Le poignet napolitain

Lorsque je regardais Amicalement Vôtre il y a plusieurs années, j’avais remarqué que les manchettes de chemises de Brett Sinclair, joué par Roger Moore, n’étaient pas tout à fait conventionnelles. Un repli habillait celles-ci en leurs donnant de l’importance. Mais point de boutons de manchette comme sur le poignet mousquetaire classique. Quelle curieuse invention dont j’avais vite trouvé le nom, le poignet napolitain. Les anglo-saxons ont plein d’autres noms eux.

Lorsque j’ai débuté dans la chemise « mesure » à la boutique, j’avais découvert dans les possibilités offertes par l’atelier des Deux-Sèvres ce fameux poignet dit napolitain et je repensais à Brett Sinclair. Ce poignet ostentatoire et qui en impose était parfait pour habiller le personnage, aux antipodes d’un Danny Wilde beaucoup plus décontracté. Une expressivité tout à fait en vogue dans les années 70, où un certain esprit baroque régnait. Pour ceux qui ne voient pas de quoi il s’agit, autant mettre une petit photo de Roger Moore avec ce poignet, je crois dans un James Bond :

Il me semble n’avoir fait qu’une fois ce poignet. Je ne me pressais pas à le proposer, ne le comprenant pas tout à fait. Je revoyais de temps en temps Amicalement Vôtre et m’interrogeais de nouveau sur la nécessité de ce truc, cet artifice de style.

Et puis je me suis lancé début septembre dans l’intégrale des James Bond. L’occasion d’étoffer ma petite culture cinématographique et de m’amuser à contempler les esthétiques passées, costumes, voitures et intérieures. Un peu comme avec Columbo. Je rappelle que le premier de la série, James Bond 007 contre Dr No date de 1962 ! Quel fabuleux kitsch.

Il se trouve que Sean Connery alias l’agent anglais porte lui aussi dans les adaptations des chemises avec une tel poignet. Une idée du réalisateur Terence Young et de son propre tailleur Anthony Sinclair qui firent appel à Turnbull & Asser pour les chemises. Ah décidément me dis-je, ce modèle passionne. Voyez plutôt, avec une version plus arrondie que précédemment :

On retrouve en quelque sorte l’esprit du poignet mousquetaire, richement étoffé, mais sans la lourdeur (toute relative) des boutons de manchette. Deux petits boutons nacrés permettent d’attacher cette manchette. Au détour d’une recherche sur ce poignet, j’ai découvert que Roger Moore était amateur d’une autre variation. Ô subtilité, elle est légèrement modifiée avec des boutons rabattant le poignet, comme le col boutonné. Comble du baroque compliqué.

Un peu comme avec la chemise popover sur laquelle j’ai écrit, on peut légitimement balancer entre une incompréhension pour un truc un peu inutile voire franchement pas pratique, et l’idée qu’au fond, l’élégance a sa part heureuse de gratuité. Le beau n’a pas à se justifier. Il l’est quand il fait plaisir. Et si ce poignet pouvait faire plaisir alors ? (Ndlr : Veuillez lire cette phrase dans son sens premier uniquement.)

Je repensais aux publicités d’une marque nouvelle suédoise, Grand Le Mar, dont j’appréciais l’atmosphère. Cette maison à l’esthétique très dolce vita use massivement du poignet napolitain pour ses modèles. D’une grande élégance il faut le reconnaitre. Voyez plutôt la collection d’été :

Et je finissais ainsi par me convaincre. Non pas pour les chemises de tous les jours. Ni même pour les chemises du soir d’ailleurs. Mais bien pour celles de l’été. En cette chaude période, il est difficile de s’habiller convenablement. Et porter une veste est parfois complexe, en particulier au travail pour moi, où il faut bouger sans cesse. Aussi ai-je pris le parti de pantalons en lin et de simples et jolies chemises. Mais comment diable me demandais-je serait-il possible de rendre cette simple chemise plus esthétique, plus raffinée, plus habillée ? J’ai l’intuition que peut-être ce poignet pourrait être une juste et intéressante réponse.

Est-ce que le poignet napolitain ne serait pas le moyen idéal de donner du caractère à la chemise d’été, sans l’alourdir. Une petite touche de poésie repliée, à la fois minimaliste et pleine d’expressivité ? Je vais y réfléchir cet hiver pour la saison prochaine !

Bonne semaine, Julien Scavini

Concours d’élégance automobile à Groussay, Résultats

Chères lectrices, et chers lecteurs, la belle automobile qui a remporté le concours de Groussay dimanche dernier fut la Peugeot 402 « Eclipse » de 1937. D’ailleurs, l’auto en question est à vendre ici. Bravo à M. François Terrasse qui à 17h39 le 21 septembre donna la bonne réponse. Il pourra passer à la boutique et repartir avec un semainier de mi-bas 😏

Alors, petite explication concernant cette auto, par Patrick Lesueur, conseiller historique du concours Art Automobile :

DEUX EN UNE OU LA FORMULE ECLIPSE

« Au milieu des années trente, le dernier mouvement stylistique en matière de carrosserie automobile reste l’école aérodynamique. Cet esthétisme dans laquelle s’engouffrent sans retenue nombre de constructeurs, donne parfois naissance à de fameux faux pas. Par bonheur la maison Peugeot, avec sa gamme 402 dite « fuseau Sochaux » dévoilée le jeudi 3 octobre 1935 au sein du Salon de Paris, parvient à concilier moderniste et équilibre. La calandre en forme de cœur étiré, emprisonnant les optiques, demeure une caractéristique plastique identitaire de l’auto, tout comme la partie arrière fuselée, bordée d’ailes fuyantes accueillant les jupes cachant les roues, accentuant l’impression de fluidité. Une carrosserie totalement iconoclaste, qui étonne, tant l’entreprise au Lion est souvent perçue comme trop réservée. Mais une autre surprise de taille attend les visiteurs, la 402 transformable « coupé Cabriolet » Eclipse. Sa naissance est tout aussi étonnante. Depuis 1933 le dentiste Georges Paulin, passionné par l’étude des carrosseries automobile, a déposé un brevet concernant le concept du « toit métallique entièrement escamotable dans le coffre arrière d’une automobile ». Ce dernier collabore régulièrement avec le carrossier de Rueil Marcel Pourtout, et fréquente tout aussi assidument le célèbre distributeur Peugeot Darl’Mat installé rue Malar à Paris. Emile Darl’Mat parvient à intéresser la direction de Peugeot à la recherche d’idée nouvelle, qui s’intéresse rapidement à cette brillante proposition. Après une année de mise au point (20 000 opérations ont éprouvé le dispositif sur le prototype) Peugeot en assure l’étude industrielle pour une production en série limitée dans ses ateliers de carrosserie spéciale de la Garenne Colombes. Profitons de l’occasion pour insister sur le fait que c’est bien Peugeot le premier constructeur au monde à avoir commercialisé une automobile au pavillon rétractable, et que 580 bons de commande seront signés par de véritables connaisseurs en faveur d’une 402 Eclipse, entre 1936 et 1939. Rappelons que Georges Paulin membre du réseau de renseignements Phil sera fusillé par les nazis le 21 mars 1942. »

Voici pour finir ce toit rigide et escamotable, par deux personnes seulement, sans dispositif complexe ou électrique. Le toit se translate simplement de et vers la malle arrière. Et tout s’emboite parfaitement. Quelles lignes !

(Pour ma part j’avais voté pour la Hotchkiss – Anjou coupé « St Tropez » 😜) A demain pour l’article habituel parlant vêtement, une fois n’est pas coutume. Bonne semaine. Julien Scavini

Concours d’Élégance Automobile à Groussay

J’étais donc hier à Groussay, magnifique demeure hélas en état de délabrement de Charles de Beistegui, située à Montfort l’Amaury. Sur les pelouses du château et pendant deux jours se tenait un rassemblement de voitures anciennes et élégantes, avec en clou du spectacle dimanche, un concours d’élégance automobile, le prix Jean-Paul Thévenet. J’étais juré.

J’avais sorti une veste bien connue et qui n’avait pas vu la lumière du jour depuis plusieurs années. Je m’étais beaucoup questionné sur la tenue idéale. Quel plaisir de retrouver ma veste de régate en coton rayé. Pantalon de laine fine et chaussures Buck de chez Fairmount déjà évoquées ici en complément. J’avais oublié le chapeau, tant pis, ça aurait fait trop de toute manière.

A partir de 14h30, un certain nombre de beaux véhicules d’époque ont défilé devant un jury de personnalités diverses dont une célèbre et sympathique costumière de cinéma, Mimi Lempicka, César des costumes pour Au revoir là-haut, film d’Albert Dupontel que je dois absolument voir.

Je me demandais comment donner un peu de relief à ma présentation des voitures, dont une reçut le prix du jury. Et bien tout simplement en refaisant ici un concours amusant. Je vais vous présenter succinctement chaque voiture. Mais je ne vais pas vous révéler laquelle a gagné.

En commentaire, vous donnerez votre préférée. Ceux qui auront trouvé la voiture gagnante passeront par un tirage au sort, et l’un recevra une petite récompense. Alors on y va.

1 – Lancia – Fulvia Coupé S1 – 1965 – M. Potain

2 – Studebaker – Gran Turismo Hawk – 1963 – Galerie d’Ieteren

3 – Facel-Vega – Coach HK2 – 1962 – M. Lahterman

4 – AC – AceBristol – 1960 – M. Dubost

5 – Austin Healey – 3000 – 1960 – M. Gillet

6 – Chrysler – 300B – 1956 – M. Michaut

7 – Ford – Thunderbird – 1955 – M. Michaut

8 – Hotchkiss – Anjou coupé « St Tropez » – 1954 – M. Starke

9 – Cadillac – Série 41 type 62 – 1941 – M. Michaut

10 – Alpha Romeo – 6C 2500 – 1939 – M. Hazet

11 – Nash – Ambassador – 1939 – M. Pontet

12 – Delage – D6 Letourneur & Marchand – 1938 – M. Letourneur

13 – Packard – « Coupé de ville » Eight Franay – 1938 – M. Antoine

14 – Peugeot – 402 Eclipse – 1937 – M. Michaut

15 – Rolls-Royce – 20/25 Coupé Mulliner – 1936 – Mme. Hollande

16 – Wanderer (l’ancêtre de Audi) – W25K – 1936 – Galerie d’Ieteren – rarissime !

17 – Citroën – reconstruction sur plan d’une Rosalie Speedster – 1933 – M. Lasalle

18 – Delage – D8 Figoni – 1930 – Ravi Prakash (Cette voiture et ses propriétaires étaient venus spécialement d’Inde. Pour la petite histoire, cette automobile carrossée en cabriolet par Figoni et Falaschi avait été vendue en 1930 au salon de Paris au Maharadjah d’Indore qui l’avait faite repeindre dans cette couleur orange Veuve-Clicquot avant de la rapatrier chez lui. Retour rapide sous les cieux parisiens donc. Notez le bouchon de radiateur en Lalique.)

19 – de Dion-Bouton – type DH – 1912 – M. Garcia-Guillorel

Nous voici au bout de ce joli plateau. Nous n’avons pas parlé costume aujourd’hui, mais avouez que ce sont là de biens jolies lignes aussi !

Reste à trouver maintenant qu’elle fut la voiture gagnante. Nous avions un mot d’ordre « quelle voiture voulez-vous ramener ce soir chez vous ». Pensez ainsi et donnez vos réponses 😉

Bonne semaine, Julien Scavini

L’hommage à Jean-Paul Belmondo

Il y a quelques jours, un client me demandait pourquoi je n’avais pas fait d’article sur Jean-Paul Belmondo pour lui rendre hommage d’une manière sartoriale. J’étais un peu pris de court, car je venais à peine d’apprendre son décès et l’hommage national était déjà prévu pour le lendemain aux Invalides. Cela dit, en quelques minutes, je réalisais aussi qu’au fond, je connaissais très peu l’acteur, à part quelques vagues souvenirs du Cerveau, et encore, surtout pour David Niven. Pas un sujet facile pour moi. Cela dit, pourquoi pas me suis-je dit.

Le lendemain, les Invalides raisonnaient de la musique de la Garde Républicaine et nombre de personnes se présentèrent pour voir l’hommage. Je vis quelques images à la télévision, au moment du discours de son petit-fils. Entouré d’autres jeunes, je me suis alors dit que les costumes-cravates avaient un peu de tenue, sobres et bien coupés. Ce petit groupe avait un peu d’allure.

Et puis au cours de ma recherche sur le sujet, je fus attiré par des galeries photos des obsèques, à l’église Saint-Germain-des-Prés. J’aime bien ces galeries photos proposées ça et là sur internet, genre Point-de-Vue et Images du Monde. Voir les célèbres de façon ordinaire.

En les parcourant, je me suis dit non. Je ne vais pas parler de Jean-Paul Belmondo, je vais parler de ceux qui sont venus le voir une dernière fois, l’accompagner pour cette traversée du Styx. Pourrais-je penser que ce n’est pas un évènement anodin?

Toutes ces photos ont été prises à l’entrée de l’Église, ou à la sortie. Dans l’ordre, commentons :

  • Antoine Dulery a fait l’effort d’une cravate. Et l’Abbé Pierre le remercie d’avoir sélectionné son dépôt-vente pour trouver un costume. Sa compagne n’a trouvé qu’un jean de son côté.
  • Bernard Murat a une jolie veste sport. J’ai la même pour aller chez Castorama.
  • Albert Dupontel doit avoir une ardoise chez son teinturier pour ne plus oser y retourner.
  • Francis Huster a fait un vrai effort remarquable. Dommage que l’étiquette du manteau soit encore en bas de manche. Probablement pour se le faire rembourser le lendemain?
  • Guillaume Canet a un joli costume. Bleu.
  • Pierre Vernier pensait se rendre aux floralies.
  • Michel Hazanavicius ne voulait pas se changer avant d’aller au buddha bar. Alors autant ne pas en faire trop. Sa compagne est pieds-nus. Bah pourquoi pas. Aussi à l’aise à la plage que dans les églises!
  • Pierre Richard doit être le père de la Capitaine Marleau.

Je restais coi. Je ne savais même plus quoi penser.

D’abord je me suis dit. A leurs niveaux de rémunération, ne pas pouvoir sortir une fois de temps en temps dans un costume noir un peu décent me sidère. D’autant que le costume noir, c’est presque l’incontournable depuis plusieurs années. Enfin quoi ? Un costume. Noir. Repassé. Trois mots simples.

La plupart sont habillés là comme s’ils se rendaient n’importe où ailleurs. Ils prennent l’avion probablement sapés ainsi. De même qu’ils vont déjeuner à la brasserie probablement de la même manière. Toutes ces tenues, si ordinaires, si banales, si médiocres sont une insulte à tout.

Alors je connais la parade. Elle est double. D’abord que ce sont des saltimbanques. Et que par là même ils ont le droit de s’affranchir des codes bourgeois et de la bien-pensance. Et deuxièmement, que c’est ça l’élégance « à la française », nonchalante, qui sait dépasser les codes. Et donc que tout ce que je pourrais écrire est imbécile et dénué de sens. Et probablement facho ou quelque chose comme ça.

Peut-être.

Ces quelques clichés, pas tous à jeter j’en conviens toutefois, sont l’illustration parfaite d’un cloaque esthétique où plus rien n’a de sens. Tout est mis sur le même plan. On va au magasin de bricolage comme on sort diner. On va au théâtre comme on monte dans le train. On va à des obsèques comme on fait les choses les plus ordinaires. Il n’y a plus de hiérarchie de valeurs. Plus d’intention. Seulement du courant. C’est d’autant plus tragique lorsque des photographes sont là.

Il n’est absolument pas question là de bien s’habiller. Il est juste question de circonstance. De moment.

Il n’est pas non plus question de costume. Il est juste question du bon choix. Et de la dignité de ce choix.

La dignité. Voilà un mot totalement balayé par l’époque contemporaine. Et déconnecté de l’esthétique contemporaine. Un vieux mot, affreux, daté, honni.

On a le droit d’être débraillé parfois. C’est une part heureuse du progrès que je ne nierais jamais. On peut pantoufler mal habillé devant sa télévision ou dans son jardin. On a le droit de ne pas faire toujours un effort pour descendre acheter un litre de lait. Mais on doit toujours avoir le sens de la dignité et de l’instant. Et dans le genre, les obsèques d’une personne sont en haut de la liste. Un instant unique. Le dernier avec cette personne.

Certains parleraient de respect aussi. Mais je déteste ce mot valise, si utilisé et si vidé de tout sens. Non, la dignité, c’est mieux, plus englobant.

Au fond, tout cela n’est pas grand chose. Et j’aurais pu passer aussi vite sur cette galerie photo que sur la météo ou le programme télé. C’est peut-être ça le but actuel, se divertir, s’informer, se divertir, s’informer, zapper, et tout fondre dans une même mélasse. Un peu de tout et beaucoup de « je m’en fous ».

Mais je suis heureux d’avoir pris le temps de réfléchir à cet instant. Et d’avoir songé à Belmondo à travers ses derniers invités.

Jean-Paul Belmondo n’était pas à la ville l’élégant du siècle. Ce devait en revanche être un homme très sympathique et charmant. Et je remercie la pellicule qui elle, grâce à l’érudition et au travail des costumiers, figera à jamais l’image d’un fringant acteur qui a incarné d’élégants personnages !

Bonne semaine, Julien Scavini

Être ou ne pas être un jeune dandy

Il y a peut-être trois ans de cela, un client d’un certain âge, pour ne pas dire d’un âge certain, avec qui je discutais de notre sujet préféré, me lança tout de go qu’il trouvait assez ridicule ou au moins risible « ces jeunes freluquets se pavanant dans des costumes de milords avec pochette, habillés à vingt ans comme s’ils dirigeaient une banque d’affaire internationale. »

J’avais bien rigolé de la boutade. Au fond de moi, je voyais exactement à quoi il faisait allusion. Et même, je le prenais un peu pour moi d’une certaine manière. C’est vrai que je fus si fier lorsque j’achetai mon premier costume chez Hackett, avec bien entendu, une jolie pochette blanche bien disposée. J’avais vingt un ans ou quelque chose comme ça. N’était-ce pas trop? N’était-ce pas un exagéré? A chaque honorable jeune que j’habillais ainsi, à qui je conseillais même le choix de telle rayure plus prestigieuse qu’une autre, je me remémorais cette tirade. N’étions-nous pas en train de concevoir non pas un costume, mais un accoutrement ridiculement outré ?

Cette sentence – si seulement je n’avais entendu que celle-ci dans ma courte expérience de tailleur! – résonnait depuis dans ma tête. D’autant plus finalement qu’au quotidien je suis moi-même plutôt discret, costume marine, souliers noirs. J’aime m’habiller, mais je n’aime pas en faire des tonnes. A part le papillon. C’est pourquoi je fus dubitatif sur l’esthétique très ostentatoire de SuitSupply. J’aime les choses raisonnables.

Avec le temps, j’étais tiraillé intérieurement. Avait-il raison? Des jeunes dandys à peine sortis de la fac devraient-ils en remontrer? Et étaler leur panache, et l’argent investit aussi. Un moment je décidai de m’en ficher et de me dire que s’était de l’amusement. Au fond, un amusement bien innocent. Mais cette conclusion ne me plaisait pas. Elle n’était pas satisfaisante. Trop gratuite pour contenter ma philosophie. Et je continuai d’y penser.

Autre réponse. Ne devrait-on pas attendre d’être vraiment ce que ces vêtements signifient? C’est à dire un homme victorieux bien installé dans son confort, triomphant de lui-même et des autres? Qui en remontre? Mais cette voie explicative ne me plaisait pas non plus. Trop sociologique, elle renvoie le costume à un signifiant de lutte des classes, ce que j’aime encore moins, car c’est totalement faux. Le costume et sa pochette sont des expressions du beau. Point. « La question elle est vite répondue. »

Merci à Jamais Vulgaire pour cette photo.

Mais enfin, allais-je trouver un jour une réponse? Ou arriver à trancher cette question? Cela m’agaçait car je balançais d’un jour à l’autre, un coup d’accord avec lui « trop c’est trop, il a raison » et le suivant à me dire « mais non il faut s’amuser contre la monotonie, le beau a tous les droits . »

Et puis cette été en pensant à rien d’autre qu’à l’heure idéale pour descendre dans la piscine de l’hôtel, une idée me traversa l’esprit. Mais heureusement que les jeunes font cela. Ce sont bien les seuls en fait. Et ils donnent envie ! ENVIE.

Ce qui me fit repenser à un ouvrage lu il y a quelques années et dont je n’ai aucune trace du titre ou de l’auteur. Le propos soutenait que le costume était à chaque génération comme régénéré par la jeune génération, dans une lutte permanente entre Ancien et Moderne. Que la longévité du costume dans le temps est toujours due aux jeunes qui le réinventent. Et se l’approprient. Et de prendre comme exemple les années 70, où le bon vieux costume anglais hérité de la guerre et à peine remanié dans les 60’s avait connu un engouement totalement inattendu chez la jeune génération. Que les cuisses moulées et les pattes d’eph, les revers pelle-à-tarte et les épaulettes épaisses avaient été propulsés par les jeunes, qui ce faisant, se réappropriaient le traditionnel costume dans une nouvelle version, à leur goût. Surtout en lui donnait une nouvelle espérance de vie.

Je dois vous dire que j’étais bien content d’avoir connecté deux neurones entre eux sur le sujet, car enfin, cette réponse me satisfaisait. Oui, c’est très utile que les jeunes se sapent comme des milords. Car ce faisant, ils montrent aux générations supérieures qu’ils réinterprètent leur habit. Et en font quelque chose de nouveau. Et je suis persuadé que ce faisant, dans la rue et sur papier glacé, cette esthétique puisse trouver parmi des hommes qui n’osent plus ou qui n’osent pas un certain écho. Que cela pousse certains à faire mieux. A s’amuser ou à rechercher un peu le beau.

Lorsque dans une entreprise un jeune qui arrive ose une pochette dans sa veste, je suis sûr que quelques dames et quelques collègues masculins plus âgés ou pas le remarquent. Le jalousent un peu peut-être, et puis s’y mettent aussi. Parcequ’ils ont eu la preuve flagrante que finalement, bien se saper ne tue personne. Et qu’au contraire, c’est très sympathique !

Chers amies et amis, sur ces quelques belles prophéties, je vous souhaite à tous une excellente rentrée. Portez-vous bien. Julien Scavini