Visite chez le tailleur Guilson (MàJ)

Voici le compte-rendu de l’entretien que j’ai eu avec maître André Guillerme-Guilson, début janvier, dans sa boutique du 3, rue Saint Philippe-du-Roule. Je publie la première partie ce lundi, la seconde la semaine prochaine.

Monsieur Guillerme s’est installé en 1959 après son service militaire. À l’époque, il est estimé que 10 000 tailleurs exerçaient en France. Dans le 19ème arrondissement, où il habitait (sa mère était couturière), on comptait rien que dans la rue de Flandres six ou huit tailleurs, ou en boutiques ou en étage. Lui s’installa justement passage de Flandres, dans un petit local de 12m2, il installa sa table et sa machine, pour un an. Ensuite, il trouva mieux, au 51, rue Mabeuge, à la place d’un tailleur arménien dont la veuve lui confia la gérance libre. Puis quelques années plus tard, il déménagea un peu plus bas dans la rue, jusqu’en 1973, quand sa fille est née. A cette époque, l’activité du sur-mesure baissait et pour compenser, monsieur ‘Guilson’, qui s’appelait encore Guillerme, lança du prêt-à-porter. Cela ne fonctionna pas du tout et l’activité fut contrainte à la fermeture. Le tort de faire trop de chose me dit-il. Cette année là fut difficile et sans travail avec une petite fille, il s’essaya à la confection, mais sans conviction ni vitesse. Il alla alors voir le tailleur Smalto, lancé depuis quelques années déjà par le roi du Maroc. En tant qu’artisan, pas d’assédic. Celui-ci lui confia donc exceptionnellement quelques pièces à faire à la maison, pendant un an.

La boutique Guilson, avec les nombreux diplômes en vitrine

Mais cela ne lui convenait pas tellement. Quand on s’installe à 20 ans, difficile de travailler pour quelque d’autre. L’indépendance est un trait de caractère fort, agréable parfois, mais qu’il faut s’avoir gérer et ménager. Il chercha alors une place de vendeur dans le 16ème arrondissement, quartier où il souhaitait se ré-installer. Il trouva, d’abord chez Barnes (maintenant Arthur & Fox), en plein boum de la petite-mesure industrielle. Les costumes à 990Fr dépotaient. Dans 35m2 avenue Victor Hugo, l’activité battait son plein le samedi, lorsque cet arrondissement vivait encore. Harrison alors le débaucha pour une nouvelle boutique rue de la Pompe, pour une petite année car il cherchait toujours une nouvelle boutique.

Ce fut chose faite, rue Boissière quelques mois plus tard. Un ami, qui fut son client, M. Pinçon s’associa avec lui, chacun partageant une partie de son nom pour créer une enseigne à la consonance anglo-saxonne Guil-Son, Guilson. Dans cette boutique, il resta 25ans, en regrettant maintenant car le 16ème n’est plus un quartier pour le luxe. Il eut peu de bons clients, sauf quelques-uns qui, par exemple partant en croisière tous les ans, faisaient réaliser toute la panoplie, smoking blanc, blazer croisé, casquette etc… Pour compenser, il s’essaye de nouveau au prêt-à-porter, mais pour dame, sans gagner vraiment d’argent encore une fois.

Monsieur Guilson devant un modèle de cape à l’indienne (une création) puis à sa table de coupe

Le propriétaire, voulant faire passer le loyer de 3000Fr à 35 000Fr par mois, conduit l’affaire au procès mais M. Guilson gagne et empoche de l’argent. Avec, il trouve par hasard un ‘trou’ rue Saint Philippe du Roule qu’il peut alors ré-aménager de fond en comble. Sa femme visite ce beau mais sombre volume avec cave et après travaux, il emménage ! Et il ne regrette pas le 8ème arrondissement ! Vraiment. Surtout ce quartier avec beaucoup de bureaux et de nombreuses personnes qui travaillent, qui gagnent leur vie, qui sortent le midi. Alors qu’il fallait attendre parfois des mois pour faire un nouveau client dans le 16ème, ici c’est tous les mois.

Monsieur Guilson n’a jamais voulu être en appartement. Déjà dans les années 60, les tailleurs –dont la tradition française de discrétion les poussait à s’installer en étage- descendent, à l’instar de Max Ezvelline ou Elie di Fiore. La boutique profite du passage et les badauds regardent la vitrine. Cela impressionne et amuse monsieur Guilson qui observe depuis sa table de coupe…

Partie II

En ce qui concerne les références, peu d’inspiration lui viennent des grands ateliers qu’il n’aimait guère. Toujours cette volonté d’indépendance. Mais poussé par une ancienne relation de travail, il entre à la chambre syndicale des tailleurs, et découvre un peu le milieu. C’est par ce biais qu’il arriva à la présidence de la Chambre Syndicale des Tailleurs, un peu malgré lui, mais finalement avec plaisir. Pas tellement d’idées syndicales, mais de l’entregent. Au niveau des grands maîtres, Francesco Smalto évidemment pour qui il travailla l’a marqué. Sur chaque pièce, il relevait scrupuleusement le patronage, notamment ce revers si caractéristique, haut et large, venant d’eux (et surtout de Joseph Camps).

Mais c’est un détail de coupe. Car la vraie coupe n’est pas unique, ne peut-être ‘griffée’, car elle doit s’adapter à la morphologie dit-il. Pour une personne forte, une veste Smalto, ça n’ira pas. Il faut suivre le client, le tailleur doit habiller tout le monde ! Une personne âgée qui s’affaisse, un client avec une poitrine sportive, ça oblige à changer. Au début, c’est moins simple, les premiers essayages sont durs, mais après c’est beau, c’est fait pour lui. Même si la coupe Guilson, ça a toujours été simplement deux ou trois boutons, les poches en biais et la poche anglaise (ticket) avec deux fentes.

Une veste avant le premier essayage, seul la ‘mise sur toile’ a été réalisée / Les tissus en attente pour la coupe / Les patrons en carton

Ensuite, le tailleur peut aussi se faire créateur. Ce fut le cas avec l’un de ses clients les plus mémorables : Thierry Mugler. Et oui, comme quoi. Le créateur parisien faisait faire beaucoup de costumes et tenues diverses, avec ses marques : découpes et pinces nombreuses, col officier et allure à la Luky Luke (manches et jambes artificiellement arquées). Ce fut l’occasion de tester l’art tailleur dans d’autres registres. Personnage pour qui monsieur Guilson a beaucoup d’admiration, car l’inverse était aussi vrai, Thierry Mugler se sentant ‘tellement à l’aise’ dans ses vestons dixit l’intéressé. Les rassemblements de tailleurs à travers le monde, et notamment en Paris pour le dernier congrès mondial en 2001, sont aussi l’occasion de tester l’inventivité. Lors du défilé à Paris, le tailleur brésilien César (ancien formateur de l’aft, apiéceur chez Camps ou Smalto) réalisa des croquis qui servirent de base à des modèles originaux, comme cette veste en soie à ceinturon intégré que l’on peut voir ici. Sinon parmi les classiques, les plus belles pièces qu’il ait eu le privilège de réaliser restent les habits (queue de pie), notamment ceux pour les chefs d’orchestre ou pour un violoniste. De telles pièces à taille, si difficile à régler tant l’ajustement est près du corps relèvent à l’heure actuelle de la gageure, surtout quand gilet, pantalon et veston doivent coïncider parfaitement.

Mais pour qu’une réalisation soit belle, le tailleur doit avoir le bon apiéceur, en fait le bon ouvrier, et ça, c’est pas donné ! Monsieur Guilson dispose de deux apiéceurs extérieurs, qui viennent récupérer le travail de manière hebdomadaire. Il réalise en effet la coupe et le premier montage (tissu contre toile) pour le premier essayage. Une fois les réglages effectués, l’apiéceur récupère ces morceaux et crée la veste en elle même, ramenant un buste formé et fini ainsi qu’une paire de manche et un col séparé. Reste à Monsieur Guilson à les bâtir, faire un essayage sur le client (le deuxième donc) puis à finir la pièce. Une boutonniériste passe et exécute son ouvrage, et le costume est prêt à livrer, après un troisième contrôle. Évidemment, un culotier réalise aussi à l’extérieur les pantalons. La boutique Guilson eut jusque quatre ouvriers, mais cela demande du temps de gestion et de la responsabilité alors que cette fameuse indépendance, toujours, refait surface. Le maître tailleur se souvient d’ailleurs avec beaucoup d’émotion et de sympathie de son ancien ouvrier, Brahim Bouloujour qu’il présenta au Meilleur Ouvrier de France (couronné de succès) et qui depuis s’est installé à son propre compte (maison Brano).

Des cols et des poches / La maestria du tailleur aux ciseaux / Ses ouvriers

Enfin, il y a l’aventure de l’AFT, à savoir Association de Formation Tailleur. Tout commence lorsque la chambre des métiers, lassée de voir ses tailleurs-enseignants se disputer (un classique entre tailleurs), décide de liquider la formation. A tel point que les meubles et les machines finissent sur le trottoir. Poussé par quelques personnes notamment monsieur Sauvage à la Chambre de Commerce et d’Industrie, sa proposition d’école est reçu positivement début décembre 2005 par le conseil régional qui lui demande de créer la structure avant la fin du mois. Il prend alors un premier crédit personnel pour financer le local et le matériel. Six mois plus tard et après un changement de majorité, les subsides sont directement coupés et M. Guilson prend un deuxième crédit pour assurer le fonctionnement. Quelques bénévoles assurent les cours, c’est le cas des tailleurs à la retraite Paul Sevillia (Avilla) et Siciot, ainsi que d’une ancienne d’atelier, Germaine Boulé. Mais gérer une école présente des difficultés nouvelles car il faut à la fois gérer un personnel enseignant et des élèves divers et variés, mais aussi encadrer et définir une pédagogie. Les problèmes étant fait pour être surmontés, l’école forme toujours aujourd’hui une petite dizaine d’élèves par an, pour un coût qui dépasse hélas encore les rentrées financières, aucune subvention n’étant versée. Il s’agit donc plus d’un fardeau que d’une solide rente, mais la passion du métier et de la transmission assure la différence. Certains ateliers prennent des stagiaires comme Smalto ou Camps de Lucca, et d’autres embauchent des anciens élèves comme Cifonelli ou monsieur Guilson lui-même. Il donne ainsi, via un contrat de professionnalisation, une expérience supplémentaire aux plus passionnés !

Quand à moi, il n’hésite jamais à me soutenir dans mes développements et à me donner des conseils et des astuces lorsque le besoin s’en fait sentir, sur une manche ou tout autre problème de coupe. Une assistance nécessaire et heureuse ! Je l’en remercie encore.

Julien Scavini

République bananière

J’étais récemment sur les Champs-Élysées pour un événement réunissant les élégants de Paris autour de MM. Corthay et Jacomet et à cette occasion, j’ai visité le nouveau grand flagship d’une marque américaine bien connue outre-atlantique : Banana Republic. Je l’avais découverte il y a une dizaine d’année à New York et en avais gardé un bon souvenir. Cette enseigne fait partie du groupe Gap depuis 1993. C’est en quelque sorte la variante haut de gamme, Gap étant plus orienté adolescent. J’ai donc découvert cet espace immense au numéro 22, véritablement immense en sous-sol, présentant des collections hommes et femmes.

Banana Republic est une marque jeune créée en 1978. A l’instar de Paul Smith, Ralph Lauren ou Jeremy Hackett, ses deux créateurs Patricia et Mel Ziegler ont débuté avec la commercialisation de vêtements anciens ou militaires retouchés. Les envies d’origines faisaient la part belle aux imprimés léopards et aux matières usées. Les thèmes de prédilection étaient : le voyage et les safaris. L’un recouvrant l’autre du reste. Deux boutiques d’inspirations nouvelles ouvrirent près de San Francisco, profitant de l’atmosphère hippie de cette partie des Etats-Unis. Les vêtements et autres bagages étaient présentés au milieu d’un faux décor de savane sur un fond de jazz. Les prix étaient modérés !

Et c’est ce qui reste de Banana Republic (tristement, la plupart des articles sont made-in-PRC). Les prix y sont plutôt doux pour une qualité pas inintéressante. Le positionnement a quelque peu changé et l’on est maintenant loin de l’atmosphère bohème de la côte ouest. Les collections sont en effet plus directement inspirées par Ralph Lauren. Le ‘preppy style’ étant très à la mode, de beaux modèles de shawl sweaters sont présentés. Sinon, j’ai repéré des costumes pour à peine plus de 100€, ce qui comblera d’une certaine manière les moins aisés. L’ensemble est en fait plutôt agréable et je suis ravi que la parité Euro/Dollar soit pour une fois respectée. Pour quelques pièces classiques comme les chinos, les chemises à cols boutonnés, c’est en effet une bonne adresse et je suis content de pouvoir en profiter sur Paris ! Aurions-nous du reste une marque de cette envergure ou rapport qualité/prix en France ? Peut-être pourrions-nous citer Cyrillus, créée justement à la même époque (1977), en avez-vous d’autres à l’esprit ?

Julien Scavini

La cravate blanche

Nous sommes de nos jours habitués à voir des cravates aux tons colorés, aux motifs chamarrés et aux matières variées. Mais ce ne fut pas le cas pendant longtemps. Étudions rapidement cette évolution.

Jusqu’au milieu du XVIIIème siècle, il était courant d’arborer des cravates blanches en lin fin : de la baptiste. Plutôt qu’une cravate, il s’agissait plutôt d’un ancêtre du nœud papillon : la lavallière (la vraie, pas celle au nom usurpé des mariages d’aujourd’hui). Les pans, plutôt ou moins dentelés, retombaient de part et d’autre après avoir fait plusieurs fois le tour du cou, autour d’un col de chemise haut. C’est habituellement cette version que l’on portait en-cours à Versailles, jusqu’à Louis XVI, sous des versions diverses.


Le blanc était donc prépondérant, et c’était les vêtements qui arboraient les couleurs. Replacez ce principe aujourd’hui : votre costume en soie de couleurs et votre cravate blanche ? Quoique cela ferait un peu Kenzo ou autre non ?

A partir de ces faits, entrons dans les hypothèses, mes recherches étant encore partielles. Ce serait les allemands les premiers qui ont ‘inventé’ la cravate noire. Plus précisément, ce serait les romantiques allemands. Occupant des métiers intellectuels, ils auraient manqué de fonds pour entretenir les fines bandelettes de lin blanc. Vous l’avez sans doute constaté, les cols de chemises blanches se salissent (jaunissent) très vite. Alors que la cravate blanche nécessitait un entretien intensif que seule l’aristocratie pouvait s’offrir, ces jeunes artistes eurent recours, en complément du drap de laine noir à cet artifice plus ‘utilitaire’ (amusante caractéristique allemande). En France, des romantiques comme Balzac eurent recours également à la cravate violette (cravate équivalent ici encore à lavallière).


En Italie, à la même période (1790 / 1830), les mouvements révolutionnaires et démocratiques pour l’unité du pays se développaient. Regroupés sous forme de sociétés secrètes appelées Carbonari, les membres arboraient en signe de reconnaissance des nœuds avec des impressions de motifs cachemires, en provenance d’Inde. Là encore, une autre piste toujours actuelle, de cravate colorée naissait. Et depuis, toutes les folies sont possibles, des plus sombres anglaises aux plus vives américaines, en passant par les amusantes françaises.

Aujourd’hui, la cravate blanche n’est plus représentée que ponctuellement. ‘Cravate blanche’ d’ailleurs est le code pour le port de l’habit (queue de pie). Le noeud, de coton marcella (nid d’abeille) a remplacé la baptiste de lin. Cette sorte et cette couleur de nœud, sous forme de lavallière simplifiée, est encore utilisée en deux occasions : pour l’habit de chasse et pour l’habit de concours d’équitation. Deux soubresauts hélas. Pourtant, avec le retour du goût pour les vêtements colorés, cela pourrait être une alternative assez minimaliste.

En tout cas, certainement pas de nœuds en satin blanc ! Je ne vois aucune utilité à ces affreusetés, aucune !

Julien Scavini

Clap de fin (MàJ)

Pour Old England. Comme je vous l’avais annoncé il y a quelques semaines, le magasin Old England fermera ses portes fin mars, après avoir soldé son stock. Vous pouvez d’ors et déjà vous y rendre pour profiter des soldes privées, qui débutent à moins 50%. Tout doit disparaitre, alors évidemment entre écharpes, chaussures et costumes, vous pourrez trouver votre bonheur, que ce soit les produits de la griffe ou encore d’Albert Arts. Albert Goldberg donc, qui en rachetant le grand magasin du boulevard des Capucines espérait le relancer, ferme l’historique enseigne, pour la revendre de nouveau au groupe Richemont. Si l’on ne discutera pas de la plus valus engrangée, on regrettera cependant une fin si triste.

Je n’ai jamais été tellement client de ce magasin sauf à l’époque du corner Hackett, comme beaucoup que je connais. Pourquoi, je ne saurais le dire. Peut-être n’aimais-je pas l’ambiance, les prix aussi et certainement. Profitons de l’article de ce soir pour nous remémorez l’histoire d’Old England, qui se confond avec l’histoire de la mode en France. Histoire très intéressante que j’ai découvert dans le livre So British publié aux Éditions du Regard et portant précisément sur cette succursale (le livre fut certainement commandé par Richemont pour relancer la ligne).

Les lignes suivantes sont un résumé et parfois une reprise directe du propos de cet ouvrage :

L’anglomanie

Juste avant la révolution française, certains comme le régent Philippe d’Orléans manifestèrent leur penchant pour le goût anglais. Son fils, Philippe Égalité pour s’opposer à son cousin Louis XVI marqua justement ce goût pour les mœurs anglaises en arborant des fracs de drap (et non de soie), des bottes de cuir, des culottes de peau etc… Durant la terreur puis sous l’Empire, le souvenir du Grand Siècle français s’estompa, et les façonniers de New Bond Street travaillèrent, améliorèrent, défirent. Brummel continua encore de saper l’habit, pour aller vers plus de simplicité. Il aimait les bleus éteints et les tons caramel, mais c’était encore trop de frivolité. Et cette nouvelle simplicité gagna. Mozart écrivit en 1778 « On peut aller partout avec un costume noir. C’est pratique, c’est un costume de campagne et de gala en même temps« . Le noir gagna du terrain au grand désespoir de Balzac ou de Baudelaire, et heureusement que les femmes sauvèrent la société de la neurasthénie, bien aidées en cela par Offenbach en maître de musique.

C’est en 1867 qu’Alexandre Henriquet, ancien acheteur au Bon Marché, eut l’idée de reprendre un magasin de mode écossaise installé au 35, boulevard des Capucines. Il avait senti le vent venir avec l’avènement du neveu de Napoléon, futur nouvel empereur des français. Si le premier haïssait l’Angleterre, le second l’avait en modèle. Le second empire marqua l’avènement d’une société bourgeoise en mal de stabilité. Merveille, les anglais avaient parfaitement ignorés notre révolution et les allemand grondaient ! En 1867, Old England se retrouve en plein triomphe britannique – politique, économique, colonial, vestimentaire. Le personnage du gentleman fait son entrée. Henri-Frédéric Amiel écrit à son propos :  » Le gentleman est l’homme maître de lui-même qui se respecte et se fait respecter. Son essence est celle de a souveraineté intérieure« .

Vers 1880, le nouveau et actuel local est inauguré au coin de la rue Scribe et du boulevard. C’est alors le plus beau de Paris. Le crédo d’alors était « illustrer une certaine idée de l’art de vivre britannique ». L’enseigne est souvent citée dans la littérature, preuve de son enracinement dans la bonne société, chez Balzac dans Un début dans la vie, dans les notes d’Edmond de Goncourt, chez Mauriac dans Thérèse Desqueyroux ou dans Les conquérants ; plus proche de nous chez Claude Roy dans La traversée du pont des Arts ou Georges Perec dans Les choses.

Old England, c’est aussi l’avènement du vêtement pour tout le monde. Pas encore de démocratisation ici, mais un aperçu du prêt-à-porter. Avec l’avènement de la mode des paletots, le journaliste Auguste Luchet déplore : « Le temps sculptural des Staub et des Kléber n’est plus ; il est mort avec le frac et la redingote ajustée. Le paletot-sac à toutes les épaules l’a supprimé. Il n’y a plus de mesures maintenant, il y a des tailles. On est plus un client, on est un quatre-vingt… » Mais pour autant, le magasin était réputé pour ses tailleurs émérites – le département enfant en compta jusqu’à 12 ! OE fut le premier grand magasin de grand luxe à vendre du PàP – en modestes proportions ceci dit, jusqu’aux années 50 (en 1930, le sur-mesure représentait 80% des ventes).

En choisissant l’Angleterre, les fondateurs d’Old England choisirent la pérennité contre l’éphémère et le genre serein contre le convulsif. Sans pour autant choisir la forme contre le fond, car l’art de vivre britannique n’était pas plus figé que l’Angleterre était inerte. La matière commandait : la laine, la soie, le coton, le chanvre, les peaux, les plumes et les écailles…

Le désenchantement du style anglais ?

La seconde guerre mondiale jeta sur Old England un voile de crêpe. Angleterre n’était plus à remarquer, pire elle était l’ennemi. Les approvisionnements furent rendus impossibles, les étalages se vidèrent, les employés furent licenciés, même si tout fut entrepris par M. Henriquet pour garder les meilleurs d’entre eux au service. Pour autant, le magasin en réchappa, y compris les grandes armoiries de l’escalier. Malgré son occupation sur la moitié de sa superficie par le cercle des officiers de la Werhmarch, l’ensemble architectural pu retrouvé son intégrité au sortir de la guerre. Mais le chemin fut difficile et des années de vache maigre se succédèrent, alors que les surplus militaire américain envahissaient Europe de l’ouest, blouson d’aviateur en tête. Une pièce plus particulièrement retint l’attention, et devint un classique de la maison Old England : le duffle coat. Originellement, ce lourd manteau de pêcheur dont le drap était tissé, à peine désouinté, dans la ville de Duffel en Belgique, fut utilisé par la Royal Navy qui en équipa ses marins, et durant la seconde guerre mondiale, le maréchal Montgomery l’arbora, donnant à cette pièce le surnom de Monty Coat dans les pays anglo-saxons. Reconnaissable à ces fermoirs à brandebourg, en tresses de corde ou en cuir, avec des boutons en cornes ou en bois et surtout à sa capuche, il devint une grande spécialité du magasin Old England qui le vendait alors dans de nombreux coloris, y compris en blanc, modèle apprécié par Jean Cocteau. Les années se succédèrent, avec un magasin entièrement rénové, à l’extérieur avec de splendides vitrines en acajou de cuba et à l’intérieur avec des présentoirs modernes, en verre et chêne de Hongrie.

Puis Mai 68 arriva, et avec lui son lot d’incertitudes sociales. Celles-ci s’exprimèrent aussi dans le vêtement où confort, modernité et économie étaient les maîtres mots. Terrassé par l’invasion du jean américain, un siècle d’apprentissage de codes d’élégance et de techniques de confection était remis en question. Mais au contraire, ces bouleversements jouèrent en faveur du grand magasin anglais alors que d’héroïques élégants continuaient à aller à Savile Row et dans les meilleurs enseignes britanniques du monde entier pour se vêtir. Julien-Maurice Henriquet présida à la traversée de ces époques difficiles mais disparut en 1986. Jean-Marie, son fils, ancien des Chargeur Réunis ou de Paribas prit alors la direction, et ce jusqu’en 1999, date de la cession au groupe de luxe Richemont.

Le magasin, resta un ‘corner’ d’Angleterre en France. Tout pour la parfaite dame et le parfait gentleman pouvait y être trouvé en plus des vêtements: du thé aux biscuits, en passant par les parfums et les instruments de toilettes. C’était un grand magasin au sens propre. Les chemises Turnball et Asser y étaient vendues en exclusivité sur le sol français, constituant avec la boutique d’Hilditch & Key rue de Rivoli les deux pôles d’une élégance à l’anglaise, d’un classicisme abouti et recherché. Durant cette période, le nombre de marques différentes augmente au sein d’Old England, notamment avec l’entrée du groupe Hackett-Dunhill dans Richemont. Puis une page se tourne lorsque ce dernier, dans un élan de restructuration, cherche à céder la belle enseigne du boulevard des Capucines…

Une nouvelle ère …

Dans un monde de la mode où tout a changé depuis le renouveau de la maison Gucci initié par Tom Ford en 1993, l’ère n’est plus aux petits revendeurs, mais à des modèles économiques intégrés, faisant place à de vastes flagship, moins nombreux, mais plus puissants et iconiques. Les marques cherchent leur propre visibilité, et les grands magasins multi-marques ferment. Hackett déménage, Brunollo Cucinelli ouvre sa propre boutique, de même que les souliers Crockett & Jones ou Edward Green. Que reste t il alors pour Old England ? Alors que l’historique magasin des Quatre Temps à la Madeleine subit ce triste sort et ferme à son tour, il était crucial pour ce grand navire d’être sauvé du péril.

C’est alors qu’Albert Goldberg rachète au groupe Richemont le grand magasin du boulevard des Capucines à Paris. L’enseigne vivote et les équipées de vendeurs tournent en rond dans un espace trop encombré. Les travaux commencent. Le premier étage d’abord, entièrement dédié à la femme est dépoussiéré. Les tons sont clairs, l’humeur niçoise se fait jour. Puis la moitié c’est au tour du rez-de-chaussée, avec un immense et très contemporain corner Albert Arts. Les modèles font la part belle aux plus fines flanelles et cachemires italiens. Les tons sont doux, plutôt dans les bleus, et les finitions exceptionnelles. Les blazers sports sont par ailleurs si fins que vous n’avez par l’impression de les toucher. Beaucoup des rayons sont évacués pour garder majoritairement le vêtement. Chapeaux, cravates, foulard et écharpes complètent les habits de dessus. Les produits sont mieux positionnés et la griffe Old England prend tout son sens. Le magasin est érigé comme une véritable marque.

Mais malgré tout, le succès n’est pas au rendez-vous. Peut-être à cause d’un manque flagrant de communication (certains bloggeurs ont bien connu le responsable de la presse du magasin, grand bavard et personnage amical qui s’est fait limogé après avoir organisé une soirée en l’honneur de James Sherwood et de son livre sur Savile Row). Pourtant, à l’heure où le style anglais perd la main au profit de l’école italienne, les produits OE et AA étaient très bien positionnés. Le local était peut-être – certainement- trop grand. Pourtant la visibilité était bonne. On sait maintenant que les rendements financiers dans le textile sont faibles, en particuliers avec de tels coûts dû à l’emplacement, mais est-ce la raison d’une telle fermeture ? L’appât du gain l’a-t-il emporté ? Nous ne saurons pas. Une chose est sûre, un grand magasin d’ultra-luxe va remplacer Old England, 2000m² de montres suisses… A croire que décidément en France, nous ne produisons plus rien, nous n’achetons plus rien, et au mieux nous vendons du rêve aux chinois… avec ça !

Heureuse pensée : les services des monuments historiques ayant eut le nez creux, les façades sont classées. Les glaces aux gros logos rouges Old England resteront donc…

MàJ : on m’informe aux premières lueurs du jour qu’un incendie aurait eu lieu cette nuit chez Old England ! Je ne trouve pas de confirmation officielle encore.

Julien Scavini

Bonne année 2012

Chères lectrices, chers lecteurs,

Stiff Collar est heureux de vous présenter ses vœux pour l’année 2012 !

Je profite aussi de l’occasion pour remercier tous les lecteurs, amis et clients fidèles pour l’affection et le soutien que vous m’avez témoigné depuis le lancement du blog, il y a deux ans et demi et de mon activité plus récemment.

2012, à en croire l’opinion s’annonce comme une année difficile. Tâchons ici par et dans nos échanges ainsi que dans la rue par notre attitude, d’adoucir voire mieux, d’embellir notre quotidien et de ne pas trop nous laisser atteindre par l’ordinaire.

Si mes bonnes résolutions se résument à (réussir à) se coucher plus tôt, je vous souhaite à tous une année élégante et pleine de grâce. Que notre sillage deviennent une empreinte !

Julien Scavini