Jacques Chirac

Jacques Chirac, ancien Président, ancien Premier Ministre, ancien Maire de Paris, ancien chef de parti politique a trusté les médias durant de très nombreuses décennies. Sur le plan politique, c’est un euphémisme de dire qu’il nous enthousiasmait de manière très variée et cyclique. Combien de fois fut-il porté aux nues, combien de fois aussi fut-il détesté? Son second quinquennat est plus frais dans ma mémoire. Et je me souviens d’une détestation farouche, et de tous les bords! Mais plus on oubliait l’animal politique, plus on appréciait l’Homme. Curieux pays où l’on élit des politiques pour les détester aussi vite, à un rythme d’ailleurs toujours plus soutenu.

Ainsi, avec le temps, le bon Chirac, celui des pommes, de la bière et du cul des vaches est resté. Cette image, loin d’être abimée par les Affaires et les tromperies multiples, s’est amplifiée à mesure que l’homme apparaissait inexorablement plus faible aux terrasses de Saint-Tropez. Une sorte de papy-gâteau, toujours un œil dans les décolletés. Comment ne pas trouver cela charmant?

Si bien, et c’est absolument ahurissant, que Jacques Chirac est devenu une sorte d’icône chez les jeunes.. Son bilan? Qu’importe, c’était un bon Président car c’était un Président cool. Sa ringardise? Elle devenait la marque de fabrique et l’excuse à tout. Il devenait dans l’imaginaire des jeunes une sorte de hipster, maître étalon du cool. Combien de magazines ont titré sur cette icône du style, pour à la fois se moquer, faire du papier, et rattraper les faiseurs de t-shirt aux business florissants. Voyez plutôt :

Je n’irai pas jusqu’à dire que Jacques Chirac était une icône du style. Mais il illustre en revanche extrêmement bien la citation de Chanel « la mode se démode, le style jamais« . Il avait un style, indéniablement. Le style des bons tailleurs et des maisons discrètes. Rien de tapageur chez lui, mais de la prestance. C’est si facile lorsque l’on est grand. Amusons-nous à regarder des images.

 

A 30ans, à peine sorti de l’ENA, il commence son parcours dans les Ministères et au cabinet du Premier Ministre. Comme je l’avais trouvé avec amusement durant ma recherche sur Roissy, il fut en sa qualité de chargé de mission pour la construction, les travaux publics, et les transports, en charge du futur grand aéroport. Cette jeunesse active, en plein années 60 Pompidoliennes, l’amène à s’habiller avec un chic strict. Le costume trois pièces se porte encore un peu, il en profite. Cela allonge les lignes. Un jeune beau aux dents longues qui veut compter et se rendre utile en coulisse.

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Avec une rapidité stupéfiante et peu d’expérience politique, il réussit à prendre à la gauche une circonscription en Corrèze, contre l’avis de son entourage politique qui l’aurait mieux vu à Paris.

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Puis, sans perdre de temps, les nominations s’enchaînent, jusqu’à l’une des plus importantes, Matignon. Avec le Président Giscard d’Estaing, les rapports toutefois se tendent. On bascule alors dans les années 70. Les costumes s’étoffent, les lignes s’élargissent, les revers s’épanouissent. Il abandonne la veste trois boutons pour deux, le costume bleu en dessous (photo couleur) est sublimement coupé. Le gilet dure encore. Toujours sur cette photo, admirez le costume de Giscard. Henry Poole parait-il? Quelles lignes aussi!

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Les hommes sont chics à cette époque. En particulier Jacques Chaban-Delmas que Jacques Chirac a poignardé dans le dos pour faire élire Giscard. Chaban et sa toujours discrète pochette blanche.

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Puis c’est l’époque Mairie de Paris. Puis François Mitterrand arrive au pouvoir. Arrive la première cohabitation. Jacques Chirac devient Premier Ministre une nouvelle fois. C’est les années 80, le costume croisé est à la mode, les lignes sont basses, les épaules larges.

Lors du second septennat de François Mitterrand, la cohabitation se reproduit. Cette fois-ci, Jacques Chirac laisse le champ libre à son ami d’alors et fidèle conseiller, Edouard Balladur. Du pain-béni pour ce dernier. Encore un grand moment vestimentaire. Ci-dessous, Jacques Chirac porte ce qui ressemble à un costume Cifonelli : boutonnage bas et rapproché, revers un peu ventru, épaule qui tourne vers l’avant. Edouard Balladur va chez Henry Poole parait-il alors.

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A la suite d’une campagne qui déchira la droite et fit sortir un honorable porteur de chaussettes rouge du tableau politique, Jacques Chirac remplace un François Mitterrand malade, dont la veste est admirable ci-dessous. Cifonelli parait-il aussi.

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Edouard Balladur ne sort pas tout à fait du champs politique. Il conseille toujours. Ses vestes à poche ticket faisaient tiquer les ploucs.

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Pendant ce temps là, les pantalons de Jacques Chirac ne cessent de monter, caractéristique de la taille haute sur les hommes minces. Comme Sean Connery ou Roger Moore. On ne distingue par toujours les mêmes lignes sur ses costumes. Tantôt ils sont bien coupés, tantôt ils sentent le prêt-à-porter italien un peu ample.

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Puis la cohabitation revient, à l’envers cette fois-ci. La gauche avec Laurent Fabius ou Roland Dumas avait habitué à l’élégance, pochettes et souliers cirés. Dommage, Lionel Jospin n’avait pas ce goût. Jacques Chirac reste digne et sans tapage.

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Le second mandat du Président Chirac est marqué par un affadissement du style. Lionel Jospin l’avait bien dit « il est fatigué, usé« . Les costumes deviennent un peu grand pour l’homme. Mais les pantalons montent encore, soutenus par d’inénarrables ceintures étroites, genre l’Aiglon, parfois en cuir tressé. Et ses veste arborent d’étranges revers, sorte de style Smalto raté. Je pense à du Charvet, son ami Charles Pasqua l’y avait peut-être amené?

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Parfois, les cravates de Jacques Chirac était longues. Il les coinçait alors dans sa ceinture. C’est commode et hilarant. Mais sur d’autres photos, on découvre des cravates visiblement sur-mesure.

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J’en ai terminé avec cet inventaire photographique.

Jacques Chirac, non, n’était pas une icône de style. En revanche, il a toujours su ce que la dignité voulait dire. En même temps, ce n’est pas un homme figé dans une mode que l’on découvre, mais au contraire, un homme qui évolue au fil des modes. Ce qui perdure, c’est son style et sa manière d’être, au delà des modes. Sa fille avait bien essayé de le moderniser, en lui enlevant les lunettes en écaille de chez Bonnet par exemple. Mais il est resté fidèle à ses grands pantalons et ses épaules larges. Il n’était pas fade comme les Président ensuite, qui ont même peur de la couleur de leur cravate et doivent demander un sondage sur leur coiffure. Marine, marine, marine, scandent-ils, seule tonalité de leurs costumes. Toujours est-il que Jacques Chirac était d’un genre hors-du-commun, il faut bien le reconnaitre.

 

Bonne semaine, Julien Scavini

J’ai testé Le Lavoir Moderne

Il y a quelques mois au cours d’une conversation avec un ami, celui-ci m’a parlé de son pressing pratique qui venait directement chez lui prendre les vêtements. Je suis toujours un peu suspicieux sur la modernité et ses méthodes disruptives. Assez hermétique à la nouveauté en fait. Bref, j’ai laissé l’idée en suspend.

Puis cet été, j’ai regardé un peu plus de quoi il me parlait : Le Lavoir Moderne. Je me suis inscrit simplement pour voir de quoi il retournait. A mon grand intérêt, j’ai trouvé le prix de nettoyage des chemises très intéressant. Il faut savoir que ce service propose trois types de prestations : Classique, Premium et Tradition, vous trouverez les explications sur leur site.  Pour chaque catégorie, vous pouvez choisir ‘vêtement au poids’ ou ‘vêtement à la pièce’, pour un traitement individuel.

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Pour ma part, j’ai toujours eu l’habitude de tout laver moi-même et pas de me considérer riche au point d’aller au pressing. A part pour les précieux costumes, qui y vont rarement de toute manière. Donc je lave mes chemises dans la machine, puis je les fais sécher sur des cintres métalliquse. Et chaque soir je repasse la chemise du lendemain. Ce ne sont pas des opérations très fastidieuses, mais c’est pas non plus très passionnant. Surtout  dans les petites surfaces parisiennes, la place n’est pas énorme pour faire sécher 5 ou 6 chemises hebdomadaires. En plus du reste du linge.

Donc, en y regardant avec attention, j’ai compris qu’en prenant le service basique, ici appelé Classique,  la chemise serait nettoyée et lavée pour 1,5€. Soit si je compte mes 5 chemises de travail hebdomadaire, 20 à 30€ par mois. (En rajoutant 1,5€, soit 3€ au total, la chemise peut aussi être pliée. Toutefois, sur un cintre, cela me convient mieux.)

J’ai donc décidé de sauter le pas début septembre. J’ai donc commandé un lavandier, l’expression consacrée par le site internet. J’ai proposé au lavage 4 chemises ainsi que 2 draps. Les chemises sont traitées comme des vêtements individuels et les draps comme du linge au poids. Soit. Je me demandais comment j’allais retrouver les draps alors? S’il fallait payer un supplément pour le pliage? Enfin je me suis lancé.

Le livreur est passé avec son scooter. En retard. Pas grave. Il a empaqueté dans deux sachets à mon nom, dotés d’une puce numériques, les différents types de linges. Le lendemain, je recevais un sms avec un lien vers mon compte pour procéder au paiement.

Là, douche froide, je ne comprends pas pourquoi cela coûte 18,80€. Je regarde la facture et je comprends qu’en dessous de 15€ de commande totale (j’en étais à 10,80€), ils rajoutent 8€ de frais de livraison. Argh. Sur le fond, j’ai trouvé ça normal, je suis un commerçant aussi. Il faut bien gagner sa vie. Sur la forme, j’ai trouvé cela moyen pour une première expérience, d’autant que l’info n’est presque mentionnée nul part. Il faut chercher dans les F.A.Q. pour trouver cette info sournoise. Bref.

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Deux jours après, nouveau sms avec un autre lien pour prévoir la livraison. J’opte pour le jour même. Le livreur passe… en retard. Pas grave, mes horaires sont vastes à la boutique.

J’ai retrouvé mes 4 chemises bien repassées (mieux que je ne l’aurais fait) et les 2 draps bien pliés et serrés dans un sachet plastique. Parfait. Peut-être pourrait-on ergoter de l’imprécision au niveau des cols, mais à ce prix…!

Ainsi, j’ai préféré pour la seconde fois attendre afin d’éviter la surtaxe. Une fois atteint mon quota, j’ai redemandé un passage. Cette fois-ci pour 12 chemises, 1 pantalon, 1 polo et 2 draps. Puis j’ai reçu la facture le lendemain. 31,80€. Gloups ai-je fait. Le pantalon coûte 5 et le polo 4. Au fond, c’est vraiment rien. Mais j’étais toujours sur mon calcul chemisier uniquement.

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J’ai remarqué que le pantalon de velours est revenu repassé, sur cintre, mais plié comme un chino sans le pli marqué au fer. C’est une façon moderne de procéder. J’imagine qu’ils font de même pour les chinos et jeans. Et que pour les pantalons de ville, ils marquent le pli au fer et replient différemment sur le cintre. A vérifier.

Le polo lui est revenu sur un cintre de chemise.

Voilà donc mes deux expériences.

 

En conclusion, je dois reconnaitre la grande efficacité de l’affaire. Je suis ravi, car mes chemises sont maintenant très nettes. Comme elles ne sont jamais vraiment sales, il n’y a pas besoin d’un lavage très extensif. Et je pense qu’à 1,5€, en comptant la lessive que j’économise, l’électricité et l’usure de ma machine, l’affaire est assez intéressante. Le pressing traditionnel à côté de ma boutique traite les chemises pour 8 à 10€ suivant la saleté. Ce n’est pas une paille, même s’il faut reconnaitre l’immense qualité du travail et le plaisir qui y est mis. Enfin pour les draps, c’est quand même formidable, plutôt que d’utiliser tout le séjour pour les faire sécher entre deux chaises.

Donc pour ces deux usages (chemises et draps), je dois reconnaitre l’immense avantage du Lavoir Moderne. Pour mes pantalons et polos, je continuerai de les faire moi-même. Ils sont plus rare de toute manière.

Au final, je n’ai trouvé qu’un seul bémol au Lavoir Moderne : comme c’est facile, on a tendance à en donner plein. Et c’est là qu’arrive une facture plus salée qu’on ne le voudrait. Donc à partir de maintenant, je m’y tiens : chemises et draps uniquement et point. Restons sage sur la carte bleue.

Hélas, trois fois hélas, et je m’en excuse auprès de tous les lecteurs hors de Paris, Le Lavoir Moderne n’agit pas encore partout. Ils ne servent même pas tout Paris d’ailleurs, les arrondissements ‘moins riches’ de l’Est n’étant même pas desservis. Ils ont bien étudié leur business plan, c’est amusant à constater. Sur cette carte, seules les parties bleues sont desservies. Toutefois, ils ont un point de dépôt / collecte dans le XVème arrondissement pour ceux qui veulent.

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Mon ami de son côté a arrêté de recourir au Lavoir Moderne pour ses costumes. Il utilisait le service dit Traditionnel qui suppose un repassage manuel mais n’a pas vu grande différence avec le Classique et surtout avec le pressing au coin de sa rue (Paris 8). Et je dois admettre que pour ces belles pièces de valeur, un bon artisan teinturier que l’on connait est toujours préférable à un traitement automatisé à la chaîne.

Bonne semaine, Julien Scavini

PS : encore une fois, je ne suis aucunement en contact avec Le Lavoir Moderne pour cet article, fait de manière impartiale, sans aucune contrepartie!

Le ‘garment dye’

Je vais vous présenter ce soir une méthode de fabrication de vêtements, que certainement vous avez déjà portés sans le savoir. Rentrons dans les coulisses du textile.

Le garment-dye est une filière de production en industrie textile. Cet anglicisme utilisé aussi en France se traduit pas ‘teinture de vêtements’. Pour l’expliquer, je dois d’abord expliquer comment l’on fabrique un vêtement. L’affaire est simple. Pour coudre un chino ou un t-shirt, il faut acheter du tissu auprès d’un fabricant. Et pour réaliser plusieurs coloris de ces chinos ou de ces t-shirt, il faut donc acheter… plusieurs coloris du même tissu. Ainsi, pour faire des chinos marine et beige, il faut acheter par exemple 1000 mètres de tissu beige et 1000 mètres de tissu marine. Simple. C’est le drapier qui réalise l’opération de teinture du tissu pour vous.

Ensuite, il faut coudre le vêtement avec le trimming correspondant. C’est-à-dire avec tous les éléments accompagnant la recette : les fonds de poche, les fils et les boutons. Ces accessoires nécessaires pour réaliser le chino doivent être définis et achetés en parallèle. Il faut que sur le chino marine soient posées des boutons marines et que les fils soient marine. On ne va pas aller fabriquer un chino marine avec des fils rose. Vous me suivez?

Toutes ces opérations nécessitent de l’intelligence et du travail. Du temps donc. De l’argent enfin.

Mais dans un monde où tout le monde cherche à écraser les coûts pour faire mieux, plus vite et plus souplement, les industriels ont développé la filière garment dye.

Là, terminé les trimmings par couleurs, terminé en fait les achats par couleur. Au lieu d’acheter 1000 mètres de marine et 1000 mètres de beige, il faut acheter 2000 mètres d’écru, non teinté. Simple, efficace. Ensuite, au lieu d’acheter des fils marine et beige, il faut acheter du fil écru. Puis, pour les fonds de poche et les boutons, c’est pareil.

Car le vêtement va être cousu écru, c’est à dire blanc cassé ou grisâtre. De quoi donner à l’usine entière une allure bien pâlotte. La couleur disparait. Mais dès que les modèles sortent de chaine, ils sont alors mis dans d’immenses machines à laver où ils sont alors teints! La couleur se répand dans le tissu, imbibe les fonds de poches, imprègne les boutons, colore les fils. Le résultat est souvent éclatant.

Voici deux photos d’une usine indienne :

Songez aux avantages multiples en atelier :

  • simplification de la chaine de production. Plus besoin de changer les fils d’un modèle à l’autre sur les machines à coudre.
  • simplification de la filière achat en amont de la production.

Songez ensuite et surtout à l’immense avantage pour les marques :

  • écrasement des coûts par rationalisation de l’achat. Une couleur au lieu de dizaine.
  • possibilité de proposer des dizaines de couleurs dans un collection réduite. Le client est heureux, il trouve de multiples de coloris sans coût supplémentaire. Car la marque est libre de commander seulement quelques pièces dans ce rose spécial qui sera une petite vente mais de l’effet en boutique.
  • possibilité d’être très flexible sur les volumes commandés et d’avoir du réassort très rapidement en magasin. Car la marque peut stocker des modèles écrus et en demander la teinture au débotté.

Les bermudas Mr Marvis sont l’éclatante démonstration de cette capacité du garment dye à être déclinée en de multiples coloris, même si la marque sait probablement que 60% des coloris se vendront très peu. Qu’importe, elle en fait un argument marketing.

Cette technique de fabrication s’est développée à partir des années 70, comme nous le rappelle une marque pionnière en la matière, l’italienne CP Company. Mais depuis une dizaine d’années, elle représente une véritable aubaine pour les usines en Europe. Car elle leur permet une grande réactivité en délais par rapport aux productions asiatiques. Et elle leur permet de maintenir les coûts bas malgré l’évolution du niveau de vie en Europe de l’Est surtout. Donc tout le monde est content.

Les premières vestes ainsi traitées sont arrivées massivement dans les échoppes il y a entre 5 et 10ans. Vous les reconnaitrez vite : elles sont en coton et présentent un léger aspect délavé en même temps que des surpiqures un peu marquées. Généralement, elles sont vendues comme une entrée-de-gamme, un peu moins chère que le reste, et en deux ou quatre coloris classiques.

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Pour le client, il y a deux avantages intéressants découlant du bain de teinture, qui s’apparente en fait à un lavage :

  • d’une part le vêtement est adouci, il s’amollit et acquiert une allure déjà portée. Il devient immédiatement plus confortable. En poussant un peu, il est possible d’obtenir un bel effet délavé apprécié de certains.
  • d’autre part, le vêtement est stabilisé dans ses dimensions. Tout le monde le sait, le coton rétrécie. Et malgré les garanties des drapiers, il y a toujours une petite marge, entre 1% et 3% de rétrécissement au premier lavage. Donc si le vêtement est déjà lavé, il est déjà rétréci et il ne bougera plus.

Sauf que, il y a eu quelques hics. Car si les matières principales des vêtements prenaient bien la teinture, parfois les fonds de poches, les boutons voire même les étiquettes réagissaient mal aux bains. L’intérieur était alors fadasse, l’étiquette se délavait etc… Donc les labos ont fonctionné pour trouver des ‘trimmings’ plus performants, prenant en totalité la teinture ou alors la rejetant en totalité. Cela donne alors de la souplesse au styliste. Le vêtement devient technique sans le savoir.

Parfois aussi, la teinture finissait sur les cuisses dans le cas d’un pantalon. Ou sur le cou dans le cas d’un t-shirt. Bref, le port faisait dégorger un peu la teinture. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est souvent écrit sur l’étiquette ‘à laver seul la première fois‘. Même si les tissus pré-teintés dégorgent aussi.

Toutefois, malgré ces merveilles prodigieuses et tout ces avantages, je me méfie de ce procédé technique. Certes il permet de faire du pas trop cher, vite et bien. Donc de lancer des marques rapidement. Mais comme dit un blog confrère « t’en as pas marre de ton chino qui perd sa couleur en trois lavages? » Car il est là le vrai hic. La stabilité dans le temps n’est pas toujours au rendez-vous. Comme toujours dans le textile, il y a ceux qui font bien et ceux qui vont vite. Donc suivant l’usine, le procédé et le marchand, la teinture sera plutôt stable. Ou ne le sera pas. Car monter une chaine de fabrication est déjà difficile. Y greffer un pressing avec une spécialité en teinture en est une autre!

Et puis, c’est aussi pour cela que je n’ai pas recourt à ce procédé pour ma ligne de pantalons : c’est moins noble. C’est tellement plus agréable de travailler avec les échantillons du drapier pour composer une collection, que de simplement demander un bon de commande en écru. Mais de gros concurrents à moi y sont allés allègrement. Donc si ça marche, c’est que ce n’est pas si mal…

En conclusion, je vous ai exposé simplement un procédé avec ses avantages et ses inconvénients. Il y a peu de jugement à avoir. Mais vous pourrez comprendre alors pourquoi un chino x vaut si peu cher par rapport à un chino y…!

Stiff Collar a 10 ans

Le 3 septembre 2009, car je n’avais pas eu le temps le 2, je rédigeais et publiais le premier article du blog, en commençant bêtement par expliquer la signification du titre. Depuis, que de temps comme un clignement d’œil pourtant, s’est écoulé. Les vieilles personnes disent qu’elles n’ont rien le temps de faire. Si le rythme s’accélère à ce rythme, je les comprends mille fois.

Que s’est-il passé en 10 ans? La fameuse crise s’est éloignée en perdurant pourtant dans les esprits. D’une crise économique ponctuelle et cyclique, nous sommes passés à une crise permanente, où le climat et l’état de la planète occupent de manière anxieuse une bonne partie de l’esprit contemporain. Mais, Stiff Collar n’est pas une plateforme de réflexion sociétale. Stiff Collar s’amuse à parler chiffon. Parait-il l’une des industries les plus polluantes.

Toutefois ici, la penderie du gentleman est plutôt celle de la pérennité et de la constance. De la qualité plus de que la quantité. Il parait d’ailleurs que les français consomment moins mais mieux. C’est tant mieux.

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Mon regard

En 10 ans, les lecteurs assidus du blog l’ont probablement constaté, ma vision très rigoriste des débuts s’est adoucie, s’est émoussée. Il y a la théorie, il y a la pratique. Mais une chose n’a pas changé, c’est la vision aimable du vêtement. Qui ne doit jamais être un snobisme ou une revanche sociale, qui ne doit jamais être jeté à la figure d’autrui comme une revendication. Le vêtement est un plaisir personnel et une amabilité faite aux autres. Qu’ils l’apprécient ou pas. Les cons se moquent toujours, les gens intelligents cherchent à comprendre.

Il y a la théorie et il y a la pratique ai-je dit. Il y a aussi le commerce. J’ai été confronté à des clients. A leurs désirs, à la parcours, à leurs façons de faire. Il n’existe pas un client pareil. C’est là l’extrême difficulté du métier. Ce n’est pas une question de mesures. C’est une question d’affect. De personnalité. L’élégance masculine n’est pas un canon unique. Elle est multiple. D’un côté le vieux dans un style vieux, de l’autre le vieux avec un style jeune. D’un côté le jeune avec un style vieux, de l’autre le jeune avec un style jeune / très jeune. Comment comprendre? Comment réagir? Comment lire?

La segmentation du marché en général se retrouve en particulier chez le tailleur. Même en grande-mesure. Je me souviens en particulier de ce client sortant de Cifonelli qui n’avait pas compris le costume et ne l’avait jamais mis. « C’est tout près du corps, ce n’est pas pour moi! » s’exclamait-il en commandant un simple pantalon à double pince grand comme une toile de tente. Dès lors j’ai arrêté de totalement réfléchir, en tout cas de penser à mon goût avant celui du client.

Ce faisant et surtout ici, j’ai fui les visions trop marquées, les idées reçues. J’évite autant que possible d’être dans le bien et le mal. Le plaisir du vêtement est la nuance. Et toutes les règles au fond ont de belles exceptions.  Je partage ici mon goût et mes réflexions au delà de mon métier.

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D’autres blogs

En 10 ans, les plateformes de discussions sur le vêtement masculin élégant ont changé en profondeur. Nombreuses et amusantes, légères et spontanées, elles se sont mues ou ont disparu. Car évidemment, l’écriture sur le beau vêtement et les codes anglais présente deux écueils : redire et rigidifier.

Redire, car les règles au fond ne sont pas si nombreuses. Et le vestiaire une fois constitué n’a que peu de raison de grandement évoluer. Le smoking reste le smoking. La belle chemise reste la belle chemise. Pauvre presse masculine qui doit sans cesse donner le goût de la nouveauté.

Ensuite, rigidifier, c’est redire en stéréotypant. Il est aisé d’outrepasser le sens des règles anciennes en voulant les calquer à une époque et des personnes autres. C’est le risque de l’exégèse religieuse. A trop tourner en rond, on se fatigue et on s’énerve. Il faut avancer. Concernant le vêtement, la remarque de Cioran colle merveilleusement : « n’a de conviction que celui qui n’a rien approfondi« . Le Chic Anglais est une joyeuseté, mais il ne faut rien prendre au pied de la lettre. Il faut se confronter à la réalité.

C’est le sens de Stiff Collar depuis de nombreux mois. Comment trouver dans la force de l’élégance ancienne, plein de rationalité et d’ordonnance, une allure du temps présent, pas empesée, souple et pratique. Sans tomber dans la facilité. Chaque semaine, j’essaye avec un plaisir renouvelé, d’exposer et d’aider. Petite touche par petite touche, au fil de réflexions de clients parfois. Mes articles du Figaro Magazine, chaque samedi, en 1400 signes très serrés, sont par ailleurs l’occasion d’étendre le propos. Une chronique qui connait un succès croissant. Je m’en félicite, cela veut dire que des hommes et des femmes, sans internet et sur un large spectre, s’amusent et s’intéressent aux vêtements, le premier des signifiants.

En 10 ans donc, de nombreux blogs et sites ont disparu. Difficile de toujours se renouveler. Et par ailleurs, d’autres sont apparus, plus énervés, plus invectivant, plus à l’affût du rapport qualité-prix, graal contemporain dépourvu de toute humanité. Plusieurs associations de mots sont alors devenus des repères à fuir : « guide + ultime » ou  » nouveau  + style + accessible ». De blog sérieux et bénévoles, comme une grande partie de l’Internet des débuts au fond, nous sommes passés à un environnement de structures de conseil très dans le « je dis que » et souvent à versant commercial inavoué.

Toutefois, et c’est heureux, ces nouvelles plateformes d’évangélisation masculine ne fonctionnent pas dans le même sens qu’auparavant dirais-je. Dans les années 90 et 2000, ceux qui écrivaient sur le canon classique représentaient plutôt une élite savante et globale, qui faisait descendre vers le bas son éducation. Aujourd’hui, cette réappropriation culturelle part du bas, de gens qui ne font pas la différence entre du coton et de la laine, mais qui veulent s’intéresser et professer. C’est au fond mon cas, n’ayant pas eu dans ma jeunesse une attention particulière au sujet vestimentaire.

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Crête de vague?

En 10 ans, nous avons peut-être aussi assisté sans nous en rendre compte au passage de la vague. Tous les 15/20 ans, la mode s’enthousiasme puis s’essouffle. Les années 50 s’enthousiasmèrent pour la modernité du surplus américain, premier sportwear. Les années 70 s’enthousiasmèrent pour la modernité de l’ère spatiale, plastiques et teintes nouvelles. Les années 90 s’enthousiasmèrent pour la grande allure du banquier, à la limite du parrain respectable. Les années 2010 s’enthousiasmèrent pour  … ? Trop tôt pour juger clairement.

Un indice réside dans l’étonnant appétit de la jeunesse pour le chic et une allure orthodoxe. La marque The Kooples comme les films Kingsman répondent de ce même phénomène. En 2010/2012/2014, l’engouement était partout, à longueur d’internet et de livres spécialisés. Un plaisir partagé et vulgarisé. Avoir une belle veste, un pantalon bien coupé, une chaussette montante, un soulier endurant, tant d’envies!

Ma plus grande capacité à lire le passé plutôt qu’à inventer l’avenir me fait souvent prendre peur d’une retombée du soufflé. Après l’enthousiasme, il y a l’essoufflement. J’ai déjà tendance à le lire dans mes propres résultats économiques, corrélés à ceux de mes confrères et amis. Dans une niche costumière protégée et qui grossit tout de même, le costume business, le costume du quotidien, tendanciellement diminue. Et le costume de mariage maintient de nombreuses affaires hors de l’eau. Sans la cohorte de mariés, l’écosystème serait menacé. Le vêtement formel dans son ensemble souffre.

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Environnement économique dense

En 10 ans, d’un engouement théorique nous sommes passés à un engouement économique. Les blogs, les commentateurs sont devenus entrepreneurs. Une myriade de maisons et de marques. Une enseigne hollandaise tapageuse et bien connue s’est frayée un chemin avec un concept simple : un produit typé et de niche et un prix wholesale monstrueusement bas. Idée farfelue qui va à l’encontre des théories du commerce. Dans un premier temps – actuellement – le concept fait florès. La vision court/moyen-terme est intéressante. La qualité d’une telle offre ne peut que pousser ses concurrent à s’améliorer. La vision long-terme est plus sombre. Une fois tout l’environnement économique carbonisé sur le plan tarifaire, il ne reste rien. Ce seul acteur devient en fait … un chant du cygne. Lorsque des petites maisons s’essayent à cette démarche disruptive, en cassant les intermédiaires, en révélant les niveaux de marges et les lieux de production, l’effet court-terme est le même, positif et attractif, mais l’effet long terme interroge. So what comme dirait l’autre.

A la course tarifaire, le prix moyen acceptable du marché baisse et c’est terrible pour l’ensemble des acteurs du marché. L’argument prix est dangereux car on peut toujours faire moins cher ! En demi-mesure c’est la même chose, où l’on assiste comme l’a souvent dit Hugo Jacomet à une éjection du tailleur de son propre métier. Les quelques chaines qui se développent dans le marché misent avant tout sur un prix. C’est un argument marketing, en lieu et place d’un argument de technique et de services.

Je suis très heureux toutefois de constater une évolution heureuse du prêt-à-porter. Je me suis surpris récemment à acheter deux articles chez Celio. J’apprécie rentrer chez Devred. J’aime voir ce que font Jules, Dockers ou Uniqlo. Les couleurs, les matières, les montages parfois s’améliorent. Les allures sont plus travaillées, plus élégantes. Les petites maisons citadines aiguillonnent le marché et le poussent dans ses retranchement. Faire mieux ou disparaitre. C’est un fait notable et j’en suis heureux. ll y a une volonté de faire mieux partout.

En 10 ans, la société a changé. Elle est de plus en plus en attente d’exemplarité, de responsabilité sociale et environnementale. La mode au sens large s’adapte difficilement. Mais du coup, cela met largement la balance en faveur de notre si chère démarche traditionnelle où le produit est justement rémunéré, où le tissu est produit localement, où l’article possède un long cycle de vie. Il y a plus de réflexion sur le second-hand aussi, autrefois regardé avec suspicion, mais qui aujourd’hui représente une chance économique.

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Enfin, être patient

Qui trop embrasse mal étreint dit l’adage. C’est au fond le meilleur apprentissage de 10 ans de blog. Il faut parfois savoir rester loin de ses désirs et les laisser vivre doucement. Rêver d’un costume est une chose. L’avoir immédiatement est sans effort en est une autre. L’envie du moment ne sera plus l’envie d’après. Sauf à l’avoir fait … mûrir! Le plaisir du train électrique réside dans le fait de faire son réseau. Une fois le set terminé, c’est lassant. De même et plus grave : le lévrier court après le lapin mécanique au champs de course. Mais s’il l’attrape un jour, plus jamais il ne voudra courir!

En 10 ans, le blog s’est construit gentiment par agrégat d’idées. Tant de billets, tant de remarques, tant d’apprentissages, tant de dessins. Rien n’est jamais parfait, parfois tel article est boiteux. A d’autre moment, les retours sont positifs. Les semaines se suivent, les idées évoluent. C’est une vraie détente. Essayons alors de continuer quelques mois? années?

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Bonne semaine, bonne reprise. Julien Scavini