La lavallière

Petit article aujourd’hui pour faire le point sur la lavallière, un vêtement à la fois très historique et très galvaudé !

L’idée de mettre quelque chose autour du cou, dans le genre d’un foulard noué et retombant au milieu de la poitrine est apparue sous le règne de Louis XIV. Dit-on à la suite des régiments-mercenaires croates (cravate étant une déformation de croate). Auparavant, c’est plutôt de grands collets de dentelle qui sertissaient l’encolure. La fraise en était une expression surjouée.

Sous Louis XIV apparait donc une sorte de cravate d’aspects variés. Les représentations montrent souvent la superposition d’un papillon assez volumineux (et horizontal) en velours coloré et d’une retombée (verticale) de dentelle écrue. Il n’est pas très clair dans mon idée si les deux sont liés ou si au contraire ce sont deux cravates superposées.

Sous Louis XV et Louis XVI, cette double encravaterie baroque s’arrête. La lavallière au sens historique nait ici. Il s’agit d’un long ruban de lin très fin, qui après plusieurs tours de cou montant à la manière d’un col roulé, se noue au milieu ou légèrement sur le côté. Sur le modèle exact d’un nœud papillon, à la différence que les extrémités sont laissées longues et tombantes. Le raccourcissement de la lavallière a donné le nœud papillon moderne.

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La lavallière tire son nom de la duchesse Louise de la Vallière, maîtresse du roi Louis XIV, qui portait du temps de sa splendeur une cravate à larges pans.

Techniquement, la lavallière est donc un nœud papillon généreux dont les extrémités retombent à la manière d’un foulard. C’est un nœud qui se déploie à l’horizontal. Le mathématicien Cedric Villani semble apprécier ce modèle un peu exubérant.

L’exemple ci-dessous, d’époque romantique allemande, représente pour moi la lavallière idéale, généreuse et tombante :

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Dire que la lavallière est un nœud projetant dans le sens horizontal est un détail important.

Car fin XIXème et début XXème, ce nœud volumineux ne plait plus. Certes Baudelaire ou Rimbaud affectionnent encore les petites lavallières (presque des papillons d’ailleurs), mais la bourgeoisie cherche autre chose, une expression moins artiste ! On invente alors le nœud simple qui projette vers le bas, que l’on appelle nœud régate. Vous le connaissez tous, il s’agit de la cravate contemporaine, qui se déploie à la verticale.

Toujours au début du XXème siècle et en Angleterre, une simplification de la lavallière a donné une cravate appréciée avec la jaquette (morning coat) : l’ascot, appelée day cravat. Inventée précisément pour aller au champs de courses (au Royal Ascot), la cravate ascot a la forme d’une pagaie et non d’un ruban.

L’ascot est associée à un nœud très pauvre stylistiquement : la simplicité même, comme si l’on noue deux lacets mais sans faire les boucles. Les deux pans retombent alors bêtement et sans volume. Tout le panache de l’ascot vient de l’épingle de cravate qui donne le volume d’une main de maître. Cette épingle, pour la haute bourgeoisie et l’aristocratie est l’alpha et l’omega d’une tenue richement parée. C’est grâce aux boutons de col, de plastron, de manchette et à l’épingle de cravate que le niveau social peut se lire. Plus le bijoux était précieux et plus son porteur était riche.

Au début du siècle, vous pouviez donc nouer votre cravate en ascot ou en régate, le résultat n’était pas le même :

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Peu à peu, l’ascot a perdu son usage de cravate pour devenir un foulard de cou, porté non plus sur la chemise mais sous le col. Les années 30 semblent consacrer cet usage décontracté chic. Par là même, le mot a changé de genre, l’ascot féminin (dans le sens de cravate) est devenu l’ascot masculin (dans le sens d’un foulard). Une ascot désigne une cravate qui se noue et se forme avec une épingle, un ascot désigne un foulard qui donne le petit plus de chaleur aux messieurs élégants.

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Donc au final, ce que les français adorent porter au mariage avec une jaquette n’est donc pas une lavallière comme ils aiment à le dire, mais un ascot ! Qu’on se le dise!

Et qu’on se le dise aussi : à moins de porter une chemise amidonnée avec un vrai col cassé séparable, dans le genre Robert de Montesquiou, il est très costumé de vouloir porter un ascot à un mariage. D’ailleurs, dans les années 50, les grandes unions à la Madeleine étaient toutes en jaquette et en cravate régate, rayée ou à pois.

Notons aussi le règlement du Royal Ascot qui stipule maintenant qu’il est interdit de mettre un ascot (cravat) avec sa jaquette et que seule la cravate (tie) est autorisée. Un signe à tous les baronnets qui croient se donner du genre en portant cela!

Enfin et dans le même esprit, il faut aussi évoquer cette horreur absolue qu’est la cravallière, croisement génétique hideux entre une cravate et un morceau de soie sauvage. Une aberration que je ne souhaite même pas à mon pire ennemi !

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Espérons que ces jeux de mots et d’histoires stylistiques vous aideront à y voir plus clair!

Bonne semaine, Julien Scavini

 

 

Elégances de circonstances

La marque britannique T.M. Lewin m’a récemment écrit pour me soumettre une question intéressante : comment s’habiller le vendredi soir pour aller au pub…

De prime abord, je dirais qu’il n’est pas facile de répondre à cette question pour un français. Car si les bureaux de la City se vident tous les vendredi à 16h et que tous les pubs se remplissent alors au rythme d’une marée montant au galop, les habitudes en France et à Paris sont bien différentes. Il n’existe pas chez nous une telle sociabilité, à part épisodiquement.

Après réflexion, je pense que ce questionnement renvoie d’une manière plus générale à la notion d’élégance au XXIème siècle. Qu’est-ce qui fait l’élégance?

Je répondrais à la manière d’un axiome : la situation.

Bien sûr, en 1880 comme en 1950, on s’habillait déjà pour une situation donnée. Mais le répertoire des vêtements portables était réduit aux formes tailleurs (veste, pantalon, gilet en laine, lin ou coton) à peine hybridées.  De nos jours, le répertoire est bien plus large, il est même protéiforme. Aux vêtements tailleur, il est possible d’adjoindre une large palette de vêtement, légèrement décontractés, très décontractés voire carrément sport, issus d’industries de plus en plus technicisées.

Ainsi, on pourrait se rendre au pub tel que l’on sort du travail, en costume. En retirant sa cravate et en laissant le col ouvert? Oui. En arborant un petit papillon? Oui aussi, ça change. On pourrait aussi changer simplement de veste, pour arborer un modèle plus court et plus fantaisie, au tissu fait de beaux carreaux par exemple…

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Pourquoi avec le même costume ne pas mettre un paire de basket? C’est très confortable aussi? Au Pitti Uomo, c’était la grande tendance la semaine dernière.

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Ceci dit, si la soirée s’allonge et s’anime, il peut ne pas être confortable de rester en costume. Et le costume, surtout s’il vient du prêt-à-porter n’est pas conçu pour endurer des efforts importants, de la transpiration, de la fumée de cigarette ou des gouttes de bière. Dès les début du siècle, c’est exactement la même idée de situation qui amena les riches aristocrates à troquer la queue de pie pour le smoking, plus court et/donc plus pratique.

Peut-être pourrait on alors garder le pantalon du costume et remplacer la veste par un blouson de type aviateur? C’est une vêtement simple et pratique, que l’on peut poser sur un dossier de chaise ou rouler en boule dans un coin. D’une couleur bien choisie et avec un intérieur chatoyant en tartan, par exemple marine ou beige suivant le pantalon, il convient bien à cette situation à mi-chemin entre le bureau et la maison. Je pourrais proposer également de prendre une veste matelassée type Barbour, mais cela fait un peu trop paddock pour une sortie de bureau un vendredi soir.

Si l’on a un petit sac de avec soi, il est possible d’emporter un pull à col roulé, c’est très Steeve McQueen.

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S’il fait une petite fraicheur et que l’on aime pas le blouson, je pense qu’il faut s’intéresser aux mailles. Vêtement phare du siècle à venir (par sa facilité de fabrication, de vente et d’entretien), les mailles sont très versatiles et variées.

Évidemment, à la sortie du bureau et toujours en gardant son pantalon de costume, il est possible de remplacer la veste par un joli cardigan. Simple et efficace, il permet de grandes combinaisons de couleurs et donne de l’allure. Il est le juste milieu entre formalisme et décontraction moderne.

Un simple pull coll V ou un sweater à col châle pour l’hiver conviennent parfaitement aussi.

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Par ailleurs, une question se pose : est-il raisonnable de conserver sur soi le pantalon du costume, alors que c’est la pièce qui craque en premier. Good question !

Il me parait assez évident d’un pantalon confortable et décontracté est en coton. Le chino est apprécié pour son élégance tempérée depuis presque 50 ans. Certes, il oblige a changer de tenue au bureau. Pas très pratique sur le moment, mais tellement plus commode ensuite. Avec un chino beige, vous pouvez même garder votre veste de costume marine, ça marche ! C’est pas l’idéal, mais avec une belle pochette, personne ne vous reprocherait d’être négligé.

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Vous le voyez ainsi, il existe une très large palette de possibilité, du plus proche au plus éloigné de la tenue du matin pour travailler. L’élégance est facile si l’on vit calmement, entre chez soi, son bureau, son club et avec un chauffeur. Pourtant, ce n’est pas un problème d’argent. Car le vrai luxe de nos jours, c’est le temps. Le temps de se changer en l’occurrence pour chaque situation. De manière franche ou imperceptible. Mais changer quand même. Certes il faut y penser un peu, mais alors, chaque situation devient plus confortable et plus agréable. C’est bien le bénéfice de l’élégance, se sentir à l’aise et plein de confiance en soi à chaque instant. Les bons et beaux vêtements au bons moments!

Belle semaine, Julien Scavini

 

 

L’importance de la fabrication

Un lecteur régulier de Stiff Collar m’a récemment envoyé un mail dans lequel il me présentait deux photos de Simon Crompton, célèbre éditeur de Permanent Style. Sur ces photos, on voit donc l’élégant anglais habillé de deux costumes classiques et très semblables.

Ils sont semblables pour une bonne raison, ils ont été coupés par le même tailleur, à savoir Whitcomb & Shaftesbury. Les costumes une fois coupés ont suivi deux schémas de fabrication différents. Le premier à gauche a été cousu dans un atelier situé en Inde tandis que le second a été monté à Savile Row dans le propre atelier du tailleur.

Cette option donnée au client peut être intéressante mais elle est difficile à mettre en œuvre. Je vous dirais pourquoi.

Notre aimable observateur m’interroge donc pour savoir si je vois une différence à l’œil, ou pas, si les épaules paraissent plus tombantes ou la poitrine plus drapée.

J’ai bien écarquillé les yeux sur ces photos pour percevoir une différence. Car au delà des couleurs et de la luminosité différente, peu de choses ressortent différentes. Je note que le cran de revers à droite (en grande mesure) est plus joli et équilibré que le cran de revers réalisé en Inde (on ne sait pas quel est le niveau de mécanisation ou pas de cet atelier du reste), qui est trop grand, trop ouvert. Je note aussi que la courbe du bas de la veste est plus élégante à droite, légèrement plus ronde que l’autre. La poitrine apparait imperceptiblement plus bombée à droite aussi et plus tendue à gauche. Et c’est tout. Les têtes de manches sont pareilles et les épaules franchement similaires.

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Il faut aussi penser au confort et à la souplesse, chose que nous ne pouvons pas juger là. Or, d’un atelier à l’autre, ces points peuvent varier.

Si fabriquer un pantalon ou une chemise est assez facile et que n’importe quel atelier dans le monde peut y arriver plutôt bien, faire une belle veste, c’est autre chose. Car il y a un tour de main ! Et celui-ci ne s’acquiert que très lentement, que vous fassiez une veste artisanalement ou en usine.

Je suis très proche de mes ateliers, italien ou d’Europe de l’est. Mes visites fréquentes m’ont appris une chose : gérer une chaine de montage est un sacerdoce. Il faut une vraie expertise. Bien sûr en textile mais aussi en organisation et en méthode. Et plus le travail est répétitif et cloisonné, plus la qualité augmente, c’est la régularité. L’organisation, le phasage et le découpage du travail fait aussi le tour de main, que vous soyez dans un petit atelier parisien ou dans une grande usine.

Ainsi, à partir de la même coupe, il est possible d’obtenir deux vestes différentes. Cela dépend de la façon d’entoiler, de la manière de piquer l’épaule et son embus, de comment est cousu l’ourlet ou de la méthodologie pour monter la manche par exemple. A partir de la même coupe, vous pouvez avoir une merveille comme un truc inconfortable.

Rien qu’au niveau des fournitures (fonds de poches, thermocollants divers, toiles, droits fils etc…), les qualités (et le poids) peuvent varier. Telle usine de mauvais goût va utiliser des thermocollants supra-rigide (à la mode dans les années 80) et telle autre utilisera des techniques avancées pour rigidifier de manière pondérée et différente suivant les zones du veston.

Pour aller plus loin, l’idée de copier une veste est encore plus saugrenue. Car à partir des mêmes mesures, il est possible d’obtenir des coupes différentes. Je le redis bien, il est possible de mesurer deux vestes, exactement identiques, mais aux coupes pourtant différentes. Certaines galbent plus le devant, d’autres emboitent plus le bassin etc… A part en démontant le vêtement pour en tirer le patronage, copier par relevé de mesure ne donnera rien.

Ainsi, un grand tailleur parisien s’est un jour vu proposer par Ralph Lauren lui-même de reproduire une veste qu’il adore. Peine perdue, ce tailleur émérite déclina. Un, la coupe est spécifique, deux, le tour de main est propre à chaque tailleur. Et comme le tissu n’est pas du béton, chaque veste est en plus un peu différente, même montée par la même personne.

Enfin, pour revenir sur cette bonne idée, pourquoi ne pas couper une veste à un endroit X pour la faire monter à un endroit Y? Tout bonnement car la couture renvoie à de nombreuses questions normatives : valeur de couture, repères (crans) de montage, compréhension de l’ordre de montage, aller et retour entre les essayages et la fabrication. Souvenez vous des déboires chez Airbus pour réaliser l’A380. Allemands et Français n’avaient pas les mêmes logiciels. Et bien là c’est un peu pareil. Il faut que le monteur comprenne le travail réalisé par le coupeur, et inversement. Car une chaine de montage, petite ou grande, reçoit son travail à exécuter d’une manière réglée, normée. Il ne faut pas croire, même en grande mesure, le travail de gestion de l’atelier est très important, pour que tout l’orchestre joue la même musique.

 En bref, il faut bien dire et répéter que la couture reste un art difficile et variable. S’il fait chaud au moment de la couture, la toile va frisoter. S’il fait humide, elle gonflera. Si l’ouvrier est dans un bon jour la poche sera superbe ou l’inverse.

En tout et toujours, les hommes cherchent à annuler la variabilité, à rendre lisse et homogène. Hélas rien n’est jamais parfait et surtout le textile. A quoi bon. Le charme vient aussi de l’irrégulier et pas toujours du trop réfléchi. On peut chercher la perfection, il faut alors le faire en toute chose. Je connais pourtant peu de tels humanistes. Tout fini au même endroit, relativisons.