Petit à propos sur le prix et la valeur…

Mon ami Jean-Baptiste R. m’a glissé ce petit billet au questionnement passionnant et à l’humour sous-jacent… Je vous laisse profiter de ce court texte à l’accent Chap’ !

            Les discours et cérémonies de vente des enseignes du luxe ont toujours attaché une grande importance aux mots. Marketing oblige. L’objectif final étant de vous procurer une expérience inoubliable.

Dès lors, chaque terme est soigneusement sélectionné pour vous suggérer ou vous faire oublier certaines pensées afin que ce moment soit le plus mémorable. On vous parlera de manufacture plutôt que d’usine, d’artisan plutôt que d’ouvrier, de maison plutôt que de marque… La liste est longue et continue de s’agrandir avec le temps.

Parmi ces trouvailles, nous observons le remplacement du mot « prix » par la notion de « valeur ». Cette pirouette linguistique permettrait en effet d’éviter d’utiliser le mot qui fâche pour vous suggérer l’un des bénéfices directs de votre achat. Ainsi, on parlera, par exemple, de la valeur d’une montre et non de son prix.

glen tweed

Cependant, en associant les termes de « prix » et de « valeur », les marques de luxe ne passeraient-elles pas à côté de l’essentiel ?

En effet, ce jeu dangereux pourrait bien vite se retourner contre eux : dans une grande enseigne internationale, une montre à X milliers d’euros ne « vaut » pas son prix, qui inclut des frais importants, étrangers à la fabrication de cette dernière (communication, événements, marges requises par les actionnaires). A l’opposé, une marque de niche proposant des montres de qualité comparable ou supérieur, proposera généralement des prix nettement inférieurs à la valeur du produit (valeur intrinsèque, rareté, rapport personnalisé…).

 Ce faisant, le gentilhomme élégant devrait toujours acquérir un objet qui a plus de valeur que son prix.

 Finalement, le regain d’intérêt pour ces maisons confidentielles n’illustre-t-il pas une recherche de notre part d’un prix juste pour une valeur infiniment plus grande ?

Bonne semaine, Julien Scavini

La chemise rose

Les coloris de chemises pour hommes ne sont pas très nombreux, principalement, le blanc et le bleu, complétés modérément par le violet ou le rouge. Certes le marron et le vert sont aussi possible, mais dans un registre plus souvent campagnard.

Lorsqu’un client vient faire un choix, il est souvent désorienté par la variété de tissus, unis, rayés, à carreaux etc. Dans les rayons ultra-classiques des grands magasins, en général, les best-seller sont le blanc, le bleu-gendarme (une sorte de bleu ciel très uni) et le rose. Trois choix que l’on pourrait qualifier de ‘vieux messieurs’ tant je constate qu’ils ne sont pas le goût contemporain. Le blanc ne jouit plus de la même aura. Il se salit vite, est parfois trop discret ou au contraire trop tranché par rapport au veston ou à la cravate et ne convient pas bien aux mises sport. Pour autant, il reste toujours absolument nécessaire d’en avoir dans sa penderie.

La chemise bleu-gendarme n’est plus le met de choix pour les gentlemen gourmets. Malgré tout, la chemise bleue comme je l’ai souvent évoqué ici est l’idéal dans quasiment toutes les circonstances. Le bleu ciel complète toujours admirablement les tenues, à la ville, comme à la campagne. Seulement, d’un bleu très uni, presque poudré dans le cas du bleu-gendarme, nous sommes passés au fil à fil bleu, plus chiné, avec des pointes de blanc, légèrement plus clair ou plus foncé. L’effet est plus subtil, moins massif. Un dommage collatéral de la sprezzatura triomphante d’une certaine manière !

Enfin, la chemise rose… Ah la chemise rose, toute une histoire. Elle fut très très à la mode. Les années 80 et 90 la consacrèrent presque comme une icône. Elle parait pourtant difficile à dompter. Il est rare de voir des messieurs en porter de nos jours, encore plus en commander. Pourtant la chemise rose a toujours la cote dans de nombreux pays. Les anglais l’affectionnent beaucoup, les américains, avec une tendance Ivy League tout autant, et les italiens s’amusent avec elle.

Je reproche pour ma part à la chemise rose 1- de rendre le teint rougeau, ce qui n’est pas du meilleur effet et 2- d’être difficile à marier, que ce soit avec le costume ou avec la cravate. Chez les maisons londoniennes, comme Roderick Charles ou Charles Tyrwhitt, le rose layette semble convenir à toutes les mises, aussi bien avec le costume de ville qu’avec le tweed. Je reste persuadé que les mises les plus élégantes sont composées de couleurs en adéquation entre elles, vert avec brun, bleu avec bleu etc, suivant que le registre est ville (gris, bleu, rouge etc) ou de campagne (vert, marron, orangé etc).

Mais soit. Actons que le rose peut aller avec tout. Essayons de définir quelques accords. Je précise que sur les dessins, le rose de la chemise est toujours le même, malgré les effets qui apparaissent !

Premièrement, la chemise rose va très bien avec le gris clair. C’est un fait. Moi qui n’ai ni l’un ni l’autre, voilà un accord qui me fait envie. Je parle bien sûr du rose pur, pas du rose violet, tendance parme qui est il me semble plus doux, plus versatile. Mais quelle cravate mettre alors avec gris clair + rose. GQ a essayé la cravate verte. Pourquoi pas, voilà un accord parfaitement dans le goût italien. Mais un accord osé. Pour ma part, j’essaierais plutôt une cravate grise ou rose claire. Le but est de rester dans une tonalité douce, avec un accord de deux couleurs. L’ensemble est pâle, le rééquilibrons-nous vers le haut ou restons-nous sur cette note basse ?

Ensuite, la chemise rose va assez bien avec le gris foncé, l’anthracite. Evidemment me direz-vous, le gris étant une non couleur, il s’accommode parfaitement d’une couleur, ici le rose. Logique. La veste étant maintenant foncé et le rose pâle, je pense que la cravate doit être assez forte, pour équilibrer chromatique vers le haut l’ensemble. Une cravate violette, assez profonde, dynamise la tenue.

D’ailleurs, il est tout à fait possible de trouver des cravates avec du rose dedans, fondu dans une autre couleur dominante. Les mélange de violet et rose ou bleu et rose permettent un rappel discret du rose, pour un dialogue délicat des couleurs.

Et précisément, avec le bleu marine…? Chemise rose et costume bleu marine, voilà un dialogue compliqué à mettre en place, tant il sort de mon champ habituel de pensée. Avec un costume bleu marine, j’aime mettre une chemise blanche, une chemise rayée bleu et blanc, une chemise bleu ciel, voire une chemise rayée violette, le violet étant la couleur sœur du bleu. Mais avec du rose ? Le bleu marine étant une couleur forte, je ne sais s’il faut mettre une chemise rose pâle ou au contraire soutenu. Quelques exemples trouvés sur internet, au goût très italien, m’incitent à dire que le rose soutenu est mieux. Il équilibre l’ensemble. La cravate ne doit pas être fade alors. Un bleu aussi sombre que le costume donne à l’ensemble un goût fort mais assez minimaliste malgré tout.

Certains anglais utilisent les cravates club rose violet, mais cet accord me semble trop violent. Tout comme l’association d’une chemise rose avec une cravate rouge. Un goût daté. Enfin, la cravate rose… mais qui achète une cravate rose… ? D’abord !

Que pensez vous de ces ébauches stylistiques? De la chemise rose en particulier? N’hésitez pas à vous prononcer, photos à l’appui, pour que je puisse dessiner d’autres illustrations de tenues de ville. Il y a en effet beaucoup à dire sur ce sujet, qui j’en suis sûr, va déchainer les passions !

Bonne semaine, Julien Scavini.

Une liasse de tissus typiques

Arrivé chez un tailleur anglais, la première chose qu’il vous demandera est ‘petit tweed ou worsted?’ Sous ces appellations se cachent en fait les deux grandes catégories de laines : les cardées (woollen), c’est à dire assez brutes, souvent vierges, simplement filées et tissées, qui donnent des tissus très rustiques ou très flanellés. La flanelle est un tissu cardé à l’origine. La seconde est la catégorie des laines peignées (worsted), c’est à dire dont les fibres ont été raffinées avant tissage, pour obtenir des tissus de catégorie supérieure. Le terme super 120’s par exemple provient du peignage et du raffinage des fibres laineuses.

Ces tissus peignés peuvent être soit très lisses au touché soit un peu flannellés, c’est à dire duveteux, laineux. Mais le procédé pour arriver à ce résultat est très différent des flanelles et autres tissus cardés. Il y a donc là un petit piège.

Cet honorable tailleur en posant cette question vous oriente alors vers les deux grands pans de la mode masculine classique : le registre sport d’un côté, le registre ville de l’autre.

Intéressons nous cette semaine au registre de la ville. Prenons une liasse typique fictive. Les tissus composant celle-ci sont d’un poids moyen. C’est à dire en 1970 400grs, en 1990 340grs, et en 2014 260grs. Vous le voyez, suivant votre goût, vous vous orienterez différemment. En 2014 toujours, la jauge moyenne des fibres laineuses est super 110’s/ super 130’s. En 1990, elle devait être super 80’s. Les moutons donnant les laines fines doivent être élevés dans des conditions de tranquillité absolue, plutôt en plaine qu’en montagne, pour que leurs fibres soient douces. La race de moutons mérinos est très en vogue de nos jours. En Europe, longtemps fut utilisée la laine de moutons de race cheviot. Hélas, j’ai entendu dire que sa laine est maintenant considérée si épaisse et intissable pour l’industrie du vêtement que celle-ci n’en veut plus et qu’elle est tout juste bonne pour les tapis et l’isolation des maisons.

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Dans cette liasse type, nous trouvons d’abord des unis. En général, le choix est toujours le même : trois gris, de l’anthracite au gris clair accompagnés de trois bleus, minuit, marine et air force. Ces tissus teints en pièce sont très unis. C’est pourquoi ils sont quelques fois complétés des mêmes coloris, mais en fil à fil, proposant un effet plus chiné, avec un peu de blanc dedans. Quelques fois également, les unis sont tissés en twill (serge) visible à ses petits raies diagonales et les fil à fil sont tissés en toile, pour un grain plus présent sous le doigts. Ces premiers choix sont les meilleurs, les plus versatiles et pratiques. Il ne faut pas hésiter à taper dedans le plus souvent possible, quitte même à avoir de faibles différences d’un costume à l’autre (trois boutons contre deux boutons, poches horizontales ou en biais etc…).

Ensuite, vous pourrez trouver dans la liasse trois ou quatre caviars (birdeyes en anglais). Le caviar se reconnait à ses petits ronds de couleur sur fond noir. En effet, cette étoffe consiste à placer dans les ‘yeux’ la couleur dominante, assez claire parfois, en éteignant le tout avec une trame de fond noir. Les caviars anthracite, gris moyen et gris clair sont intemporels. Les caviars bleus peuvent être très beaux, mais il faut se méfier de la présence parfois trop forte de cette couleur. Le caviar est très intéressant, car il donne une lecture d’échelle de votre costume. De loin, il est absolument uni. Par contre, plus vous vous approchez, plus la couleur dominante va se dissocier pour faire apparaitre des nuances et rendre le tissu vibrant. La taille de ‘l’œil’ varie aussi, les italiens le préférant petit, les anglais plus gros.

Les caviars ne doivent pas être confondus avec les tissus également tramés que les anglais appellent ‘nailshead’, tête d’épingle en français. Ceux-ci sont difficiles à décrire. Le fond plutôt uni est parsemé à intervalles très rapprochés de petits motifs fins légèrement plus clairs. Parfois ce tramage est intensifié à la verticale, ce qui fait apparaitre des lignes verticales, presque des rayures.

Après les unis et les caviars viennent les chevrons. Souvent moins bien considérés par les clients que les autres étoffes, les chevrons constituent un met de choix pour le gourmand de costumes. Ils ont l’immense pouvoir de faire vivre le tissu, de le dynamiser. Certains chevrons irisent en effet le drap, donnant une brillante changeante d’une raie à l’autre. Nous ne sommes pas dans le registre de la rayure, mais l’effet est similaire. La matière est riche, elle vibre. Ces chevrons peuvent être disponibles en gris, de l’anthracite au gris moyen et également en marine. C’est superbe !

Ces étoffes classiques sont en général complétées par quelques coloris amusants ou plus clairs, bleu pétrole ou indigo, des beiges, des motifs fins comme les pieds de poule fondus etc.

Viennent ensuite les motifs marqués. Les premiers sont les rayures, rayure tennis à raies très fines et marquées ou rayures craies, à raies plus larges et estompées. Le conseil le plus simple qu’il soit possible de donner est de choisir des tissus à rayures blanches. La rayure blanche est la plus simple à coordonner, la plus élégante aussi d’une certaine manière. Ceci dit, les drapiers placent souvent des tissus gris moyen à rayure bleue ou bleu marine à rayure ciel. Votre propre goût doit vous guider.

Les carreaux se font assez rares dans les liasses de ville, car il s’agit plutôt d’un motif sport. Malgré tout, les chevrons sont parfois ornés d’une fenêtre bleue ou rouge. Et évidemment, les tissus Prince de Galles sont toujours bien présent. Ceux-ci sont très recherchés par les connaisseurs. Le PdG classique est gris moyen ou gris foncé. Il présente le plus souvent un carreau fenêtre bleu ciel ou rouge brique. Ce PdG peut être parfois fondu, presque invisible ou au contraire très marqué. Le PdG bleu est plus rare. Pour autant, il peut être très beau, surtout rehaussé d’une fenêtre bleue elle aussi.

Bref, voici un ensemble de tissus classiques qui devrait vous permettre de vous habiller au mieux, sans difficultés ou peur du ridicule. Un choix large aussi qui vous permettra pendant de nombreuses années de faire réaliser des costumes sans redondance.

Bonne semaine, Julien Scavini

Manteaux doudounes !

Récemment, je discutais avec un client de mon humble contribution à la littérature vestimentaire, toujours heureux d’entendre les critiques qui me sont faites. Celui-ci me reproche deux oublis. Le premier est de n’avoir pas cité Edward Green dans les bonnes adresse. Un réel oubli ! Le second est plus intéressant. Il concerne le chapitre des manteaux.

Si j’ai essayé de parler de toutes les modèles, capes, croisé, covert coat, trench, puis Barbour et blousons en peau d’inspiration militaire, j’ai oublié une bonne partie consacrée aux doudounes modernes et autres vêtements d’hiver, à la fois techniques et élégants.

Car évidemment, les parkas de ski ne font pas partie du propos de ModeMen, ni même de Stiff Collar. Ceci dit, ces dernières se sont glissées discrètement mais sûrement dans nos penderies depuis quelques temps maintenant. Mais pas tout à fait sous la même forme blanche à galons oranges fluos !

Ces parkas modernes et urbaines sont techniques mais peuvent aussi avoir recours à des matériaux classiques, comme la flanelle ou la fourrure.

Les deux raisons de leur appropriation rapide sont là. Les modes de vie urbains et le travail en bureau rendent le port de costumes chauds et aussi des trois pièces compliqué. Ainsi, les vendeurs de costumes et les fabricants de tissus vendent en priorité des laines appelées ‘4 saisons’, avec un poids moyen à léger (250/280grs).

Ainsi, le besoin d’un vêtement de dessus très chaud se fait sentir. Mais le manteau long et lourd n’a plus la côte. Dans les brasseries où les porte-manteaux ont disparus, il est impossible de ranger ce dernier sans l’abimer sur le dossier d’une chaise ou le bas qui traine par terre. A scooter, il n’est pas non plus pratique. Et enfin, composé essentiellement de laine, même épaisse, il finit par prendre l’eau.

doudoune herno

Dans le même temps, les industriels de la laine, en particulier Loro Piana avec son ‘StormSystem’, ont développé des tissus à la fois classiques (comme les flanelles voire même des cachemires peignés) et techniques, car résiliant à l’humidité, déparlant à l’eau et coupe-vent, avec un poids très raisonnable.

Les industriels de la confection ont senti le vent venir et se sont adaptés également. Ainsi sont apparus dans un premier temps des manteaux classiques type covert-coat, mais plus court (trois quart) et pourvus de détails modernes comme la fermeture centrale à zip. Dans un second temps sont apparues des vestes très sports, intégrant des parementures zippées ou des empiècements de pulls à capuche ou à col cheminé. Moins racées que leurs grandes sœurs en tweed, elles conviennent néanmoins à une très large frange de la population qui cherche un classique chic et moderne. Parfois bi-matières, alliant la flanelle bleu à la suédine marron, elles sont polyvalentes, tant en terme de confort et d’usage que de style.

Dernière apparition en date, la fameuse doudoune. Déjà à la mode dans les années 80, ce vêtement bibendum gonflé aux plumes d’oies s’est modernisé : nylon très légers et très chauds, zip posés au laser etc. Et enfin, tissus classiques. C’est ainsi que les grandes marques se sont ruées sur ces pièces, qui dès lors avaient leur place dans les rayonnages chics, chez Zegna, Hermès, Moncler le spécialiste et bien d’autres…

Une estimable maison comme Arthur et Fox ne s’y est pas trompé, mettant en avant, par dessus ses petits complets en flanelle des doudounes et parkas de la marque italienne Herno. Confort et classicisme.

Pour conclure, j’émets d’une certaine manière des louanges envers ses pièces d’un usage agréable et utile, même si je continue de penser qu’un beau manteau est bien plus alluré et élégant. Mais avoir les deux est aussi possible.

Je remarque enfin un fait amusant. Pour une fois, l’élégance masculine ne s’est pas appauvrie. Car on aurait pu croire que ces fameuses doudounes des années 80 finiraient par prendre le dessus. D’une société de beaux manteaux peignés foncés, nous serions passés à un monde rempli de couleurs flashy et de formes rembourrées disgracieuses. Et bien non ! Il n’est est rien, le classicisme a gagné. La flanelle si longtemps délaissée s’est taillée une place de choix dans ce nouvel univers. Les coloris et les formes restent classiques ! Ouf! Comme quoi, le mouvement de progrès n’est pas forcément tourné vers le bas ou l’affadissement, mais peut au contraire faire d’amusants aller et retour haut et bas !

Bonne semaine, Julien Scavini.