Je voudrais évoquer ce soir, en quelques lignes, ce qu’est la maison Vitale Barberis Canonico. Ce nom est maintenant très connu des élégants de part le monde. Et à raison, tant cette vénérable maison est synonyme de qualité et de durabilité. C’est aussi et surtout l’occasion de faire comprendre pourquoi, jamais, vous ne verrez une liasse Vitale Barberis chez un tailleur.
Le plus ancien drapier italien porte un nom à rallonge, Vitale Barberis Canonico. Un bon de livraison au duc de Savoie datant de 1663 atteste de l’activité lainière d’Ajmo Barberis. Peu d’entreprises peuvent s’enorgueillir d’exister depuis plus de 350ans ! La maison installée à Pratrivero, à une douzaine de kilomètres au nord de Biella est depuis l’origine dirigée par la famille Barberis Canonico. La treizième génération est aujourd’hui à sa tête, sous la forme d’un trio composé d’Alessandro, de Lucia et de Franscesco, figure bien connue du milieu « sartorial ».
Vitale Barberis Canonico est un drapier qui part du mouton. Il possède d’ailleurs trois fermes en Australie, mais découvre comme un sourcier des laines et des fibres de qualité partout ailleurs. Tout est rapporté, filé et travaillé sur place, à Pratrivero et à Pray, dans ce que les Italiens appellent la vallée de la laine. Deux « mills » parmi les plus silencieux au monde emploient 450 employés. Le cycle complet est conduit en Italie. Vitale Barberis Canonico traite cinq mille tonnes de laine brute par an, pour produire environ dix millions de mètres de drap de laine fine. Soit environ 3,5 millions de costumes ou vestes.
S’il est souvent possible d’apercevoir une étiquette Vitale Barberis Canonico dans un beau vêtement de prêt-à-porter, ou dans une belle mesure, vous ne trouverez en revanche pas de liasse (ces sortes de classeurs de tissus) à l’effigie directe de V.B.C. Car la maison se contente encore pour le moment de son métier de base, à savoir la production de laine, du mouton à la pièce de tissu.
Or, il faut savoir que la distribution auprès des tailleurs est un métier à part entière. En France, on met tout sous l’appellation « drapier ». Pour une fois, l’anglais a plus de vocabulaire et différencie le « mill« , ou fabricant, du « merchant« , le marchand. La plus plupart des grands drapiers sont un peu les deux. Mais Holland & Sherry par exemple est plus « merchant » que « mill« .
Vitale Barberis Canonico par contre, est « simplement » un « mill ». Pas de vente au détail, pas de vente à la coupe. C’est pourquoi, vous ne pourrez pas trouver de liasse chez un tailleur. En revanche, c’est un secret de polichinelle, Vitale Barberis Canonico fabrique discrètement pour ses concurrents directs. En mettant alors sur la lisière le nom du dit drapier. Et ainsi, dans des liasses H&S, Scabal ou Caccioppoli, vous trouverez sans le savoir un certain nombre de références V.B.C. Mais c’est le jeu, ce sont des « merchants » dont c’est le but de revendre à la coupe ce que des « mills » fabriquent.
Vitale Barberis Canonico a fait un choix, celui de vendre en gros. Dans le milieu, on dit plus élégamment, aux « grands comptes ». Ces grands comptes peuvent être Hermès, Dior, SuitSupply, Boggi, Hackett, ou encore BonneGueule, Asphalte ou les Pantalons Scavini. C’est l’étonnante et unique agilité de ce groupe textile, que de pouvoir se confronter à d’immenses donneurs d’ordres. Ou à des plus petits, comme moi.
Pour se faire, Vitale Barberis Canonico ne travaille que la laine. Et que la laine dans certaines qualités choisies. Sur les photos ci-dessous, j’ai pris en photo quatre liasses. Alors, je vous parle de liasse finalement?! Oui, Car V.B.C. en édite. Mais attention, les échantillons qui s’y trouvent ne sont disponibles que par 50m minimum, avec un délais de production de 3 à 6 mois. Ce n’est dont pas pour tout le monde. Pour un costume, il faut 3m30 environ à titre d’info. Ces quatre collections semi-permanentes sont renouvelées tous les deux à trois ans. Ces liasses sont pour les « grands comptes ». Il y a :
– la « sunny season« , rassemblant laines et laine-mohair en tissages d’été, aux alentours de 230grs
– la « perennial« , rassemblant des bons classiques, tous en 260/280grs à la jauge raisonnable de super 110’s. Cette qualité « perennial » est vendu partout à travers le monde, de Zara à Anthony Garçon en passant par mes propres propositions d’atelier.
– la « revenge« , rassemblant des bons classiques là encore, aux alentours de 250grs à la jauge de super 150’s. Cette qualité, plus fine, est utilisée pour des costumes de belle confection chez Ralph Lauren par exemple.
– les « flannels« , rassemblant les merveilleuses « Original Woollen Flannel » qui à 340grs font le plaisir des élégants, et dans lesquelles je trouve toujours des pantalons à couper. Mais aussi quelques flanelles légères en 280grs super 120’s et quelques whipcord pour manteaux légers ou pantalons solides.
Il vous faut ainsi comprendre, que si au détour d’un site internet quelconque, vous trouvez une référence du genre 486.801/12, cela correspond bien à une référence de tissu Vitale Barberis. Mais elle n’est pas disponible auprès d’un drapier, à moins que j’aille chez V.B.C. demander 50m, que j’aurais trois mois plus tard environ.
Vous me direz alors, il n’y a que cela chez V.B.C.? Et bien non, rassurez-vous. Cela n’est que la partie émergée de l’iceberg. Cette minuscule partie des tissus, disponibles sur commande en trois mois environ, se double d’une encore plus petite sélection de ceux-ci, disponibles 24h/24, 7 jours sur 7. Cette ultra-sélection, bleus et gris souvent unis, se retrouvent dans les liasses des différentes usines de mesure à travers le monde. Car cette réactivité permet de soutenir le flux tendu des services sur-mesure comme le mien.
Cette collection semi-permanente est étoffée de manière annuelle de références variées. Même qualité, mais coloris différents en plus :
Et par ailleurs et surtout, Vitale Barberis Canonico propose tous les six mois, une collection « preview » de 2500 étoffes environ, un an à l’avance . Ainsi, en ce moment précis, chez l’agent V.B.C., il est possible d’observer des échantillons des tissus pour l’hiver 2021-2022, voire des « previews » pour le printemps-été 2022. C’est que le travail de collection se fait très en amont. A titre indicatif, j’ai terminé il y a un mois la collection de Pantalons Scavini de l’hiver prochain. Et je suis pas le plus en avance ! A cette occasion, je me suis fais envoyé des échantillons de la part de V.B.C. Ils tiennent dans ce carton, imaginez la quantité à trier et à juger !
A l’intérieur, les différentes qualités me sont proposées dans des étuis fermés à l’ancienne. A l’intérieur, toutes les cartonnettes d’échantillons. Là des tweed, ici des draps à manteaux. Là des whipcord, ici des flanelles particulières. Là des laines froides, ici des « 4 ply » rustiques. Il y en a pour tous les goûts comme vous voyez sur cet aperçu des « shetland tweed » de l’année dernière, pas reproduits cette année hélas. Chaque petit carré de tissu a une référence. Il est possible de commander 50m de chaque 3 à 6 mois, souvent 1 an à l’avance. Car en général, les usines doivent stocker les tissus 4 à 6 mois avant la mise en production.
Par exemple, pour ma collection de Pantalons printemps-été 2021, qui va arriver chez moi fin janvier, pour être mise en ligne fin février, les tissus commandés en février 2020, fabriqués par V.B.C. cet été, sont maintenant tous en stock chez mon faiseur en attente de production fin décembre.
Il faut faire un choix parmi ces collections. Et c’est un travail long, tant il y a à boire et à manger. Voyez plutôt encore ce minuscule aperçu des cartonnettes à ma disposition. Ce n’est pas toujours facile de se rendre compte sur des coupons si petits. Sachez que chez Loro Piana, les aperçus sont moitié moins grand encore.
Pour réaliser le tour de force de produire des milliers de références, Vitale Barberis s’appuient sur plusieurs éléments. Le premier, le marché de l’homme. Il est très stable et fait peu place à la fantaisie. C’est un marché moins difficile que celui de l’habillement féminin, beaucoup plus volatil. Le deuxième, ce sont des qualités de fils connues et largement stockées, fils super 110’s, fils super 150’s, fils cardés, etc. Moins les fils sont variés, plus les tissus sont vite réalisables. Enfin, le troisième point est un petit panel de teinture. Gris, bleu, vert, quelques rouille et ocre, des pointes de marron. Ainsi, d’une qualité à l’autre, des flanelles aux super 150’s, ce sont les mêmes teintes qui reviennent.
Les très très « grands comptes » comme Hermès ou Inditex (Zara), arrivent eux avec leurs propres cahiers-des-charges, leurs propres dessins « maison » pour faire faire des tissus autres. C’est pour cela qu’il est très difficile à un tailleur de trouver LE tissu parfait pour refaire un pantalon de costume craqué par exemple.
Enfin, ces dernières années, Vitale Barberis a fini d’absorber un drapier indépendant, Drapers à Bologne. Ce faisait, le « mill » devient un peu « merchant » à travers de Drapers. L’évolution d’ailleurs se fait ressentir, les nouvelles liasses Drapers adoptant l’élégante présentation V.B.C. La liasse « Lady Sanfelice » est par exemple une sorte de copie de la liasse « Flannels » présentée plus haut. Regardez sur ma photo plus haut, un tartan rouge, qui se retrouve dans la liasse. Elle est aussi agrémentée de dessins exclusifs à Drapers.
Voilà, j’espère que maintenant, vous comprendrez mieux comment fonctionne Vitale Barberis Canonico, et pourquoi, chez les tailleurs vous ne pouvez en acheter directement alors que dans le prêt-à-porter, si !
Bonne semaine, Julien Scavini