« Les belles chemises n’ont pas de poches. » Ce fait ancestral est probablement vrai. La chemise accompagnant un smoking ne devrait pas en avoir. Et Michel ne devrait pas avoir la poche de chemise remplie d’un infernal bric à brac le jour du mariage de sa fille. Quant à M. Rockefeller, il n’a pas besoin d’une poche de poitrine non plus, son secrétaire porte ses affaires dans une mallette.
Toutes ces affirmations sont vraies.
De là découlent quelques observations. Est-on continuellement en smoking ? Passe-t-on ses journées à marier sa fille ? Est-on aussi bien entouré que M. Rockefeller ? Donc alors une question : mais pourquoi en dehors de ces circonstances, ne peut-on pas avoir de poche de poitrine sur sa chemise ?
Celle qui était d’un classicisme absolu encore dans les années 60 est totalement rejetée. Pire, elle sent le gaz. Elle est suspecte de « beaufitude ». Elle ferait, n’ayons pas peur des mots, plouc ! Horreur.
Pourquoi tant de haine ?
D’autant plus, je le remarque continuellement, que la poche de poitrine est à l’inverse un élément d’embourgeoisement du t-shirt. Oui, ce vile vêtement de dessous que d’aucuns osent porter de manière visible au dessus. Les t-shirts chics – cet attelage existe-t-il vraiment ? – s’approprient la poche de poitrine dans une tentative désespérée de se donner du genre. Genre Faguo vous voyez. T-shirt blanc, poche bleu marine. Parce qu’en plus, outrecuidance suprême, la dite poche ose se montrer plus forte qu’elle n’est ! Elle est d’ailleurs souvent de dimensions ridiculement petites. Grotesque en passant !
Alors donc, sur un t-shirt elle a le droit de cité. Mais sur une chemise elle est honteuse ?
Et bien je le regrette. Car cette petite poche, non contente d’avoir un certain charme désuet, est surtout pratique. C’est ainsi que je regrette le week-end ou en vacances de ne pas trouver sur la plupart de mes chemises cet heureux logement où mettre lunettes de soleil, passeport ou téléphone.
Au fur et à mesure que je renouvelle mes chemises, je tente de plus en plus une petite poche de poitrine. Évidemment pas sur toutes. Mais sur certaines, j’ose ! Je tente l’interdit. Au risque de me faire traiter de plouc. Elle est si pratique. Et se voit si peu tout de même. Personne ne me suit avec une serviette moi. Je dois porter moi-même mes affaires. Rendez-vous compte ! Quelle vie !
Bonne semaine. La dernière parait-il? Encore un peu monsieur l’bourreau! Julien Scavini
Avant l’invention du pantalon moderne avec sa braguette centrée, les pantalons s’ouvraient sur le devant par l’intermédiaire d’un pont. Le pont est un bas-volet boutonné sur le côté et qui s’abaisse vers le bas comme une trappe. Petit ou grand pont suivant les modes et les milieux. La braguette centrée est probablement ancienne et il est difficile de dire quand elle est apparue. Une chose est sûre, les plus vieux jeans (1870 environ) la présente déjà. Sur les pantalons habillés de ville, cette disposition un peu « cavalière » sous forme d’une simple braguette verticale, a mis plus de temps à arriver semble-t-il.
Avec la forme d’ouverture à pont, les pantalons arboraient une foule de boutons. Boutons du pont d’abord, boutons de la ceinture ensuite, boutons de bretelles, boutons des poches parfois enfin. Une sacrée débauche de petite mercerie comme l’illustre cette culotte datée entre 1780-1810.
La poche dos n’est pas encore apparue. Mais la poche côté est là, boutonnable dans son angle. Regardez bien le pantalon ci-dessus. Dans le coin. La poche apparait dans l’angle, comme une trappe triangulaire. Une charmante disposition qu’Arnys avait reprise il y a quelques années avec des poches en coin, boutonnées. Intéressant. Mais était-ce pratique ? Voyez mieux sur cet extrait d’une peinture française rapportée par Farid Chenoune (admirez cette petite poche gousset au passage) :
A partir des années 1910, le pantalon devient à peu près moderne. Le pont a définitivement disparu et avec lui cette armada de boutons. Mais le pantalon s’amuse encore un peu, chaque atelier y allant de son inventivité. Les poches sont traitées avec amusement. Et les rabats ne s’avouent pas vaincus. Découlant de formes vernaculaires et souvent rustiques, les rabats reprennent ce qui se fait en vénerie ou chez les militaires, avec des formes d’accolade plus ou moins marquées.
Sur cette gravure de 1922, deux pantalons sont présentés avec des rabats intéressants. Le premier avec ses rabats vers l’avant qui font très « poches carniers » est remarquable. Mais était-ce pratique ? Sur le second, c’est la poche gousset qui arbore une petite patte boutonnée idéale pour suspendre une chaine de montre. Charming.
Ces rabats boutonnés ont beaucoup d’attraits. Mais ne présentent pas beaucoup d’intérêt pratique. En plus, ils demandent du doigté à l’ouvrier culottier pour bien coudre les courbes des rabats. Et les ouvriers culottier étaient généralement connus pour être plutôt des tâcherons travaillant à la chaine. Des bourrins pas là pour finasser les détails. Si bien que ces rabats n’ont pas connu un vif attrait. Quelques pantalons militaires ici, quelques culottes d’équitation là.
Dans les années 70, un certain revival de l’ancien mêlé à une ultra modernité ramène les petits rabats de poche. Poches arrières et poches gousset se voient affublées de rabats. Ralph Lauren dès ses premières collections présente des poches à rabats, et encore de nos jours, sur certains chinos il en place.
Mais tout cela reste de l’ordre de l’artifice. Les rabats restent un détail. SuitSupply de temps à autre présente des modèles ainsi embellis. En mesure, l’engouement est très variable. Avec les costumes un peu typés qui s’éloignent des bleus et gris très urbains, les pantalons à poches rabattues apportent un supplément d’âme. Et sur les pantalons seuls, ce supplément de style est de bon aloi.
Qu’en dire de plus ? Les rabats de poche sont intéressants sur des pantalons typés campagne je trouve, souvenir de l’origine des rabats. J’hésite souvent à en proposer. Je trouve ceux de Ralph Lauren très beaux. J’ai dessiné mon bermuda ainsi, avec de jolies accolades. Mais est-ce intéressant d’en disposer sur des pantalons ? Je n’ai moi-même qu’un modèle ainsi, un chino. Et encore, ce n’est que la poche à gousset. C’est vrai que c’est très mignon.
Au dos d’un pantalon à poches cavalier, c’est très élégant aussi, à la manière ce pantalon d’Arnys. Un petit air de jean. Il y a un charme indéniable dans ces rabats.
Mais hélas, au fond, ils n’apportent rien de pratique. Aussi, je ne peux m’empêcher de les apprécier tout en m’interrogeant. Le beau est souvent gratuit me direz-vous !
Je vous souhaite une excellente semaine. Julien Scavini
Chers amis, chers lecteurs, de temps en temps je vous sonne quand un poste est à pourvoir dans ma boutique.
L’offre concerne ma boutique « mesure ». Je suis à la recherche d’un vendeur à temps complet. 37h. Salaire sujet à discussion, sujet ouvert.
Le poste prévoit : – accueil et gestion des clients – prises des retouches sur les vêtements arrivés de l’atelier – suivi des retouches et des livraisons – suivi de la facturation et tâches administratives diverses – conseil en style et conseil des clients dans le cadre de commande « mesure ». = Savoir discuter, faire surgir les envies, donner envie. Gestion d’une commande « mesure » sur les questions de style et d’options, sur le choix du tissu en particulier. – conseil aux mariés
Le poste ne prévoit aucune prise de mesure. Cela repose sur moi, Julien Scavini.
Une expérience de deux ans minimum en prêt-à-porter homme est recherchée. Savoir manier les épingles, savoir conduire les retouches est primordial. Amabilité, souplesse, générosité et gentillesse sont des qualités demandées. Je ne cherche pas l’éclat, mais à établir une relation de confiance avec mes clients au travers de ce poste!
Recrutement courant novembre pour un début en janvier 2021.
La veste croisée connait un juste retour en grâce après deux décennies où seuls les ventrus se sentaient, curieusement, autorisés à la porter. Pourtant, une belle veste croisée sur quelqu’un de mince est aussi élégant. Et en fait, le croisé est toujours chic. Il donne une stature, une allure, en un mot de la prestance. Son seul défaut peut-être est de devoir rester boutonné tout au long de la journée, là où une veste droite peut allègrement rester ouverte. Défaut minime toutefois, car une veste croisée portée ouverte peut avoir beaucoup de chic. Un chic décontracté. Le prince Charles porte souvent le croisé ouvert, et il a raison.
Passons en revue les différentes poches dont peuvent être affublées les vestes croisées.
Y’a-t-il un sujet pourriez-vous d’abord demander ? Car au fond, c’est une veste comme une autre, et à ce titre, pourquoi une veste croisée ne pourrait-elle pas avoir strictement les mêmes poches qu’une veste droite ? En fait, elle peut. Mais sur le croisé, les usages sont un peu différents et les poches prennent un relief, je trouve, différent.
Les poches de côté conventionnelles sont généralement horizontales. Il y en a une de chaque côté. Et très classiquement, ces poches sont pourvues d’un rabat. La veste croisée peut de manière simple et habituelle avoir deux poches de côté à rabat. Point. Sans signification particulière. Voyez :
Toutefois, il me semble que le plus classique sur un croisé est de ne pas avoir de rabat. Je pense que le croisé est ainsi au meilleur de son allure. L’absence de rabat dénote un vêtement habillé, supérieur aux autres vêtements. C’est pourquoi le smoking n’a pas de rabat aux poches. C’est pourquoi les vestes droites les plus habillées (en velours, ou pour des costumes du soir) n’ont pas de rabat non plus. Sur une veste droite de costume, je trouve toujours ce choix un peu curieux, dommage. Mais sur un croisé, je l’encourage à l’inverse. Encore le prince Charles pour illustrer le propos :
Passons à la poche ticket. Plutôt sport et décontracté à l’origine, elle s’est rapidement frayée un chemin vers les costumes de ville. Elle est même devenue la marque des tailleurs anglais, ou de ceux voulant être à l’heure de Savile Row. Le tailleur André Guilson ne connaissait d’ailleurs pas tellement le mot poche ticket, lui l’appelait poche anglaise. Je viens d’énoncer que le croisé était plutôt habillé. Est-il logique alors d’apporter cette poche ticket ? Sur le papier non. Mais en vrai, c’est pas mal du tout. Et tous ces angles droits font bon ménage avec le bas carré du croisé. Il y a un petit quelque chose de géométrique satisfaisant là dedans.
Passons aux poches en biais. Elles sont aussi plus sport que les poches horizontales, puisqu’elles ont été développées pour les vestes d’équitation, pour avoir bonne allure assis. Les poches en biais donnent un style pleine d’allant. Sur une veste droite, elles appuient même un peu le cintrage du coup. Mais alors sur une veste croisée, je trouve qu’elles ne vont, mais alors pas du tout. Pour moi, c’est hyper-charly comme dirait le Chic Anglais. C’est atroce et mes yeux saignent quand je vois ça. Pour moi, c’est une invention de l’armée allemande, où comment affubler d’un air de cavalerie des dolmans croisés. Pour moi, le croisé à poches en biais, c’est la ligne d’Hermann Goering. Pour ne pas dire de Goebbels ou d’Hitler. En fait, le croisé à poches en biais était un type de la wehrmacht.
Alors toutefois, dans Amicalement Votre, Brett Sinclair porte des vestes croisées à poches en biais. Mais c’est un excentrique au fond, il ne sait pas ce qu’il fait. Le costumier s’est dit que cela ferait plus « english ». Les élégants qui oseraient ça sur un croisé le font à leurs risques et périls !
Et deux poches en biais sans rabat alors. Qu’en penser ? Je ne veux même pas y penser, c’est hors de mes possibilités mentales ! Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Les poches appliquées ensuite. Ah là, on sort de la zone de confort de la veste croisée. Apparel Arts dans les années 30 dessine quelques vestes croisées à poches plaquées. Mais j’ai du mal à trouver de belles photos de cela. C’est rare au fond. Jusqu’à récemment encore. Le croisé est plutôt un habit de ville, ou un blazer à la rigueur. Et la poche plaquée est plutôt sport. L’assemblage des deux ne va pas de soit. Ceci-dit, SuitSupply et consort distillant une mode hybridée et un peu tapageuse, la poche plaquée sur un croisé est presque devenue classique. Et très possible.
Deux poches plaquées en bas s’envisage très bien. Simples et efficaces, elles sont de toutes manières très discrètes et n’altèrent en rien à la ligne du croisé. Elles décontractent un peu ce vénérable habit en relativisant son statut. Idéal pour dépoussiérer ce vêtement que seuls les grands pères osaient encore sortir. Et pour des vestes croisées, d’été ou d’hiver, elles apportent un supplément d’intérêt et sont tout à fait à leur place.
Un hic toutefois apparait lorsque la poche de poitrine est aussi plaquée. Car le bouton décoratif de la poitrine gauche ne trouve plus sa place. Je m’amuse à voir comment les stylistes s’en sortent avec ce sujet qu’ils ne connaissent pas. Certains cousent le bouton sur le poche. Beurk. D’autres décalent les boutons décoratifs vers le revers, pour les coudre au bord de la poche. Encore plus beurk. Non, la bonne réponse est qu’en présence d’une poche plaquée de poitrine, et bien tout simplement, on ne met pas les deux boutons décoratifs. C’est l’usage. Il reste donc un simple carré de bouton.
Voilà de quoi vous permettre de sélectionner en conscience les poches de votre futur costume ou veste croisé ! Bonne réflexion.
Si j’ai eu grand plaisir à extraire du film Gatsby cette foule d’image, il en va autrement de mon appréciation du film. Je l’avais vu il y a plusieurs années sans en garder un souvenir impérissable. Ce n’est pas pour moi l’apothéose du cinéma. La faute je pense à une histoire simple et pas évidente à matérialiser à l’écran. A l’écrit, le suspense sur le personnage principal demeure puis l’action se déroule avec un certain rythme. Filmé, tout le mystère s’évapore dans une débauche d’effets visuels.
L’écueil fut le même avec le film de Baz Luhrmann en 2013. DiCaprio ne suffisait pas à rendre l’histoire palpitante. Malgré une débauche extravagante de moyens techniques. J’ai peu aimé les deux films, d’autant plus qu’au fond l’histoire est sinistre et que les films laissent un goût de cendre dans la bouche. En plus, dans le plus récent opus, si les femmes étaient intéressantes par leurs costumes, pour les hommes, ce fut loin d’être le cas, la faute à une allure chiche que l’on aurait pu croire sponsorisée par Tati. Franchement, DiCaprio, avec ses costumes ivoire et ses souliers en simili fabriqués à Roubaix, manquait tout simplement… de goût. Ce qui n’aidait pas.
Vous me direz alors, pourquoi ces deux gros articles si le film n’en vaut pas la peine ? Eh bien je ne sais pas trop. Ralph Lauren a fait un travail formidable, je le redis. Visuellement, c’est superbe. Cette grande allure distillée à chaque image supporte tout le film, et l’histoire même. Le film vaut le détour pour ça.
Mais en même temps comme dirait le Président, je ne peux m’empêcher de penser à la fausseté des habits. Si l’impression générale est délicieusement surannée, les visuels particuliers n’ont rien de 1925, n’ont rien d’authentique. Tout sent affreusement le kitsch des années 70. On pourrait voir apparaitre Nixon à l’image et une Cadillac Eldorado, que l’on serait à peine choqué. Dès lors je trouve plus de charme à un bon vieux Columbo plutôt qu’à ce Gastby.
Comme je l’avais dit pour Titanic, un costumier n’est pas obligé d’être dans l’époque de manière authentique. Son but est de donner une impression, une couleur visuelle au film. Il ne fait pas un travail d’archéologie. Je le concède mille fois. Mais dans ce Gatsby, il y a peut-être à l’inverse trop de Ralph Lauren. C’est presque une démonstration de style, une démonstration de son savoir et de ses possibles. En cela, Hercules Poirot sous le soleil dont j’ai parlé ici était presque plus authentique. 1970 aussi, mais plus authentique.
Car peut-être, l’esthétique visuelle de Ralph Lauren dans ce Gatsby est trop apprêtée, trop stylisée. Trop cuite et recuite. Il manque un petit côté boiteux, mal fichu, ridicule, pour faire ressortir le beau. Tout est trop sur le même ton. Tout est trop léché. Peut-être au fond, faudrait-il qu’un réalisateur porte un Gatsby à l’écran avec moins de moyen, moins de tapage, pour en faire plus ressortir l’essence, celle d’une société américaine depuis longtemps malade d’elle-même, malade de son ivresse de puissance et de réussite. Malade aussi de sa misère et de la déliquescence de ses mœurs malgré une façade toujours ripolinée. Malade enfin et surtout de son argent facile.
Il y a tout ça dans Gatsby à l’écrit. Pas seulement des fêtes et des vêtements. Ce que les deux films n’arrivent pas à faire ressortir avec force.
Gatsby de 1974 est un bon film. Peut-être un grand film. Un grand classique, en revanche probablement pas. C’est un film d’époque. Qui comme tout les films d’époque s’est fait doubler par un remake. Imagine-t-on un remake à Autant en emporte le vent ? Probablement pas. Et encore moins d’ailleurs depuis sa partielle censure.
Gatsby fut un divertissement fait pour en mettre plein les yeux. Et il a réussi parfaitement.
Bonne semaine, Julien Scavini
PS : Je me suis amusé pour le plaisir à imaginer un autre Gatsby, et un autre Nick Carraway, avec une différence d’age plus marquée. En 1925, les lignes du costumes contemporaines sont là. Les pantalons sont un peu larges et mous, sans pince. Les vestes sont une peu longues et molles aussi. Les plus dandys demandent des épaules très étroites (dites rentrées) à leur tailleur. Les années 30 apporteront définitivement l’idée d’une ligne et d’une allure, qui n’existe pas encore.
Les couleurs sont plus sombres que ce que laisse croire Ralph Lauren. Je me suis inspiré de photos d’époque, plus précisément de Calvin Coolidge, Président des USA de 1923 à 1929, pour dessiner les deux hommes.
Version été. Version hiver. Gatsby porte un faux-col, ce qui me semble plus juste. Nick un col boutonné mou, déjà à la mode aux USA.