Ourlet ou revers ?

Lorsqu’un client sort de la cabine d’essayage, invariablement, je pose les deux même questions : la ceinture est-elle bien ajustée et voulez-vous un ourlet simple ou un revers?

L’ourlet invisible consiste à couper le tissu 5 centimètres plus loin que le bas, et à retourner ce tissu à l’intérieur. Ce trop plein de tissu est ‘glacé’, autrement dit fixé, à l’aide de points qui prennent seulement l’épaisseur du tissu. Des points invisibles réalisés à la machine ou à la main. Le revers consiste en un pliage de tissu qui fait apparaitre une bande à l’extérieur.

Le revers fait classiquement 3cm de haut, c’est ainsi que l’aiment les vieux messieurs. De manière contemporaine, 4cm semble une plus juste valeur, avec un peu plus de présence. 5cm est beaucoup à mon goût mais je reconnais que cela donne une impact visuel intéressant. Bien sûr, 4,5cm est aussi possible. La complication est toujours possible…

Curieusement, beaucoup de clients passés la quarantaine s’étonnent que je propose les revers. Souvent, la femme qui les accompagne s’étouffe en trouvant que cela fait vieux. Indéniablement. Et je réponds que les jeunes adorent ça, ce qui remet les pendules à l’heure. Car oui, les plus jeunes apprécient beaucoup le revers.

Je suis à peu près sûr qu’en volume, je fais au moins 40% de bas revers. La courte majorité revient donc à l’ourlet, mais sans netteté.

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Si beaucoup ont un avis tranché sur la question, un certain nombre toutefois s’interroge sur l’opportunité de l’une ou l’autre finition. Les hésitations sont parfois longues. Que répondre à mon niveau, ce n’est pas simple. Bien sûr, il serait possible de dire que le revers est plus opportun sur un vêtement décontracté alors que l’ourlet simple est plus formel. Mais ce qui est vrai à Londres est inverse ici. Le revers fait assez formel. Alors, c’est un peu la roulette.

Comme le disait John Slamson de Parisian Gentleman en visite récemment, ça dépend un peu de l’humeur du jour et de l’âge du capitaine. Je dois dire que pour moi même, je choisis au petit bonheur la chance. Certaines fois, le revers m’inspire, d’autres, la simplicité de l’ourlet me plait.

Quant à savoir si le revers tasse ou si l’ourlet allonge… C’est des fadaises. Tout est encore une fois une question de goût personnel. J’écoute toujours bien sûr avec attention les empilements argumentaires à ce sujet. Les architectes prétendent aussi que telle couleur repousse les murs et que telle autre les écrase. C’est assez subjectif.

Alors laissez-vous faire. Devant un miroir lors d’un essayage, tous les petits détails prennent des proportions délirantes. Au fond, le bas du pantalon, on ne le voit plus dès qu’on le porte. Alors, relativisons.

Belle semaine, Julien Scavini

 

Décès du tailleur André Guilson

Chers amis, c’est avec tristesse que je vous annonce le décès du tailleur André Guillerme, plus connu sous le nom d’André Guilson, du nom de sa boutique. La maladie a eu raison de sa gentillesse et de sa bonne-humeur, à l’âge de 79 ans.

J’avais eu le plaisir de faire un reportage dans sa boutique, que vous pouvez retrouver ici : https://stiff-collar.com/2012/01/30/visite-chez-le-tailleur-guilson/

Tous les élèves de l’Association de Formation Tailleur se souviendront longtemps de l’homme, qui a beaucoup fait pour pérenniser le métier et donner à des jeunes comme moi l’opportunité de l’apprendre.

Ses obsèques auront lieu vendredi 27 avril à 15h au cimetière Voltaire, à Suresnes.

Julien Scavini

Les cols de chemises (et leur hauteur)

Pour rebondir sur l’article du mois dernier consacré à la chemise de week-end, intéressons nous cette semaine aux cols des chemises. Les modèles sont légions, pas une chemise n’a le même col qu’une autre. Les fabricants regorgent à ce sujet d’inventivité.

POINT 1 : comment appeler les cols ?

Toutes les marques donnent des noms à leurs cols : col Eton, col Oxford, col X, col Y. D’autres donnent des nationalités : col italien, col anglais, col slovaque, col iranien (blague!). Autant le dire, c’est des idioties. La plupart des cols ont été développés au début du XXème siècle et la plupart l’ont été par les anglais. Donc a priori, pour moi, la plupart des cols sont anglais. Du coup, c’est un mauvais point de repère.

Le col le plus classique, celui des bons faiseurs à l’ancienne, de Jermyn Street à Londres ou Charvet à Paris peut être appelé logiquement : col classique. James Darwen dans Le Chic Anglais estime que les pointes de ce col font 7cm environ. Jeremy Hackett donne le parfait exemple de ce col classique (lui d’ailleurs les aime très souples apparemment).

Le col est un peu plus ouvert (appelé col italien la plupart du temps) est celui qui plait le plus actuellement. Juste compromis de forme, il vient épouser les revers de la veste et permet de loger des petits ou gros nœuds de cravate. Il me semble que Thomas Pink ou Hast utilisent ce col abondamment, comme un certain nombre d’autres maisons.

Le col qui semble coupé tangentiellement au cou, donc assez ouvert est dit cut-away. C’est archi anglais comme modèle, des faux-cols au début du siècle précédent étaient déjà comme ça. Mais certains disent col italiens aussi. Curieusement. Ce col est relativement petit d’aspect, car ses pointes forment un angle obtus.

Si le col est encore plus évasé, on parle alors de cut-away full spread, pour écart maximum. Très racé, les pans de la cravates apparaissent alors de chaque côté du nœud. Ralph Lauren ou Daniel Crémieux apprécient mettre en valeur ce col.

Enfin, les autres cols, tab-collar boutonné sous la cravate par une patte, à pointes rondes, à pointes très rondes (appelé parfois col club), ainsi que d’autres sont trop nombreux et trop variés pour les décrire parfaitement.

POINT 2 : la dimension des cols varie-t-elle?

Oui, pour un modèle de col, il est possible de faire varier les dimensions. C’est là que la question devient plus complexe. A partir des modèles classiques décris auparavant, il est possible d’appliquer des modifications de dimensions.

Un col est constitué d’un pied de col et d’une retombée de col (la partie visible). Le pied de col classique fait 25mm devant et 31mm derrière. La retombée couvre le pied de col à l’arrière et s’évase devant suivant un dessin qui le caractérise. Généralement, à la pointe, le col fait 7 / 7,5cm donc.

Il est possible d’agrandir un peu la dimension du col et du pied. Ainsi, le standard grand chez les chemisiers est 30mm devant et 36mm derrière, pour une retombée mesurant à la pointe entre 7,5 et 8cm.

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Les chemises que je me commande ont depuis longtemps toutes le même col, un modèle assez classique et un peu haut, d’après une chemise que j’avais acheté dans un magasin sans prétention il y a des années. J’ai testé plusieurs fois d’autres cols, ouverts, très ouverts, en les aimant, mais jamais de manière aussi nette que ce col précis.

En creusant un peu le sujet, j’ai pris goût à ce standard de col un peu haut. La raison m’apparait assez simple, j’ai un cou long, et un col un peu haut l’habille mieux. Je trouve aussi les modèles un peu haut assez racés. D’ailleurs, les maisons un peu en vue, comme Drake’s, Berg & Berg et d’autres italiens proposent tous des cols hauts. Y compris lorsque le col est boutonné. Le col boutonné Bonne Gueule est tout petit, alors que le col boutonné G Inglese est immense. Question de goût.

Le col haut n’impose pas un nœud de cravate plus gros :

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Toutefois, il semble clair que le marché français n’aime pas ce col, comme j’ai pu en discuter avec d’autres marchands / fabricants. Et même plus, le marché français aime les cols plus petits que le standard. Il suffit de voir les propositions de De Fursac et consort. Même Arthur & Fox propose des cols moyens à petits.

Il me semble tout  de même que les faiseurs qui se donnent du mal et cherchent à proposer des belles chemises font des pieds de col haut.

Et vous?

POINT 3 : le col doit-il passer sous la veste?

Pas nécessairement. Un col classique ne peut pas aller jusqu’au revers de la veste, car il est placé plus en avant. Un col cut-away standard aura aussi du mal à épouser parfaitement le bord de la veste.

Si le col est haut, il ira plus facilement jusqu’à la veste.

Tout est une question de goût personnel. Il n’y aucune obligation ni dogme. Pour certain, c’est une question de vie ou de mort que le col de chemise épouse les revers. Pour d’autres, la question cruciale est d’avoir un petit col qui va bien avec une cravate slim… Tant que l’ensemble est harmonieux.

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POINT 4 : la forme du visage est-elle en rapport avec la forme du col?

Là encore, je ne vois pas comment scientifiquement étayer un argumentaire  prouvant par A+B que telle forme va à tel visage. Surtout que d’une époque à l’autre, les paradigmes changent et les argumentaires aussi. Dans les années 70, la mode était aux cols très généreux. Dans les années 80 et 90, les petits cols cut-away ou classiques plaisaient.

C’est une question d’appréciation personnelle et d’expérience. Il est possible de se sentir mieux avec tel ou tel col. Le col très ouvert par exemple, est particulièrement typé sur tout le monde, que le cou soit large ou mince, le porteur grand ou maigre ou petit ou gros. C’est une question d’appropriation. Si vous voulez ressembler à une publicité Ralph Lauren, c’est le col qui faut. Si vous voulez ressembler à une publicité The Kooples (c’est possible?), vous choisirez plutôt un petit col. Et dans dix, quand la mode aura changé, vous changerez de chemises.

Voici quelques pistes pour vous aider à choisir votre col et la chemise qui va avec!

Belle semaine, Julien Scavini

Les poches plaquées

Il existe classiquement deux manières de faire des poches sur une veste : par crantage (c’est à dire, dans le vocabulaire tailleur, cranter égale poinçonner ou percer) ou par application.

Dans la première variante, l’ouverture de la poche donne sur un sac dissimulé à l’intérieur de la veste. Cranter le tissu revient donc à y pratiquer un ouverture propre pour laisser passer la main. Il existe deux sortes de poches qui permettent de traverser l’étoffe : la poche de poitrine, avec sa patte légèrement oblique, et la poche passepoilée. Les passepoils sont deux petites bandes de tissu qui bordent l’ouverture (je l’avais expliqué ici). En général, entre les deux passepoils est intégré un rabat de poche, mobile. Ces deux poches sont assez longues et périlleuses à réaliser. Il faut en effet percer adroitement le tissu, sans déchirer notamment les coins des poches qui feraient alors apparaitre des fils à vif. La poche pourrait craquer si elle est mal réalisée.

Tout aussi long mais bien moins fastidieuses sont les poches appliquées ou plaquées. La forme légèrement arrondie est à la fois décorative et utile, elle est le sac de poche. Dans l’autre type, il y a dissociation entre l’allure de la poche (deux lignes ou un rectangle sur la poitrine) et sa contenance. Les deux ne font qu’un avec la poche plaquée. C’est donc un modèle assez utilitaire, commun, à l’inverse des poches crantées qui sont plus érudites, qui cherchent à dissimuler l’utile, donc à embellir.

Toutefois, les tailleurs ont cherché à rendre belle cette poche plaquée, à allier l’utile à l’agréable. Les vareuses d’ouvriers ont généralement des poches plaquées basiques, plutôt carrés simplement cousues à la machine. Les tailleurs ont cherché le raffinement, par la courbe, plus dure à bien faire, et l’application aux petits points dissimulés.

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De gauche à droite : poches crantées (passepoilée en bas et poitrine en haut) ; poches plaquées traditionnelles ; poches plaquées contemporaines.

Les livres de coupe classiques ont tendance à présenter des poches plaquées en forme de U, assez pataude et très années 50. C’est ce que j’ai appris à faire à l’AFT par exemple (un vieil article sur les poches ici). Une belle poche plaquée conventionnelle. Il faut toutefois remarquer que de nos jours, les tailleurs italiens et les usines bien inspirées proposent des modèles plus arrondis. Les napolitains sont même devenus maîtres dans cet art de la poche plaquée tout en rondeur.

Sur une veste conventionnelle, il y a normalement trois poches. Une à la poitrine et deux sur les côtés plus bas. Il est donc possible et faisable d’avoir trois poches plaquées sur sa veste, une petite et deux grandes. Toutefois, il me semble que si l’on aime les pochettes, il est préférable de recourir à une poche poitrine normal, qui a tendance à moins gonfler à cause de la pochette. La petite poche plaquée devient vite anormalement joufflue sinon.

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Une veste avec des poches plaquées est plus ‘sport’ qu’une veste à poches normales. Les vestes dépareillées se prêtent mieux aux poches plaquées, bien que quelques élégants aiment aussi en avoir sur leur costume, pour donner un air nonchalant, décontracté et italien. Il semble que les auteurs anglais parlant d’élégance désapprouvent la poche plaquée, synonyme de laisser-aller. Une poche est « crantée » dit James Darwen. Donc c’est une affaire de goût et de tenue. La vieille baderne X sera outrée que le blazer du monsieur Y d’à côté soit à poches plaquées, le dit monsieur Y s’offusquera lui du port de souliers noirs avec le blazer de monsieur X. On est tous le mauvais goût d’un autre.

Côté saison, les poches plaquées ne sont pas plus été qu’hiver. Un beau tweed sera très sympathique avec, comme un lin frais et aéré.

Le veston croisé peut aussi avoir des poches plaquées. S’il y en a trois (celle de la poitrine), alors il ne sera pas possible de placer convenablement les deux boutons décoratifs qui font tout le charme et l’allure du croisé. Dommage. Deux poches plaquées sont suffisantes je crois ; elles sont déjà très osées sur le croisé je dirais. Qui a dit que le vestiaire masculin manquait de variété. Diantre, que de combinaisons.

Belle semaine, Julien Scavini