La plupart des costumes fabriqués de nos jours sont coupés dans des lainages dit ‘quatre saisons’. Le drap de laine pèse environ 260 à 280grs au mètre linéaire (ou au mètre carré suivant les fabricants). Pour l’hiver, il est bon de monter un peu, un grammage plus lourd donnant un costume plus lourd et donc plus chaud.
Une sorte de consensus se dégage chez tous les drapiers, ce qui est assez amusant. 340grs est le premier palier intermédiaire. Les anglais appellent parfois cela le Royal Twelve, pour douze onces, soit 340grs. Avec ce poids, les tissus restent mettables presque toute l’année, en dehors de l’été chaud. Les costumes ont un bon tombé et sont solides. Suivant l’acception à la chaleur, on pourrait donc presque considérer ce poids comme toutes saisons.
Deux échelons permettent d’envisager trouver un costume bien plus hivernal. Le premier se situe aux alentours de 370grs. C’est un poids spécifique à la moitié la plus froide de l’année. Mais, curiosité, la plupart des tissus de ce poids ne donnent pas des costumes si lourds. La relative souplesse des tissus contemporains y est pour quelque chose, à l’inverse des draps anciens très raides. Il y a chez Drapers une liasse de ce type, la Five Stars, armurée de manière très dense, ce qui permet d’obtenir un tissu d’une robustesse incroyable, très raide. Je dois avouer n’avoir jamais vu à part dans les tissus anciens un tel maintien. Les costumes ainsi réalisés ont une prestance incroyable, une netteté hors pair digne de la grande-mesure. Ce tissu pardonne beaucoup au tailleur comme on dit.
Ensuite vient le dernier échelon connu, 400grs, de plus en plus rare. Bateman Ogden, honnête petit drapier d’Huddersifield me propose deux liasses, des british classics pourrait-on dire très agréables. Holland & Sherry édite une liasse amusante appelée City of London, sous-titrée Vintage Suiting, à 420grs. Les tissus sont toutefois assez mous, et le ressenti n’est pas si lourd que cela, malgré un cintre bien chargé. C’est paradoxal. Souvent ces tissus lourds font peur, mais en fait, une fois le costume coupé et monté, on est très loin d’un costume des années 60 ou 70, forcément bien plus raide et dense.
Il semble que le lourd revient un peu à la mode à en croire toutes les liasses que les drapiers sortent avec un peu plus d’étoffe. Caccioppoli a par exemple diffusé une liasse de tissus anglais en 360/370grs très attractive. Je remarque par ailleurs que ces liasses présentent souvent des tissus assez typés, à l’ancienne. Les caviars ont plutôt un grain assez gros, les prince-de-galles sont forts, les rayures marquées. Loin de l’esthétique fine des tissus quatre-saisons.
Les tissus que je viens de décrire sont à ranger dans la catégorie des tissus lisses, présentant une surface satinée. A l’inverse, la flanelle de laine donne des tissus plus moelleux dont le simple aspect donne chaud. Un consensus s’opère là aussi, autour de 340grs. Vitale Barberis (via Drapers, ou Caccioppoli, ou les fabricants) propose une large gamme et Loro Piana ajoute une touche de cachemire pour la douceur. Il faut toutefois noter que ces flanelles sont là encore plutôt molles et que si vous en cherchez une vraiment à l’ancienne, dense et structurée, il faudra se pencher vers des liasses plus spécifiques, comme Gorina (470 à 500grs) ou Caccioppoli (450grs environ).
Il faut toutefois penser à une chose, à poids égale, par exemple 340grs, une flanelle sera plus épaisse qu’une laine lisse. D’où une perte légère d’aisance si le tailleur n’augmente pas un peu les dimensions du vêtement.
Enfin, question délicatesse, il est bon de faire un rappel. La jauge du tissu, c’est à dire in fine, sa douceur, s’exprime en super quelque chose. Super s’100 ou super s’150. Attention, cette mention n’a aucun rapport avec le poids.
Généralement, les tissus lourds ne sont pas réalisés avec des laines aux jauges élevées, pour une simple question de prix. Les tissus lourds n’intéressent pas les gens les plus fortunés, ils intéressent les passionnés. Donc ils ne doivent pas être vendus trop chers. Et mettre beaucoup de fils luxueux coute très cher. Donc les tissus lourds, 340grs et plus sont généralement obtenus à partir de fils super s’60 ou super s’80 ou super s’100. Cette relative pauvreté de la matière n’est alors pas indiquée par les drapiers, car elle ne constitue pas un argument commercial. Corolaire, ces laines grattent un peu plus, ce que je ne supporte pas personnellement, le long de la jambe.
Le graal est donc de trouver un tissu relativement lourd mais avec une jauge élevée. Loro Piana propose cela dans sa liasse Winter Tasmanian s’150. Un poème, la douceur et le poids réunis. Caccioppoli propose également des s’130 lourds, mais en dehors de ces deux drapiers, c’est morne plaine. Et ils sont pas donnés. Ces liasses de tissus sont composées de tissus aux dessins plus discrets et modernes, à l’inverse comme déjà dit des liasses typées lourdes.
Vous voilà donc entièrement renseigné. Reste à trouver votre tissu précis, bleu marine, gris fil à fil et passe partout, ou chevron serré, tissus habillé très intéressant et évocateur de la robustesse hivernale…
Belle semaine, Julien Scavini