Après les matières et les mesures, étudions cette semaine la façon. Une bonne chemise est cousue avec des coutures anglaises, c’est à dire que le bord du tissu, à vif et moche, est dissimulé à l’intérieur de la couture qui est retournée sur elle-même et repiquée une deuxième fois. Cela permet une finition parfaite et sans doublure. Chez les grands chemisiers artisanaux, cette couture est extrêmement fine (environ 3mm), alors qu’en industrie, 5mm à 1cm est toléré. Parfois même, chez les plus délicats artisans, cette couture est repiquée – on dit alors rabattue – à la main avec de petits points de côté. Très esthétique et très souple, mais fragile si vous n’avez pas encore un grosse garde robe et que vous lavez souvent vos chemises.
Question technique également, le col et les poignets peuvent être entoilés. Pour rigidifier ces parties, il faut placer à l’intérieur des tissus une toile plus épaisse. La technique courante consiste à coller cette toile contre l’un des tissus. Ce n’est pas un mal, et rares sont les chemises à manifester des signes d’usure à cause de cela. Les chemises contemporaines s’usent plus à cause des tissus fins que du thermocollant qui cloque. Ceci dit, les belles chemises peuvent être entoilées sans colle. Le principal inconvenant alors est le repassage qui n’est pas simple. Je fus même confrontés à des clients connaisseurs qui découvraient cette difficulté. Il s’agit notamment de bien repasser le col en le tendant pour qu’aucun pli ne subsiste sur les bords.
Passons aux détails maintenant : le col peut avoir plusieurs formes (étroit ou large) et différentes hauteurs suivant les cous. Il se ferme par un seul bouton placé sur le pied de col (et non deux ou trois boutons). Les baleines (ces petites languettes de plastiques) peuvent être amovibles ou intégrées: amovibles, c’est plus chic ; intégrées, c’est plus pratique, choisissez.
Les boutons – prioritairement en nacre – sont placés le long de l’ouverture devant. Cette ouverture peut être sans gorge (C), avec gorge surpiquée (D) ou alors avec gorge cachée (E), comme quelques chemises du soir. Le plus simple – sans gorge – a depuis toujours ma préférence. Une poche (B) peut être placée sur la poitrine sur les chemises d’été à manches courtes (A), mais jamais sur une chemise habillée.
Vos initiales peuvent être également brodées. Classiquement, elles se placent sur le pan gauche, au troisième ou quatrième bouton (sans compter le bouton du col), donc en dessous de la poitrine ou au dessus de la ceinture du pantalon (F). Restez discret à ce sujet. L’idée de les placer sur le poignets, très visibles, est saugrenue.
Le bas de la chemise peut être arrondie sur les côtés, comme les liquettes anciennes (L et M) ou droit (K), avec une fente à droite et à gauche. La chemise doit être assez longue pour arriver presque en dessous du popotin. Quand la chemise est arrondie en liquette, à la jointure du pan arrière et avant, en bas de la couture verticale, une hirondelle de renfort peut être placée (M). Elle n’est obligatoire que si l’angle est aigu. Sinon il s’agit d’un simple détail de style.
En haut du dos, sous le pan de tissu horizontal, des pinces peuvent être placées, une à droite et une à gauche sur les chemises classiques de ville (H) ou les deux rassemblées au milieu sur les chemises de week-end (G). Ces pinces peuvent être supprimés à deux conditions : que la carrure soit un peu élargie (et donc l’aisance générale) ou que le client veuille une chemise très près du corps. Si vous souhaitez une chemise particulièrement près du corps ou si votre postérieur est rebondi avec le bas du dos très creux, il pourra être intéressant d’effectuer deux pinces (I), pour répartir le cintrage efficacement.
Ce morceau de tissu horizontal peut être coupé d’une seule pièce ou en deux avec une couture au milieu (J). Bernhard Roetzel rapporte qu’un pan coupé en deux permet de prendre en compte l’épaule droite et gauche. C’est faux, car il est aussi possible de couper asymétriquement le pan unique. Le mystère demeure donc à ce sujet, sauf si l’on considère la petite économie qui consiste à couper ce pan en deux et non d’une seule pièce, ou le plaisir du chemisier à raccorder les rayures au centre.
Question raccord, ce pan horizontal doit raccorder le motif de la manche (rayure ou carreau). C’est un must-have. En descendant le long de la manche, vous tombez sur la fente de manche. Celle ci reçoit en son milieu un petit bouton appelé capucin (N). Sur les très belles chemises, ce capucin est absent. Vous voyez un peu la peau… et alors ? A côté de cette fente et mourant dans le poignet, vous trouverez des plis. Deux plis parait un minimum et mon expérience me pousse à en faire systématiquement trois maintenant, des clients ayant été serrés à l’avant bras (la mode du slim ne va pas à tout le monde).
Le poignet enfin peut arborer un seul ou deux boutons (pour l’ajustage latéral -O), ou encore deux boutons en ligne verticale, à l’italienne (P). Sans boutons, il s’agira alors de poignets à boutons (de manchette) ou de poignets mousquetaires.
Avec toutes ces informations, vous serez de fins connaisseurs et pourrez apprécier l’importante quantité de modèles vendus dans le commerce.
Bonne semaine, Julien Scavini
PS : pas de billet la semaine prochaine, je serais trop occupé par un projet qui sera visible en Septembre 2014…
Pour ce qui est des baleines, les avoir amovibles présente également un avantage d’ordre pratique. Elles sont certes très pratique pour le maintien du col lorsqu’il est fermé, mais si l’on souhaite porter la chemise sans cravate, les retirer permet plus d’aisance. D’ailleurs, elles ne sont pas forcément en plastique. Si je prend l’exemple des chemises Tyrwhitt, elles sont livrées avec des Baleines en cuivre. Alors certes il faut bien penser à les retirer avant chaque lavage mais au moins, plus de risque de les casser!
J’ai également vu des baleines en argent ou en nacre, mais bon, là c’est de la coquetterie.
Il reste quelques mystères sur le choix de couleurs et de détails, et leur opportunité en fonction de la veste et de la morphologie:
1) Quel col en fonction du cou, du noeud et de la veste ?
Je préfère les petits noeuds (un gros noeud empêche de plisser la cravate, j’ai l’impression d’avoir un poisson obèse qui me pend sur la gorge); j’aime bien le « tab collar », même si c’est un peu affecté, mais avec une veste croisée je sens un manque d’amplitude horisontale. Là, je suis en train de revenir à un col classique, plutôt petit, et avec des coins arrondis pour avoir un détail un peu amusant.
2) Quelle couleur ?
A part le blanc qui va avec tout (du coup c’est presque triché), je me permets le bleu ou le rose (que je vois alors comme une couleur froide) (je ne me permettrais d’autres couleurs qu’en rayures ou en motifs). Du coup, la chemise devrait être un peu plus claire que le costume, mais pas beaucoup plus. La cravate redevenant plus foncée. Des avis ?
3) Les manches ?
Je crois que je préfère les manches boutonnées ou mousquetaires, et que je n’aime pas trop les demi-mesures comme les manches cocktail (celles de James Bond) ou les trucs hybrides que le prêt-à-porter propose pour qu’on puisse porter des boutons de manchette. Mais qu’est-il raisonnable de porter sous une veste dont les manches ont elles-mêmes un revers (ça ressemble à une manche cocktail, mais sur la veste) ? Une manche mousquetaire là-dessous me fait une impression de « too much », comme de porter un gilet croisé sous une veste croisée.
Ce projet serait-il télévisuel par hasard ?
Par hasard… 🙂
Parfois le hasard fait bien les choses 🙂
Bonjour, Toutes mes félicitations pour votre excellent blog !Je souhaiterai réaliser une petite interview de vous sur le thème de la mode et des bijoux. Celle ci serait publiée sur mon blog afin de mettre en valeur votre travail. Si l’idée vous séduit n’hésitez pas à me contacter. Amitiés, Chérie
j’avoue que j’ai une réelle interrogation concernant les baleines. Mon mari porte costume/chemise/cravate de bonne facture pour autant certaines de ses chemises me semblent dépourvu de baleines, et comme je souhaite lui confectionner quelques chemises ;o) j me demandais si il fallait réellement en poser ?
Si la toile collante est très rigide, les baleines peuvent être retirées. Il faudra aussi et surtout veiller à la dimension de la retombée de col. Car si la retombée est longue, elle va buter sur la clavicule et donc corner. En revanche, si le col est petit, une simple rigidité de la toile collante suffit.
Finalement une chemise est une œuvre d’art j’ai beaucoup appris avec vous mais tout cela c’était à une époque . Maintenant les jeunes ne s’embêtent plus avec tous ces détails ils sont plus décontractés, plus sport – ils veulent être libres dans leurs gestes plus de cravate ,col ouvert manches ourlées et c’est aussi chic et beau -KANEL