Un costume vintage

Récemment, un jeune lecteur m’a écrit pour me poser une question à propos d’un ancien costume, qu’il a récupéré de son grand-père. Cette pièce qui fut réalisée par un tailleur de Savoie est pour notre goût contemporain (dont les sources sont principalement anciennes) difficile à utiliser, c’est pourquoi je me tourne vers vous.

Ce costume trois pièces est réalisé en velours noir. Le pantalon et le gilet sont de facture classique. En revanche, la veste arbore trois poches plaquées et ses revers sont généreux, dans la goût des années 70. La fermeture est réalisée par deux boutons sur l’avant et trois boutons aux pieds de manche (factices). Le dos présente une fente.

Le jeune homme pensait porter ce costume pour l’opéra ou encore un rendez-vous de travail.

De prime abord, je ne sus quoi répondre tant cette pièce est loin de mes a priori esthétiques. Si l’opéra ne me semblait pas le lieu approprié, où le frac et le smoking seraient plus ad hoc, il me fallait tout de même esquisser une réponse.

Les poches plaquées me font indéniablement penser à un usage sportif, même si à cette époque, il était d’usage de les placer sur nombre de modèles. De même pour le cran de revers classique (ou droit ou sport). Et le noir étant une couleur, traditionnellement réservée aux deuils ou aux cérémonies, j’émis l’idée que ce costume serait adéquat pour une soirée du motor-boat club, bref pour une soirée dans un environnement sportif… Pourquoi pas, mais à essayer de catégoriser une telle pièce, on en devient forcément restrictif, ce qui n’est plus dans le goût de l’époque.

Donc évidemment, que voir au delà de cette lecture classique? Faisons abstraction des poches plaquées et concentrons-nous sur l’élément le plus fort, le noir. Il oblige à porter ce costume dans des conditions spécifiques dont effectivement les soirées font parties. Le velours ras est une très belle matière, dont les reflets soyeux provoquent évidemment l’admiration. D’ailleurs, petite anecdote de tailleur: il est connu que les industriels cousent leurs velours avec le poil vers le haut (au lieu logiquement, de le disposer vers le bas). Car il se sont rendus compte, notamment pour les pantalons, que le poids de l’eau au séchage, arrachait les poils, d’où une durée de vie moindre, propice aux achats.

Bref, pour en finir avec ce complet, je finis par proposer toutes sortes de ports, surtout en soirée où il pourrait faire merveille. En journée, difficile d’arborer du noir. Peut-être serait-il possible de le porter pour le travail? Les classiques grinceront évidemment des dents, les limites de ce goût étant dépassées. Ceci dit, bien porté, il peut aussi être d’une grande élégance, bien loin de l’élégance à minima que nous cotoyons tous les jours!

MàJ: de récentes photos nous en disent plus. Le marchand à Paris est Ivy oxford Co. Je pense qu’il s’agit plus d’un faiseur que d’un tailleur, car je ne connais pas cette maison. En ce qui concerne la veste, la poche poitrine n’est pas plaquée, mais traditionnelle. Cela change-t-il grand chose? oui peut-être, attenuant l’effet sport. Quant aux revers, ils sont encore bien plus large que dessiné, ce qui en fait une belle pièce d’histoire du vêtement!

Julien Scavini

Quelques crans de revers

L’un des traits notables de style en ce qui concerne les vestes est d’abord et avant tout la forme du revers, et par là même, celle de son cran. Nous verrons que si son origine est d’un ordre usuel, comme souvent, l’histoire l’a consacré comme un ornement, certainement pas superficiel. De nombreux modèles existent évidemment, tellement que je ne pourrais en faire le tour. Notons simplement que l’histoire du revers commence naturellement avec le pourpoint, sorte de long habit à queue de pie, dont l’encolure pouvait présenter deux formes: une similaire au col officier (ou mao) et une plus proche du col châle.

Le premier des revers à cran, le plus courant est celui qui ne porte pas de nom en français, mais que les anglais nomment notch lapel. J’ai pris l’habitude de le nommer cran ‘sport’ ou droit, par opposition au cran aigu, plus formel. Il en existe évidemment plusieurs variantes, influencées il est vrai par la mode (ce qui nous le savons, n’a que peu de rapport avec l’art tailleur). Ce cran simple résulte d’une simple idée: le basculement du col officier. Essayez sur votre veste de faire revenir en plus les revers en position non pliée, et vous aurez sous le cou une sorte de col officier. Notez d’ailleurs que la boutonnière peut (si le col est bien coupé), correspondre avec un bouton (rarement cousu), permettant un boutonnage intégral de la veste.

Trois variantes donc du col sport: la version classique, hauteur moyenne (A1), la version à col bas, très années 80 (A2) et enfin la version appréciée aujourd’hui avec un cran haut, nommé folded up par les anglais (A3). Evidemment, ce col simple a donné naissance à de nombreuses études:Avec une patte d’attachement, pour donner chaud lorsque la veste est rabattue (D1), avec des angles arrondis, très à la mode dans les années 30 (D2), avec des contre-anglaises allongées (très ‘tailleurs’ et connoté chasse ou militaire)(D3), et enfin des contre-anglaises en pointes vers le bas (D4), très années 60 et récemment récupéré par Thierry Mugler, même si c’est une grosse erreur de goût, car l’effet tombant donne un air triste un n’importe qui portant cette veste.

L’autre grand modèle de cran de revers est le cran aigu, ou ‘revers de croisé’ (en anglais peak lapel). C’est un modèle un petit plus ardu à bien réaliser (en tailleurs) mais qui est bien plus formel:

Le premier (B1) est évidemment, le plus canonique, avec des pointes modérées, mais donnant un bel effet. C’est par exemple le revers typique du smoking. La version B2, avec ces anglaises à l’horizontal (en rouge) a fait beaucoup d’adeptes dans les années 50. La version outrée du revers en pointes (B3) fut adorée dans les années 30. Récemment Tom Ford l’a réutilisée. Le fait de décoller les contre-anglaises (B4) n’est en revanche plus utilisée depuis les mêmes années 30. Enfin, il est possible de voir quelques stylistes modifier le tracé en proposant une forte asymétrie (rouge et vert) des pointes (B5).

A Paris, sous l’influence de coupeurs talentueux, comme Joseph Camps, il fut tenté de créer quelque chose de nouveau, pour se différencier des coupes italiennes ou anglaises. La chose fut bien réussie à tel point que ces revers peuvent être nommés crans parisiens. Ils sont le résultat de la combinaison des deux cols cités auparavant: la brisure de l’anglaise (comme sur un cran aigu) et du petit cran sport où anglaise et contre-anglaise se séparent: J’en différencierais deux, le premier véritablement ‘Camps’ (C1), remarquable à son tracé perpendiculaire: le haut du revers (rouge) et le bas du col (vert) se terminent à 90°, ce qui donne une belle clarté à la coupe! Le deuxième (C2) est un dérivé du cran Camps imaginé par Francesco Smalto (ancien apprenti coupeur de Joseph Camps). Il a simplement étendu la largeur du revers, et refermé le cran. L’esthétique est plus féminine mais très recherchée également. C’est pratiquement ce col qu’Arnys utilise, regardez les revers de François Fillon pour vous en convaincre…

Autre famille de revers, ceux sans crans, appelés col châle. Notez que le nom du col recouvre alors celui du revers! C’est comme je vous l’ai dit l’un des plus anciens avec le col officier:Le premier est le plus classique (E1), avec un naissance simple, à l’instar d’un revers classique. Le modèle E2 est quant à lui une variation particulièrement appréciée pour les smoking même s’il n’est pas ma tasse de thé. Il est caractérisé par sa naissance marquée en arrondi.

La réalisation du col châle est en revanche plus ardue que les cols à crans. Historiquement, deux options se présentaient aux tailleurs: de couvrir le revers avec de la fourrure, donc pas de couture à faire visible; ou de réfléchir au positionnement d’un couture (entre les pans gauche et droit) qui est le plus souvent placée derrière le cou. Mais il exista des variations, comme les E3 ou E4. Vous voyez ici poindre les cols à revers, dont la nécessité fut exprimée par ce simple problème technique…

Peu à peu (c’est tout à fait notable sur les gravures de mode de la fin du XIXème siècle), le col chale s’est ouvert pour faire apparaitre anglaises et contre-anglaises (E5). C’est à cette époque aussi que l’on se piqua des revers à trottoir (E6) (le satin est bordé par la garniture de tissu). Notons enfin les revers ‘tyroliens’ qui s’épanchent sur la poitrine, rabattus par des boutons et marqués par l’abscence de col.

Bien évidemment, il ne saurait être réaliste de vouloir catégoriser l’ensemble de cols. Mais ce petit aperçu vous donne une idée de l’histoire complexe et souvent croisée des différents revers et de leurs utilités. Nous pouvons en revanche constater l’extrême pauvreté actuelle des types de revers, bien loin de ce que les stylistes appellent la révolution permanente. Evidemment, tous ces cols ne sont pas des réussites, mais leurs combinaisons sur des vestes simples ou croisées, avec peu ou beaucoup de boutons, ouvrent un champ quasi-infini de recherche…

Julien Scavini

Les souliers, partie 2

Ce soir, continuons l’un de mes premiers articles, consacré aux souliers et lisible à cette adresse. Intéressons nous tout d’abord à la technique, chose que j’avais à peine esquissée. Je vais tâcher d’être didactique et surtout à la portée de toutes les bourses.

Une chaussure de qualité, outre son cuir, se caractérise par sa méthode de montage, c’est à dire la façon dont la partie visible de la chaussure (la tige) se raccorde sur la semelle. La première approche, commune, consiste à thermocoller ou simplement coller les deux parties ensembles. Évidemment, cette technique n’a pas ma faveur, et les semelles de ce type étant généralement en caoutchouc, inutile de s’y attarder. Dans le niveau supérieur (à partir de 130€ comme je l’avais énoncé dans l’article 1), nous trouvons le célèbre cousu Goodyear, dont beaucoup s’interrogent sur la signification. C’est l’un des plus perfectionné système de montage, avec le cousu norvégien (courant sur les Paraboot, assurant l’imperméabilité de la chaussure). Il existe aussi le montage Blake, moins perfectionné, peut-être plus italien que l’anglais goodyear, mais relativement esthétique s’il est bien utilisé.

Bref, le cousu goodyear fut développé pour assurer une chose toute simple: le changement simple et rapide de la semelle d’usure, à une époque où les gommes et autres patins collants n’existaient pas encore. Si sa réalisation préliminaire est relativement ardue en méthode artisanale, les industriels ont su en tirer un bon compromis performant:

Voilà donc un schéma de coupe sur une chaussure (en fabrication artisanale). J’espère que la légende est claire. L’une des grandes différences avec la méthode industrielle est le ‘mur’, ici sculpté dans la masse de cuir de la première, que les industriels réalisent par moulage d’une pâte siliconée sur la première. Évidemment, technique industrielle et démarche artisanale ne sont pas comparables, mais toutes deux permettent une chose: le changement de la semelle d’usure lorsque celle-ci est finie. Le démontage de la couture petits-points permet son remplacement rapide, sans pour autant démonter le soulier entièrement, puisque la trépointe reste solidaire de la tige et de la première via le point goodyear. Voici donc pour la technique; un peu d’entretien maintenant.

Lorsque vous achetez une nouvelle paire de soulier, il convient de prévoir un budget additionnel non négligeable, et surtout non négociable: une paire d’embauchoir et un passage chez le cordonnier dans le mois qui suit l’achat.  Si vous avez un budget serré, faites comme moi, prenez des embauchoirs en plastique. Ils sont moins performants que ceux en bois, mais la fonction de maintient est à peu près la même. Pas de snobisme là dedans, à chacun suivant ses moyens et ses besoins… Ensuite, si vous portez votre paire deux fois par semaine en moyenne (et oui, avoir beaucoup de paires de souliers permet de ne pas trop les user) attendez un bon mois avant d’aller chez le cordonnier pour: poser un patin et un fer à l’avant (pour éviter que la semelle s’ouvre comme un artichaut avec le temps). Avec cela, vous partirez pour trois bonnes années de tranquillité à ce niveau!

Pour ce qui est du patin (G), deux options s’ouvrent à vous: le patin topy ou le patin en crêpe de caoutchouc. L’un est bon marché mais ne laisse pas respirer le cuir, l’autre est plus cher, dure moins, mais est parfait pour les souliers de qualité. Pour l’instant, je me contente du premier sur mes petits souliers. Quant au fer (F), prenez plutôt celui encastré, autour de la quinzaine d’euros.

Puis, tous les ans (cela dépend des coups de pieds), faites changer le talon gomme (B), vos chaussures seront en route pour un long usage! Quant à la partie A de la semelle, enduisez la généreusement de cirage marron, cette partie se dessèche énormément!

Pour ce qui est de l’entretien proprement dit, il vous faut plusieurs outils et produits:

  • crème délicate (ou surfine), genre Famago
  • cirage de la couleur (ou plus clair si volonté d’éclaircir), marque Grison ou Saphir uniquement!
  • une brosse à chaussures
  • une brosse à poils métalliques
  • un chiffon doux ou une polish.

Ensuite, l’entretien est relativement simple. A chaque port, un petit coup de brosse à chaussures avant et après. Une fois par mois (cela dépend du nombre de ports), une révision en détail: commencez par les nettoyer à la brosse et au chiffon, puis brossez vigoureusement la trépointe et ses petits-points (ils s’encrassent vite) avec la brosse métallique. Ensuite, vous constaterez certainement que des plis, des rainures, des rides, apparaissent à l’avant de votre chaussure. C’est tout à fait normal, cela s’appelle des plis d’aisance.Prenez la crème délicate, et déposez une goutte (seulement une goutte) à l’avant (1) et une autre sur les rides (2). Ensuite, appliquez avec un chiffon. Sur l’avant, cherchez à faire briller. Bien faire pénétrer dans les rides pour adoucir et faire ‘revenir’ le cuir. Éventuellement, mettez un peu de crème sur l’arrière, de temps à autre. Après une dizaine de minutes, passez un chiffon sec pour faire briller, voilà tout. En ce qui concerne le cirage, je n’en mets pas beaucoup, car il assèche le cuir, et amplifie les effets de ride (vous pouvez vous en dispenser). Disons que vous pouvez cirer dans une proportion de 1/4 par rapport au crémage, sauf en ce qui concerne la semelle (A). Ainsi, les plis de vos souliers s’adouciront et prendront avec le temps une jolie patine. Enfin, une fois tous les trois à quatre ans, faites changer la doublure intérieure des quartiers arrières (D) (une quinzaine d’euros), qui sont usées par le chausse-pied (autre instrument indispensable) et le talon.

Et pour les veaux-velours, un petite bombe d’imperméabilisant, de la bonne couleur, chez Grison, sera parfaite. Pensez aussi (désolé de vous faire dépenser tant, mais une paire de souliers, il faut la chérir, que voulez-vous, elle est vivante) à acquérir des semelles intérieures, elles garantissent le confort et surtout la pérennité de la première en cuir (qui ne noircira pas irraisonnablement)…

J’espère qu’avec ces conseils vous trouverez matière à vous exercer, et à faire fonctionner votre cordonnier. Et sachez bien que je ne fais pas ça par plaisir (quoique si un peu), mais par intérêt: mes petites Bexley durent pour certaines depuis 5 ans, alors que ce n’est pas la prime qualité. C’est une source d’économie certaine comme aurait dit Oscar Wilde. Et cet entretien est à la portée de toutes les bourses, du possesseur de Loding à celui de Lobb…

Julien Scavini


Voyage chez Camps de Luca

Mon court stage de découverte de l’environnement professionnel s’est déroulé le mois dernier au sein de l’atelier de Camps de Luca, célèbre tailleur parisien, sis au 11 place de la Madeleine à Paris. Fondé à partir de 1948, par regroupement de deux tailleurs, il s’est hissé au plus haut, formant avec Cifonelli le duo parisien au service de l’homme élégant. Notons par ailleurs que Joseph Camps est à l’origine de la méthode Camps, reconnue maintenant comme La méthode parisienne, marquée notamment par un cran de revers brisé, que Smalto (ancien coupeur de Camps) récupéra à son profit, et diffusa plus encore.

Camps de Luca, maintenant piloté par M. Marc de Luca et son fils M. Charles de Luca, occupe le deuxième étage d’un bel immeuble de rapport, à la façade richement décorée. Deux appartements regroupent la maison. Visualisons ensemble le plan:

A,B,C représentent les parties publiques: salons à destinations du client. D,E,F,G les ateliers en tant que tel. Découvrons la façade, avec au deuxième balcons les larges enseignes Camps de Luca / le vestibule d’entrée (A):

Revue de presse dans le vestibule / Le grand salon de deux points de vue (B) / Dans le salon d’essayage dans une cabine (C):

M. Charles de Luca en train de couper un drap dans la salle de coupe (D). Les éléments de la veste sont d’abord tracés sur du papier kraft, puis redessinés sur le tissu, auquel sont ajoutés des ‘relarges’ (car le tailleur garanti la retouche d’une veste, dans le temps, sur plusieurs dimensions). Deux points de vue de la grande salle de travail (E) où Antoine, Pauline et Fatma travaillent (ou discutent). Dans l’ancienne galerie de l’appartement (F), mon poste de travail au premier plan, avec Pauline:

La brodeuse automatique (salle G) (qui n’est pas utilisée pour broder les initiales des clients) inscrit Camps de Luca sur la doublure, au dessus de la poche ‘goutte d’eau’:

Antoine travaille sur la veste d’un client, une curieuse demande, certainement très agréable à réaliser (laine jaune moutarde, quatre boutons, bas à angle droit, poches plaquées à rabat, martingale, et pattes au bas des manches). Miqueline repasse une veste en cours de réalisation (il faut toujours repasser, et le pressage finale prend bien 2h avant la livraison) avec une pattemouille. Pour ma part, j’apprends les boutonnières à la milanaise avec Hortense qui testait le tissu jaune (de fait, les miennes sont bleus (la milanaise est en gris)). Enfin pour finir, la vue depuis le salon (B) sur la place de la Madeleine, quoi de plus magnifique comme lieu de travail?

Notons d’ailleurs que Camps de Luca figurera dans le prochain numéro de The Rake Magazine, ce qui est, pour les connaisseurs, une marque de qualité!

Julien Scavini