Le livre ‘Fred Astaire Style’ de G. Bruce Boyer

Fin janvier, pour conclure sa fiche de lecture de ‘Rebel Style‘, Raphaël évoquait l’envie d’un livre sur l’allure classique, comme résistance aux modes. Et bien en rangeant la bibliothèque de la boutique, j’ai trouvé par hasard ce livre. Fred Astaire Style, dans la même série chez Assouline que le livre précédent. En voici donc les grandes lignes, toujours écrites par Raphaël :

Qui est LE représentant de l’élégance masculine au cinéma ? Attention, pas un homme grand et beau, à la Cary Grant, qui ferait toujours tourner les têtes! Pas plus qu’un homme dont le regard a fait la carrière, comme Clark Gable ! Alors, James Dean ou Gary Cooper ? Non plus ! Eux, c’est le sex-appeal qui domine, pas l’élégance.

Cherchez plutôt un acteur dont le visage s’oublie pour ne regarder que le corps ou plutôt, le mouvement. Ce corps qui virevolte. Précis et distingué, ni raide ni apprêté. Un acteur qui ferait douter de la gravité terrestre : Fred Astaire. Il détonne à une époque où le canon de beauté d’Hollywood se définit par des acteurs qui sont « Tall, Dark and Handsome », lui qui était petit, maigre et vaguement chauve, comme il aimait le rappeler. Pourtant, armé de son charme, Astaire marque profondément son époque.

Quand on pense à cet acteur, on pense à l’âge d’or d’Hollywood, aux décors somptueux et à la belle Rita Hayworth. Fred Astaire incarne le beau vestimentaire. Pour certains, c’est le séducteur de Top Hat (1935), digne en queue-de-pie. Pour d’autres, c’est un virtuose en smoking dansant sur un bar, dans The Sky’s the limit (1943). Et pour d’autres encore c’est le dandy, chapeau haut de forme, jaquette et guêtres de Blue Skies (1946). En somme : un Fred Astaire vêtu de tenues très formelles.

Des légendes renforcent cette idée d’un Fred Astaire à l’élégance repassée : l’acteur aurait fait couper un gilet aux pointes arrondies, dont le tailleur Anderson & Sheppard garderait jalousement le secret, refusant de le copier pour d’autres clients… Plus troublant encore, Astaire aurait eu des habits à l’emmanchure si haute qu’il en aurait eu mal aux aisselles ! Quelle ironie ! Nous ne nous souvenons que d’une infime partie de ses tenues : celles qu’il aimait le moins, les ensembles formels et codifiés. C’est tout le propos du livre de Bruce Boyer : Fred Astaire n’est pas un héros victorien à l’élégance affectée.

Au contraire, Fred Astaire est un représentant du cool, du décontracté américain, par ses tenues colorées et souvent dépareillées, loin du costume business. Ce cool, c’est celui d’un danseur accompli, qui possède une technique de danse parfaite et qui travaille ses chorégraphies avec acharnement. Astaire s’habille pour laisser son corps libre de danser : c’est pour ça qu’il y a un style Fred Astaire. Ainsi : adieu les cols amidonnés, des épingles tiennent en place ses cols de chemises. La cravate ou le foulard sont fourrés entre deux boutons. Une autre cravate se noue comme une ceinture : elle maintient le pantalon haut, au creux de la taille. Pourquoi ? La soie est plus souple que le cuir. Enfin, détail important: les chaussures. Quand Astaire danse, ses chaussures sont moulées sur ses pieds. Sa jambe est nerveuse, allongée. Son pied : petit et souple.

Le style Fred Astaire est un ensemble de variations de modes et de coupes décontractées. Il incarne la souplesse et le mouvement. Oui, il y a un  immense travail de coupe chez le tailleur, qui répond à l’immense travail de répétition du danseur. Tout cela pour avoir l’air nonchalant. Les tailleurs de Fred Astaire suivent la mode, presque à contrecœur. L’ampleur augmente ou diminue imperceptiblement, pour être d’actualité sans être la caricature d’une mode. Par exemple, lors de la remise des oscars en 1970, Astaire est habillé à la mode : un smoking bleu, grand nœud papillon de velours, une chemise non amidonnée et un pantalon étroit !

C’est la différence vis-à-vis des acteurs. Un acteur s’habille pour dessiner à gros traits un personnage. Fred Astaire est avant tout un danseur. Il s’habille comme il danse : avec nonchalance. Voyez :

ou encore :

 

Quelques photos du livre de G. Bruce Boyer pour conclure:

Bonne semaine, Julien Scavini

La veste, objet modulable

La veste classique, développée au cours du siècle écoulé, est une formidable base de travail et d’amusement pour les tailleurs et leurs clients. Pour les stylistes aussi. La base, c’est-à-dire la coupe générale du corps et des manches est toujours la même. Elle peut varier un peu suivant le coupeur qui suit ses envies ou la maison qui suit la mode. Mais globalement, un corps de veste reste un corps de veste. Par contre, tout ce qui en fait le style et les options peuvent varier. Voilà par exemple ce que l’on obtient d’un tracé primaire en coupe. Un gabarit sans revers, sans poches, sans ligne précise du bas.

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En coupe, et qu’importe que l’on trace une veste droite ou croisée, châle ou à col pointe, la base de développement est la même. Une fois le tracé primaire obtenu qui définit les grandes lignes de volume, il convient d’apporter les raffinements stylistiques : un, deux ou trois boutons, cran à encoche ou cran pointu, poche à petits rabats ou poches plaquées. C’est ainsi que les tailleurs et les stylistes procèdent. D’une même base, un bloc comme disent les  industriels, on peut faire dériver des styles. La vestibilité, c’est-à-dire le confort sera le même, mais le style sera différent. C’est ainsi que l’on peut ‘programmer’ une veste, à partir d’un langage ayant son alphabet : boutonnage, poches, revers, éléments divers.

Il est possible de tirer à partir de cette bases de nombreuses variantes, très différentes. Au significations différentes…!

Je m’amuse dans le grand tableau ci-dessous à dessiner simplement des options de boutonnage. Je pars de la veste un bouton pour arriver à la quatre boutons. Parallèlement à ce travail, j’ajoute la forme de revers : cran à encoche classique, cran en pointe, cran en pointe sur base croisée, col châle sur base croisée et droite. Vous verrez avec ce tableau que je commente en dessous, tous les possibles, à partir de cet alphabet simple et modulable à l’envie.

  • Ligne 1 : vestes à un bouton, ou un niveau de boutonnage pour les croisés | ligne 2 : vestes deux boutons ou deux niveaux de boutonnage pour les croisés, etc.
  • Colonne A: col châle | B: col en encoche simple | C : col pointe | D : croisé à col pointe | E : col châle croisé

planche de variations

  • La ligne 1 rassemble assez facilement les smokings.
  • A noter que 1B ne se fait pas vraiment en smoking. Et peu en costume de ville, toutefois Huntsman en a fait sa ligne maison. (photo)
  • 1D peut exister en smoking, j’ai préféré dessiner un costume à la ligne typiquement années 90, avec ce boutonnage très bas caractéristique, comme Ralph Lauren (photo).

  • 2A ne se fait pas. Mais depuis qu’un ancien premier ministre (Manuel Valls) l’a fait couramment, je me suis senti obligé de le mettre dans mon étude. Remarquez, certains au gouvernement l’appelaient ‘Tati’, comme la marque. (photo) Donc ce n’est pas une preuve. Je l’ai fait deux fois pour des mariages, dans des tissus intéressants comme du lin irlandais. C’était pas si mal.
  • 2B représente l’absolu classique actuel. Le modèle de la veste aujourd’hui.
  • 2C est très élégant. Une allure très années 30 mise en avant par Tom Ford. (photo)
  • 2D représente le croisé conventionnel, celui du Prince Charles et d’autres gentlemen plein de goût. (photo)

 

  • 1E a beaucoup d’allure mais se voit rarement. (photo)
  • 2E a comme 1E beaucoup d’allure, mais seul Ralph Lauren s’y intéresse un peu. Une version sublime. (photo)

 

  • 3A. Une curiosité n’est-ce pas que ce col châle sur une veste trois boutons. Cela a du exister un peu, sur des vestes molles vernaculaires. De manière contemporaine, c’est tout à fait un possible à la Arnys. (photo)
  • Si 3B est archi classique (la veste trois boutons), 3C est moins courant. Dans la série Hercule Poirot de ITV, l’acteur David Suchet porte souvent cette forme de trois boutons à col pointe. C’est très formel et typiquement années 30. Un petit esprit pincé de jaquette. (photo)
  • En 3D, on pourrait appeler cette forme demi-amiral. Un aimable client -paix à son âme- m’avait commandé cette forme il y a quelques années. Beaucoup de chic et d’allure.
  • En ligne 3 et encore plus en 4, élargir les revers devient de plus en plus difficile sans que le tissu ne vrille ou tire, entrainé par le col.

 

  • 4A, rien à proposer, comme 4C. De toute manière, 4 boutons se fait très peu. C’est très 1910 ou très 2000. Dans le premier cas, c’est parfois élégant, dans le second, c’est purement saugrenu, un peu façon Thierry Mugler. (photo)
  • 4B, une timide étude très début de siècle, c’est pourquoi j’ai proposé un autre col de chemise.
  • 4D. L’apothéose du style marin et du style tout court. Lord Mountbatten! Le monde portera-t-il encore des personnages de ce niveau de grandeur? Pour bien dessiner ce croisé, il faut arrondit le bord vertical, vers l’extérieur. Cela produit un effet optique en démultipliant l’ampleur de la poitrine. Les tailleurs de la marine française faisaient ça mieux que personne. Faisaient. Hélas… (photo)

 

  • Et enfin, je sais que vous n’attendez que ces cases : 3E et 4E. Depuis que les années 30 se sont terminées, difficile de trouver de telles pièces. L’idée de vestes d’intérieur ou de fumoir largement boutonnées, qui plus est de brandebourg, allait de pair avec la froideur des intérieurs avant le chauffage central. Les revers pouvaient être matelassé ou même en fourrure.
  • Notez que la colonne E ne renvoie qu’à des veste servant à l’intérieur. Presque comme la colonne A. L’allure enveloppante du col châle y est peut-être pour quelque chose. La colonne E est quasi impossible à trouver en demi-mesure. Peu d’ateliers travaillent ces formes, d’abord peu commune, et surtout très technique. Il ne faut pas croire, le col châle est assez difficile à bien réaliser. D’une pièce, il consomme beaucoup de tissu et pour que les pans ne vrillent pas, ne tirent pas, il faut travailler très finement. Certes il est moins long à faire que les autres, mais il est plus technique dans le tour de main, dans les souplesses, ces fameux embus.

 

Voilà, avec ce petit tableau, vous avez de quoi rêver à tous les possibles de votre garde-robe. Et vous pouvez même essayer vous-même de remplir chaque case! Enfin songez que si les poches varient aussi, la possibilité en terme de variation devient infinie! Une vraie modularité cette bonne vieille veste!

Bonne soirée et bonne semaine, Julien Scavini

Les boutiques de Vienne

Je n’étais jamais allé à Vienne auparavant et j’ai été tout à fait ravi de cette visite. La capitale autrichienne est charmante, élégante et bien ordonnée. De petite dimension, elle est facile à découvrir, du moins pour ce qui est du centre historique. Et puis surtout, elle n’est pas bruyante et encore mieux, elle est propre. Enfin à côté de Paris, c’est la Lune! Un bref, une ville idéale pour se reposer. Quand aux collections Habsbourg, elles sont renversantes d’intensité! L’aile Kunstkammer est délirante de beautés!

J’ai été tout à fait intéressé par les nombreuses boutiques pour homme. Évidemment, comme toutes les capitales mondialisées, on retrouve Zara pas loin de Vuitton, Hermès à deux pierres de Tommy Hilfiger. Mais là, j’ai trouvé que la concentration de belles boutiques indépendantes était plus importante. Et qu’elles vantaient bien souvent une belle et traditionnelle élégance masculine. La ville regorge de théatres, d’opéras et de salles diverses, y compris pour danser. La tradition du smoking et même de la queue de pie y est encore vivace. D’où un certain nombre de boutiques proposant de merveilleuses panoplies « white tie » ou « black tie« . Et il n’est pas rare de croiser de petits groupes ainsi vêtus à la nuit tombée. Encore une fois, un monde de différence avec Paris où beaucoup se rendent à Bastille en chemisette claquettes. Quel plaisir civilisé!

D’autant que les autrichiens semblent avoir de l’argent, ou du moins sont-ils peut-être moins avares que les parisiens. Les prix affichés dans les boutiques sont conséquents. Certes je n’ai jugé que sur l’hyper-centre, mais voir des vestes affichées en vitrine au dessus de 1500€ est bien rare à Paris. Les antiquaires étaient de très bon niveau aussi.

Je m’étais amusé il y a plusieurs années à prendre en photos les élégantes boutiques de Trévise, ville située à côté de mon fabricant italien que je visitais alors, Sartena. Du coup j’ai eu l’idée de faire de même. Pour montrer que le classicisme vestimentaire n’est pas un vain mot. Et qu’il est encore possible de faire du beau. Je m’excuse pour la qualité des photos, je n’avais pas amené le gros appareil de la boutique. Et mon iphone n’est pas jeune.

Je commence avec un première série diverse, dont le grand tailleur Knize. Et ensuite, je vous présenterai une boutique coup de poing. Un choc de style et d’allure. Un bonheur viennois!

 

Commençons par Stepanek Herrenmode, au 6 de la rue Kärntner Ring. De bon aloi et bien présenté.

 

Chez Gino Venturini, au 9 de la rue Spiegelgasse, les tenues de soirées sont superbes, comme du reste chez Alfred Müller au 7 de la rue Tegetthoffstraße. Un petit air d’Apparel Arts! Quel enchantement.

 

Chez House of Gentlemen, au 11 Kohlmarkt règne un petit air italien dans les accords. Une fantaisie légère et beaucoup d’allure dans les présentations!

 

Enfin, passons chez le tailleur Knize, prononcez « Knijé ». La maison est célèbre et reconnue depuis 1858. La boutique historique en marbre noire et l’intérieur qui se poursuit sur tout le premier étage a été entièrement conçu par l’architecte Adolf Loos dont j’aimais beaucoup le travail alors étudiant en architecture. C’est un moderniste qui refusait l’ornement mais qui paradoxalement travaillait tout de même beaucoup la matière et le langage architectural.  L’ornement sans l’ornement…! Il y avait un peu d’Art & Craft chez lui. Il évoquait aussi beaucoup le ‘cosiness‘ anglais et ses intérieurs pouvaient être tout à fait intimes et vivables à l’inverse des grands modernistes. Il a construit à Paris la maison de Tristan Tzara à Montmartre. Un architecte curieux et tourmenté je crois. Les intérieurs de la boutique Knize que je n’ai pas pu prendre en photo sont sur google et présentent encore les menuiseries et le fond vert d’époque.

Longtemps présent à Paris, d’abord au 149, avenue des Champs Elysées puis au 10, avenue Matignon (fermé en 1972), Knize était aussi installé à New-York (fermé en 1974). Son parfum Knize 10 est un classique parmi les classiques pour hommes. La maison coupe encore sur-mesure mais vend surtout du beau prêt-à-porter, étiquetté maison ou de tiers de qualité, comme Brioni. Quelques beauté comme cette robe de chambre et cette queue de pie parfaitement coupée :

 

Pour information, quelques prix. Et une boutonnière cousue main sur une veste Brioni :

 

Voilà pour cette première partie.

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Lorsque j’ai fait toutes ces photos, je croyais avoir tout vu et en avoir déjà assez. Et puis, un autre soir, au détour d’une place près de mon hôtel, j’ai été littéralement scotché par une dernière et très grande boutique. Wilhelm Jungmann & Neffe. Un choc total devant tant de beauté. J’avais devant moi le Charvet local. La maison ne vend pas de vêtement, seulement des accessoires pour homme et femme et du tissu à la coupe. Elle se fournit en draperie auprès des meilleurs tisserands mais refuse de dire lesquels. (J’ai bien vu du Loro Piana). Je ne vous parlerais pas de prix, ce serait offensant pour la maison, mais ils sont raisonnables. J’ai passé beaucoup de temps chez Wilhelm Jungmann & Neffe à prendre ces nombreuses photos, dont hélas je ne suis pas très content. Les décors très sombres et les globes lumineux sont difficiles à cerner photographiquement.

Je n’ai pu m’empêcher d’acheter un joli nœud papillon pour remercier cette institution de 1866 d’exister encore. Et j’en suis tellement heureux. L’atmosphère parfaitement surannée et les poêles au milieu de l’espace sont un ravissement. Une incongruité du monde moderne. Simon Crompton de Permanent Style avait aussi décrit sa surprise devant ce joyaux de l’ancien monde. Voyez plutôt! Admirez.

Déjà les vitrines disent qu’il se passe là quelque chose… :

 

Ensuite, on ose pousser la porte. Discrètement, on ne voudrait pas déranger.

 

Les yeux ne savent plus où regarder. Un paradis sartorial n’est-il pas?

 

Enfin, la collection de cravates et d’autres accessoires est une explosion de couleur. Un feu d’artifice gourmand. L’esprit n’en croit pas ses yeux. Le croyez-vous?

 

De grâce, si vous passez à Vienne, allez y acheter un petit quelque chose. Pour faire perdurer encore cette maison, qu’il serait bon de marier à Charvet je crois!

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Voilà de quoi faire des rêves élégants! Belle et bonne soirée, Julien Scavini.