Au dos d’un pantalon, petites découpes spécifiques

Petit sujet ce soir pour répondre à la demande d’un lecteur concernant les petites découpes présentes au dos d’un pantalon. Les avez-vous déjà remarqués? Juste au dessus de la poche arrière, il y a une petite découpe qui remonte vers la ceinture. Il s’agit d’une pince réalisée dans le tissu :

Elle permet de diminuer le volume du pantalon, qui est obligatoirement plus large au bassin qu’à la taille. Normalement, la plupart des pantalons disposent d’une petite pince au dessus de chaque poche. Elles aident à gérer le volume du fessier et à faire en sorte que le pantalon « emboite » le porteur, comme on dit. Sur ce vieux patronage, remarquez l’encoche profonde en haut du panneau du dos, en forme de coin, dont la « soudure » permet de serrer la taille :

Il existe quelques coupes qui présentent deux pinces sur chaque dos. Soit quatre pour un pantalon. Ce faisant, le volume au fessier est plus important et le modèle plus confortable. Les modélistes se méfient toutefois généralement de donner trop de bassin. Ces petites pinces, lorsque doublées, donnent beaucoup de volume ce qui peut aussi nuire à l’allure générale. C’est un choix.

Généralement ces petites pinces finissent précisément dans les passepoils de la poche comme on peut le voir sur les photos précédentes. La pointe est prise dans la couture de cette poche. C’est fait exprès. Car la tête de la pince, cousue à la machine, peut avoir le défaut de se défaire avec le temps, et la pince se délite. Au moins, lorsque la poche tombe pile à cet endroit, la pince ne se défera pas.

Et encore. Il m’est arrivé de voir des pantalons portés si serrés que même ces petites pinces avaient éclatées.

Au devant en revanche, jamais de petites pinces cousues ainsi. Jamais. Des plis pincés, qui se développent et apportent de l’aisance et du style oui. Mais pas de petites pinces cousues, sauf sur quelques modèles féminins par choix du styliste.

Le jean lui a opté pour une coupe radicalement différente. Le jean est un vêtement robuste, de travail, qui ne peut se permettre de tels raffinements. Comme je l’ai dit, ces petites pinces peuvent se défaire. De surcroit, à la fabrication, elles prennent un peu de temps pour être bien cousues. Pour le jean donc, les tailleurs de l’époque ont décidé de supprimer ces petites découpes et de mettre à la place un gros panneau, coupé en forme, c’est à dire galbant le vêtement lorsque cousu. La couture n’est pas une petite encoche verticale en forme de coin, mais une grande balafre horizontale, comme ci-dessous :

Voilà donc pour ce petit sujet. Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Le pantalon grande-mesure, un poème

Depuis quelques années que je collabore avec un tailleur pour la réalisation de costumes en grande mesure, je me félicite de constater le plaisir qu’ont les clients lors de l’essayage, en particulier, du pantalon. Le pantalon en grande-mesure, un plaisir à nul autre pareil.

Certes la veste est une œuvre d’art complexe qui demande beaucoup de travail et d’ajustements. Mais le pantalon, cette pièce si souvent vue comme inférieure, ne démérite pas. La veste, comme pièce de résistance est la plupart du temps attendue au tournant. Les clients attendent de voir l’épaule, le volume de la manche, la longueur du corps, la largeur du revers, le bon positionnement du bouton. Autant de détails qui ont été pensé et dont l’assemblage global donne le ton, l’esthétique et le plaisir du costume terminé.

Le pantalon lui, il est essayé en premier, comme ça, presque comme une formalité. Et une impatience apparait, alors que les ajustements sont faits ça et là pour caler la culotte, le rond de hanche ou la longueur.

Et puis, l’humeur se détend et le pantalon est observé. Le temps passe et le pantalon devient, en amont de l’essayage de la veste, un objet à regarder. Il devient un sujet. Le client s’assoit, teste son confort.

Souvent, pour ne pas dire invariablement, une sorte d’aise apparait, un sourire. Finalement ce pantalon qui n’était pas un gros sujet d’attente devient… une surprise. Celle d’une coupe élégante et précise, qui en même temps donne un grand confort.

Je ne compte plus les clients qui en fait, m’ont félicité (même si je n’y suis pour rien ne réalisant pas les grandes-mesures moi-même) pour le pantalon. Parfois certains recommandent quelques autres modèles, en coton ou en flanelle.

A quoi est-ce dû ? Il y a la coupe pour une part, je ne puis le nier. La coupe d’un pantalon se joue presque entièrement sur deux coutures, celle de l’intérieur de la cuisse se poursuivant depuis la fourche vers le milieu dos. De la conjonction de ces deux lignes nait le pantalon, un « siège » où résident le confort et le séant de Monsieur. Et ces deux lignes ne sont pas facile à caler, j’en sais quelque chose en petite-mesure. On fait « au mieux ». Mais en grande mesure, l’ajustement est évidemment plus simple, plus efficace, plus direct.

Je ne peux nier donc une part de la coupe. Mais ce n’est qu’une part je pense. Et pas tout à fait majoritaire. Car pour moi, tout le secret d’un bon pantalon en grande-mesure est dans le montage des intérieurs, les hausses et sacs de poches, en percaline (un coton fin) la plupart du temps. Et dans l’entoilage de la ceinture, à la toile de lin, à la fois souple et rigide. « All natural ».

Tout cela est monté à la main. Une spécificité de la grande-mesure parisienne ou italienne, où tout est fait main. Peu ou pas de machine à coudre. Mais des doublures appliquées à la main, où l’on voit l’enchainement des petits points de rabattement. Ces intérieurs si particuliers sont tels que le commun des mortels le trouve passable, mal exécuté voire grossier. C’est si différent des intérieurs normalisés et cousus machine que l’on connait. Lorsque j’ai donné des cours de couture (enregistrés par Artesane), j’ai vu l’étonnement de couturiers(ères), dont l’apothéose logique était de réaliser les intérieurs les plus impeccables possibles, orthogonaux et parfaitement bien cousus à la machine. D’une netteté d’usine. A l’inverse de la couture main qui fait irrégulier, curieux et ancien.

Mais tout est là. Et pourtant, tout est là ! Tout en souplesse. Un poème d’harmonie et de douceur contre le corps. Il vaut l’avoir essayé pour le croire. De cette pure simplicité de rabattements curieux et ancestraux, presque de rustines et de patch parfois, nait un confort inénarrable. Hélas, tout le monde ne peut l’essayer vu le coût. (Sauf à trouver quelques modèles en seconde main.) Il faut alors me croire, sur parole !

Bonne semaine, Julien Scavini

La belle laine, une niche             

Se plonger dans l’univers du tailleur est un plaisir, tant les savoirs-faire sont érudits et les matières premières choyées. Toutefois, il est utile de remettre en perspective sa place ainsi que celle des drapiers, au milieu d’un « monde » textile beaucoup plus vaste.

L’Union des Industries Textile avait publié une intéressante statistique portant sur la répartition des volumes mondiaux pour trois matières : la laine, le coton, et les fibres synthétiques. En 1994, la répartition dans l’ordre était la suivante : 4%, 45% et 51%. En 2014, elle avait évolué à : 1%, 28% et 71%.

L’usage du coton a baissé au profit des fibres synthétiques. Mais, et surtout, la laine est devenue une niche, sans parler des autres belles matières précieuses, comme le lin, le cachemire ou la soie. La laine est devenue plus que rare, elle est une goutte d’eau dans l’océan textile donc.

Et encore… cette laine, il est possible de la trouver sous deux formes de production pour l’habillement : le secteur de la maille (le tricotage), et le secteur du coupé-cousu (le tissu). Le premier secteur est je pense majoritaire maintenant. Il se vend tant de pulls à travers le monde que je suis prêt à croire, sans en avoir la statistique, que ce secteur est supérieur à celui du tissu de laine. Ce tissu pourtant, où se retrouve-t-il ? Dans des costumes, des vestes et de pantalons.

Or, le marché mondial du costume baisse. Dans un article très récent, Bloomberg nous apprenait que l’office statistique britannique venait de retirer le costume masculin (2pcs et 3pcs confondus) des 700 articles répertoriés dans le calcul de l’inflation. Il y était inclus depuis 1947. Kantar de son côté avait remarqué que le volume de costume vendu au Royaume-Uni était passé de 5 à 2 millions d’unités annuelles, sur les 10 années précédent la pandémie. Austin Reed, spécialiste du costume au R-U avait bien mis la clef sous la porte avec fracas en 2016, fermant une centaine de boutiques d’un coup. Et depuis, cela ne s’est pas  arrangé avec le télétravail. Sans avoir de chiffre en France, je peux subodorer un état similaire.  

Or le costume reste un consommateur de laine important. Donc encore une fois, que reste à la laine : la maille, un secteur par ailleurs assez porteur.

Pour autant, on voit que la laine sait encore se faire une belle place, comme le beau costume, avec le succès de Suit Supply entre autres. J’aimerais voir des chiffres précis toutefois sur cette « institution », les dernières infos que j’avais eu pré-pandémie faisaient état de fonds propres négatifs et d’un endettement record.

Mais disons que oui, les amateurs de beaux produits aiment encore la laine. Pour son tomber, pour sa netteté, pour sa fluidité. Pour ses qualités naturels indépassables ! La laine est raffinée.

Qui la porte toutefois. Non en pull, mais en pièces cousues, comme un pantalon ou une veste ? Regardons autour de nous.

Je m’étais interrogé il y a quelques mois dans Le Figaro pour savoir si la laine était un signifiant social. Chère à produire (longue chaine de production faisant intervenir l’animal), complexe à vendre (produit de haute technicité nécessitant une force de vente qualifiée), précieuse à entretenir (nettoyage à sec), la laine est capricieuse, comme tous les beaux produits. Elle se fait désirer.

Mon postulat était donc : mais est-ce que laine ne serait pas réservée aux riches ? Et donc dès lors, qu’elle serait un signe extérieur de richesse. Qui porte des pantalons en laine par exemple ? A côté du chino ou du jean, peu de monde.

Toutefois, je ne suis pas sûr qu’elle soit vraiment un signe de richesse. Mark Zuckerberg et d’autres riches modernes ont beau être plein de moyens, ils n’ont pas pour autant de la laine sur eux. Et allez dans un palace faire un tour, vous ne verrez pas une tonne de laine passer. Certes les plus grands tailleurs mondiaux travaillent la laine, mais dans des qualités infinitésimales.

Il n’y a peut-être pas un rapport immédiat entre richesse personnelle et laine. Mais une thèse statistique sur le sujet serait très intéressante toutefois à monter. Qui porte de la laine ? On peut en revanche dire qu’il y a une adhésion des porteurs de laine à son idéal. On ne porte pas la laine comme n’importe qu’elle autre matière. Il faut la vouloir et la chercher. La laine n’est pas anodine. Et elle n’est pas forcément que pour les riches. En revanche, une chose est sûre, c’est un marché de passion et la laine est un plaisir. Et ça, j’en suis ravi !

Bonne semaine, Julien Scavini

Les soufflets en haut du dos des chemises

J’évoquais la semaine dernière les pinces dos sur une chemise, permettant de galber celle-ci tout en gardant un peu de marge au cas où il faudrait élargir la taille du modèle. Parlons maintenant du haut du dos, des replis d’aisance. Attention, dans cet article, je vais me contredire à chaque paragraphe !

Ces sortes de petits soufflets sont disposées à la base de l’empiècement haut du dos, cette grande plaque de tissus spécifique de la chemise. Les vestes n’ont pas cet empiècement coupé horizontalement, créant un jeu géométrique lorsque le tissu est rayé. D’ailleurs, puisque je suis en train d’évoquer cet empiècement, notons qu’il peut être en une seule pièce. Ou en deux, avec une couture au milieu.

Pourquoi l’empiècement haut peut-il être unique ou en deux parties ? Bonne question pour laquelle je n’ai jamais eu de réponse satisfaisante. Bernhard Roetzel dans L’Éternel Masculin note que s’il est en deux parties, c’est pour permettre au chemisier de mieux régler les pentes d’épaules asymétriques. Balivernes je pense, car ces pentes peuvent être différentes même avec une pièce unique.

Je rajouterais même que les grands chemisiers font en une pièce, comme Charvet. Sans aucun rapport et a contrario, je trouve personnellement qu’une chemise avec cette couture verticale et un empiècement en deux est plus élégant, plus digne d’intérêt. Ne serait-ce parcequ’il y a là un raccord de rayures ou de carreaux à faire, plus technique. Donc plus chic, comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessus, d’une chemise Turnball & Asser. A l’inverse encore, en deux, cela consomme moins de tissu qu’en un. Les industriels seraient plus tentés de le faire en deux parties. Allez donc savoir. Et vous, y aviez-vous déjà pensé ?

Ensuite donc, ces petits soufflets. Ils sont disposés de deux manières très différentes. 1- sur les côtés, généralement sur une chemise habillée. 2- au milieu, rassemblés en plus plat, généralement sur une chemise sport, à l’américaine comme on entend dire parfois.

Sont-ils obligatoires, je ne le pense pas personnellement. D’ailleurs, il me semble que les grands chemisiers réalisant du sur-mesure s’en dispensent. Il y a plus de netteté sans ces replis. Et cela permet d’aller plus près du corps.

Et pour rebondir sur les pinces dos, je pense qu’il est totalement ridicule de mettre des pinces milieu dos et des plis d’aisance en haut. Les deux ne vont pas ensemble. Les plis apportent du bouffant  aux omoplates, que les pinces reprennent de manière brutale.

Sauf dans le cas d’omoplates très développées et musclées, et/ou lorsqu’il faut avoir beaucoup d’aisance. Comme c’était le cas pour James Bond, alias Sean Connery, pour répondre au commentaire de « Eric B ». Il m’est arrivé de le faire, mais le moins possible, car cela crée un volume fort impressionnant aux omoplates. Disgracieux même.

Le but avoué de ces replis est de donner de l’aisance aux bras, aux muscles « grand rond » et « trapèze » lors des mouvements. De manière d’ailleurs plus importante lorsqu’ils sont placés sur les côtés. En soufflet rassemblé au milieu, c’est beaucoup plus une question d’esthétique il me semble que de véritable aisance. En soufflet milieu, c’est assez esthétique, je le reconnais bien volontiers. Superbe travail de raccord à l’empiècement haut vous noterez ci-dessous :

Si l’on regarde l’histoire de la chemise, on note avec quel impressionnant volume les chemisiers travaillaient. La chemise a toujours été très très opulente, généreuse. Normal, elle était un sous-vêtement caché sous un gilet et une veste. Jusqu’aux années 90, la chemise était une œuvre de grandeur. Les plis en haut du dos peuvent être vus comme une nécessité pour gérer cette ampleur. Parfois même, j’en ai vu quatre, deux de chaque côté. Un peu comme les plis en bas des manches, au poignet. Brooks Brothers en dispose 7 petits. D’autres 3 à 4. Les chemisiers contemporains sont plus chiches avec cela (2 par exemple), pour éviter de donner trop de volume à l’avant bras de la chemise.

Je crois que les plis côtés en haut du dos sont un peu un reliquat d’une époque où les chemises étaient très amples. Très généreuses. Et que maintenant, c’est plutôt le paradigme inverse. Donc exit les replis en haut et donc, bonjour les pinces en bas, pour galber.

Mais une dernière fois, je vais me contredire. Car dans le cadre d’une chemise bien près du corps, ces petits plis sont intéressants, pour converser une certaine aisance.

Si conclusion il y a, disons que dans le cadre d’une chemise très ample ou inversement, très ajustée sur un corps musculeux, les petits replis côtés apportent de l’aisance. Dans la majorité des cas, ils ne sont pas nécessaires. Quant aux replis centrés et disposés en soufflets, ils sont eux surtout très décoratifs ! A vous de choisir !

Belle et bonne semaine, malgré cette actualité totalement déprimante !