von Bülow de Barbet Schroeder. La présence de Jeremy Irons, par ailleurs oscarisé pour ce rôle, m’a poussé plus assurément sur le canapé et quel plaisir ce fut. Quelle histoire passionnante. Quelle interprétation. Quels décors. Bref, un film passionnant, c’est assez rare. J’ai eu envie d’en tirer un billet largement illustré. Un travail difficile à faire pour illustrer la garde-robe classique.

Trois personnages ont attiré mon attention : Jad Mager jouant le fils de Sunny von Bülow Alexander von Auersperg, Ron Silver jouant l’avocat Alan Dershowitz, auteur du livre dont est tiré le film, et bien sûr Jeremy Irons en Claus von Bülow. Trois vestiaires tout droit sortis des années 1980. Revue. Les costumes sont signés d’une jeune costumière à l’époque, Judianna Makovsky.

D’abord le générique. Sublime, d’hélicoptère, sur les extraordinaires maisons de Newport à Rhode Island, finissant sur la plus grosse de toute, The Breakers, la villa des Vanderbilt.

Pour les amateurs d’architecture, on voit d’ailleurs dans ce générique apparaitre une maison fort célèbre du cinéma, puisqu’elle fut celle de Gatsby, dans le film des années 1970 dont j’ai fait la chronique ici :


Lançons nous sur Jad Mager jouant le fils de Sunny von Bülow Alexander von Auersperg. Le personnage a entre 20 et 23 ans suivant les instants du film. Son vestiaire est celui d’un garçon ayant fréquenté la Ivy League. Pull cricket, pantalon de velours et mocassins à pompons. Les dimensions sont généreuses, marqueur d’une époque. Admirez aussi cette argenterie de dingue !

Un petit peu plus loin, c’est un cardigan tartan qui fait son apparition, avec une découpe raglan à l’esthétique hautement questionnable.

Cette cravate club est récurrente. Je suis sûr qu’un lecteur en connaitra le nom ou l’université émettrice ? Charmant manteau camel à la coupe opulente.

Remarquons subrepticement les souliers, des dirty bucks. Et un jardin que j’aimerais avoir.

Dirty bucks que l’on voit clairement dans cette image d’une autre scène, où il porte un chino simple couleur amande. Glenn Close est magistrale. Et insupportable. Avoir autant de belles choses et être aussi perdu, diantre…

Revenons à Alexander. Remarquons son blazer croisé, et le retour de la cravate, portée sur une chemise OCBD, avec un chino. Publicité pour Ralph Lauren certaine ! Sa grande soeur Ala von Auersperg, au regard assez dur, est assez peu présente dans le film. Son vestiaire navigue entre le mémère et le grand chic. J’aime dans les deux cas !

L’accord qu’il fait entre cette cravate rouge bordeaux à rayures grises et la chemise à rayures bâton est très intéressant par ailleurs, en camaïeu avec la veste :

Je suis moins sûr de cette veste, au tissu très discutable. J’aimerais avoir la vue de ce bureau en revanche.

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Passons maintenant à l’acteur Ron Silver interprétant l’avocat Alan Dershowitz, qui est l’auteur du livre dont est tiré le film, et qui fut l’avocat de Claus von Bülow. Une vestiaire encore une fois très preppy. Dershowitz avant d’être un avocat, ou en même temps, est professeur de droit à Harvard. Les choix vestimentaires sont donc orientés pour distiller cette impression universitaire. Il n’est pas collé monté. Sa première apparition l’indique immédiatement, sweat, jean coupé et Converse montantes. Un lettré humaniste ET joueur de basket, l’idéal Ivy League.

Il doit se rendre chez son client. Il s’habille donc. Avec une veste de tweed surpiquée à la machine vaguement sack-suit, poches plaquées à rabat sur les côtés, une seule fente dos. Une chemise à col boutonné. Cravate paisley. Chino classique amande et souliers wallabees de Clarks. Typique! comme dirait Patrick Bateman… Remarquez la Rolls-Royce Silver Shadow.

Dans les instants moins formels, une chemise en chambray lui suffit, qui peut s’augmenter d’une cravate. Ceinture de cuir étroite sur son chino.

Ici une cravate intéressante. Bold disent les américains.

Les chemises sont variées. Grand tartan façon plaid, en coton indigo ou écarlate, la costumière s’en donne à cœur joie.

Et toujours ses chaussures à plateau, type wallabees. Joli pull façon Arran, avec ses tresses moelleuses.

Dans une autre scène, on le voit avec un pantalon vert, assez rare. Laine ou coton ? Pince et coupe généreuse.

Le procès arrivant, il s’habille. Trench d’abord, un classique des années 80. Costume marine simple, chemise OCBD et repp-tie, là, on dirait une publicité Brooks Brothers. Il a le bon goût de sortir une petite pochette blanche. C’est ça le savoir-vivre.

Et retour à quelque chose de plus simple. C’est l’heure du basket.

Bon le temps passe et j’ai encore raté la moitié du film sur Arte. Amadeus ce soir. Je finirais donc ce billet en traitant de Claus von Bülow la semaine prochaine. Je vous souhaite une bien belle et heureuse semaine, avec ou sans jardin charmant, avec ou sans bureau avec vue ! Julien Scavini

Le col roulé

Un pull à col rond, un pull à col en V ou un pull camionneur (dit aussi à col zippé) imposent de mon point de vue une chemise. C’est incontournable dans mon esprit. Même le week-end. Si si… Leur encolure est un espace laissé libre pour que le col de chemise s’exprime et se montre. Cela dit, c’est une vision bon chic bon genre, je le concède.

Pour moi, les pulls évoqués, portés sur des t-shirt ou les pulls à même la peau, je passe. Cette esthétique ne m’intéresse pas. Parce que le cou n’est pas habillé et qu’il fait girafe sur la plupart des hommes. Parce qu’aussi les poils du torse qui dépassent en haut du pull sont une horreur. Et parce qu’enfin, on a vingt ans qu’une seule fois. Sous un pull donc, une chemise est incontournable.

Seulement voilà, les chemises ne sont pas toujours propres, pas toujours repassées. Et puis le week-end, pris d’une forme d’ennui, on a la flemme de sortir une belle popeline ou un gros oxford. La vie des élégants aussi est difficile vous savez. Alors, heureusement, il reste toujours un polo à manches longues un peu vintage qu’on a gardé de la fac pour mettre sur le t-shirt et aller à la boulangerie.

Et puis, il y a le pull à col roulé. Celui que je n’ai pas et que je n’ai jamais eu du reste.

Dans les années 2000, je me souviens que le col roulé était jugé dépassé. Ringard. Il n’y avait que le Docteur Sylvestre pour en porter. Et des marques d’outerwear surf et montagne pour en sortir. J’étais resté sur cette idée. Force est de constater qu’il est partout ces temps-ci. Rien qu’autour de moi, trois collaborateurs le portent quasi-quotidiennement avec élégance me semble-t-il. Parfois sous une veste, façon riche milliardaire. Parfois sous une chemise, façon bucheron du boulevard Beaumarchais.

A regarder beaucoup d’exemples sur Google Images, il me semble qu’aujourd’hui, le col roulé est plus à l’aise et plus à la mode sous quelque chose. Le col roulé épais façon marin pêcheur existe bien sûr, comme une importante pièce de dessus à porter avec un important caban ou un balmacaan. Empilage de pièces robustes. Mais il n’est pas majoritaire. A l’inverse, le col roulé fin, il épouse le corps et enveloppe le cou en restant en position seconde, derrière quelque chose, sur-chemise, veste ou blouson léger. Le fameux concept du « layering » des blogs spécialisés.

Il a plus d’allure en étant second plutôt que principal. D’autant qu’avec l’âge, il me semble que les mailles sont traitresses. Elles ne mettent pas tellement le corps en valeur. Elles en montrent au contraire les excès et les rondeurs. La maille est dangereuse. Mais le pull à col roulé évite cet écueil lorsqu’il s’associe à une autre pièce le recouvrant.

Ce faisant, ce col roulé fin, porté « sous », se rentre facilement dans le pantalon. Il se paye ce luxe ! Fait assez notable. Il occupe en fait la place de la chemise, qu’il remplace. Ce qui est très commode. Il a donc le droit de présenter des lignes tendues et maintenues dans la ceinture du pantalon.

L’avantage du col roulé, c’est qu’il permet à la chemise de rester au placard. Dès lors aussi, le gentleman peut triompher de sa flemme. Il peut se contenter d’un t-shirt ou d’un marcel dessous. Point d’effort, c’est la révolution de la maille, dessus et dessous ! Maille d’ailleurs qui peut se présenter comme une troisième couche, sous la forme d’un cardigan. T-shirt, col roulé puis cardigan. Voilà un trio tout en confort et en décontraction. Une élégance à la Jeremy Irons. Point de méprise donc, le col roulé n’est pas qu’une simplicité. C’est aussi une élégance. Une allure.

Comme toutes les mailles, le col roulé est du genre solide. Et il n’est je pense pas très utile d’en posséder une grande variété. Cette pièce a tellement de caractère et de noblesse – si si, j’ai lu cet épithète sur BonneGueule, alors je le réutilise volontiers – qu’il est peut-être heureux d’en posséder un très beau. En cachemire écossais par exemple, qui durera des années et ne perdra pas trois tailles au premier lavage. Un peu comme on a besoin d’un seul service à thé, autant qu’il soit d’un pédigrée très distingué. Je ne sais pas où je vais trouver le mien ?  

Petit amusement pictural

Petit amusement ce soir autour d’un tableau. Je vous invite d’ailleurs à vous livrer à ce petit jeu en commentaire.

Paris brille en ce moment de belles expositions. Il y a à la Fondation Vuitton, La Collection Morozov. Icônes de l’art moderne. Et au Petit Palais, Ilya Répine. Peindre l’âme russe. La foule s’y presse. Malgré l’encombrement des salles, voilà une bien heureuse façon de commencer l’année et de surtout, de déconnecter de ce jour sans fin qu’est le Covid et ses informations associées. Du beau.

Un ami m’a envoyé une photo d’un tableau de 1873, d’Ilya Répine (1844-1930). Voici la photo :

Le cartel est le suivant : « Répine livre ses premières impressions de Paris dans des scènes de genre, qui étaient alors à la mode. L’artiste choisit comme décor une rue animée de Paris, reconnaissable à la colonne Morris qui fait la réclame pour un bal populaire. Mais le spectacle est aussi dans la rue, mené par cet habile charlatan qui fait l’article et propose des fioles de différentes couleurs, à une assistance médusée. »

Je ne sais pourquoi, j’aime beaucoup ce tableau. Tout un monde y figure. Un vieux monde. Un autre temps.

Mon ami me posait une question à propos du monsieur asiatique au milieu. « Le chapeau haut-de-forme n’est-il pas exclusif des soirées et tenues habillées ? »

La réponse est à deux niveaux. Oui, avec le temps, le haut-de-forme est bien devenu le chapeau habillé. Celui que l’on porte avec la queue-de-pied, ou la jaquette. Le chapeau des bals ou des mariages. Ou des courses à Ascot.

Mais non par ailleurs. Car en 1873, c’est un chapeau bien plus courant, pour la simple raison que tout le monde porte un chapeau. De par le fait, ce modèle est plus usuel. Les adaptations de Dickens en font souvent grand usage, pour les riches comme pour les pauvres. Pensons aussi que le haut-de-forme repliable existe. Il s’appelle le chapeau-claque ou le gibus. La peinture ne nous dit pas s’il s’agit d’un haut-de-forme de grand qualité, un « huit reflets » comme ils étaient parfois appelés, ou un bête chapeau de troisième main.

Voilà pour la réponse.

Toutefois, ne nous arrêtons pas là. Continuons de regarder ce chinois. Lui nous regarde bien.

Son chapeau tout de même colle bien avec sa tenue, qui est plutôt élégante. Gilet et pantalon noir, cravate nouée (on disait une régate à l’époque). Il n’y a pas de dissonance entre cette tenue et son couvre-chef.

Toutefois, il porte une blouse. D’où la confusion de mon ami. J’évoquais avec lui la possibilité que ce chinois, voulant assister au spectacle, aurait rapidement pris son chapeau et n’aurait pas enlevé sa blouse. Son frac ou sa redingote restant sur la patère. Il n’a pas pris le temps non plus de resserrer son col de chemise qui baille un peu. Ou alors est-il en pause. Peut-être cache-t-il une cigarette dans son dos ?

L’homme au premier plan à droite, celui qui se fait alpaguer par le margoulin, porte lui la tenue complète, avec redingote croisée. Tout en noir.

Mais notre chinois a une blouse. Là est le jeu de ce soir. Quel peut bien être le métier de celui-ci ? Pourquoi porte-t-il une blouse ? Et l’homme à côté aussi. Sont-ils collègues ?

  • Ce ne sont pas des peintres. Leurs blouses sont éclatantes.
  • C’est une blouse que j’ai vu sur des menuisiers. Le sont-ils ? Mais notre chinois n’aurait peut-être pas un si joli costume dessous.
  • C’est une blouse de sculpteur peut-être. Métier érudit. Est-ce que l’homme en bleu à droite est son assistant ?
  • Ou l’inverse, l’homme en bleu est-il un sculpteur de renom auprès duquel notre chinois se formerait ?
  • Mais l’homme en bleu porte des sabots tout de même.
  • Sinon, autre hypothèse. Notre chinois serait-il … préparateur en pharmacie ? Cela expliquerait la blouse ET la tenue élégante.

On peut continuer à disserter sur le sujet. Que voyez-vous de votre côté ? Qu’en pensez-vous ? Quelle hypothèse étayiez-vous ? Nous ne saurons jamais. Alors autant s’amuser ! Pour vous, que fait donc ce chinois ?

Amusez-vous bien et belle semaine ! Julien Scavini

La difficile question de la transition

Rassurez-vous, nous ne sommes pas là pour discuter du changement de sexe, sujet à la mode. Mais d’un thème bien plus prosaïque, celui de la transition de garde-robe, autrement dit, du long et fastidieux apprentissage du goût. Voire plutôt, de son goût.

La question m’est posée assez régulièrement par de jeunes clients – parfois pas si jeunes d’ailleurs – de comment appréhender la transition entre une penderie de style ou de forme jugée dépassée, à une nouvelle penderie. Sans être millionnaire, ce qui permettrait évidemment de tout refaire d’un coup. Hypothèse intéressante d’ailleurs. Et si vous gagniez une fortune professionnelle ou au loto. Fonceriez-vous chez un tailleur ou un magasin en particulier pour tout racheter ? Solution facile. Presque trop peut-être.

Un client est récemment venu commander un costume. Ligne plutôt classique, avec un pantalon assez fuselé tout de même. A l’essayage, avant de terminer les manches de la veste, nous avons ensemble regardé les manches de sa chemise. Qui n’étaient pas, nous étions tous d’accord, assez longues. Mais comme il dit,  « elles sont toutes comme cela. » Devions-nous respecter ces manches courtes et faire des manches de veste encore plus courtes ? Non, nous optâmes pour une solution rationnelle, celle consistant à couper les manches de veste comme il faut, vers la bosse de la tête du cubitus. « Il me faudra refaire les chemises petits à petits ». Hélas je ne pouvais pas dire autre chose.

J’avais moi-même beaucoup butté sur cette épineuse question, avec la chance toutefois d’avoir trop souvent des manches de chemises trop longues, qu’un retoucheur facilement pouvait me raccourcir. La tâche délicate fut de trouver un retoucheur qui ne me prenne pas une fortune pour cela, je n’étais qu’étudiant.

Quelques semaines après avoir récupéré son costume, notre client est revenu ravi. Il a recommandé un second pantalon, pour avoir un peu de durée de vie sur ce costume. Mais il a choisi de prendre une coupe de pantalon résolument plus classique, un peu plus droite et intemporelle. Dont acte, nous avons repris quelques mesures. A la livraison, il fut si enthousiaste qu’il a fait retoucher, dans le sens d’agrandir, le premier opus. Son goût avait évolué.

C’est le plus fort écueil lorsque l’on débute. J’eus bien des soucis avec cela au début de ma boutique, pour moi-même. Je testais beaucoup, surtout les pantalons, parfois avec des modèles franchement larges. Et même si j’avais quelques costumes, il n’était pas facile de composer assez de tenues sobres et élégantes pour tous les jours de tous les mois de l’année au travail. Je devais jongler entre des chemises médiocres et d’autres plus belles. Des costumes moyens et d’autres très biens. Certains jours enchanteurs, tout allait ensemble. D’autres, c’était un peu l’as de pique.

Quand bien même on aurait l’argent pour tout faire, je ne suis pas convaincu que cela soit bon et utile. Car en même temps que la penderie se structure et évolue, que l’on est content d’acquérir des vêtements beaux et bien fait, le goût lui-même se crée, et évolue. Et c’est précisément parceque l’on porte des vêtements qui ne vont pas toujours bien que l’on se rend compte et que l’on mesure les évolutions. Et que l’on en prend conscience.

Ce faisant, ce qui est un regret de jeunesse, celui de ne pouvoir pas bien faire tout de suite, devient avec le temps une force. Une assurance en somme.

On ne peut mesurer la perfection de quelque chose qu’à l’aune de ce que l’on a testé, traversé et connu. Avoir de piètres vêtements, faire des erreurs d’achat, ne pas bien faire comprendre ce que l’on veut au tailleur ou au vendeur arrive. Et arrive à tout le monde. Il faut parfois comme le dit l’expression, « mettre son mouchoir dessus » et passer à l’étape suivante.

Un jour chez Old England, j’avais timidement esquissé une remarque sur la longueur des manches d’un trench. La vendeuse avait cru que je voulais raccourcir, ce qu’elle fit. Je n’avais pas osé parler plus. Les manches après furent trop courtes. Je le portais comme cela pendant quelques années. Et puis tant pis.

Je me souviens aussi, par un empressement heureux, avoir acheté par correspondance aux États-Unis deux paires de souliers Alden, pour un certain prix plus la douane. Sans trop connaitre ma pointure. Qu’est-ce que j’ai souffert dans ces richelieus trop petits. Je les ai portés un peu, puis je les ai donnés. Je n’aurais eu qu’une paire, c’eût été préférable. C’est comme ça.

Surtout que jeunesse passant, on découvre une chose, c’est que la penderie idéale n’est qu’une vague idée, et qu’à mesure qu’on pense y aboutir, la vie et ses chemins remettent en question cet idéal. Combien de jeunes papa ont pris des kilos à l’arrivée de leur premier enfant, devant faire définitivement une croix sur les pantalons en 38 ?

Et puis soit même on peut se lasser d’un goût que l’on pensait sûr. Un client d’un certain âge, au look affirmé de vieux rockeur, me confessait que dans sa jeunesse, il cherchait des meubles de style Chippendale, des fauteuils en cuir et des souliers Alden, point de départ de notre conversation. Le vrai style Old England, où d’ailleurs travaillait son père. Et qu’après la quarantaine, il n’en avait plus rien à cirer. Mais rien. Ce qui ne l’empêchait pas d’aimer les chemises en « sea island » et les chinos confortables en coton et cachemire.

La transition entre une garde-robe que l’on juge dépassée et une nouvelle plus en adéquation avec un apprentissage normal des élégances de la vie est un processus heureux, mais certes fastidieux. La vie est longue. Et probablement constituée de bien des cycles. L’important c’est de faire un effort. Point de se rendre malade pour de simples questions de tissus. Il faut relativiser et avancer tranquillement. Avec patience, on peut arriver, sans s’en rendre compte, et parfois assez vite, à une penderie homogène, raisonnable et élégante. Qui presque instantanément sera l’objet de nouveaux questionnements et de possibles redirections!

A méditer. Belle et bonne année 2022. A bientôt, Julien Scavini

Une robe de chambre ?

Qui aurait pensé vivre un confinement général ? Nous fûmes bien obligés de rester cloitrer, à travailler devant un ordinateur. L’année dernière, Le Figaro m’avait demandé une petite série d’articles sur les vêtements d’intérieur. J’avais fait les slippers. Puis le pyjama. Le bonnet de nuit. Et la robe de chambre. Avec amusement, je m’étais prêté à l’exercice et pour cette dernière, j’avais pris un plaisir particulier.

On l’appelait banyan au XVIIIème siècle. Nombreuses sont les personnalités à s’être fait portraiturer ainsi vêtu, en Grand décontracté. Le XIXème siècle bourgeois l’avait dignement réinterprété, avec force brandebourgs et collets matelassés. Dans les années 50, un certain art de vivre l’amène dans les foyers les plus divers. Jean-Pierre Stevens, le mari de Ma Sorcière Bien Aimée en porte une assez souvent, même si la matière « vinyleuse » est affreuse. Cela dit, elle s’esquive très vite. La faute au chauffage probablement. ll en reste le peignoir, ou sortie-de-bain, façon grand hôtel.

La robe de chambre, voilà bien un vêtement rare et peu ordinaire. On n’en voit que dans les films. Il est vrai qu’un tel vêtement pose un personnage. Cette robe opulente, tellement accessoire dans une garde robe, est plutôt un vêtement d’homme argenté. Elle vient après le reste et de fait, il est logique que tout un chacun oriente ses deniers vers des habits plus essentiels. Il faut dire aussi que les tarifs sont relativement élevés. Chez les anglais spécialisés, comme New & Lingwood (admirez les somptuosités proposées !), les tarifs sont stratosphériques, comme chez Charvet à Paris. Sinon, pour quelques centaines d’euros, on peut dénicher des robes de chambre en tissu de chemise, simples et légères, comme chez Derek Rose. Mais elles sont alors plus un article d’élégance qu’un vêtement fait pour donner chaud.

Car fabriquer une robe de chambre est relativement onéreux. La consommation de tissu est très conséquente par rapport à une veste, ou même un manteau, et il n’y a pas beaucoup d’atelier pour faire cela. Et puis il faut le trouver le tissu adapté.

Coincé à la maison à travailler devant mon ordinateur, je m’étais interrogé donc sur la robe de chambre, et j’avais compilé quelques modèles qui me faisaient envie. Avec le déconfinement, j’ai pu trouver un atelier en France et y réfléchir plus avant, vraiment pour le plaisir. Après un premier prototype en flanelle, tissu vraiment simple, je me suis fait la réflexion que c’était un peu léger. Qu’une fois sur le dos, sans trop de chauffage, cela ne donnait pas vraiment chaud. Trop de fluidité aussi. Comme beaucoup de modèles de robes de chambre du XIXème siècle présentaient des revers matelassés, j’ai eu l’idée d’en employer aussi. Sur les revers au début, puis seulement à l’intérieur ensuite. Tellement amusé par ce prototype, je me suis dit, et bien pourquoi pas en faire quelques unes ? Et voilà le résultat. Évidement, il eut été plus intelligent de les vendre bien avant Noël pour quelques cadeaux bien sentis. Mais la faute à la crise des matières premières, les retards se sont enchainés, du tissu de chez Vitale Barberis à la production chez Hervier. Mais enfin, elle est arrivée. Tout vient à point qui sait attendre.

Voici donc ma première robe de chambre. Flanelle bleu marine italienne 100% laine, petite ganse argentée en satin et doublure italienne matelassée rouge en coton et viscose, mate pour une esthétique un peu ancienne. Fin du fin, un joli pompon au bout des ceintures. Pour le tarif, nous avons fait au mieux, 460€. Je souhaite que cela vous amuse et vous intéresse. Ce sera l’occasion d’en faire d’autres dans le futur.

Il me reste à vous souhaiter de belles fêtes de fin d’année. Faîtes bonne tablée et pensez-y toujours : l’élégance compte, même dans l’assiette. Soyez raffinés avec vos aspics, chapons et châtaignes. Belle semaine, et à bientôt. Julien Scavini

La capuche est-elle élégante ?

La grande majorité des doudounes et autres parkas vendues dans le commerce possèdent une capuche. Regardez dans la rue, autour de vous, combien d’épaules ensevelies ou de têtes recouvertes ? Même d’ailleurs des manteaux un peu classiques l’intègrent, avec plus ou moins de bonheur suivant les stylistes. Elle est partout !

Ce petit accessoire vestimentaire revient de loin. C’est peut-être l’un des plus vieux qu’il soit possible de trouver du reste, en particulier sous nos cieux européens souvent capricieux. Le capuchon – c’est ainsi qu’il serait plus élégant de la nommer – protège du froid et couvre de la pluie. Relié au vêtement, on n’est sûr de pas l’oublier et de le perdre. Le capuchon est là, qu’on ait besoin de lui ou pas. Même amovible, en réalité, il reste bien souvent attaché. Praticité ultime que le capuchon.

L’élégance au XXème siècle n’était pas particulièrement encline toutefois à mettre en avant la capuche. Difficile de trouver celle-ci sur des dessins de Lawrence Fellows. Elle ne colle pas bien avec le répertoire tailleur. La capuche n’est pas considérée du tout, c’est un fait. Et d’ailleurs, à bien y regarder, elle n’est pas mieux considérée aux siècles précédents, y compris avant la Révolution. La capuche sous l’Ancien Régime est réservée aux vêtements religieux, et à quelques vêtements de petite extraction, du répertoire paysan. Certes, la cape à pèlerine et capuche avait quelques faveurs chez les dames de la haute société, façon retour de la bergerie. Une image un peu à la Watteau. Mais pour l’essentiel, la capuche déclasse plutôt.

Les gens riches eux, se couvrent la tête d’un chapeau. Toque ou chapeau de fourrure et bérets divers à la Renaissance, tricorne et bicorne plus tard, puis chapeau haut-de-forme, melon, Feroda, Trilby et que sais-je encore au XXème siècle. Au chapeau, il faut penser ! A la capuche, on oublie.

En un mot comme en cent, finalement, la capuche est l’inverse d’un luxe. Et depuis longtemps. Avoir de l’argent, c’est recourir à un objet spécifique pour se couvrir la tête. Un couvre-chef. C’est pourquoi aucun tailleur n’eut l’idée de rapporter cet accessoire au XIXème puis XXème siècle. Les beaux pardessus ne se soucient guère de ce lambeau de tissu pendouillant dans le dos.

Jusqu’au dufflecoat peut-être… Vêtement rustique (on y revient ! ) des marins de la Manche, il trouva pendant la seconde guerre mondiale quelques militaires valeureux pour l’adopter. Un manteau à capuche intégrée. Quelle trouvaille unique et rare. Plus besoin de casque, de calot ou de chapeau. S’il pleut, on rabat le tissu sur la tête. Il mit un peu de temps à trouver son chemin vers la penderie masculine dans les années 50. Mais une fois implantée, il ne cessa pas, jusqu’à nos jours, de séduire, génération après génération, avec un charme toujours renouvelé.

Et puis les k-ways, doudounes, parkas et autres nouvelles formes, souvent synthétiques, arrivèrent fin 70. Dans les années 80, la capuche était revenue. Fermement. Décennies qui ont vu l’extinction définitive du chapeau. Symétrie notable.

De nos jours, même les parkas de belles marques, comme Loro Piana, Corneliani et autres, intègrent des capuches. Avec un petit alibi, celui d’être amovibles. Même parfois des formes de manteaux classiques, ou de vestes légères, font la part belle aux capuches.

Est-ce à dire que nous avons régressé culturellement ? Que ce retour de praticité exacerbée signe une esthétique moyenâgeuse ? Que la capuche, c’est le mal, un symbole du malin à l’œuvre ? Je vais un peu loin dans l’analyse, avec amusement, rassurez-vous.

J’ai bien conscience que pour les défenseurs d’une esthétique tailleur, pour les gardiens de l’orthodoxie de Savile Row, qui sont ici chez eux d’ailleurs, la capuche n’est pas bien considérée. Elle ne fait pas partie du paysage pour deux sous. Elle n’est rien. Qui imagine un polo-coat, un ulster ou un balmacaan avec une capuche ?

A titre personnel, mon cœur balance. C’est un débat profond, et donc totalement inutile qui se joue au fond de moi sur le sujet. Je dois confesser posséder bien sûr une doudoune et une parka, car je suis à scooter. Et oui elles ont une capuche. Et oui, dès qu’il pleut, je ne peux m’empêcher de la rabattre pour me couvrir. Toutefois, je préfère le parapluie, n’aimant pas du tout être enfermé sous du tissu. J’analyse cette peur de l’enfermement comme une peur du danger. Avec une capuche, on entend moins les sons, on ne voit pas sur les côtés. N’étant plus toujours rassuré sur les trottoirs de Paris, je préfère garder la nuque libre et en mouvement. Et puis les capuches que j’ai ne sont, il me semble, pas bien patronnées, pas assez amples.

Je reconnais donc la supériorité d’un bon parapluie. A défaut de porter le chapeau. Mais j’aime bien cette capuche, elle m’amuse par son histoire, son authenticité et sa simplicité d’être. Fait-elle enfantin comme le disait Le Chouan Des Villes ? Peut-être. De toute façon, débat ou pas, le fait est qu’elle est là. Et pour un moment. De votre côté, qu’en pensez-vous ?

Belle et bonne semaine. A bientôt. Julien Scavini

L’entoilage des manteaux

Comme le faisait remarquer un lecteur récemment, est-ce que les manteaux sont entoilés ? Et si oui, pourquoi ? Car au fond, il se porte sur une veste qui, d’une certaine manière, réagit un peu comme l’entoilage du dit manteau. Autant de question pertinente auxquelles je vais essayer de répondre.

Tout d’abord, oui, il est aussi logique d’entoiler une veste qu’un manteau. Les deux sont construits de la même manière, avec les mêmes découpes, les mêmes morceaux de tissu. Il faut donner du corps à ces pièces en les soutenant, en les structurant. C’est à cela que sert l’entoilage. Pour éviter que le tissu ne drape et se balade. Historiquement donc, on entoile les manteaux de la même manière que les vestes. Un manteau des années 1950, large et opulent, ne pouvait pas se passer de renfort interne. Son épaule en dépendait !

Corollaire direct, lorsque le thermocollage s’est développé dans les années 1960, et à sa suite son dérivé direct et plus raffiné appelé semi-entoilage (ou semi-traditionnel), les fabricants y ont recouru. Pour la même raison que la fabrication d’une veste : rapidité, gain de temps et de main d’œuvre, donc coût abaissé. Idéal d’autant que les lainages à manteaux valent un certain prix, et qu’il en faut un bon métrage, mais que pour autant il est difficile de proposer un prix de vente trop élevé pour une pièce d’usage moins fréquent.

Et puis l’enjeu est, il faut bien l’avouer, moins grave. Autant une veste entoilée intégralement est plus agréable à porter au quotidien (rappelons pour sa souplesse, son naturel et sa respirabilité), autant un manteau l’impose moins. Pour trois raisons : 1- le tissu d’un manteau est lourd et se tient bien de lui-même. Et si le thermocollant se décolle un peu, cela ne se verra absolument pas. 2- on ne le met que quelques minutes par jour, rarement quelques heures. Il n’y a pas donc une franche mise en tension des structures internes. 3- on ne le porte que de manière très saisonnière. Autant de raison qui peuvent éventuellement inciter à jeter l’éponge du traditionalisme sur ce point.

Toutefois, il convient bien de préciser qu’un manteau entoilé est plus souple et plus confortable. Et plus raffiné. Et que bien évidemment, le meilleur est toujours préférable au moins bon ! De plus, peut-être que la couche de laine constituant l’entoilage intégral apporte un peu de chaleur en plus. C’est de la laine après tout !

J’ai plaisir à fabriquer des manteaux raglan avec mon atelier italien. Et dans cet atelier très artisanal, même le manteau raglan est entoilé intégralement. A l’ancienne. Là où 99.9% des raglans du commerce ont reçu un thermocollage voir rien du tout.

C’est vrai que c’est un peu baroque de se dire qu’un manteau est entoilé, et que la veste aussi. Mais c’est comme ça. L’entoilage, c’est la structure même du vêtement, indépendamment de l’autre vêtement. En revanche, il est vrai que les épaulettes du manteau (le fameux padding) sont très minces. C’est l’épaulette de la veste qui prime.

Corollaire immédiat : le manteau étant dépourvu de fortes épaulettes, lorsqu’on le porte sans veste, ses épaules ont l’air de s’effondrer. C’est tout à fait logique.

C’est pourquoi maintenant, beaucoup de manteaux sont conçus pour être portés très près du corps, à même un pull. Pour ne pas avoir l’air affaissés sans veste. Désagrément incontournable : un tel manteau est très serré avec une veste en dessous.

Plus le temps passe, plus les stylistes, modélistes et industriels ont tendance à épurer le manteau et à lui retirer l’entoilage (qu’il soit traditionnel ou semi-traditionnel). D’autant plus si le tissu est une de ces nouveautés techniques comme le « storm-system » de Loro Piana, une belle étoffe à membrane polyuréthane, coupe vente et imperméable, tout en étant respirante. Puisque le tissu est déjà lui-même enduit (d’une sorte de renfort), quel besoin d’en rajouter encore.

Enfin, les progrès très important fait par le modélisme (= l’art du patronage) notamment italien, permettent maintenant d’aboutir à des coupes qui se tiennent très bien sans entoilage. Avec un bon maintien de l’épaule et un aplomb du vêtement heureux. Maintenant, on y arrive beaucoup, d’autant plus que les modèles sont non doublés parfois, et ne permettent pas de camoufler de l’entoilage. Tout alors, repose sur l’art et la précision de la coupe. Et d’ailleurs, la plupart du temps, ce n’est pas la veste qui est prise en compte pour donner du maintien au manteau, c’est le corps lui-même, tout simplement. La veste étant en voie de disparition à l’échelle globale, elle n’est pas prise en compte comme jalon essentiel du travail de développement !

Belle et bonne semaine, sortez couvert, il fait bien moche ! Julien Scavini

Construire un vestiaire dépareillé

Il y a quelques jours, un client m’évoquait son désarroi devant la disparition du costume, et quelle complication cela représente pour lui, au quotidien. Dans son environnement de travail, même venir en blazer, même venir avec une cravate sous un pull, passe pour hautement endimanché, tendance mariage. Que faire et comment s’habiller en décontracté, tout en restant au standard de qualité que nous aimons. Telle est la question !

Il m’évoquait dans le prolongement sa difficulté à construire une telle garde-robe, qui ne soit pas trop mauvaise. Et suffisamment intelligente. Je le rejoignais tout à fait. Il est vrai que je recours agréablement au costume. Bleu marine, chemise simple, souliers noirs et voilà, l’affaire est faites. Mais lorsqu’on l’on veut faire du dépareillé, il y a une étude plus complexe à mener. Et qui est loin d’être simple.

La tentation est grande d’acheter ou de faire réaliser des vêtements suivant des envies. Et d’avoir des envies multiples. Une chemise parme. Un pantalon vert. Un pull marine. Une veste de tweed marron. Une chemise à rayures roses. Un gilet en tweed ocre. Un cardigan mauve. Une veste lin et soie beige d’été. Etc… Ce faisant, ces vêtements sont précieux, car tous font la part belle à l’envie de l’instant. On les aime car ils ont répondu à une image que l’on avait en tête ou à une étoffe que l’on a trouvé raffinée.

Seulement voilà, au quotidien, ces vêtements ont parfois du mal à trouver sens entre eux. On arrive bien à composer des tenues variées. Mais tous les jours, devoir recommencer l’étude, et se poser des questions est ardu. On essaye. Parfois cela fonctionne très bien. A d’autres moments, on est moins satisfait de l’accord.

Le pire dans tout ça, c’est que le type d’à côté en jean et t-shirt,  ostensiblement sans réflexion, parait lui très satisfait et très cool. C’est rageant, il est vrai. Comment se fait-il qu’avec des vêtements de prix et en faisant marcher nos méninges, nous n’arrivions pas à bien cerner la tenue décontractée, et surtout à la vivre aussi sartorialement que possible ?!

Tout vient je le crains de la volonté, heureuse cela dit, de variété. A vouloir panacher et varier les couleurs et les styles (un matin plus tweed anglais, l’autre plus blazer anglais, le suivant plus City de Londres en costume, un autre encore plus italien), on s’amuse soi-même. On égaye son intellect. Pour le pire et pour le meilleur ? On essaye de donner corps quotidiennement à une envie de variété et de différence. Pourquoi faire comme hier ?

En discutant avec mon client, je pensais qu’au fond, on pouvait tout à fait être sartorialement mainstream, si j’ose dire, en réprimant cette envie de variété. Et en appliquant la même règle que le type en jean et t-shirt, à savoir la règle de la répétition quotidienne. De l’itération. Mais pas avec les mêmes vêtements que lui. Porter tous les jours les mêmes habits, oui mais de beaux habits. Discrets. Et passe-partout.

Il est possible de construire une garde-robe très sérielle, par exemple basée sur deux couleurs : gris et bleu. En possédant cinq ou six vestes, de bleus différents & de tissus différents (du tweed à la flanelle ne passant par le cachemire ou le fresco), que l’on marierait avec une dizaine de pantalons tous des gris différents (ou à la rigueur de grège et rare marron), il serait possible de présenter, quotidiennement une allure identique, n’attirant pas l’attention et ne donnant pas prise aux remarques des collègues. Ou l’inverse marche aussi comme le montre la photo. Discret. Mais très raffiné dans les matières et les coupes.

C’est la répétition discrète qui protège. Même si les vêtements sont d’une immense qualité, d’autant plus indétectable d’ailleurs. A l’inverse, l’envie de bien faire et de renouveler quotidiennement fait lever le sourcil inquisiteur du collègue. Car la variété est un signe extérieur de richesse. Et ça, c’est bien la pire des possibilités en France, que de passer pour trop argenté. Porter tous les jours le même blazer bleu n’attirera pas l’attention, fusse-t-il en cachemire. Passer de ce blazer à une veste de tweed puis un costume sera remarqué et jugé.

J’évoquais une garde-robe construire de manière urbaine sur le bleu et le gris. Mais une basée sur des teintes de bleus et de marrons, à l’italienne fonctionne aussi. Une basée sur des couleurs de feuilles mortes, façon tweeds campagnards déjà, fait appel à la variété. Variété suspecte ?

Lorsque l’on construit une garde-robe sartoriale MAIS discrète, toute la difficulté et d’arriver à sortir de l’aspect mono-manique. Et de pouvoir se laisser une petite porte de sortie, si par hasard, un pull mauve devait entrer dans la penderie ! Qu’en pensez-vous ?

Belle et bonne semaine de réflexion. Julien Scavini

La chemise en flanelle

L’époque est au retour des matières ancestrales, qui ont du caractère. C’est donc avec plaisir que le tweed et la flanelle par exemple reviennent sur le devant de la scène. Il y a encore dix ans, il n’était pas si facile que cela de trouver de beaux pantalons en flanelle. Maintenant, cette matière se décline même jusque sur des gilets matelassés et des doudounes techniques. C’est probablement une réaction vis-à-vis de l’artificialité. Peut-être du monde en général ? Plus sûrement vis-à-vis des tissus techniques, à l’esthétique glacée et plastifiée. Une sorte de combat du rugueux contre le lisse pourrait-on évoquer.

Même les intérieurs de décorateurs font la part belle aux flanelles tendues sur les murs. Parce que cette matière, avec son grain et son toucher si pelucheux, est mat. Elle aspire la lumière permettant des jeux de contrastes. Elle apporte aussi une touche indéniable de confort. La flanelle donne chaud avec son aspect moelleux. Elle évoque la bonne vieille Angleterre, rêvée. La flanelle donne une idée de cosy.

Autant d’arguments qui militent en faveur de son importante adoption par les stylistes et designers textiles. Rappelons rapidement que la flanelle (nom féminin) est un procédé de tissage et de finissage des étoffes. Et que dès lors, il existe de la flanelle de laine – ou de laine et cachemire – mais aussi de la flanelle de coton. Assez proche techniquement de la moleskine. Un coton gratté, suivant l’ouverture de sa surface (c-à-d, à quel point il fut gratté et ébouillanté pour faire sortir le côté duveteux) peut-être qualifié de moleskine ou de flanelle, cette dernière était plus moelleuse et souple. Et lorsque ce coton flanelle est fin, on parle alors de flanellette.

Si j’ai souvent parlé de vestes et pantalons en flanelle, je n’ai que rarement évoqué les chemises ainsi coupées. Elles sont pourtant classiques et anciennes. Le tattersall par exemple, ce merveilleux tissu à carreaux, plutôt campagnard (et souvent un mélange de coton et de laine, voire que de laine) présente le plus souvent un aspect brossé en surface, le rangeant facilement dans la catégorie des flanelles de coton. Ci-dessous Bruce Boyer posant pour Drake’s, avec un délicat accord de carreaux sur carreaux :

Quant aux grands tartans ou plaids, façon chemises de bucherons, ils présentent presque toujours une texture flanellée (un adjectif qui n’existe pas vraiment dans le dictionnaire mais qui est très plaisant). D’ailleurs, cette fameuse chemise de bucheron, la « lumberjack shirt », cet article vestimentaire essentiel de la culture américaine est appelé outre-atlantique une « flannel ». En fait, pour un américain, une « flannel » ne désigne pas prioritairement une étoffe, mais une chemise à carreaux. Fait notable et intéressant. Ces grands carreaux, rouge façon « Paul Bunyan » ou foncé comme le « blackwatch » ont été adoptées par les américains bon chic bon genre, style grandes universités, dès les années 50. Ces chemises chaudes étaient synonymes de week-end au grand air et de pêche à la truite.

Cela dit, en dehors de ces deux tissus de chemises anciens, tattersall et tartan, les chemises en flanelle unie n’étaient pas légions. Mais pas inconnues non plus. Dans les années 50 et 60, quelques publicités vantaient l’usage de modèles ivoire, comme la marque Armorial. Et jusqu’à aujourd’hui, ces chemises n’étaient pas très portées, à part sur de vieux messieurs qui aimaient la chaleur de ces modèles en flanellette.

Jusqu’à aujourd’hui.

Car on ne compte plus les marques qui proposent des chemises unies en flanelle de coton. Cette chemise est partout, dans toutes les collections. Gris clair, bleu ciel, greige ou bordeaux même, unie, micro-pucée ou à carreaux toujours, la chemise en flanelle de coton plait. Ralph Lauren, Berg & Berg, Hast, Bonne Gueule, Pini Parma et d’autres ont ouvert grands leurs étagères aux chemises en flanelle. Et je vois beaucoup de clients qui en porter. Avec tous les styles. Parfois sur un col roulé façon sur-chemise, mais aussi parfois sous un costume. Les drapiers italiens comme Monti ou Canclini, et bien d’autres, ont mis cette texture sur le devant de la scène chemisière.

Les chemises en flanelle anciennes étaient très amples. C’était des vêtements de travail, souvent fait pour être portée par dessus d’autres vêtements. Elles avaient des poches généreuses aussi. Des marques très américaines comme Pendleton produisaient beaucoup de ces modèles typiques. (Dont on peut signaler qu’ils n’étaient pas en flanellette de coton, mais de laine !) La modernité a été de faire diminuer les proportions de ces chemises de flanelle et d’adopter massivement le coton.

Cette flanellette, si elle met en valeur le plaisir d’une matière chaude et ancestrale, participe aussi et surtout à la vigueur du marché de la chemise. Car de son côté, cet habit classique du travail, vivait depuis quelques années une sorte de crise existentielle. Les rayures bâtons, les unis blancs ou bleus perdaient du terrain. La chemise souffrait d’une image trop « business » et elle se faisait détrôner par les polos, les pulls et les t-shirts, plus simple d’usage et d’entretien. La chemise – à repasser – marquait le pas.

L’affection pour la petite flanelle a permis ainsi à la chemise de rajeunir. Souple, un peu molle et peu froissable, elle est presque d’une entretien plus simple. En sur-chemise, à même la peau, sous un pull, un blouson ou une veste, elle fait des miracles. Son style à la fois ancestral et très en phase avec la mode en fait le best-seller du moment, avec un esprit workwear, minimaliste mais avec une certaine profondeur esthétique et historique. Finalement, grâce à un vieux tissu, la chemise se paye une nouvelle jeunesse. Qui l’eut cru ?

Bonne semaine, Julien Scavini

Quelle veste avec un pantalon à motif?

Un client venait de commissionner un élégant pantalon en tweed, présentant un chevron marqué opposant deux tons de marron. Une fois la commande terminée, il me demanda, éventuellement tenté, s’il était possible de faire une veste pour accompagner ce pantalon. Une veste dépareillée. Ayant proposé ce tissu dans la seule optique d’un pantalon indépendant, je ne m’attendais pas à la question, et rapidement j’ai répondu qu’hélas, avec un bas un peu typé, il m’était difficile de proposer quelque chose de potable pour le haut. Nous avons cherché quelques minutes un tissu de veste intéressant, mais sans réelle conviction. Il était complexe de trouver quelque chose à mettre sur ce pantalon.

Une idée, basée sur un a priori, que je ré-itère maintenant. Après réflexion, je ne vois pas beaucoup de cas possibles. Lorsque le pantalon présente un motif marqué, comme des chevrons ou des carreaux, la force expressive du bas l’emporte sur le dessus. Et la veste, qui est normalement le plat de résistance d’une mise, parait alors bien palote. Le coup est manqué du point de vue stylistique je trouve.

Un rare cas de figure s’oppose à cette idée, le pantalon en tartan. Seulement et seulement s’il est associé à un blazer, veste dont la force repose sur la simplicité du bleu, ou à un veste de smoking, là encore simplement expressive pour ce qu’elle est. Alors, le pantalon à motif fonctionne bien, car une sorte d’équilibre se crée entre les forces respectives du haut et du bas. Cela dit, ce sont des pantalons très luxueux, car ils ne sont pas très souvent portés, avec des accords possibles très minces.

En dehors de ce cas de figure, j’ai du mal à trouver des accords pertinents entre un haut et un bas à motif. C’est une sorte d’axiome, difficile démontrable, mais qui finit par être un fait. Moi qui aime bien les pantalons marqués, je dois confesser que je ne les envisage qu’avec un haut très simple, s’arrêtant préférentiellement à la taille, donc de petite dimension (moins présent esthétiquement qu’une veste) comme un pull bien sûr, ou un blouson chic. J’avais écrit là-dessus dans le passé. C’est pourquoi dans mes lignes de pantalons, je ne m’aventure plus beaucoup à dessiner des modèles à carreaux, qui posent souvent problèmes aux acheteurs, là où les unis et micro-motifs sont mieux accueillis.

A titre d’amusement, j’ai feuilleté un peu mes archives Apparel Arts pour trouver, peut-être?, quelques idées avec des pantalons à motifs. Force est de constater que la moisson fut mince. Voyez plutôt. Première image, les golfeurs. Super ce pantalon à gauche, comme celui de mon client précédemment évoqué. Mais porté avec un blouson, court et discret dans ses couleurs, donnant la primeur de l’allure au pantalon. Le caddy semble porté un gris à carreaux rouges de son côté, mais a-t-il une veste sous son manteau?

Autre exemple avec cet adolescent golfeur, dont le beau pantalon à chevrons gris n’est pas coupé dans son élan stylistique par une encombrante veste. Le polo, coloré certes, s’arrête à la taille.

Plus intéressant ci-dessous. Une veste « charcoal » avec un pantalon en gun-tweed. Ca, ça marche très bien, il faut reconnaitre, et c’est une bonne manière d’utiliser ce tissu par ailleurs très marqué pour une veste. Dans le dessin, l’association marche très bien, car le gun-tweed fait la part belle au noir, qui raccorde avec la veste. Voilà une excellente contre-offre à mon axiome.

Autre proposition de Laurence Fellows (1885 – 1964), avec un chevron gris et un veste marqué dans les bruns. Je suis peu enthousiaste.

Dernière image enfin avec cette tenue de chasseur très inspirante. La veste présente un fort impact visuel avec des grandes poches à soufflets et son parement d’épaule en cuir, et son absence de revers. Un équilibre se crée avec le pantalon, qui semble être un vichy, mais que les anglais appellent « shepherds checks », de couleurs crême et marron. Très intéressant aussi.

Deux exemples donc chez Laurence Fellows peuvent au moins démontrer que mon axiome ne tient pas totalement. Le pantalon expressif peut s’accommoder très dignement d’une veste. Toutefois, ce sont des accords mesurés et il est difficile de croire que ces pantalons sont d’un usage commode et varié. Au fond, comme disait encore Cioran, « N’a de convictions que celui qui n’a rien approfondi .»

Élégante semaine ! Julien Scavini. Pas de blog lundi prochain, je serais chez Hugo Jacomet pour de nouvelles aventures 😉

Le pantalon à pont

Si les joggings et autres pantalons élastiques peuvent s’enfiler et s’ajuster avec souplesse et simplicité, la plupart des pantalons ont besoin d’une large ouverture séparant la ceinture en deux, pour s’évaser et passer le bassin. Sinon on ne pourrait tout simplement pas les positionner jusqu’aux hanches. De nos jours, c’est la braguette, zippée ou boutonnée, qui permet d’agrandir momentanément la circonférence du pantalon, permettant à celui-ci d’emboiter convenablement le bassin. La braguette est la plupart du temps centrée sur le devant et dissimulée par un assemblage de tissu appelé le pont et le sous-pont. Il semble d’après des peintures et gravures que la braguette centrée soit apparue sous Napoléon III, à l’époque précisément de la démocratisation du pantalon. Comme le prouve cette photo datée de 1860 de l’Empereur :

Ce dispositif a priori si simple et pratique n’est pourtant pas très ancien. Certains plus anciens pantalons et les culottes surtout, vêtement phare de l’Ancien Régime recouraient à un tout autre mécanisme. Si la ceinture se séparait également en deux par le milieu, l’ouverture n’effectuait grâce à un immense volet, boutonné en haut, sur la ceinture, et retombant vers le bas. Pour retirer son pantalon, ou bien satisfaire un besoin naturel, il fallait déboutonner au niveau de la ceinture le volet, et le laisser retomber. Ainsi que vous pouvez le découvrir sur cette photographie d’un modèle ancien :

Voilà il faut le reconnaitre une manière ancienne et bien baroque d’ouvrir son pantalon. Si pour les hommes cette méthode de boutonnage est totalement tombée en désuétude, les femmes peuvent encore trouver occasionnellement ce type de finition, comme vous pouvez le constater ci-dessous. Elles appellent ce modèle « pantalon de marin », car ce sont bien les hommes qui le plus longtemps ont porté ce type de pantalon. Je serais d’ailleurs très intéressé d’apprendre jusque quand la Marine Nationale a admis ce modèle comme réglementaire. Peut-être qu’un lecteur le saura?

Parce que les marins portaient ce type de pantalon et qu’ils ont l’habitude de se travailler sur le pont des navires, un rapprochement logique s’est effectué entre eux et « le pantalon à pont ». J’ai tendance à penser que le mot pont vient tout simplement du vocable tailleur, désignant une pièce de tissu mobile faisant jonction. D’ailleurs, la braguette actuelle est constituée d’un pont et d’un sous-pont se boutonnant derrière.

Cette façon de boutonner le devant d’un pantalon est ancienne, probablement post-Renaissance. C’est au XVIIème et XVIIIème siècle que se forge l’esthétique de ce fermoir. Sur cette culotte déposée à Galliera datée de 1740/1750 (en velours façonné de soie rouille, doublure toile de lin écru, boutons bois recouverts de fils métalliques, cannetille, paillettes argent, lamé or), le pont est clairement visible, de petite dimension d’ailleurs :

Un autre exemple, Empire cette fois-ci montre un pont clairement mis en valeur par une jolie soutache de broderie stylisée :

Le pont pendant longtemps présente des lignes plutôt étroites et verticales comme vous le voyez. Avec l’époque Victorienne, il semble que cette esthétique toutefois cherche à se faire oublier. Question de pudeur? Quoiqu’il en soit, le pont s’élargit pour gagner les côtés sur du pantalon comme sur la photo à droite, où ses bords se font un peu passer pour des poches. Le pont chez Beau Brummell est très haut placé, très discret. Mais probablement très inutile pour satisfaire un besoin naturel…

Au cours de ma recherche, j’ai trouvé ce très beau cliché d’un manœuvre portant un bel exemple de pantalon à pont, qui semble d’ailleurs être en peau :

Voilà pour ce fameux pont, une curiosité de style et de technique. Il semble aujourd’hui que la Navy américaine ait encore l’usage du pantalon à pont avec le modèle dit Crackerjack aux très nombreux boutons. Quant aux bavarois, leurs culottes de peau sont aussi, et normalement, pourvues d’un tel dispositif. Positivement baroque !

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

La veste croisée peut elle être sport ?

Un client récemment commandait un costume, coupé dans un tissu ayant l’aspect du tweed donegal. Veste droite et pantalon simple. A l’ultime fin, il m’interrogeait sur la possibilité, ou plutôt la possible logique, de faire une veste croisée pour cet ensemble.

Je n’avais pas pensé une seule seconde à une veste croisée pour un tel tissu. Je répondis non. Non, ça n’a pas de logique. La veste croisée renvoie à un certain formalisme. L’opposé esthétique de ce costume façon campagne moelleuse que l’on venait de finir. Nous étions tous les deux d’accord, aussi, le débat fut-il rapidement clos. Cela ne nous empêchait pas de continuer à discuter sur le sujet.

Mais au fond, y’a-t-il une raison de faire une veste décontractée croisée? Je devais bien reconnaitre que c’est en effet d’un raisonnement curieux. Une veste sport, c’est fait pour être plutôt confortable. Or la veste croisée, devant rester boutonnée, reste assez statutaire. La veste croisée est formelle. Elle oblige. Et si l’on cherche une veste sport, c’est précisément – peut-être – pour faire relâche, la porter ouverte, mettre les mains dans les poches ou la maltraiter un peu.

Par exemple l’hiver, une veste de tweed s’envisage assez peu croisée dans mon esprit. D’ailleurs, il me semble que James Darwen dans Le Chic Anglais dit aussi que c’est d’une « élégance d’ornithologue allemand. »

Je rajoutais que pour l’été, la veste croisée ne me semble pas plus logique. Encore une fois, devant principalement rester boutonnée, elle tient plus chaud qu’une veste droite et légère, facilement déboutonnable. Je pense que les tissus sports ne sont pas tellement logiques coupés en croisé, en dehors du traditionnel bleu marine faisant alors blazer. Je suis allé glaner quelques idées chez SuitSupply, Boggi ou Brooks Brothers et je n’ai pas vu, en tout cas pour cet hiver d’exemples particulièrement enjoués de veste croisée sport. Chez Drake’s, il y a quelques exemples en denim, mais ils sont plutôt d’un style blazer poussiéreux.

Alors quoi, la veste croisée devrait être réservée au costume seulement, et au blazer? Et peut-être aux vestes de cocktail, comme nous l’a montré Daniel Craig. Tout en discutant, je cherchais des tissus sport sympa en croisé et je n’en trouvais pas spontanément.

Cela dit, avec un petit peu de recul maintenant, je repense à un vieil axiome sartorial : l’élégance peut parfois s’opposer au confort. Ou, entre le confort et l’allure, il faut parfois choisir. Car précisément, une recherche esthétique ne doit pas que s’articuler, et heureusement, autour de la notion de praticité. La veste croisée, oui, est un peu moins pratique. Pour autant, faut-il alors la bannir du rayon veste sport? Finalement, bien sûr que non, et il appartient à chacun de se faire plaisir avec une veste croisée en tweed ou en lin pour l’été. Pour le simple plaisir que c’est beau.

Je manie le en-même-temps présidentiel au sujet de cette réflexion. A titre personnel, je confesse ne pas être sûr de cela, pour moi-même. La vision récente d’un agent drapier, portant une veste croisée en tweed prince-de-Galles voyant, me conforte dans cette idée que la veste en tweed croisée est une curiosité stylistique. Et que moi qui ait rapidement chaud, l’été c’est encore moins logique. Mais souvenons-nous de l’article de la semaine dernière sur la garde de robe de Brett Sinclair. La veste croisée dépareillée a un petit quelque chose de baroque, une allure un peu ostentatoire et dandy. Et si l’on veut, alors pourquoi pas. Au fond comme disait Cioran, « N’a de convictions que celui qui n’a rien approfondi.»

Brett Sinclair : inspiration pour la garde-robe de gentleman moderne ?

Cet article est une contribution de mon ami Maxime C. Je l’en remercie.

Il existe, dans le petit monde sartorialist, un petit groupe de fans de Brett Sinclair. Surtout en France, d’ailleurs ! La principale raison en est que la série dont est issue ce personnage fut, en dépit de moyens conséquents, un « flop » dans le monde anglophone, mais un réel succès en France, notamment du fait de la grande qualité des dialogues et du doublage.

En préambule, rappelons à ceux qui l’ignore que Brett Sinclair est le personnage principal de cette série[i]. Aristocrate britannique désœuvré, il court le monde autour de ses passions se résumant aux courses automobiles et aux conquêtes féminines. Dès le premier épisode, il rencontre – dans une scène légendaire, presque une parade nuptiale entre deux mâles s’affrontant au volant de leurs bolides respectifs, une Aston martin DBS pour l’un et une Ferrari Dino 256 pour le second – un alter ego en la personne de Danny Wilde, richissime et excentrique américain. Tous deux vont dès lors chercher à sauver la veuve et l’orphelin (surtout la jeune femme, pour être honnête), sous l’égide d’un mystérieux juge qui réussit, ce faisant, à donner un sens à leur vie. S’ensuivront de nombreux voyages, des courses poursuites et, bien entendu, de nombreuses conquêtes féminines, qui forment la conclusion presque systématique de chaque épisode.

Brett Sinclair est interprété par Roger Moore. Celui-ci est alors, déjà, une grande star internationale pour son rôle de Simon Templar dans Le Saint, mais pas encore l’icône qu’il deviendra l’année suivante en interprétant James Bond. Le personnage de Brett Sinclair, qu’il interprète à l’aube de son quarantième anniversaire, et dont il dessine lui-même les costumes[ii], est donc un personnage de transition dans sa carrière, plus élégant et audacieux qu’un Simon Templar, trentenaire chic d’origine plus modeste, plus marginal et peut être moins classiquement viril qu’un James Bond plus formel.

Dans Amicalement vôtre, Roger Moore rayonne dans un début de quarantaine qui n’a rien enlevé à sa plastique de jeune premier. Sûr de lui, il se créé une garde-robe qui exprime sa personnalité et l’aide à séduire les plus belles jeunes femmes. En un mot, Roger Moore, dans cette série, « s’éclate », si vous me passez l’expression, avec la garde-robe de son personnage tout en exprimant ses propres préférences stylistiques.

Le personnage de Brett Sinclair est plus complexe qu’il n’y parait. Côté face, il est un authentique aristocrate anglais, membre de la Chambre des Lords. Il développe toutes les vertus chevaleresques associées à son statut et se pique d’un humour très « british », sachant rire de lui-même. Côté pile, l’aristo devient volontiers bohème, officiellement ruiné (ruiné en Aston Martin, élégance avant tout !), sachant jouer des poings lorsque nécessaire. Il est aussi, en dépit des traditions, un homme de son époque qui s’inspire de la dernière mode. Sa garde-robe, bien sûr, témoigne de la dualité du personnage, c’est d’ailleurs l’une de ses principales caractéristiques.

Cela se matérialise d’abord par des choix stylistiques prenant leur source dans la grande tradition britannique : costume trois pièces, veste norfolk, high buttoning jacket, etc. Cette base est complétée d’inspirations à l’époque très tendances, dans leur forme ou leurs couleurs, avec par exemple une chemise orange, des pantalons un peu larges, des chemises à jabot en certaines circonstances, sans oublier, par exemple, une burma jacket[iii] très en vogue dans les 70’s où l’on aimait les smokings à veste claire ou de couleurs. Débutants s’abstenir, mais quel plaisir à l’heure des smokings mal coupés que la presse people nous laisse à voir.

Brett Sinclair donne une clé essentielle pour l’élégant d’aujourd’hui : s’inspirer de la tradition en sachant écouter la tendance, idéalement en l’anticipant plutôt qu’en la suivant !

Plus généralement, ses tenues se matérialisent par la grande versatilité des pièces qui la composent.

Prenons l’exemple de sa veste croisée, classique dans le style général mais très fantaisiste par le choix d’un tissu à large rayures marron et verts et à rayures dark green[iv]. Il la porte souvent très classiquement avec un pantalon gris ou crème, une chemise claire et une cravate. La même peut aussi apparaitre avec une chemise ouverte, un pantalon plus fantaisie ou encore un foulard. Ainsi, il la porte même en camping avec un foulard négligé, le même pantalon crème et des mocassins blancs ! A réserver aux élégants expérimentés !

Second exemple avec une chemise orange. On la retrouve à la plage, sur un simple pantalon clair, manche doucement relevées. Plus audacieux, la même chemise reparait le temps d’une soirée, portée comme une veste détente, avec un foulard foncé pour lui donner du coffre. On la retrouve encore, largement ouverte, avec le même foulard noir qui lui donne, cette fois, un look de rock star des 70’s.

Autre exemple avec une veste façon cardigan, en maille, croisée, marine[v]. On la retrouve portée aussi bien de manière habillée mais décontractée, avec une chemise Lila et une cravate parme – pour Brett Sinclair, la tenue parfaite pour une balade en voiture – ou encore de manière plus habillée sur la même chemise orange que précédemment, dans l’esprit smoking négligé.

Il traite, de même, ses autres vestes de smoking, sa saharienne et, plus généralement, toutes les pièces de cette garde-robe qui tiendrait presque entière dans deux valises. Du reste, une troisième rentrerait-elle dans le coffre de l’Aston Martin ?!

Que contient la garde-robe de Brett Sinclair ? En réalité, presque rien au goût de l’élégant très doté et certainement peu de choses, même pour la majorité des lecteurs.

On y trouve pêle-mêle[vi] 

  • un costume gris très classique, trois pièces à large revers et à crans superbes. La veste est parfois portée seule, sur un pantalon gris clair. L’ensemble est coupé dans une laine grise à très fine rayures gris clair, créant un effet faux unis[vii]. Le gilet droit compte 6 boutons et le pantalon, droit, se porte sans ceinture.
  • Un costume bleu, avec un bel effet de matière donnant une apparence de rayure (chevron ?).
  • Un costume plus audacieux, gris clair, croisé, à fine rayures marrons[viii], dont la veste est par ailleurs parfois portée en dépareillée, comme ici, avec un foulard en guise de cravate.
  • Un costume chocolat, de coupe classique.
  • Plus audacieux : un costume vert foncé à haut boutonnage, porté surtout à Paris et pour aller aux courses hippiques[ix].

A ces cinq costumes s’ajoutent quelques vestes dont

  • la croisée évoquée plus haut,
  • une belle veste dans les tons chocolats, à motif « pince de galles » beige,
  • une « norfolk jacket »[x] et enfin
  • deux vestes en maille, une bleue marine, également évoquée précédemment, et une chocolat, à coupe droite, portée avec un pull à col roulé camel.

S’y ajoutent

  • quelques vestes de smoking, dont une en velours noir[xi], pour des soirées détente et
  • la burma jacket,
  • ainsi qu’une saharienne dans les tons beiges[xii].

On y trouve également des pantalons, chocolat, beige ou gris, quelques chemises de couleurs, orangée, verte… et une foule de chemises blanches.

Quelques pull-over, notamment à col roulé en cachemire (bleu pétrole, bleu foncé, blanc, brun), prêt du corps, complètent le tout avec quelques manteaux dont un gris à col ou encore un superbe manteau de type trench en cuir chocolat à très large col. Un trench coat revisité de couleur crème, d’une coupe similaire, apparait enfin quelquefois[xiii].

C’est la seconde grande leçon de l’élégance sinclairienne : le personnage possède (relativement) peu, mais bien ! Toutes les pièces sont choisies avec le plus grand soin et portées avec une telle audace que sa garde-robe s’en trouve, en quelque sorte, démultipliée. En définitive, nous sommes ici aux antipodes de certaines idées reçues qui commanderaient, lorsque l’on possède peu de pièces, de choisir des pièces classiques pour les accessoiriser. Il y certainement là à méditer pour l’élégant d’aujourd’hui !

En la matière, il faut mettre en exergue les quelques choix stylistiques récurrents de Brett Sinclair, dont certains méritent d’être, sinon tentés, au moins retenus, ne serait que pour se démarquer des poncifs actuels.

En premier lieu, notons que les chemises sont presque toujours à poignets napolitains[xiv] s’agissant des chemises de jour. Les chemises habillées sont portées, plus classiquement, avec des boutons de manchettes tandis que les chemises fantaisie ont des poignets droits conventionnels. Ces deux dernières, en revanche, proposent une structure plus audacieuse, avec deux poches poitrine à soufflet. Visuellement, cela renforce les pectoraux du personnage tout en donnant plus de prestance à une chemise fantaisie. Par ailleurs, cela lui permet de jouer, comme évoqué précédemment, la carte de la versatilité en transformant la chemise en veste légèreà effet saharienne portée dans différentes configurations.

Notons aussi une réelle prédilection pour les vestes croisées, les vestes à boutonnage haut ou encore les costumes trois-pièces. En définitive, Brett Sinclair ne porte quasiment jamais un simple veste deux boutons ou trois boutons dont seul le second serait fermé. Par ailleurs, il use largement du revers de bas de manche tandis que les boutonnières des manches n’ont généralement qu’un seul bouton, sauf exception (il y en a deux pour la Norfolk jacket, dont aucun n’est porté ouvert).

A la même époque Roger Moore utilise le même type de poignet sur un costume qu’il porte à la ville et non dans la série. Il se montre au sommet de l’élégance dans un fort beau peack label suit, trois pièces. On retrouve les poignets des chemises et les revers de manche typique de la garde-robe de Brett Sinclair, et la même prestance. Le pantalon est cependant plus large, époque oblige, tandis que la tenue s’accessoirise avec des boots noires à zip, une cravate parme faux unie et une pochette de même ton[xv].

Remarquez ce foulard noué en cravate. Et aussi ce bas de manche de veste (de costume, gris à rayure marron)… qui semble disposé comme un mousquetaire, créant un bas de manche large et ouvert en V.

Les cravates sont évidemment importantes dans la garde-robe d’un gentleman. On trouve chez Sinclair deux types de cravates. D’abord, des pièces très formelles, souvent de couleur unie, mais jouant sur la texture. (Assez étonnement, je possède moi-même une cravate dans ce gout, de couleur bordeaux, de chez Turnbull and Asser). Ensuite, des cravates fantaisistes, souvent à ramages, mais jamais de cravate en tricot, ni de polka dot tie[xvi] et encore moins de cravate à motifs.

Plus largement, Brett Sinclair est un champion du foulard, porté en de nombreuses occasions. Noué façon cravate ou simplement noué autour du cou, avec une chemise ouverte, avec ou sans veste. Il ose même, le temps d’une soirée à domicile, le foulard sombre sur chemise blanche à jabot, avec veste de velours verte foncé. Face à une cravate souvent formelle, le foulard est certainement la pièce exprimant le mieux l’humeur du personnage. En revanche, il ne porte jamais de pochette, contrairement à Roger Moore à la ville.

Autre point crucial : Brett Sinclair choisit des couleurs assorties à sa carnation et à ses cheveux. Même sa voiture met en avant son teint. Cela explique le choix récurrent des couleurs à base de brun, y compris dans des configurations peu communes, comme on l’a vu sur certaines vestes. Là encore, un bon réflexe à adopter en allant voir son tailleur !

Enfin, quelques éléments vestimentaires plus anecdotiques parsèment la série : une veste de marin blanche, une tenue de lord, couronne comprise, une tenue d’équitation à veste chocolat ou encore une veste d’intérieur bleu-roi à parements noirs, portée en camping[xvii]. Effet garantie si vous campez dans votre domaine de chasse solognot, peut-être un peu moins dans un camping municipal languedocien. Encore que : la grande leçon de notre héros n’est-elle pas, au fond, de porter ce que bon lui semble quand bon lui semble, persuadé que son sens du style et de l’humour suffisent à parfaire son élégance. La confiance en soi, voilà la leçon magistrale, et à la portée de toutes les bourses, à retenir de notre héros de la semaine.

Crémerie/Poissonnerie, tous les Build Order !

[i] Il est très facile de trouver la série dans sa version française intégrale sur Youbube. Attention, l’ordre des épisodes est celui diffusé en France, qui ne correspond pas, sauf pour le premier, à l’ordre officiel de la série.

[ii] Ces derniers étant coupés par Ciryl Castle, tailleur ayant travaillé pour la série « Le Saint » et qui travaillera pour quelques épisodes de James Bond avec Roger Moore

[iii] Décrite et illustrée sur l’excellent blog Bondsuits : https://www.bondsuits.com/the-persuaders-burma-dinner-jacket/

[iv] Décrite et illustrée sur l’excellent blog Bondsuits : https://www.bondsuits.com/the-persuaders-the-striped-blazer/

[v] Pour en savoir plus sur ce blazer façon cardigan, voir ici de nombreuses précisions et illustrations : https://www.bondsuits.com/the-persuaders-the-cardigan-blazer/

[vi] Précisons que ce travail repose sur le visionnage des vidéos intégraux de la série. La qualité des images disponibles ne permet pas toujours de préciser les détails notamment des tissus. Ainsi, il est possible que plusieurs costumes bleus, de coupe proche, cohabitent dans la série.

[vii] Voir ce costume en détail ici : https://www.bondsuits.com/the-persuaders-a-more-conservative-charcoal-three-piece-suit/

[viii] Décrit ici et fort bien illustré : https://therake.com/stories/style/week-channelling-lord-brett-sinclair-persuaders/ ou encore ici : https://www.bondsuits.com/the-persuaders-a-sporty-striped-suit/

[ix] Pour en savoir plus (en anglais) sur ce costume inspirant : https://www.bondsuits.com/the-persuaders-high-buttoning-green-suit/

[x] Décrite et illustrée ici : https://www.bondsuits.com/persuaders-tweed-norfolk-suit/

[xi] Id/ https://www.bondsuits.com/the-persuaders-roger-moores-black-velvet-dinner-jacket-for-an-intimate-affair/

[xii] Décrite et illustrée ici : https://www.bondsuits.com/persuaders-suede-safari-jacket/

[xiii]On pourrait croire à un manteau fait pour un chasseur sur le perron d’un grand hôtel. Il apparait ici en fin d’article : https://www.bondsuits.com/the-persuaders-the-cardigan-blazer/

[xiv] Voir, à ce propos, l’excellent article de ce blog : https://stiff-collar.com/2021/09/28/le-poignet-napolitain/

[xv] Voir ici de nombreuses illustrations : https://www.bondsuits.com/roger-moores-peak-lapel-suit-on-the-dick-cavett-show/

[xvi] Voir, à ce propos, l’excellent article de ce blog : https://stiff-collar.com/2018/03/12/la-cravate-a-pois/

[xvii]Parmi les pièces moins portées figurent aussi une veste d’intérieur à motifs cachemire, quelques polos dont l’un couleur jaune poussin, un blouson façon forestière noir à parements blancs, un beau pyjama rayé, un peignoir bleu roi avec large initiales sur la poche poitrine et un autre à la manière d’un tartan, clin d’œil aux origines écossaises de la famille, à fond rouge…

Belle et bonne semaine.

Crémerie/Poissonnerie, tous les Build Order !

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