Mario Dessuti

Il est des marques dont on entend jamais parler sur internet. Car la blogosphère fonctionne finalement sur le principe du poisson pilote, elle va dans le sens du courant. Ainsi, deux sortes d’enseignes sont fêtées : d’un côté les très grandes et très connues (et beaucoup du luxe) et de l’autre les toutes petites, souvent jeunes, ultra-connectées et à l’esprit branché.

Pourtant, il existe au milieu toute une palette de maisons jeunes et moins jeunes, qui faute de dirigeants à l’aise avec l’internet, sont laissées de côté, alors même qu’elles proposent de bons produits. C’est le cas de l’enseigne Mario Dessuti.

J’ai eu la chance d’être présenté récemment au directeur général de cette marque parisienne. Et vous me connaissez, je suis toujours avide d’apprendre de nouvelles choses. J’ai donc rencontré Raphael qui ne veut pas qu’on parle de lui mais de son travail. Soit, en avant !

Mario Dessuti est une marque de costumes créée en 1988 par M. Michel Golzan. Le nom est un client d’oeil à Nino Cerruti, le célèbre styliste italien. Car les beaux costumes sont toujours italiens !

Le concept à l’époque était très simple : prix unique attractif et boutique luxueuse. La première fut inaugurée au 26, rue de Berry à Paris. A l’époque, Mario Dessuti vendait les costumes à 1000Fr (150€), ce qui était une très bonne affaire, alors que le marché se situait plutôt vers 2500Fr (380€). Le succès a été immédiat et d’autres boutiques furent rapidement ouvertes.

Mais attention, qui disait prix bas ne disait pas mauvaise qualité. Car c’est ici que ce joue le nœud de l’histoire : un produit de qualité ! A l’époque, tous les costumes étaient confectionnés en France, dans le Nord. Une gageure. Il eut été plus facile d’aller en Tunisie, en Turquie ou en Chine, mais le créateur ne le souhaitait pas.

De nos jours, toutes les usines de France ayant hélas fermées (quand enfin nos politiques prendront-ils le taureau par les cornes??), les costumes sont manufacturés en Roumanie. Les tissus sont toujours 100% laine vierge et d’Italie. Mario Dessuti se fournit presque exclusivement chez Vitale Barberis Canonico et Reda. Les costumes sont thermocollés. Mais la Rolls du thermocollé comme un technicien de l’usine me l’a dit : entoilage en laine des Lainières de Picardie, avec crin de cheval en renfort de plastron et doublure toujours en viscose (et non en polyester). Bref, un joli produit vendu à prix très serré : 180€ (150€ au passage à l’euro, soit une augmentation très raisonnable quand on compare avec le reste du marché.)

La clientèle a toujours été très mélangée. Les jeunes qui débutent fréquentent autant les magasins que les hommes bien installés qui viennent chercher ici leurs classiques. Raphael aime parler d’un fond de garde-robe. Ainsi, la moitié de la collection de costumes est saisonnière. Le reste est constitué de classiques gris et bleus qui représentent 50% des 30 000 costumes vendus annuellement. Il n’y a jamais de solde ce qui est très normal à ce tarif. Ce sont des achats de besoin, très liés au temps. Ainsi, les boutiques sont toujours très fournies, pour en mettre plein les yeux. Prix unique et choix énorme !

Bien sûr, Mario Dessuti produit des séries de costumes plus fantaisies, rayures discrètes et princes de Galles ainsi que des vestons sports élégants. Ces vêtements ‘clin d’oeil’ comme on dit dans le métier se vendent bien plus le samedi, car c’est le jour où les dames accompagnent ces messieurs !

La maison découpe ses collections en trois coupes : slim, ajusté et classique, ainsi chaque homme suivant son âge, son gabarit ou son besoin d’aisance trouve le costume qui lui faut.

Mario Dessuti vend aussi quantité de chemises, qui sont renouvelées tous les deux mois pour une quarantaine d’euro. Et là encore, rien n’est laissé au hasard et le client n’est pas moqué : tissus 100% coton égyptien!

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Pour arriver à ce miracle, la structure économique est très simple. En dehors des 25 vendeurs répartis sur les 6 boutiques, seules trois personnes gèrent le siège : Raphael le directeur qui fait le sourcing mais aussi le style, un chauffeur livreur et un contrôleur de gestion.

En parlant de style, Raphael ne fait jamais sa sélection de tissus seul. Il se fait aider par son industriel et surtout, il présente toujours ses idées aux directeurs de boutiques. Ainsi, les collections ne sont jamais décalées. Je trouve cette démarché très honorable, dans un monde du luxe où les ’boutiquiers’ sont la dernière roue du carrosse, méprisés par la hiérarchie et les bureaux de style. Jouer collectif n’est jamais mal. C’est même une façon très 2.0 de procéder.

Hélas, car il y a toujours un hélas, Michel Gozlan le créateur est décédé en 2012, à 66ans des suites d’une grave maladie. Raphael dès lors se charge de tout. Heureusement, le fils et la fille de M. Gozlan ont repris l’affaire et entendent bien faire prospérer le groupe. Car oui, il s’agit d’un groupe, où les enfants occupent des postes de direction dans la compagnie sœur jumelle : Loding. Car oui, Loding fut aussi créé par ce monsieur, avec le même principe : très bon produit, prix accessible et boutique luxueuse…

Mais c’est une autre aventure que je vous conterai peut-être un jour !

> http://www.mario-dessuti.fr/ <

Bonne semaine. Julien Scavini

Le poignet simple à boutons de manchettes

Depuis que la chemise existe (je crois que les Egyptiens les premiers ont créé le vêtement), il est de bon ton d’utiliser des éléments précieux pour la boutonner. C’est ainsi que pendant longtemps la nacre a été perçue comme très supérieure aux boutons de bois. Mais une infinité de matière a dû être utilisée à travers les âges : or ou argent, os ou ivoire, pierres précieuses.

Au XIXème siècle, la grande bourgeoisie qui aimait étaler sa richesse a développé l’usage des boutons précieux à rapporter. Non cousus sur la chemise, il était alors possible d’en posséder de grandes panoplies. Cet usage de goujons amovibles (studs en anglais) fut rendu nécessaire par l’amidonnage des chemises. En effet, les plastrons, cols et poignets étaient si durs qu’on ne pouvait pas tordre le tissu pour passer la boutonnière. Les cols séparables étaient maintenues par deux goujons à pivots, ceux du devant se vissaient sur eux-mêmes et aux poignets, les boutons de manchettes étaient soit fixes soit articulés.

De ce que j’ai pu voir et apprendre sur le tas, les poignets à boutons de manchette anciens ne sont jamais doubles comme les mousquetaires. Ils n’ont qu’une épaisseur et les anglais l’appellent le ‘barrel cuff‘ ou ‘single cuff‘. C’est pour moi le modèle le plus chic, celui que l’on devrait porter avec le smoking par exemple. Lorsqu’il était amidonné, ce poignet était rigide comme du carton. La tenue était alors impeccable.

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Je pense que le poignet mousquetaire ‘french cuff‘ fut inventé dans les années 20 pour palier à la fin de l’amidonnage. Car après la première guerre mondiale, cette pratique des cols et poignets durs s’estompa très vite. Les vêtements gagnaient en confort et en facilité d’usage. Le col finit par être cousu sur le corps et on abandonna les goujons, au moins dans la vie courante avec le costume qui émergeait aussi. Mais dès lors que le poignet est mou, il ne tient plus bien avec un bouton de manchette. L’idée est assez facile à suivre.

Un chemisier de génie (peut-être un français si l’on en croit l’appellation anglaise) a donc eu l’idée de doubler le poignet, pour créer le mousquetaire. L’histoire n’a pas retenu qui. J’ai bien appelé Mlle Colban de chez Charvet, mais elle ne sait pas non plus.

Et depuis un demi-siècle au moins, le poignet mousquetaire plait aux élégants du monde entier.

Seulement, il m’apparait aujourd’hui comme trop lourd, trop épais, pas assez fluide. Et je lui préfère mille fois le poignet simple à boutons de manchettes, le fameux single cuff. Plus souple, plus léger, il est parfait et supporte très bien de petits boutons de manchettes par trop volumineux. C’est un poignet également plus discret qu’il est possible d’utiliser sous un pull : il suffit de l’enrouler autour du poignet à la manière des chemises conventionnelles.

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La maison Arrow est spécialisée dans ce modèle, qu’elle vend sous l’appellation poignet mixte, car elle coud un bouton au bord de la boutonnière pour utiliser le poignet avec ou sans boutons de manchettes!

Pour ma part, j’arrive presque à chaque coup à vendre à mes clients mariage des chemises avec de tels poignets. Ils apparaissent comme plus minimalistes et modernes.

Si vous voulez essayer ce modèle, c’est très simple. Prenez une de vos chemises à boutons et faites réaliser par un retoucheur une boutonnière en lieu et place du bouton de poignet. Vous aurez ainsi une poignet simple !

Bonne semaine. Julien Scavini

Le montage ‘slack’ [MàJ]

Cet été, je suis parti au Vietnam. Pays magnifique et gens très accueillants.  J’ai aussi testé les températures tropicales (très chaud et très très très humide) et je peux vous dire que l’élégance était loin derrière moi, tout vêtement étant parfaitement insupportable! Je supportais à peine la chemise à manche courte et le simple fait de rester assis sur un banc suffisait à me faire transpirer à grosses gouttes.

[MàJ] Puisqu’on me le demande, quelques photos du Vietnam :

Mais pour autant je suis resté attentif aux vêtements de mes contemporains. Et je me suis très vite rendu compte que personne ne porte la veste durant la saison chaude, trop chaude. Chemise et t-shirt semblent être les vêtements universels. Les jeans rencontrent un succès plus léger que chez nous en revanche, la faute je pense à une matière trop lourde. Par contre les jeunes affectionnent les chinos. Particularisme inédit : les bas de pantalons ont souvent un élastique genre jogging pour resserrer le bas et découvrir la cheville sans chaussette. Un peu à la manière de ce qu’avait testé Duke & Duke.

Alors certes, l’hiver hanoïen peut être très rude, donc il est possible de porter de lourds vêtements. C’est ainsi que Dior, Vuitton, Paul & Joe et d’autres n’hésitent pas à mettre des manteaux et des pull-over en vitrine. Chez Ralph Lauren, ils cherchent carrément à vendre des vestes en tweed et des pantalons de velours qui paraissent complètement décalés.

Dans les faits, les riches vietnamiens vivent dans l’air conditionné, entre la maison, le bureau et la voiture. On ne les voit pas beaucoup. Et une certaine culture tailleur existe, résultat des influences française, américaine et japonaise. Certaines villes comme Hoï An sont mêmes spécialisés en sur-mesure. Mais tout de même, il est rare de croiser des vestes durant la saison chaude.

Au delà de ces quelques remarques triviales, je me suis aussi rendu compte d’une autre culture du vêtement. Pas dans les codes, mais dans les usages. Car ces beaux vêtements, me suis-je dit, doivent bien être nettoyés… Et cela m’a frappé, je n’ai pas vu beaucoup de pressing. La chose m’a été confirmé par mes amis vietnamiens bien que les réponses varient beaucoup suivant les classes sociales. Il doit bien  exister des pressings que je n’ai pas vu.

Au Vietnam, la machine à laver est partout comme en Europe. Et d’une manière je trouve plus importante que chez nous, un bon vêtement là bas doit passer en machine. Que ce soit chez les pauvres ou chez les riches (chez ces derniers, les femmes de ménage utilisent la machine).

J’ai mieux compris pourquoi un ami vietnamien à son arrivée en France mettait les vestes de costume à la machine. Évidemment le résultat n’était pas probant.

Cela influence donc le vêtement, sa vente et sa fabrication. Un avant-poste du futur dans nos contrées. Car il faut bien l’avouer, les pressings (les bons) tendent à disparaitre, en partie à cause de la dureté du travail (souvent réalisé par des immigrés, les français étant rares dans la partie) et des normes de plus en plus draconiennes, pour la santé et l’environnement (disparition du perchloréthylène en particulier).

Ainsi, cette envie de lavage en machine entraine-t-elle deux constats au Vietnam :

D’abord les matières utilisées sont souvent synthétique. C’est ainsi que la plupart des pantalons habillés que j’ai vu (dans les hôtels, les endroits à touristes, les serveurs etc…) étaient en polyester. J’ai même fait la remarque au directeur de la croisière en baie d’Halong, qui était trempé de la tête au pied : au moins aurait-il pu porter une laine froide… L’avantage est que ces matières synthétiques permettent de garder une bonne allure, non froissée sans excès de repassage. Car même repasser doit être dur avec de telles chaleurs.

Deuxièmement, le montage (c’est à dire la couture) des vêtements est très influencée par le passage en machine à laver. Il me faut faire un petit point technique d’abord.

L’industrie des pantalons et vestes est séparée en deux univers : le ‘sartorial’ d’une côté et le ‘slack’ de l’autre. Derrière ces termes, deux mondes qui se complètent. Les usines ‘sartoriales’ fabriquent des vêtements comme chez les tailleurs, avec une très haute technicité et un but unique : camoufler les points de couture. On ne voit pas les fils de la machine. Il faut ainsi ruser pour tout camoufler et des machines très perfectionnées sont utilisées.

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De l’autre, les usines ‘slack’ cousent les choses de manières visibles, comme les jeans, les chinos ou les vestes déstructurées. Tout est cousu avec la même machine à coudre, avec des points plats visibles. L’aspect des vêtements ‘slack’ est plus rustique, plus brut (bien que certains manufactures italiennes excellent dans le rustique ‘chic’).

Cela a une conséquence importante : l’entretien. D’un côté, le vêtement n’est pas forcément fait pour aller en machine mais il est raffiné, de l’autre le vêtement peut endurer des centaines de cycles mais est moins délicat. C’est toute la différence entre un chino de tailleur et un chino Uniqlo.

Ce montage slack est très apprécié ces dernières années pour les vestes en coton lavées. Toutes les bonnes marques en proposent, signe aussi qu’en Europe ce sujet de la facilité d’entretien intéresse les acheteurs. La marque J. Keydge s’est par exemple spécialisée là-dedans. Pour les pantalons, le sujet se discute toujours, les modèles ‘slack’ étant moins raffinés.

Ces vestes slack, montées sans doublure et sans toiles, pour mieux être entretenues ont été inventées très tôt au cours du XXème siècle, bien souvent pour des habits utilitaires. L’invention de la machine à coudre fut une bénédiction pour les tailleurs à la fin du XIXème siècle, et il n’est pas rare de trouver de vieux vêtements entièrement cousus à la machine plutôt qu’à la main, préfigurant cette mode. Mais c’est véritablement les étudiants américains dans les années 50 qui ont popularisé ce goût des vêtements très solides et très ‘cousus’ en référence aux nombreuses coutures visibles partout. Ces vestes sont immanquablement associées au style Ivy League. Ceci dit, dire que le vêtement passe ainsi en machine est un argument ultérieur.

Au final, ce petit trait d’usage m’a paru intéressant. Car il y a là matière à renouveler l’élégance tailleur, dont le simple montage (coutures délicates) rend l’usage complexe et couteux (lavage). C’est une piste d’étude intéressante pour l’avenir du textile. Comment coudre des vêtements élégants et fins sans pour autant montrer les coutures. Ou bien comment les montrer joliment? Avec quel type de points, en couleur ou ton sur ton? Toute une étude en somme…

 Bonne semaine. Julien Scavini

L’esprit de la rentrée

Les premiers articles de Stiff Collar furent rédigés en septembre 2009. C’est dire si l’activité ici est ancienne sur l’échelle de l’histoire du net. En 7 ans, le marché des vêtements pour homme s’est renforcé et en même temps diversifié. Parisian Gentleman s’est souvent fait l’écho de cette marche en avant heureuse.

En 7 ans, il me semble aussi que le goût sartorial que nous partageons ici et là sur internet a aussi évolué. Cet été fut l’occasion pour moi de relire de nombreux articles et d’y penser. De manière rétrospective, je dirais qu’à l’époque le sentiment commun était plus orienté sur l’histoire et que l’ancien servait plus de modèle. Il y avait une sorte de conservatisme esthétique. Hackett en est le parfait exemple. Voici une maison qui à partir des années 2000 s’est efforcé de proposer ‘l’essential british kit‘. (Pour aujourd’hui beaucoup hybrider son discours). Le vêtement ne fut pas le seul à pencher vers ce retour d’un certain classicisme. L’automobile aussi a eu son lot de regards dans le rétroviseur, comme le montrent les très dignes lignes de la Rover 75 ou de la Jaguar S-type dessinées à l’orée du millenium pour faire ‘british’.

On dit souvent qu’un mouvement esthétique s’oppose à un autre ou est une réaction à. Ce goût classique était une contre-culture. L’appropriation de la dignité du lord par le nouvel argent? Et le fait est que ma propre conception du beau vêtement lorsque j’étais étudiant il y a dix ans environ était très edwardienne. Je l’ai d’ailleurs écrit ici assez souvent. Il y a des règles qui sont comme ci, il y a des règles comme ça.

Pas à un seul instant je n’aurais l’idée de remettre en cause cette conception. Mais pour autant, il me semble que ce fut une étape dans l’appropriation d’internet et de ce formidable espace de discussion collectif. Sur les blogs et les forums, ce fut une première étape dans l’approche du beau. Le site The Sartorialist est tout à fait notable de cela. Combien de beaux messieurs bien habillés il y a 7 ans, combien aujourd’hui? Le contraste est frappant.

En même temps que j’écrivais des lignes sur le rigorisme vestimentaire (au fil de nombreux articles sur la garde robe idéale par exemple), celui-ci glissait doucement. Mais vers quoi me direz-vous?

Et bien pas du tout comme on pourrait le croire (et se désespérer) vers un ‘je-m’en-foutisme‘ de retour, mais vers une lecture plus apaisée de l’ancien. Hey, l’ancien c’est cool, utilisons-le. Ce faisant, les années post-crise ne sont pas du tout un abandon de la qualité et du goût, elles ne sont pas non plus du tout une fuite en avant moderniste, loin de là. Ce qui est plus étonnant peut-être. Non, notre époque est celle du ‘faisons du neuf avec du vieux’. Avec respect. C’est le mot le plus important. C’est le hipster qui va chez le barbier et qui en même temps restaure des motos anciennes. Pas trop moderne, pas trop ancien. In-between.

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Et ce mouvement est multiple. D’un côté vous trouvez des jeunes ultra-connectés qui portent des casquettes de tweed et font les puces et de l’autre vous avez les Chap, gentlemen utopistes aux idées diverses. Les Chap par exemple peuvent être loufoques ou très rigoristes. Et le beau vêtement n’est même plus forcément un marqueur social.

De ce fait, je renouvelle une conclusion qui est devenu le fil de la pensée de Stiff Collar : plus que jamais : le classicisme n’est pas un carcan, c’est un ensemble de principes qui visent deux choses : le pratique en même temps que le beau.

Mais au delà, je n’aurais plus comme en septembre 2009 l’idée de m’habiller toujours en costume ou même de toujours porter une veste dans un coloris adapté à la situation. Quelle gageure.

A la place, j’intègre au discours la flexibilité et la polyvalence. Ce que je sous-entend par là est qu’il faut s’habiller suivant les circonstances (pour être pratique) en faisant attention au beau, mais sans être limité par une garde robe trop ancienne.

C’est là que les classiques doivent savoir répondre à ceux qui les traitent de vieux. Le chic, c’est savoir s’adapter en restant digne. Si l’on visite des villages anciens avec des rues pavées, c’est savoir porter une paire de chaussures de marche de chez Columbia. Si l’on est dans une pays chaud, c’est rester digne avec une élégante paire de sandales et un chapeau de paille. Si l’on prend l’avion, c’est aller vite au détecteur de métal en portant une paire de mocassins mous qui ne bipent pas et un pantalon de coton plus confortable assis. Par contre, c’est aussi savoir porter un très beau costume bien coupé quand il le faut et un manteau digne pour aller à l’opéra, pas un Barbour.

Tiens, d’ailleurs voilà une marque qui a compris exactement ce repositionnement stratégique. D’une image archi classique, Barbour a su comprendre cette variété de profils traditionnels ou néo-traditionnels pour proposer une gamme énorme de produits pour tous. Elle n’a pas renié son histoire en passant au tout nylon. Elle n’est pas morte non plus dans ses murs. In-between.

Ce in-between se retrouve aussi dans cette mode et ce goût pour la belle fripe, mélangées à ces pièces contemporaines.

En bref, le maitre mot qu’il me faut apporter est ‘diversité’. Le secret d’un classicisme de bon ton et apaisé, c’est une garde robe variée, où le moderne côtoie le bien ancien. Qu’en pensez-vous? Cela doit être fait avec intelligence par contre. Il ne s’agit pas de mélanger de manière ridicule les vêtements et les styles entre eux. Sauf si l’on sait faire et que l’on se juge soit même comme une icône du style.

En terme de style, rares sont les élégants qui s’habillent dans Un style ou dans Une époque. Ils sont rares à oser le tout tailleur ou le tout moderne. Non, les personnages les plus marquants de notre sphère internet mélangent et hybrident doucement, tels les Lino Ieluzzi. Les nombreux Tumblr et Instragram au goût sartorial qui pullulent partout en sont l’exemple marquant. Souvent classiques et proches des tailleurs à la main, ils proposent tous une réinvention normée et raisonnable. Des mélanges de registres, de couleurs et de matières qui font sens et portent un discours qui va vers l’avant, où les cardigans prennent une place supérieures, où les écharpes à motifs cachemires côtoient les doudounes matelassées, etc…

Finalement je peux répondre amicalement à Hugo Jacomet et à son célèbre adage ‘first learn the rules, then break them’. Non! Il n’est pour moi jamais question de les briser, ni même de les réinventer (quelle folie), et pas même forcément de les réinterpréter. Certes, j’apprécie l’idée d’être comme le chef d’orchestre qui réinterprète une partition : la musique est la même (la règle classique), mais l’esprit est plus moderne ou plus dynamique. Rien ne change mais tout change.

Non, je dirais surtout que les règles méritent d’être enrichies et complétées. Que les situations changent, les gens aussi et que le vêtement s’adapte. Un mouvement qu’il est plus heureux d’accompagner que de rejeter !

 

Belle rentrée. Julien Scavini