Le montage ‘slack’ [MàJ]

Cet été, je suis parti au Vietnam. Pays magnifique et gens très accueillants.  J’ai aussi testé les températures tropicales (très chaud et très très très humide) et je peux vous dire que l’élégance était loin derrière moi, tout vêtement étant parfaitement insupportable! Je supportais à peine la chemise à manche courte et le simple fait de rester assis sur un banc suffisait à me faire transpirer à grosses gouttes.

[MàJ] Puisqu’on me le demande, quelques photos du Vietnam :

Mais pour autant je suis resté attentif aux vêtements de mes contemporains. Et je me suis très vite rendu compte que personne ne porte la veste durant la saison chaude, trop chaude. Chemise et t-shirt semblent être les vêtements universels. Les jeans rencontrent un succès plus léger que chez nous en revanche, la faute je pense à une matière trop lourde. Par contre les jeunes affectionnent les chinos. Particularisme inédit : les bas de pantalons ont souvent un élastique genre jogging pour resserrer le bas et découvrir la cheville sans chaussette. Un peu à la manière de ce qu’avait testé Duke & Duke.

Alors certes, l’hiver hanoïen peut être très rude, donc il est possible de porter de lourds vêtements. C’est ainsi que Dior, Vuitton, Paul & Joe et d’autres n’hésitent pas à mettre des manteaux et des pull-over en vitrine. Chez Ralph Lauren, ils cherchent carrément à vendre des vestes en tweed et des pantalons de velours qui paraissent complètement décalés.

Dans les faits, les riches vietnamiens vivent dans l’air conditionné, entre la maison, le bureau et la voiture. On ne les voit pas beaucoup. Et une certaine culture tailleur existe, résultat des influences française, américaine et japonaise. Certaines villes comme Hoï An sont mêmes spécialisés en sur-mesure. Mais tout de même, il est rare de croiser des vestes durant la saison chaude.

Au delà de ces quelques remarques triviales, je me suis aussi rendu compte d’une autre culture du vêtement. Pas dans les codes, mais dans les usages. Car ces beaux vêtements, me suis-je dit, doivent bien être nettoyés… Et cela m’a frappé, je n’ai pas vu beaucoup de pressing. La chose m’a été confirmé par mes amis vietnamiens bien que les réponses varient beaucoup suivant les classes sociales. Il doit bien  exister des pressings que je n’ai pas vu.

Au Vietnam, la machine à laver est partout comme en Europe. Et d’une manière je trouve plus importante que chez nous, un bon vêtement là bas doit passer en machine. Que ce soit chez les pauvres ou chez les riches (chez ces derniers, les femmes de ménage utilisent la machine).

J’ai mieux compris pourquoi un ami vietnamien à son arrivée en France mettait les vestes de costume à la machine. Évidemment le résultat n’était pas probant.

Cela influence donc le vêtement, sa vente et sa fabrication. Un avant-poste du futur dans nos contrées. Car il faut bien l’avouer, les pressings (les bons) tendent à disparaitre, en partie à cause de la dureté du travail (souvent réalisé par des immigrés, les français étant rares dans la partie) et des normes de plus en plus draconiennes, pour la santé et l’environnement (disparition du perchloréthylène en particulier).

Ainsi, cette envie de lavage en machine entraine-t-elle deux constats au Vietnam :

D’abord les matières utilisées sont souvent synthétique. C’est ainsi que la plupart des pantalons habillés que j’ai vu (dans les hôtels, les endroits à touristes, les serveurs etc…) étaient en polyester. J’ai même fait la remarque au directeur de la croisière en baie d’Halong, qui était trempé de la tête au pied : au moins aurait-il pu porter une laine froide… L’avantage est que ces matières synthétiques permettent de garder une bonne allure, non froissée sans excès de repassage. Car même repasser doit être dur avec de telles chaleurs.

Deuxièmement, le montage (c’est à dire la couture) des vêtements est très influencée par le passage en machine à laver. Il me faut faire un petit point technique d’abord.

L’industrie des pantalons et vestes est séparée en deux univers : le ‘sartorial’ d’une côté et le ‘slack’ de l’autre. Derrière ces termes, deux mondes qui se complètent. Les usines ‘sartoriales’ fabriquent des vêtements comme chez les tailleurs, avec une très haute technicité et un but unique : camoufler les points de couture. On ne voit pas les fils de la machine. Il faut ainsi ruser pour tout camoufler et des machines très perfectionnées sont utilisées.

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De l’autre, les usines ‘slack’ cousent les choses de manières visibles, comme les jeans, les chinos ou les vestes déstructurées. Tout est cousu avec la même machine à coudre, avec des points plats visibles. L’aspect des vêtements ‘slack’ est plus rustique, plus brut (bien que certains manufactures italiennes excellent dans le rustique ‘chic’).

Cela a une conséquence importante : l’entretien. D’un côté, le vêtement n’est pas forcément fait pour aller en machine mais il est raffiné, de l’autre le vêtement peut endurer des centaines de cycles mais est moins délicat. C’est toute la différence entre un chino de tailleur et un chino Uniqlo.

Ce montage slack est très apprécié ces dernières années pour les vestes en coton lavées. Toutes les bonnes marques en proposent, signe aussi qu’en Europe ce sujet de la facilité d’entretien intéresse les acheteurs. La marque J. Keydge s’est par exemple spécialisée là-dedans. Pour les pantalons, le sujet se discute toujours, les modèles ‘slack’ étant moins raffinés.

Ces vestes slack, montées sans doublure et sans toiles, pour mieux être entretenues ont été inventées très tôt au cours du XXème siècle, bien souvent pour des habits utilitaires. L’invention de la machine à coudre fut une bénédiction pour les tailleurs à la fin du XIXème siècle, et il n’est pas rare de trouver de vieux vêtements entièrement cousus à la machine plutôt qu’à la main, préfigurant cette mode. Mais c’est véritablement les étudiants américains dans les années 50 qui ont popularisé ce goût des vêtements très solides et très ‘cousus’ en référence aux nombreuses coutures visibles partout. Ces vestes sont immanquablement associées au style Ivy League. Ceci dit, dire que le vêtement passe ainsi en machine est un argument ultérieur.

Au final, ce petit trait d’usage m’a paru intéressant. Car il y a là matière à renouveler l’élégance tailleur, dont le simple montage (coutures délicates) rend l’usage complexe et couteux (lavage). C’est une piste d’étude intéressante pour l’avenir du textile. Comment coudre des vêtements élégants et fins sans pour autant montrer les coutures. Ou bien comment les montrer joliment? Avec quel type de points, en couleur ou ton sur ton? Toute une étude en somme…

 Bonne semaine. Julien Scavini

5 réflexions sur “Le montage ‘slack’ [MàJ]

  1. Jean-Benoît L. 13 septembre 2016 / 10:17

    Pourquoi cet attrait pour le slack en Asie du Sud-Est ? « complexe et couteux », rien à ajouter. Merci pour votre article.

  2. jeremy 13 septembre 2016 / 13:02

    Merci pour cet article ; la question du pressing est particulièrement délicate car nos costumes sont soumis à rude épreuve au quotidien, et confier une veste entoilée dans un beau tissu aux pressings industriels représente, au choix, une torture ou un suicide ! Quel serait votre conseil pour laver un costume à Paris ?

    • Julien Scavini 14 septembre 2016 / 10:13

      J’ai dressé une liste de bons pressings sur le blog, recherchez l’article 😉

      • jeremy 14 septembre 2016 / 10:14

        j’y vais de ce pas, merci !

  3. DO VINH QUANG 19 septembre 2016 / 00:07

    si, au Vietnam il y a plein de pressing à Hanoi et Saigon, peut etre ton ami vietnamien n’a pas de habitude de porter costume donc il ne connait pas des adresses, et au Vietnam il y a l’hiver est assez froid ( vers 7-8 degree mais la bas il y a pas de chauffer donc froid ) dans la zone sud-est asie, les vietnamiens ont bcp de habitude de porter de costumes que les autres en raison d’influence de tradition francais et le climat. Il y a aussi des Tailleur Japonais et Ameriques qu’ont assez succès là bas, avec le cout parfois astronomique vers 2000 dollars pour un costume bespoke, et j’ai vu un mec qui a demande un costume cout 20.000 dollars chez un tailleur connu mais moins doué , lol. Normalement les costumes lies avec les vues de personnes ages, ou les « white collars » donc tu vois rarement les gens qui portent elegants à cause de 2 raisons :
    1- été, trop chaud pour porte une veste
    2-les gens qui portent les vestes sont toujours dans le bureau et dans leurs voitures avec climatisation, difficile à voir.

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