Sherlock Holmes

J’ai toujours fait beaucoup de publicité à ma série préférée, Hercule Poirot, produite par la chaine anglaise ITV entre 1989 et 2013. David Suchet y campe le détective avec brio, aidé en cela par une mise en scène somptueuse. Les costumes en particulier sont resplendissant d’exactitude historique. Je me souviens de cet échange savoureux avec le capitaine Hastings, lorsque que le détective aux petites cellules grises trouve que ses faux-cols le grattent : « mais pourquoi donc Poirot ne vous mettez-vous pas au col souple? Tout de même, c’est plus actuel! » Quel régal.

Une autre série mérite notre attention. Elle nous plonge toutefois un peu plus loin en arrière, non plus dans les années 30, mais sous l’ère victorienne, quand les fiacres et les bicyclettes encombraient les rues. Il s’agit de Sherlock Holmes.

Alors bien sûr, vous allez vite chercher de quelle adaptation je veux parler. Car il y en a eu beaucoup, pour la télévision comme pour le cinéma, et encore très récemment, à grand renfort de mélo et d’effets blockbuster. Ces opus modernes n’ont aucun effet sur moi. Et je me rabats volontiers sur une production bien plantée dans son décor, ancien.

La chaîne ITV, toujours elle, eut la bonne idée de se lancer dans une adaptation de toutes les nouvelles et romans d’Arthur Conan Doyle. Ainsi, de 1984 à 1994 furent produits de nombreux épisodes. La dramatisation est considérée par les puristes comme extrêmement proche des écrits, pas de triturations ici. C’est ainsi que l’on découvre des épisodes grandioses et d’autres un peu pépères, des histoires farfelues et d’autres très intrigantes.

Surtout, à l’écran, beaucoup de moyens ont été mis dans les décors, les accessoires et les habits. Il en ressort une richesse visuelle inépuisables, du fiacre au microscope, du boudoir de madame au grand salon boisé, de l’aristocrate au va-nu-pieds. C’est une splendeur. Et même si je ne suis pas un fan des intérieurs victoriens, sombres et remplis de bibelots chichiteux, j’admets que c’est ravissant à voir. Quelle atmosphère !

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Pour camper le personne de Sherlock Holmes, il fut choisi un acteur avec beaucoup de bouteille, Jeremy Brett. Sa beauté ascétique colle bien au détective, même si sur la fin, il s’est un peu empâté. Son interprétation est magnifique. Là encore, je ne suis pas un fan de ce détective sûr de lui et cocaïnomane, dont les déductions frôlent souvent le surnaturel. Poirot est du même genre mais il me plait plus. Pourquoi je ne sais? Toujours est-il que malgré cette critique, Jeremy Brett arrive à envouter et finit par faire de Sherlock Holmes un homme presque plaisant. Quant au docteur Watson, c’est l’englishman idéal, compatissant et simple. L’exact inverse de Holmes, qui est la froideur intellectuelle. Amusant ce duo comme il ressemble à celui de Poirot et Hastings.

Les histoires de Sherlock Holmes se déroulent entre 1880 et 1917 environ. C’est une époque particulièrement intéressante du point de vue vestimentaire. Car c’est là que s’est mise en place la garde-robe actuelle. C’est là que les redingotes et autres fracs ont été délaissés pour faire place au complet à veste courte. Une étude attentive permet de déceler cela à travers les usages et les classes sociales, sur Holmes et Watson. Les vêtements sont remarquablement bien cousus et bien choisis. Les toilettes féminines ne sont d’ailleurs pas en reste. Au fond il n’y a que le nœud papillon curieux de Holmes qui m’interroge. C’est là le piquant de l’affaire! Quant à Watson, ce sont ces drôles de chapeaux melon tout ronds qui m’amusent!

 

Les quatre saisons du Sherlock Holmes d’ITV sont très agréables à regarder. J’en redemande. Hélas, sur les 60 histoires classiques composant le « canon holmésien », seule 41 furent adaptées à cause de la mort prématurée de Jeremy Brett.

A vous de prendre plaisir. Les DVD sont en vente dans les bonnes crèmeries. Et quelques épisodes sont sur Youtube pour vous faire une idée, comme ici ou

Belle semaine, Julien Scavini

Une archive de Brooks Brothers

Sur la page Facebook de Brooks Brothers dont je suis fan, je suis tombé récemment sur cette affiche qu’ils mettaient en avant. Cette publicité date des années 50. Je l’ai trouvé très amusante.

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VOICI CE QU’ELLE DIT :

Pour un mariage informel d’été:

Veste et pantalon :

  1. veste droite en lin blanc avec un pantalon gris,
  2. ou une veste droite bleu foncé avec un pantalon de flanelle blanche (matière considérée dans les années 40/50 comme estivale faut-il le rappeler),
  3. ou un costume en lin blanc.

Chaussures : blanches.

Chemise : blanche, avec col attaché (mention utile à cette époque où le col dur détachable était parfois encore de mise).

Autour du cou : une cravate légère à petits motifs ou un cravate club (bleu marine majoritaire).

Chapeau : un canotier en paille ou une forme panama.

 

VOYONS LE RÉSULTAT

Je me suis donc amusé à dessiner ces diverses propositions, pour voir ce que cela donne.

 

La première question que l’on peut se poser est : est-ce une proposition pour le marié ou pour un invité? Pour le marié, cela m’a semblé initialement pas assez formel. Du moins les deux premières propositions. Et puis finalement, si c’est fait avec tant de goût, cela devrait être remarquable et enviable. Quel chic!

La veste blanche a quelques chose en particulier de notable, d’éclatant. A côté d’une mariée en blanc, cela peut-être très digne. De moi point de vue, c’est la première proposition qui a le plus de panache. Quelle brillante idée. Une veste blanche ne me parait pas facile à placer dans une garde-robe. En particulier, comment l’associer avec un pantalon? Mais ici, avec le rappel du blanc au niveau des souliers, il y a une harmonie et un équilibre bienvenu. Merci à la cravate aussi trouvée sur Google Image, qui participe à cet équilibre des blancs et des gris.

La seconde proposition est intéressante mais un peu pépère pour un mariage. On peut trouver mieux qu’un simple blazer. Et attention au costume complet en blanc, surtout en laine, cela fera vite mafieux. Toutefois, en lin ou coton, avec cet aspect taloché, c’est à la fois vintage et raffiné.

LA RÉPONSE BROOKS BROTHERS

Brooks Brothers dans le commentaire sur Facebook proposait de son côté : « que changeriez-vous aujourd’hui? Notre personal shopper Mario Mirabella dit que ‘à part le chapeau et un fuselage du pantalon, une veste du soir en lin blanc ou un costume est juste aussi cool hier qu’aujourd’hui. Je recommanderais des souliers noirs brillants plutôt que blanc.« 

Si je suis d’accord pour le chapeau  et le pantalon (et encore!), je ne suis pas d’accord pour les souliers. Des vernis noirs avec une veste en lin blanche, c’est une grossière opposition de style. Eurk! D’un côté le rugueux et la décontraction d’une matière informelle, de l’autre des souliers pour l’Opéra. Non, cela n’ira pas. Pire, cela donnerait même à la veste blanche ce côté Prisunic ou maquereau de quat’sous qui me fait si peur. Un soulier marron ou veau-velours clair serait bien mieux que noir. Et finalement, je soutiens qu’un soulier en veau-velours blanc à semelle gomme, type buck de chez Fairmount ou Crockett & Jones serait génialement raffiné. Donc pour ma part, je ne reste convaincu que la proposition ancienne de Brooks Brothers est bonne ainsi. Intemporelle…

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Belle semaine, Julien Scavini

« Le jean à pli »

C’est un sujet qui revient régulièrement à la boutique, et qui nous fait rire : le jean à pli. Je m’explique. Un jean est l’assemblage de deux choses :

  • une coupe spécifique, souvent dite cinq poches (deux arrondies devant plus une poche briquet ou montre, deux plaquées derrières,) qui se caractérise par une fourche très courte qui plaque le fessier, en bref très différente d’une coupe de pantalon de ville
  • une matière, le denim, sergé dont la teinte du bleu au noir fait apparaitre une côte blanche.

Seulement voilà, si le second point est essentiel et logique, le premier ne va pas de soi. Coupe pas assez haute, cuisse trop serrée, inconfort sur les hanches, les griefs peuvent être nombreux et variés. C’est en particulier mon cas, n’aimant vraiment plus porter le jean. Le chino m’apparait bien plus confortable, qu’il vienne de chez Uniqlo, Ralph Lauren ou de chez moi. J’aime la coupe de pantalon de ville et surtout les deux poches discrètes au dos. Ces deux poches plaquées sur les fesses sont massives et pas d’un esthétisme fou, je trouve.

Certains clients me rejoignent. En particulier après 40 ans dois-je admettre toutefois.

Et donc que faisons-nous? Et bien un pantalon de ville, mais dans du denim. La coupe est classique et droite, le montant idéal sur les hanches, les poches et finitions aussi discrètes qu’un pantalon de costume. En bref, la simplicité.

Dès lors, ce mode de fabrication induit que ce pantalon soit marqué au fer devant et derrière, que le pli soit fait. Comme un pantalon de costume. Ce que nous appelons alors un jean à pli.

J’ai deux clients, travaillant dans les affaires à haut niveau, qui ne veulent porter que du jean. Toutefois pour être sobre, ils ont choisi cette option du jean de ville. Ils ont la matière, finalement assez discrète si marine foncé, et présentent une coupe classique similaire à leurs collègues en costume.

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Un proche aime bien se moquer gentiment de ce goût. On en rigole bien car en effet, jamais un jeune n’aurait l’idée de faire cela. Je confesse toutefois y avoir pensé souvent pour moi. Je n’aime pas le jean pour ses empiècements et ses épaisseurs, ses coutures grossières et sa coupe inconfortable. Au final, avec une veste ou un pull, personne ne peut s’apercevoir que la coupe n’est pas celle d’un ‘vrai’ jean. Seules les poches diffèrent, en plus de l’absence des surpiqures de couleur.

Cet attelage d’un pantalon de ville et d’un jean est né probablement grâce à de petits boutiquiers comme moi. Car bien souvent, les fabricants de jean, pantalon archi simple et très normé, imposent des minimas de commande assez élevés pour être rentable. Or lorsqu’on est un petit détaillant, 50 pièces suffisent déjà amplement. Et les fabricants de pantalons de ville sont eux outillés pour des petites séries. Il est donc facile lorsqu’on est un ‘petit’ de proposer un pantalon de ville en denim.

Finalement, où est le mal à couper des pantalons de ville dans du denim? Une question d’âge et donc de ringardise sous-jacente? Je note que des tailleurs italiens s’amusent souvent à faire des pantalons double pinces avec du denim et plein de détails sartoriaux. Esprit de provocation? Ou volonté d’allier l’utile et à l’agréable? Je n’irais pas jusqu’à en proposer en prêt-à-porter car ce serait probablement un four. En me le demandant quand même… En serait-ce un?

Belle semaine, Julien Scavini

Être ou avoir.

J’avais noté il y a plusieurs mois cette citation que je viens de retrouver par hasard, sans en connaitre l’auteur :

« on donne du style au vêtement et non on se donne du style par le vêtement. »

C’est presque une proposition philosophique, avec beaucoup d’implications. Amusons-nous à la décortiquer.

La première partie implique une sorte de génie, de bonne fortune personnelle, une qualité à dépasser l’habit pour être soi. Prendre un bien matériel pour ce qu’il est et par l’assemblage et le savoir, créer une chose exquise. Simplement avoir puis savoir-faire.

A l’inverse, la seconde partie tendrait à faire du vêtement le fameux habit qui fait le moine. Être à travers un bien matériel. Et ou pire, être à travers une marque. Ne pas savoir ce que l’on est et donc, devoir se créer une esthétique clef en main.

A priori, et c’est à mon avis le sens de l’époque contemporaine, beaucoup penseront et revendiqueront être de la première partie, rejetant avec logique un certain asservissement liée à la seconde partie. C’est un peu comme l’abandon des Académies. Fini le canon pour tous, fini la capacité d’universalité, fini le solfège, laissons chacun libre de s’exprimer. En bref, proclamons les génies individuels, instagrameurs, influenceurs et autres parangons finalement plutôt rares.

Car au delà de ce petit nombre de savants existe la multitude contemporaine qui précisément se donne du style par le vêtement en pensant le contraire. L’amoncellement, la collection, la variété et la marque deviennent une fin en soi. Les choses logotypées deviennent cool. LV, gros H, petit joueur de polo sont des insignes qui classent et donnent du style. Avoir en pensant être.

Finalement, une première lecture laissera tout le monde d’accord : il est préférable de se considérer de la première partie de la citation plutôt que de la seconde.

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Revenons toutefois à la citation.

« on donne du style au vêtement et non on se donne du style par le vêtement. »

Plaçons le dans notre univers tailleur et décomposons. Le costume est presque un uniforme, normé et simple. Sur ce substrat, il reste à faire naître un style, une humeur, un goût. Sur le simple costume, telle cravate, telle chemise va faire naître l’esthétique de la personne. La mise aura été forcée, contrainte PAR la personne. Le costume ne sera qu’un moyen. C’est la lecture figurée de la première partie.

En plus, il est aussi possible de donner du style au vêtement lui-même, c’est le plaisir du fait pour soi, de la commande personnalisée, qu’elle soit Grande Mesure ou Demi-Mesure. Il est possible dès la création du vêtement d’imprimer un style personnel : revers large, rayure appuyée. C’est la lecture littérale de la première partie de la citation.

Mais, mais, mais, c’est là qu’est l’os.

N’aimons-nous pas aussi, dans une sorte de fétichisme du beau vêtement être un peu l’esclave du vêtement? N’aimons-nous pas, dans une certaine mesure, être un peu contraint par telle cravate club chérie, ou telle veste en tweed un peu typée? N’est-ce pas un petit plaisir coupable que de se laisser guider par le style d’un vêtement? Par la force d’une coupe, la finesse d’une ligne, l’élégance marquée d’une pièce. N’est-ce pas aussi un signe jeté au monde que de porter un vêtement sur-mesure, qui finalement entre connaisseurs se voit et se remarque? Et donc par là même, avoir du style par le vêtement?

De prime abord, cette citation s’analyse rapidement et simplement. D’un côté le libre-arbitre, de l’autre un rôle secondaire par rapport au matériel. Mais lorsque le matériel est beau, est-ce un si gros péché d’en être inféodé? Je me souviens du Chouan des Villes reprochant à François Fillon d’avoir le goût de son habilleur, Arnys. Donc de se donner du style par le vêtement. Au fond, était-ce si grave? A l’époque, un peu jeune peut-être j’avais pris cette remarque pour argent comptant. Et j’aurais pris cette citation aussi dans son sens premier. Quelle honte aurais-je éprouvé de me considérer de la seconde partie. Finalement rien n’est jamais si tranché. Être et avoir, les deux sont plaisants.

Belle semaine, Julien Scavini