Se plonger dans l’univers du tailleur est un plaisir, tant les savoirs-faire sont érudits et les matières premières choyées. Toutefois, il est utile de remettre en perspective sa place ainsi que celle des drapiers, au milieu d’un « monde » textile beaucoup plus vaste.
L’Union des Industries Textile avait publié une intéressante statistique portant sur la répartition des volumes mondiaux pour trois matières : la laine, le coton, et les fibres synthétiques. En 1994, la répartition dans l’ordre était la suivante : 4%, 45% et 51%. En 2014, elle avait évolué à : 1%, 28% et 71%.
L’usage du coton a baissé au profit des fibres synthétiques. Mais, et surtout, la laine est devenue une niche, sans parler des autres belles matières précieuses, comme le lin, le cachemire ou la soie. La laine est devenue plus que rare, elle est une goutte d’eau dans l’océan textile donc.
Et encore… cette laine, il est possible de la trouver sous deux formes de production pour l’habillement : le secteur de la maille (le tricotage), et le secteur du coupé-cousu (le tissu). Le premier secteur est je pense majoritaire maintenant. Il se vend tant de pulls à travers le monde que je suis prêt à croire, sans en avoir la statistique, que ce secteur est supérieur à celui du tissu de laine. Ce tissu pourtant, où se retrouve-t-il ? Dans des costumes, des vestes et de pantalons.

Or, le marché mondial du costume baisse. Dans un article très récent, Bloomberg nous apprenait que l’office statistique britannique venait de retirer le costume masculin (2pcs et 3pcs confondus) des 700 articles répertoriés dans le calcul de l’inflation. Il y était inclus depuis 1947. Kantar de son côté avait remarqué que le volume de costume vendu au Royaume-Uni était passé de 5 à 2 millions d’unités annuelles, sur les 10 années précédent la pandémie. Austin Reed, spécialiste du costume au R-U avait bien mis la clef sous la porte avec fracas en 2016, fermant une centaine de boutiques d’un coup. Et depuis, cela ne s’est pas arrangé avec le télétravail. Sans avoir de chiffre en France, je peux subodorer un état similaire.
Or le costume reste un consommateur de laine important. Donc encore une fois, que reste à la laine : la maille, un secteur par ailleurs assez porteur.
Pour autant, on voit que la laine sait encore se faire une belle place, comme le beau costume, avec le succès de Suit Supply entre autres. J’aimerais voir des chiffres précis toutefois sur cette « institution », les dernières infos que j’avais eu pré-pandémie faisaient état de fonds propres négatifs et d’un endettement record.
Mais disons que oui, les amateurs de beaux produits aiment encore la laine. Pour son tomber, pour sa netteté, pour sa fluidité. Pour ses qualités naturels indépassables ! La laine est raffinée.
Qui la porte toutefois. Non en pull, mais en pièces cousues, comme un pantalon ou une veste ? Regardons autour de nous.

Je m’étais interrogé il y a quelques mois dans Le Figaro pour savoir si la laine était un signifiant social. Chère à produire (longue chaine de production faisant intervenir l’animal), complexe à vendre (produit de haute technicité nécessitant une force de vente qualifiée), précieuse à entretenir (nettoyage à sec), la laine est capricieuse, comme tous les beaux produits. Elle se fait désirer.
Mon postulat était donc : mais est-ce que laine ne serait pas réservée aux riches ? Et donc dès lors, qu’elle serait un signe extérieur de richesse. Qui porte des pantalons en laine par exemple ? A côté du chino ou du jean, peu de monde.
Toutefois, je ne suis pas sûr qu’elle soit vraiment un signe de richesse. Mark Zuckerberg et d’autres riches modernes ont beau être plein de moyens, ils n’ont pas pour autant de la laine sur eux. Et allez dans un palace faire un tour, vous ne verrez pas une tonne de laine passer. Certes les plus grands tailleurs mondiaux travaillent la laine, mais dans des qualités infinitésimales.
Il n’y a peut-être pas un rapport immédiat entre richesse personnelle et laine. Mais une thèse statistique sur le sujet serait très intéressante toutefois à monter. Qui porte de la laine ? On peut en revanche dire qu’il y a une adhésion des porteurs de laine à son idéal. On ne porte pas la laine comme n’importe qu’elle autre matière. Il faut la vouloir et la chercher. La laine n’est pas anodine. Et elle n’est pas forcément que pour les riches. En revanche, une chose est sûre, c’est un marché de passion et la laine est un plaisir. Et ça, j’en suis ravi !
Bonne semaine, Julien Scavini
La laine a des propriété thermorégulatrices remarquables. Elle protège du froid, mais sait aussi être un excellent isolant contre la chaleur. Les vêtements faits en laine sont très « respirants », bien qu’imperméables.
Une amie éleveur me disait que la laine recueillie sur ses bêtes deux fois par an finit brûlée, faute de chaîne de transformation, alors même que le passage du tailleur a un coût non négligeable.
Quel gâchis, alors que cette fibre n’a besoin que d’actions mécaniques pour sa transformation, quand par ailleurs on arrose le marché de fibres artificielles et synthétiques à la production délétère.
Réhabilitons donc la laine ! Parce qu’en plus, c’est vraiment une matière super agréable à travailler (à coudre ou a tricoter).
Le cachemire est aussi de plus en plus cher. C’est un excellent investissement, car il se porte plusieurs années, et quel confort, quelle douceur dans un monde si dur.
Il faudrait vérifier que la laine est majoritaire dans le secteur de la maille, pas sûr que là aussi le synthétique soit majoritaires — un pull 100% laine, c’est niche !
Et inversement, les riches très casuels portent peut-être de la laine déguisée en synthétique : le mérinos est bien utilisé pour les vêtements techniques ; et plus anecdotiquement, les polaires Drake’s en casentino ont du succès 🙂
Merci pour cet article laineux ! Je me pose toutefois une question : A quoi tient le tarif élevé des confections en laine alors que j’entends partout que la laine n’a plus de valeur. En dehors des laines spéciales il parait même qu’un partie de la production part à la poubelle faute d’acheteurs. Votre avis ?
La plupart des laines de mouton n’ont pas les jauges de qualité suffisante pour passer en habillement ai-je entendu dire. Trop drue. Trop raide. Seules les meilleures fibres de mérinos principalement passent en habillement, mais c’est une production rare, très bien sourcée et encadrée par les tisseurs. Donc elle vaut chère. Les moutons lambdas sont nombreux mais leur laine en effet est inintéressante. Donc pas chère voire un déchet.
La laine est un signe extérieur de richesse…pour les manteaux ! Je me souviens avoir vu il y a quelques années un trentenaire avec un beau manteau croisé marron moucheté; quel effet ça fait !
Mais si l’individu a un manteau 3 boutons et camel, ça ne l’est pas forcément ! :p