Le cran pointu

Aujourd’hui, étudions le cran pointu, parfois appelé col tailleur. Vous le savez, sur une veste, l’encolure et l’ouverture sur le devant sont bordées par le revers et le col. Cette partie est assez difficile à réaliser, tant du point de vue technique que du point de vue stylistique. En effet, c’est de la forme du col que dépend en grande partie l’allure et le style d’une veste.

Le revers en lui-même est constitué par la garniture de la veste (c’est à dire la partie intérieure en tissu, le long du devant), qui se retourne vers l’extérieur. Cette partie peut être plus moins large suivant le goût et la morphologie. Par exemple, un revers d’une largeur de 8cm est classique ; certains modèles ‘slim’ présentent 4 ou 5cm de largeur et certains modèles à l’italienne une dizaine de centimètres, voire plus.

Le haut du revers forme à la jonction avec le col, un cran plus ou moins caractéristique. Le cran est dessiné par l’association des lignes d’anglaise et de contre-anglaise. L’anglaise, c’est la ligne du haut du revers, la contre anglaise, c’est la ligne du bas du col (vert et orange sur le schéma A). Ces deux lignes s’épousent puis se séparent : c’est le cran de revers.

ILLUS38

Le cran le plus classique est appelé ‘notch’ lapel par les anglais (A). Difficile de lui trouver une traduction directe (revers à encoche?) en français, les termes les plus courants sont cran ‘sport’ ou cran ouvert. Il est caractérisé par sa forme très nette. C’est le plus répandu, notamment sur les vestes droites (non-croisées).

Un autre cran très répandu est le ‘peak’ lapel ou cran pointu (B). Sa forme caractéristique est tout de suite reconnaissable : une pointe monte vers le ciel. Il n’y a pas de séparation visuelle entre le col et le revers, les deux sont bord à bord. Le dessin de ce col est particulièrement ardu à bien faire. Il est tout en équilibre et en proportions. 5mm de trop ici ou là et l’esthétique paraitra déséquilibrée (C et D).

Ce col en pointe est presque exclusif de la veste croisée. Sur cette dernière, le cran ouvert est une hérésie du pire goût, souvent appréciée des stylistes du reste. Il peut aussi être employé sur une veste droite, notamment pour un smoking. Sur une veste droite de ville, le cran pointu apporte une touche de formaliste. Il rend la veste plus ‘importante’. Il est possible de réaliser avec ce cran des vestes un, deux voire trois boutons suivant l’envie.

crans pointus

Le cran pointu sur des vestes droites peut donner un effet ‘dandy’ ou du moins rendre plus ‘précieuse’ une mise, par opposition au cran ouvert, plus classique, plus décontracté aussi. Il a ses amateurs et ses détracteurs. Ceci dit, il a de l’allure, y compris et surtout quand il est bien large et assez haut. 9 à 10cm de large est classique pour le cran pointu. Regardez donc Hercule Poirot dans la série du même nom pour vous en convaincre.

Notons enfin que le cran pointu a un seul défaut, il vieillit mal quand il est réalisé dans des tissus fins. Car alors, ses pointes vont finir par tomber avec le temps. C’est un trait typique des vieux smoking souvent utilisés. Cela peut faire son charme aussi.

A vous de choisir, si à l’occasion de la commande d’un costume, vous n’optez pas pour celui-ci.

Bonne semaine, Julien Scavini

Au pays de Morse, Barnaby et Dowton Abbey …

Au pays des inspecteurs Morse, Barnaby et Poirot ou des Lords de Downton Abbey et Upstairs/Downstairs, il pleut (un peu), le majordome attend (souvent) et la Bentley roule (toujours). L’occasion cette semaine d’un beau dessin d’inspiration au lieu d’histoires de vêtements …

GRAND DESSIN 2 copie

Ainsi qu’une bande sonore issue d’Hercules Poirot et joliment intitulée A Country Retreat.

Bonne semaine, Julien Scavini

La bonne chemise II

Après les matières et les mesures, étudions cette semaine la façon. Une bonne chemise est cousue avec des coutures anglaises, c’est à dire que le bord du tissu, à vif et moche, est dissimulé à l’intérieur de la couture qui est retournée sur elle-même et repiquée une deuxième fois. Cela permet une finition parfaite et sans doublure. Chez les grands chemisiers artisanaux, cette couture est extrêmement fine (environ 3mm), alors qu’en industrie, 5mm à 1cm est toléré. Parfois même, chez les plus délicats artisans, cette couture est repiquée – on dit alors rabattue – à la main avec de petits points de côté. Très esthétique et très souple, mais fragile si vous n’avez pas encore un grosse garde robe et que vous lavez souvent vos chemises.

Question technique également, le col et les poignets peuvent être entoilés. Pour rigidifier ces parties, il faut placer à l’intérieur des tissus une toile plus épaisse. La technique courante consiste à coller cette toile contre l’un des tissus. Ce n’est pas un mal, et rares sont les chemises à manifester des signes d’usure à cause de cela. Les chemises contemporaines s’usent plus à cause des tissus fins que du thermocollant qui cloque. Ceci dit, les belles chemises peuvent être entoilées sans colle. Le principal inconvenant alors est le repassage qui n’est pas simple. Je fus même confrontés à des clients connaisseurs qui découvraient cette difficulté. Il s’agit notamment de bien repasser le col en le tendant pour qu’aucun pli ne subsiste sur les bords.

Passons aux détails maintenant : le col peut avoir plusieurs formes (étroit ou large) et différentes hauteurs suivant les cous. Il se ferme par un seul bouton placé sur le pied de col (et non deux ou trois boutons). Les baleines (ces petites languettes de plastiques) peuvent être amovibles ou intégrées: amovibles, c’est plus chic ; intégrées, c’est plus pratique, choisissez.

chemise détails 1

Les boutons – prioritairement en nacre – sont placés le long de l’ouverture devant. Cette ouverture peut être sans gorge (C), avec gorge surpiquée (D) ou alors avec gorge cachée (E), comme quelques chemises du soir. Le plus simple – sans gorge  – a depuis toujours ma préférence. Une poche (B) peut être placée sur la poitrine sur les chemises d’été à manches courtes (A), mais jamais sur une chemise habillée.

Vos initiales peuvent être également brodées. Classiquement, elles se placent sur le pan gauche, au troisième ou quatrième bouton (sans compter le bouton du col), donc en dessous de la poitrine ou au dessus de la ceinture du pantalon (F). Restez discret à ce sujet. L’idée de les placer sur le poignets, très visibles, est saugrenue.

chemise détails 2Le bas de la chemise peut être arrondie sur les côtés, comme les liquettes anciennes (L et M) ou droit (K), avec une fente à droite et à gauche. La chemise doit être assez longue pour arriver presque en dessous du popotin. Quand la chemise est arrondie en liquette, à la jointure du pan arrière et avant, en bas de la couture verticale, une hirondelle de renfort peut être placée (M). Elle n’est obligatoire que si l’angle est aigu. Sinon il s’agit d’un simple détail de style.

En haut du dos, sous le pan de tissu horizontal, des pinces peuvent être placées, une à droite et une à gauche sur les chemises classiques de ville (H) ou les deux rassemblées au milieu sur les chemises de week-end (G). Ces pinces peuvent être supprimés à deux conditions : que la carrure soit un peu élargie (et donc l’aisance générale) ou que le client veuille une chemise très près du corps. Si vous souhaitez une chemise particulièrement près du corps ou si votre postérieur est rebondi avec le bas du dos très creux, il pourra être intéressant d’effectuer deux pinces (I), pour répartir le cintrage efficacement.

Ce morceau de tissu horizontal peut être coupé d’une seule pièce ou en deux avec une couture au milieu (J). Bernhard Roetzel rapporte qu’un pan coupé en deux permet de prendre en compte l’épaule droite et gauche. C’est faux, car il est aussi possible de couper asymétriquement le pan unique. Le mystère demeure donc à ce sujet, sauf si l’on considère la petite économie qui consiste à couper ce pan en deux et non d’une seule pièce, ou le plaisir du chemisier à raccorder les rayures au centre.

chemise détails 3Question raccord, ce pan horizontal doit raccorder le motif de la manche (rayure ou carreau). C’est un must-have. En descendant le long de la manche, vous tombez sur la fente de manche. Celle ci reçoit en son milieu un petit bouton appelé capucin (N). Sur les très belles chemises, ce capucin est absent. Vous voyez un peu la peau… et alors ? A côté de cette fente et mourant dans le poignet, vous trouverez des plis. Deux plis parait un minimum et mon expérience me pousse à en faire systématiquement trois maintenant, des clients ayant été serrés à l’avant bras (la mode du slim ne va pas à tout le monde).

Le poignet enfin peut arborer un seul ou deux boutons (pour l’ajustage latéral -O), ou encore deux boutons en ligne verticale, à l’italienne (P). Sans boutons, il s’agira alors de poignets à boutons (de manchette) ou de poignets mousquetaires.

Avec toutes ces informations, vous serez de fins connaisseurs  et pourrez apprécier l’importante quantité de modèles vendus dans le commerce.

Bonne semaine, Julien Scavini

PS : pas de billet la semaine prochaine, je serais trop occupé par un projet qui sera visible en Septembre 2014…