La ‘drape cut’

On m’a souvent demandé d’écrire sur la coupe drape cut pour l’expliquer. En effet, il semble que l’on puisse trouver de nombreuses références à celle-ci sur les divers blogs traitant de l’univers tailleur. Seulement, le concept technique est souvent éludé, rarement travaillé, et sert quasiment à chaque fois de bain-moussant à des articles et ‘tailleurs’ plus ou moins intéressants. Et j’ai toujours été très gêné à l’idée d’aborder ce sujet, très technique et au fond tellement rare chez les tailleurs. Mais je vais tenter ce jour une explication.

La coupe drape cut peut être traduite en français par coupe drapée. C’est l’essence même de la coupe des années 30 et 40, par opposition des coupes de la belle époque, littéralement étriquées.

Ce drapé se positionne sur le côté de la poitrine où il crée un pli. Si toutes les vestes à cette époque présentaient un peu de drapé, c’est surtout le tailleur anglais Scholte qui lui donna ses lettres de noblesse (sous le terme de Scholte cut), même si ce sont les américains (sous le terme d’american cut) qui en firent l’allure quasi-unique du gentleman des 40’s.

L’effet était le suivant :  donner aux hommes une allure de stentor, en pinçant fort la taille et en développant les poitrines et les épaules. Car au delà de la poitrine, l’ajout voire l’excès d’épaulette est l’autre caractéristique de l’américan cut. L’homme ressemblait à une armoire à glace, l’allure n’était pas naturelle (et je dis cela sans jugement malgré la formule négative).

drape cut

Le concept de la coupe drapée au niveau des poitrines est difficile à comprendre pour un non-initié. Car de nos jours, il est quasi-impossible de trouver une telle veste dans le prêt-à-porter ou même la mesure. Les vestes contemporaines présentent des poitrines très près des pectoraux. Ainsi la poitrine est enveloppée, tenue, contenue. Avec la coupe drapée, c’est tout le contraire. Le tissu est laissé très lâche, comme si il y avait trop de tissu devant. Ce trop de tissu se répartit alors en un long repli le long de l’emmanchure. Cela se joue à la coupe.

J’ai mis longtemps à vraiment comprendre, sentir ce point de détail. Je dois tout de même confesser y avoir été très tôt confronté, car l’atelier italien avec lequel je travaille propose justement une coupe drapée en poitrine. Mes premières vestes présentent ainsi une formidable aisance au niveau du coffre. Mais depuis un certain temps déjà, je réduis à la commande cette carrure -excessive d’un point de vue contemporain – pour faire des poitrines plus sèches, c’est à dire plus tendues sur le pectoral. Ceci dit, c’est purement une question de goût du client. Beaucoup de jeunes clients viennent m’interroger sur l’opportunité de confectionner une telle veste drapée. Bien souvent juste comme une lubie, car il est notable que l’effet est très particulier.

J’ajouterai enfin que toutes les bonnes vestes présentent un certain degré de liberté en poitrine (à la différence du patronage moderne et industriel), degré qui est variable d’un tailleur à l’autre. Il va du drapé léger pour mettre un portefeuille comme chez Camps De Luca ou beaucoup d’autres grands tailleurs au drapé fort à la Anderson & Sheppard. Pour ma part, je dois confesser que mes vestes drapées sont d’un confort inénarrable. Seulement à la différence de l’originale ‘drape cut’ très épaulée, je préfère lui adjoindre une épaule italienne tombante. Question d’époque !

Tenue de marié / et de tous les jours

Un lecteur m’écrivait récemment pour avoir des précisions sur les tenues de marié réutilisable par la suite. Car évidemment, la jaquette n’est pas le vêtement le plus versatile. La mienne dort sagement dans la penderie depuis des mois et pour encore de longs mois. La jaquette c’est beau, mais en effet, c’est assez peu pratique au bureau ou dans le bus.

Comment faire alors ? J’ai quelque fois eu à traiter cette question avec des clients. Voici quelques pistes. En général, la solution se présente parmi d’autres solutions, pas de bonne ni de mauvaise. Et du coup, une bonne décision :

1- ne doit jamais être prise avant une analyse rationnelle et approfondie de la question (ICI 🙂 )

2- suppose un choix entre des solutions différentes.

Premièrement la couleur. Suivant votre goût, le bleu marine et le gris sont de bonnes réponses. Le bleu marine a l’avantage d’être toujours plus lumineux que le gris, à tonalité identique. Dans les gris, ils sont tous bons. Seulement, l’anthracite sera peut-être plus formel. Un gris moyen pourrait être indiqué pour l’été. Attention toutefois au gris trop clair car vous seriez pâle sur la photo de mariage en noir et blanc. Il faut quelque chose qui tranche visuellement du blanc de la mariée.

Deuxièmement, costume 2 pièces ou 3 pièces ? Encore une fois, question de goût. Notons seulement que si la veste est assez belle, avec un revers particulier par exemple et que le mariage se tient l’été, le gilet peut être abandonné. Si la veste est plus sobre, alors un gilet ira très bien.

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Continuons sur ce sujet. La veste doit-elle avoir un, deux ou trois boutons ? La encore, il n’existe pas de solution claire et votre avis seul comptera. J’émettrai juste qu’une veste deux – voire un bouton à l’instar de la jaquette – dégagera plus de place pour le gilet et/ou la cravate.

Le gilet donc. Vous pouvez le choisir du même tissu que le costume. Le résultat est un vrai trois pièces. Vous pourrez réutiliser le gilet l’hiver au travail ou dans le cadre de soirée ‘habillée’ par exemple. L’autre solution est le gilet dépareillé. Croisé ou droit, là encore, question de choix, il peut être réalisé dans un tissu différent ou seulement plus clair. Par exemple pour un client, j’ai réalisé en complément d’un costume gris moyen un gilet dans un fine laine bleu ciel rayée blanc. L’effet était très réussi. Vous pourriez également opter pour un gilet de lin lilas ou plus osé, un gilet en soie avec des motifs stylisés. Ce gilet dépareillé sera la pièce phare du costume. Certes vous ne pourrez pas le remettre facilement, mais il restera comme l’empreinte de votre tenue, un petit reliquat au fond pas très couteux.

Si l’on étudie d’autres petits détails, il y a la question du revers de la veste. Le cran sport est évidemment le plus répandu et tout va avec. Mais un beau col à pointes peut aussi donner du cacher à une tenue, surtout si vous ne portez pas de gilet. Comme sur l’illustration, un costume bleu marine à col pointe avec une belle chemise bleu très pâle et une fleur à la boutonnière (fleur que les témoins et pères peuvent aussi arborer, pour unifier la cérémonie) peut être très sobre. Les poches peuvent être horizontales ou légèrement penchés, qu’importe la encore.

Enfin, le pantalon de ce costume n’arborera pas de revers et les souliers seront noirs, surtout ! J’espère que cela vous aidera.

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Bonne semaine, Julien Scavini

Le langage des fleurs

Un client me demandait récemment, dans un esprit ancien régime ou pré-moderne, s’il serait possible de mélanger une veste noire avec un pantalon chamois ou crème et d’autres vêtements aux teintes plus campagnes. Les illustrations ci-dessous, prises dans Des Modes et Des Hommes, illustrent cette idée. Comme vous le savez, je suis toujours très intéressé par ces questions de l’alliance de l’héritage et de l’innovation. Quelques instants de réflexions nous furent nécessaire pour arriver à la conclusion que cela n’allait pas tellement de soit. Ce n’est pas tellement le noir, car comme évoqué la semaine dernière, il peut y en avoir de beaux. Mais plutôt pour le mélange curieux de noir et de marron (et de ses dérivés).

DESMODESDESHOMMES

Le début du siècle précédent a consacré certains usages, par exemple que la ville est plutôt le domaine du noir, du gris et du bleu et que la campagne s’accommode mieux du marron, du vert et du rouille. Une dialectique simple et inspirée : la ville, c’est le béton et le bitume, la campagne, la boue et les feuilles.

Pour autant, cette dissociation doit-elle encore avoir cours de nos jours ? C’est l’éternel question, le débat sans fin chez les élégants. Ceci dit, à voir les vitrines de The Kooples ou De Fursac, il semblerait que la question – au moins pour la masse – soit tranchée : noir en ville. Et justement, les élégants dans tout cela. Visiblement, l’heure est à l’hybridation. Les Italiens ont posé le sujet sur la table, avec des réponses assez magistrales. Le Français n’est pas loin derrière. Les mocassins patinés de marron de Berluti en sont presque un indice évident. Je me souviens également d’un édito du catalogue Arnys qui traitait du même sujet.

Du coup, notre conversation en revenait au point de départ, et pourquoi pas mélanger du marron et du noir…

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Le fil de la discussion mêlé au catalogue Arnys ouvert sur la table de l’atelier me fit émettre une hypothèse. Si l’on admet que les couleurs de la nature peuvent s’allier au noir, reste à savoir lesquelles. Fushia par exemple ? noir semble plus logique. Orangé éteint ? marron peut-être ? Disons qu’il y aurait d’un côté les couleurs fortes, voyantes, pétantes et de l’autre celles éteintes, poudrées, vieillies.

En discutant, nous avons donc émis ce presque postulat : les couleurs fortes irait avec le noir, les couleurs faibles, avec le marron. Et encore plus précisément, les couleurs des fleurs s’associeraient avec le noir (ou gris) et celles des arbres (feuilles ou tronc) avec le marron. Ainsi, cela crée une règle simple. Si ce pull est d’une couleur très vive, carmin, aussi irait-il mieux avec un pantalon sombre, pour trancher, question de contraste, alors que le même pull, légèrement rouille assombri, irait mieux avec une moleskine marron, question de tonalité.

Évidemment, cette règle n’en est pas une et ne représente pas une absolue vérité, on pourrait argumenter l’exact inverse. Mais cela crée une base amusante : fleur ou arbre ? Vigueur de l’instantané, du passager ou douceur du permanent ? Ou comment Extraire l’éternel du passager. A méditer.

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Bonne semaine, Julien Scavini

L’habit noir, d’origine française ?

Chers amis, pour recommencer l’année, je vous propose une synthèse d’une partie du livre Les habits du pouvoir, Une histoire mondiale du costume d’apparat, de Dominique et François Gaulme, paru récemment aux éditions Flammarion. Le sujet du jour est donc un résumé du chapitre V, consacré à Philippe Le Bon et dont j’ai trouvé le sujet passionnant, permettez-moi de vous en faire profiter. Il traite de l’adoption du noir, un sujet récurent de e blog  😉

L’adoption du noir à la cour de France remonterait à l’assassinat de Jean Sans Peur au pont de Montereau, en 1419. Initialement, il devait s’agir d’une rencontre entre Jean Sans Peur, duc de Bourgogne et chef de file des Bourguignons et le dauphin, futur Charles VII, du parti des Armagnacs. Le but ultime de la rencontre est de sceller une alliance pour bouter les anglais hors de France et mettre fin à la guerre de cent an. Mais l’atmosphère est tendue et l’orage éclate, Jean Sans Peur finit transpercé de multiples coups de lame.

« Ne pouvant venger ce meurtre immédiatement, son fils unique, Philippe (futur Philippe III, duc de Bourgogne  dit Philippe le Bon, ndlr), vingt trois ans, décide alors d’adopter pour lui-même et les gens de sa maison un deuil qui ne finira jamais ». Page 78.

Ainsi, aux funérailles de celui-ci, tout fut recouvert ou peint en noir, avec de simple rehausses et broderies d’or, à l’image des deux mille fanions avec étendards ou des fauteuils de sa voiture. Ceci avait pour but de bien signifier au nouveau pouvoir bourguignon son refus d’oublier.

Dans le même temps, l’époque voit un bouleversement profond de la mode, en particulier masculine. En effet, le costume dit ‘ancien’ commence à disparaitre. Il s’agit de la robe longue, unisexe qui est caractéristique des dignitaires depuis Consantin, donc vers l’an 700. Ce vêtement est remplacé par le pourpoint, bien plus court, lacé et près du corps, qui permet plus de mouvements. Inspiré des tenues militaires, il connait un succès grandissant, surtout pour la chasse. Dans le même temps, l’usage des couleurs se modifie. Notons que dès le XIIème siècle, l’église a condamné et interdit au clergé les étoffes trop luxueuses, interdisant par exemple le rouge et le vert, « qui ont fait la gloire de Byzance. » Par exemple, le roi Saint Louis pour son départ en croisade en 1248, change ses vêtements, comme le relate Tillemont : « Depuis qu’il fut parti de Paris, il n’usa plus d’habits ni de fourrures d’écarlate, de vert ou d’autre couleur éclatante […] il voulut toujours être habillé fort simplement de bleu et de pers, de camelot ou de noir brunette ou de soie noire ».

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Le bleu notamment devient couleur royale comme il est possible de le lire dans Les Très Riches Heures du Duc de Berry. A contrario, le duc de Bourgogne lui, ne quitte plus le noir, un noir qui depuis l’époque romaine est associé au deuil, aux maladies ou à la guerre. Fait intéressant, le Prince Philippe Le Bon possède les Flandres. Ses vêtements noirs sont donc loin d’être de simples robes de bures, mais sont au contraire d’une beauté et d’une richesse extraordinaire. Les teinturiers flamands vont ainsi développer un savoir faire unique à partir de la noix de galle pour produire de « très beaux noirs, solides et brillants ». Et cette mode va déferler sur toute l’Europe.

D’une grande intelligence et bonté d’âme (d’où son surnom de Philippe Le Bon), le duc de Bourgogne va influencer beaucoup d’aristocrates européens. C’est aussi lui qui crée le très prestigieux ordre de La Toison d’Or. La tradition du noir se perpétue ainsi, notamment jusqu’à son arrière arrière petit fils, Charles Quint. En Espagne, le fils de ce dernier Philippe II trouve un terreau encore plus favorable à l’adoption du noir de cour grâce à l’importance de la foi Catholique. Cette mode du sombre finira par arriver – ou revenir – en France sous Henri II, fils de François Ier.

Ainsi, « à l’époque de la Renaissance, la haute société, riches marchands, citoyens en vue, banquiers juifs, tous finissent par endosser le noir, synonyme de raffinement et d’éminence sociale. » Ainsi, la cours des Ducs de Bourgogne essaima le noir, dans un subtil mélange de mode et de religiosité. Cela est allé jusqu’à la décoration d’intérieur, avec le travail du marbre noir de Dinant ou encore l’ornementation des livres. Les auteurs de l’ouvrage,  Dominique et François Gaulme, rapportent même un extrait de Hamlet, dont le père a été assassiné comme le fut Jean Sans Peur :

This not alone my inky cloak, good mother,

Nor customary suits of solmn black,

Ce n’est pas seulement mon manteau d’encre, bonne mère,

Ni ce costume de noir solennel,          

Captivant, n’est-il pas ? A la semaine prochaine, Julien Scavini

C’est la rentrée !

Et nous y voilà, retour de vacances, retour à la ville, retour au travail. Il faut bien ! J’ai retrouvé dès ce matin mes clients dans une boutique refaite à neuf et bien plus spacieuse. Je vous souhaite à tous, un bon retour.

J’avais évoqué la possibilité de réaliser une série de figurines cet été. Très absorbé par d’autres projets, un en particulier dont vous verrez le fruit en 2014, je n’ai pu le faire. Mais l’esquisse ayant été réalisée, j’ai fini l’ensemble et les ai gardé pour la rentrée. Ainsi, toute cette semaine, j’en publierai une. De quoi rendre le retour au travail plus doux ?

Le thème est simple, deux messieurs rentrent après leurs vacances. A chaque fois d’un lieu différent, avec la tenue correspondante à l’idée du lieu en question. J’ai aussi réalisé à chaque fois une variation de style au trait blanc. Apparue par accident sur Photoshop, j’ai trouvé le résultat assez enthousiasmant, car le trait blanc rend les textures plus visibles. Avez-vous une préférence ?

Lundi : Harold et Aleister rentrent de Nantucket, aux États-Unis. Veste croisée et pantalon dépareillé, de lin lourd pour le premier, costume en seersucker pour le second. Chemises et cravates coordonnées.

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Mardi : Aleister et Harold rentrent du Landemer, dans le Cotentin. Vestes de tweed à carreaux et pantalons en whipcord, confortable et pratique !

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Mercredi : Aleister et Harold rentrent de Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville. Ensembles légers, plus ou moins courts, de lin, de coton et de lin et soie ; légers foulards imprimés en soie pour le cou.

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Jeudi : Harold et Aleister rentrent d’Amalfi, sur la côte Amalfitaine, au sud de Naples. Veste lin et soie, pantalon de fresco léger pour le premier, veste croisé laine et coton avec bermuda, un peu outré, mais comme une caricature amicale des italiens ;). Jolies cravates, pochette ou fleurette pour compléter.

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Vendredi : Harold et Aleister rentrent de Saïgon, au Vietnam. Chemise manches courtes en coton aéré et bermuda à revers en lin, petit soulier souple de caoutchouc pour Harold , pantalon en laine froide et chemise col officier en lin à manches retroussées pour Aleister, avec spectator shoes. Tentatives désespérées de lutter – avec élégance – contre l’étouffante chaleur humide.

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Cette série touche maintenant à sa fin. Je souhaite qu’elle vous ait plu. Lundi, un billet plus classique sera de retour, toujours au même rythme, malgré le travail qui s’intensifie. Bon week end.

Par ailleurs, vous pouvez enfin trouver mon article sur le blazer dans le magazine Monsieur de ce mois-ci, avec un texte un peu modifié sans mon accord, mais bon, c’est toujours ça !

 Julien Scavini