Le revers ‘faux trois boutons’

Le Pitti Uomo qui se déroule en ce moment est l’occasion de se pencher sur un petit détail particulier et si cher aux italiens, la veste ‘faux trois boutons’ ! Car derrière ce petit détail se cache en réalité tout un art ! Et une multitude de problématiques pour le tailleur et son client. Je constate en effet souvent que ces derniers hésitent sur le vocabulaire à utiliser pour demander ce détail. L’hésitation révèle aussi une certaine méconnaisse de ce qu’est une vraie ‘faux trois boutons’.

Revenons aux origines. Depuis quelques décennies il existe deux grandes catégories de vestes : deux et trois boutons. C’est simple :

ILLUS83La position du bouton est fixée par le point d’entrainement du revers. Ce point est situé en France chez les tailleurs classiques 2 cm au dessus du bouton principal ou du troisième bouton. On met 2 cm (entre A et B2 sur le dessin 1) pour donner au revers du ‘gonflant’, du ‘roulant’. Car si le bouton est au pied du revers, le revers va tendre.

Le long de cette ligne qui part au col, la toile tailleur à l’intérieur est bordée par un ruban droit fil qui permet de bien tenir la cassure (dessin 2) et de toujours la retrouver, même sans repère. Voyez cette photo. C’est à cause de ce ruban que l’on ne peut pas modifier une veste trois boutons en deux boutons. Car ce ruban bloque.

Cette ligne en biais définit donc le bord du revers. Ensuite pour maintenir ce dernier en place, on réalise le col avec un angle définie ( ° sur le dessin 3). Le col tire le revers, le force à rouler (différence en A’ et A »). C’est encore pour cela que l’on ne peut pas vraiment repasser une veste 3 boutons pour en faire une 2 ou l’inverse.

ILLUS83-3Voilà pour la théorie. Revenons au style. Durant la seconde guerre mondiale et même un peu avant, de grands acteurs d’Holywood, du cinéma en noir et blanc ont pris pour habitude de ne pas fermer le troisième et dernier bouton de leur veston. Au fil du temps et vous pouvez en faire vous même l’expérience, le point d’entrainement évoqué plus haut va avoir tendance à descendre un peu. L’effet trois boutons va s’amoindrir, car le col qui tend la ligne fait ouvrir un peu la poitrine (veste en tweed brun). Il en résulte un état un peu intermédiaire où la veste parait se fermer uniquement sur deux boutons, la troisième et dernière boutonnière était factice. Cet effet de style fut appelé ‘revers américain’.

Les italiens ont récupéré l’idée en réalisant, sur une veste vraie deux boutons, une troisième boutonnière, prise dans le revers. Cette boutonnière n’est pas réalisée sur l’endroit de la veste mais sur l’envers du revers, soit l’endroit si vous suivez. Alors, la boutonnière est ‘fausse’ et uniquement décorative (veste en tweed à carreaux). Elle ne sert qu’à donner une impression de trois boutons. Mais il est impossible de boutonner celle-ci, car cela va faire vriller le col. C’est dû à l’angle du revers.

ILLUS83-2La confusion vient de là. Voici toutes les variantes :

– veste deux boutons

– veste trois boutons, qu’il est possible de fermer jusqu’en haut ou au choix seulement sur le bouton du milieu. Auquel cas, la veste finira pour doucement s’ouvrir au niveau du troisième bouton. C’est la version que je vends le plus. Mais il s’agit vraiment d’une veste trois boutons, construite comme telle. Il suffit juste de laisser faire le temps. L’ouvrant est intermédiaire et en deux temps : un peu ouvert depuis le bouton central puis très ouvert vers le col.

– veste deux boutons avec une fausse boutonnière dans le revers. C’est la version italienne et un peu artificielle de l’effet. La plupart des clients qui me parlent de cette version pense en fait à celle du dessus. Les rares fois où je l’ai réalisé, ceux-ci ont été étonné du résultat. Et pour cause, l’ouvrant est deux boutons, donc assez échancré.

Si vous forcez une veste deux boutons en trois boutons, par repassage, le col va tirer, il manque un petit peu de tissu à l’angle °° sur le dessin 4. L’inverse est aussi vrai, si vous cherchez à ouvrir plus une veste trois boutons, le revers va pousser le col, celui-ci va décoller, il y a un excès de tissu.

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La nuance en grande mesure entre une veste trois boutons italienne et une française vient de la position du troisième bouton en haut. En France, les tailleurs placent le point d’entrainement du revers 2cm au dessus du dernier bouton (B »). Le revers et le col vont se placer ainsi en position trois boutons quasiment toujours sans beaucoup s’évaser avec le temps. M. Guilson pour ne pas le nommer tracerait ainsi car c’est ainsi, point ! Les italiens sont plus décontractés sur ce point. Ils n’hésitent pas à placer le point d’entrainement sur le bouton (B’), voire même un peu avant. L’effet est immédiat, le revers roule sur le bouton. S’il n’est pas boutonné, hop l’effet évasé apparait. Magique !

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La laine froide

Lorsque les températures montent, il est intéressant de se pencher sur les moyens de rendre plus ‘vivable’ le costume. Il est bien sûr possible de passer de la laine au lin par exemple. Mais cette dernière matière se prête assez mal à une utilisation ‘business’. Et la laine reste toujours la matière qui a le meilleur rapport finesse / solidité. La laine est légère, la laine est solide, la laine froisse peu et possède de très bonnes qualités thermiques. Faut-il encore adopter la bonne laine.

Pour l’été, les drapiers ont inventé il y a déjà très longtemps les laines froides, autrement appelées fresco. Penchons nous sur cette dénomination qui parait encore mystérieuse pour beaucoup.

Petit rappel d’abord, un tissu se tisse grâce à deux fils. Un qui est ‘vertical’ et l’autre ‘horizontal’. Ces fils s’entrelacent à 90° pour créer un tissu. Quand un fil horizontal passe au dessus d’un fil vertical et juste après en dessous d’un fil vertical et que ce motif très simple se répète, vous obtenez une armure toile. Armure = type de tissage. Si l’entrecroisement est plus complexe et donne pour effet de créer des côtes diagonales, on parle d’armure serge. Si l’armure est encore plus complexe, on peut obtenir un satin (non le satin n’est pas une matière). Ces armures peuvent être utilisée pour tisser différentes matières : toile de laine et ou toile de soie (souvent appelée taffetas alors), serge de laine ou serge de coton, satin de viscose ou satin de soie, par exemple.

armuresLa serge fut développée car elle est solide et résistante. Elle s’use assez difficilement et résiste aux éraflures. La toile est beaucoup plus fragile, car plus lâche. Mais elle permet plus d’aération, c’est pour cela que les laines froides sont le plus souvent réalisées dans une armure toile. L’air passe à travers. La peau respire et garde sa fraicheur (si la veste est entoilée et non thermocollée bien sûr). Voyez la transparence dans les photos plus bas. (J’ai volontairement laissé la lisière du coupon pour comprendre l’échelle).

Ainsi, vous allez me dire, toutes les laines tissées en toile sont des laines froides, des fresco? Et bien non. Car il existe des toiles d’hiver au demeurant très jolies. Ce qui va faire la différence, c’est le travail sur le fil avant le tissage du tissu.

Premièrement, la fibre de laine utilisée provient souvent du mouton mérinos. Les professionnels parlent à son sujet d’une frisure exceptionnelle. Car elle est revêche, elle ne se plie pas facilement. Les tissus en mérinos possèdent un gonflant remarquable, ils drapent bien et possèdent une grande élasticité naturelle. Ainsi, une simple passage à la vapeur permet de défroisser un lainage mérino.

Deuxièmement, les laines froides ne sont pas constituées de fibres haut de gamme type super 120’s et supérieur. Petit rappel, plus la fibre est longue, plus elle est fine au toucher et donc douce. Le chiffre super XXX’s vient de là. Plus le chiffre est grand, plus la qualité au toucher est soyeuse. Mais plus la laine est fragile aussi. C’est pour cela que les laines froides sont plutôt réalisées dans des fibres courtes et rugueuses, super 60’s, super 80’s et rarement plus de super 100’s.

Troisième point, les fils constituant les laines froides sont tordus, vrillés avant tissage. Cet effet mécanique donne au drap de laine la propriété de ne pas ou peu froisser. Le tomber est toujours impeccable, c’est pratique pour les clients qui voyagent beaucoup. En plus d’être vrillés, ils sont souvent vrillés par paire, tissus appelés ‘high twist’, pour créer des fils ‘double retors’, vous connaissez le terme.

Voici dont les trois caractéristiques d’une laine froide aussi appelée fresco. Les poids sont ensuite importants. Comme l’armure toile n’est pas trop solide, il vaut mieux privilégier les gammes 260 (comme Cape Horn lighweight de chez Holland & Sherry) à 320grs (comme Crispaire du même drapier). Les tissus plus fins (vers 240grs et moins) sont légions mais je ne leur fais pas confiance. Les anglais adorent les toiles lourdes de plus de 340grs, mais il ne faut pas exagérer tout de même.

Les laines froides, à cause de l’armure toile, sont souvent sobres dans les dessins. Car le tissage toile ne permet pas de réaliser une infinité de motif. C’est ainsi que l’on trouve beaucoup d’unis et de fils à fils, appelés parfois ‘petit moulinés’ dans les liasses italiennes comme celles de Vitale Barberis. Les rayures sont bien présentes ainsi que les Princes de Galles. Inutile en revanche de chercher un caviar ou un chevron. Les petits pieds de poule sont très appréciés dans anglais, ainsi que les ‘nailshead’.

Quand la toile de laine est un peu grossière, les américains appellent cela un ‘hopsack’.

 Lorsque la toile ne possède pas toutes l’un des trois caractéristiques décrites avant, le drapier peut aussi faire une laine froide en ayant recours à un artifice, comme par exemple l’association de deux fils épais, non vrillés mais simplement accolés en parallèle, pour créer un dérivé de la toile, le natté. Le natté est très beau mais fragile. Ses ‘mailles’ peuvent s’accrocher facilement mais il est ultra aéré ! On ne peut réaliser de pantalon dans cette matière. (Un cousin du natté est le reps, souvent en soie, qui raye très facilement, souvenez vous des cravates Arnys).

Enfin, en sortant légèrement de la catégorie stricte des laines froides, on trouve les mélanges laine et mohair. Le mohair est le poil de la toison de la chèvre mohair. C’est un poil très rêche, très retors, assez rugueux ou toucher mais qui a la qualité d’être très solide et infroissable. Avec le mohair, on peut ainsi créer des tissus à l’armure très aérée et à la résistance à toute épreuve. Mais le mohair est rêche et pique. C’est pourquoi les fabricants ont souvent recours au ‘kid mohair’, le poil des petites chèvres jeunes. Mais cette matière est plus couteuse. On utilisait auparavant le poil de l’alpaga pour sa douceur.

Les mélanges laine mohair sont souvent un peu brillants et très lumineux au soleil. On utilise jamais plus de 30% de mohair. Parfois même, la toile laine mohair est double retors, ce qui signifie que le tissu est indestructible ! Mais raide.

Enfin, si l’on ne veut pas de laine froide et que l’on préfère un tissu plus solide, il est possible d’utiliser une gabardine de laine. Si elle est réalisée en mérinos, elle peut être très très légère. Et dans une quantité de couleurs… voyez cette liasse de Bateman Ogden :

Bonne semaine, Julien Scavini

Le bermuda

Il fait chaud, il fait chaud. Ce dimanche après midi pour me reposer et voir un peu de verdure, je suis allé me promener autour du Grand Canal à Versailles. Ce fut l’occasion d’y constater la tenue officielle en vigueur les jours de chaleurs : chaussure bateau, bermuda, ceinture et polo (le plus souvent rentré dans le short). Les tons sont classiques, marine et blanc ou col colorés (vert, rose). J’ai vu aussi quelques plus lointains visiteurs en pantacourt… Ouhla, je ne préfère même pas commenter. Quelques scouts portaient également le bermuda, assez court sur la cuisse. J’ai également croisé des messieurs qui faisaient de la course à pied, en mini mini short. Je me suis alors questionné sur la longueur du bermuda et son histoire. Quelle est la norme de longueur de cette pièce. Aux genoux? Au dessous? Très au dessus? Étudions cela quelques instants.

L’histoire de cette pièce aérée est difficile à tracer. Le short sur les courts de tennis serait apparu durant les années 30. Plus précisément, l’auteur Josh Sims rapporte que ce serait le champion Bunny Austin qui aurait le premier coupé son pantalon lors des championnats américains de 1932. Est-ce vrai? Il est certain que les sportifs aux quatre coins du monde ont du y penser, très tôt je pense.

Les anglais ont une autre histoire et estiment avoir inventé la pièce. Ce serait les militaires en poste au Bermudes (alors siège de la Royal Navy pour l’Atlantique Nord) qui auraient demandé à raccourcir leurs pantalons jugés trop chauds pour les tropiques. L’Amiral Mason Berridge aurait accepté qu’une telle chose fut faite. Pour son propre agrément aussi. Mais en contrepartie du raccourcissement du pantalon en short dit ‘bermuda’, le port de chaussettes très hautes devint obligatoire. Cela rappelait un peu l’élégance en culotte à l’ancienne et bas de soie. Le bermuda ainsi créé doit avoir des pinces et pouvait être porté aussi bien le soir qu’en journée, chose très étonnante. La mode fut si populaire que les habitants des Bermudes firent du bermuda un élément du costume national et les policiers étaient ainsi vêtus.

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Dans le détail, je n’arrive pas à savoir la longueur exacte de ce bermuda militaire. Josh Sims rapporte qu’il doit être coupé à 7,5cm au dessus du genou (peut-être le milieu). A l’inverse, wikipédia anglais dit 1 inch au dessus, soit 2,5cm au dessus (peut-être à partir du haut du genou). Du coup cela reviendrait un peu au même. Dans la marine nationale française, le bermuda se porte très court, je pense 10 à 15cm au dessus du genou. Il faut avoir de belles cuisses bronzées pour ça !

Une chose est sûre, plus il est long, plus il doit être large. Car s’il est étroit, en position assise, le genou sera bloqué. Cela explique que les bermudas de surf, très long et en dessous du genou, sont aussi très larges. A l’inverse, plus vous montez le long de la cuisse, plus le diamètre peut-être étroit. Il peut par ailleurs être terminé avec un ourlet simple ou alors avec un revers.

Enfin dernière chose, pour les anglais et les américains, il est tout à fait admis – sous des latitudes chaudes – de porter le bermuda dans des occasions formelles. Il doit alors être complété d’un blazer et d’une cravate. C’est amusant !

Retour de New-York

J’ai pris récemment de petites vacances aux Etats-Unis et notamment à New-York où je n’ai pas manqué d’ouvrir mes yeux, en voici un compte-rendu. Évidemment, ce n’est pas un relevé scientifique mais simplement une constatation qui généralise un peu.

La première chose qui frappe lorsque l’on se promène dans la ville est l’importante quantité de messieurs en costume. Un peu comme lorsque l’on se promène à Paris La Défense. Le statut de mégalopole du commerce aide certainement. En comparaison, je ne vois pas autant de costume dans Paris. Et de fait, le nombre de magasin en rapport est très important.

Deuxième point, on voit aussi énormément de messieurs portant des odd jacket, c’est à dire des vestes dépareillés, souvent dans des tissus clairs ou colorés (c’est le printemps) et avec des carreaux plus ou moins visible. Avec des pantalons gris clairs, cela semble être du plus grand chic, notamment sur les messieurs ‘installés’ (à savoir plus de 40 ans et avec une corpulence en rapport à leur importance sociale). D’ailleurs les boutiques vendent une quantité importante de telles vestes, que l’on voit assez peu à Paris ou que l’on voit toujours comme des contre-exemples d’élégance. Le blazer bleu marine à boutons dorés est souvent vu.

Troisième point, les new-yorkais adore en particulier le motif Prince de Galles. Je me souviens d’un parcours en métro durant lequel j’ai croisé trois messieurs avec. Et pas des PdG discrets comme ici, non non, des modèles très voyant. D’ailleurs Ralph Lauren en propose toujours de beaux modèles.

Quatrième point, la cravate unie bleu ciel ou rouge représente l’essentiel de la garde robe des hommes. Un esprit de Sénateur du congrès, cf. mon article amusé sur le sujet. Mais au delà de cette simplicité d’apparence, leur répertoire cravaté est bien plus important qu’à Paris. A New-York, on voit TOUTES les cravates possibles et imaginables. Unie, club, à pois, à petits motifs, gros motifs, avec des paisley petits et très grands, dans des tons clairs, dans des tons foncés, dans des tons chamarrés, avec bon goût ou mauvais goût, c’est un défilé permanent. Et cette variété, si elle questionne parfois l’élégance, ressort très plaisante.

Cinquième point, dans un mode mineur de la cravate, le papillon vit encore très bien au quotidien là bas. Je dois dire que pour en porter souvent, je me sens un peu seul et regardé curieusement dans le métro. Là bas, il est tout à fait commun de voir des messieurs en porter, souvent dans des motifs très classiques comme je les aime et comme Brooks Brothers sait en faire. Dans le métro, en bas des tours, dans les boutiques, jeune ou moins jeunes portent naturellement le papilon. Et j’en suis ravi.

Sixième point, la pochette est appréciée également. Certes parfois dans le même tissu que la cravate, mais tout de même, ils en portent. La pochette est souvent en soie, très colorées, dans un ton radicalement différent. L’effet est souvent ‘un peu trop’, mais l’effort est louable.

Septième point, les new-yorkais en particulier en dessous de 40ans sont très ‘lookés’ pitti uomo. Ils suivent la mode italienne et cela se voit. Les camaïeux de couleurs sont très étudiés et les vestes aux motifs italiens (pieds de poules, carreaux fenêtres, flanelles etc…) sont légions. Les pantalons sont coupés très courts et les souliers double-boucles très à la mode. Le tout porté sans chaussette, évidemment. D’ailleurs les marques jeunes mettent cette mode très en avant.

En conclusion intermédiaire, il ressort de toute cela que les américains et en particuliers les New-Yorkais font l’effet d’être élégant. Ils aiment s’habiller et le montrer. Ils le font avec un classicisme anglais que je m’attendais à trouver (la veste dépareillé avec pantalon gris, le costume très classique) mais en y apportant une touche ‘un peu trop’, comme une cravate très osée ou une pochette criarde. Les jeunes dans leur comportement très italien sont à leur manière aussi classique avec une touche osée.

Mais Mais Mais, tout n’est pas rose, et il y a un point en particulier qui a attiré mon attention, les souliers. Mais que diable les américains portent-ils aux pieds ? Voyez plutôt ces godasses vendues chères dans les rayons de Macy’s, grand magasin. Ces affreux modèles sont portés par 70% au moins des messieurs croisés dans la rue, exception faites des jeunes à la mode italienne et des messieurs bien installés qui sont un peu plus à la mode européenne. Un tel goût et surtout une telle offre sont très étonnants. En France par exemple, il existe une foule de marques proposant avec plus ou moins de succès de belles lignes anglaises, comme Bexley, Lodding, Finsbrry, Bowen, Markowski, Altan etc…

D’une manière générale, le gros mocassin à plateau, avec renforts élastiques et double semelle caoutchouc arrive en haut du podium. Il est suivi de près par le derby à bout carré, tout aussi grossier et vulgaire. C’est vraiment très étonnant et cela ruine à chaque fois l’effort de classicisme réalisé. Je pense que cela tient au côté pratique. Premièrement c’est confortable (un peu comme leur préférence pour les énormes 4×4 Escapade avec chauffeur plutôt que les Mercedes classe S. Sur les chaussées défoncées et l’hiver avec la neige, ça craint moins). Deuxièmement pas besoin de se baisser pour faire les lacets, c’est un plus dans un pays où beaucoup d’hommes sont en surpoids. Troisièmement, les semelles moulées à chaud ne nécessitent pas d’entretiens. Et c’est assez important, car on ne trouve pas beaucoup de cordonniers dans ces contrées.

C’est d’ailleurs le fait le plus étonnant. Les petits métiers comme cordonnier ou retoucheur ne se trouvent pas facilement et sont chers. Peut-être un signe de l’ère du service digital post-industriel. Des amis tailleurs là-bas me racontaient qu’un retoucheur salarié coûte plus de 6000$/mois à payer et que donc il faut passer par de très rares indépendants qui facturent chers et ne font pas grand chose. Etonnant.

S’il est possible de trouver dans le climat des explications sur l’achat de tels godillos, il faut reconnaître que cela gâche sensiblement le plaisir des belles mises. Car les américains, s’ils s’habillent un peu trop grands, s’habillent tout de même dans des qualités qui se voient. Les costumes tombent souvent très bien, ceci peut-être grâce à l’importance des conformations dans leur prêt à porter. Regular, Short et Long, parfois Extra Waist pour les plus forts, ce qui permet dans une même taille 50 par exemple d’habiller une foule de gens. Leur offre est un vrai plus à l’élégance.

Question boutiques, j’ai remarqué la présence très importante des habilleurs anglais dans la Grosse Pomme. Charles  Tyrwhitt et Pink ont plusieurs boutiques, souvent très grandes. J’ai préféré voir des produits purement américains. (Même si je suis rentré chez The Suit Supply. J’ai été agressé par je ne sais combien de vendeur (il doit y en avoir un par mètre carré de vente. J’ai aussi été agressé par la musique à fond. Je n’y ai enfin rien trouvé, il y a trop de choses, tout en serré, je n’ai même pas eu envie de demander plus de chose, au bout de 2min, je tournais les talons). J’ai donc visité :

  • Jos. A. Bank. C’est une enseigne très courante là-bas mais parfaitement inconnue en Europe et c’est assez dommage. Cette maison assez ancienne propose un prêt à porter très important et très classique. C’est une sorte de Brooks Brothers bis où les vêtements sont très abordables. 400 à 600$ le costume, 140$ le pantalon de laine froide. On peut y trouver des bermudas de coton très attractifs aussi, des vestes en seersucker et une foule d’autres articles.
  • Brooks Brothers sur Madisson Avenue est une immense boutique sur trois niveaux. Tellement immense qu’elle paraît trop grande. Une certaine impression de vide m’est apparue en me promenant dans les allées. Je n’ai pas ressenti d’émotion particulière et la décoration très récente (notamment les gondoles en faux acajou et les décors en laiton) m’a fait l’impression d’une marque sans histoire. C’est un peu fort tout de même pour une maison qui est peut-être l’une des plus anciennes à habiller les hommes. Rien ne m’a inspiré.
  • Ralph Lauren en haut de Madisson propose un véritable manoir dédié à l’homme. C’est ‘huge’ et insensé. Quatre niveaux d’un luxe et d’une sophistication époustouflantes. On y est très bien accueilli et il est possible de visiter toutes les parties. J’ai pu regarder, toucher, discuter avec le tailleur de Purple Label. Celui-ci m’a révélé que le Made to Measure commence à 5000$, accrochez vous ! Il faut se rappeler tout de même que le pouvoir d’achat américain est assez élevé. Un costume à 3000€ est rare en PàP à Paris. C’est monnaie-courant à NYC, en particulier dans les grands magasins. (Il ne faut pas oublier des droits de douane à l’importation, en particulier d’Europe et d’Italie, assez élevé).
  • Les souliers Alden possèdent dans mon imaginaire une sorte d’aura. C’est l’équivalent américain de Crockett & Jones. Sur Madisson la boutique est minuscule et très artisanale. J’ai cru à une boutique de cordonnerie. Mais quelle beauté à l’intérieur. Des cuirs épais et souples à la fois, des Cordovan (cuir de cheval) sublimes et des veau-velours au grain si fin et si beau …. Si le débord des semelles est exagéré (1cm de débord), les souliers Alden sont quand même extrêmement beaux. La coupe est sublime. Les bouts droits sont très courts comme j’aime et la forme ronde est captivante pour un amateur de formes anglaises. Ils sont vendus à partir de 509$ là bas, ce qui est très intéressant avec le taux de change (je signale qu’Upper Shoes les vend en France à partir de 765€ !!)
  • Les souliers Allen Edmonds semblent bien plus connus et reconnus qu’Alden et les boutiques sont plus nombreuses et plus belles. Mais en revanche, les formes sont très américaines, très pataudes. Voyez vous-mêmes. Les lignes sont très rondes, les bouts droits trop longs. On pourrait croire à des chaussures pas chères.
  • Enfin, la dernière boutique que j’ai vu – et je finirai par ça – est Paul Stuart. J’ai aperçu les vitrines en arrivant dans Big Apple depuis la fenêtre du taxi. La boutique occupe au moins 8 vitrine le long de la rue, j’ai donc eu un sacré aperçu. J’y suis retourné tranquillement plus tard. Je suis entré, accueilli par un gentleman anglais du XVIIIème en bois sculpté taille réel! J’ai trouvé l’intérieur immense. Un peu vieillot années 70 mais pas grave. Au mur des tapisseries d’Aubusson, d’épais tapis au sol, un air de jazz en fond. J’ai commencé mon tour, immédiatement attiré par les robes de chambre immenses et épaisses en soie brocard et les vestes de fumoir en velours vert et revers matelassé. Un signe! Puis j’ai déambulé au milieu des cravates, des papillons et des pochettes. Je pense qu’il y en a au moins autant que chez Charvet. Le choix est pléthorique, toutes les couleurs, tous les styles. 139$ tout de même, c’est le lieu qui fait ça. Puis j’ai continué mon tour. Les vieux vendeurs vous saluent discrètement. Certains portent le croisé avec le papillon à merveille. J’ai ainsi pu vagabonder sans que personne me demande quoique ce soit, à la différence de The Suit Supply. La plupart des produits sont italiens. Les boutonnières sont cousues à la main. La collection de costumes  supérieurs s’appelle Phinéas Cole et est très inspirées. Souvent la poche ticket est placée en arrière, un détail à l’ancienne. La maison manie beaucoup les couleurs par ailleurs. Un vrai feu d’artifice et quel plaisir. Les pièces sont inventives et colorées, tout en restant classiques et discrètes. Voyez par vous même. Finalement, Paul Stuart m’est apparu comme une maison au charme suranné, à l’élégance chic et le plus souvent discrète. Car Paul Stuart est bien une maison américaine pour ça, si le goût est classique, il y a toujours un petit quelque chose et en particulier uen cravate un peu trop osée pour ruiner la mise… Chaque maison a ses défauts. Une sorte de mélange entre Charvet et Arnys, rien que ça, imaginez bien !

En bref, presque mon meilleur souvenir de voyage ! J’étais tellement ravi et reposé, que j’ai pris une cravate 😉

Bonne semaine, Julien Scavini