Vitale Barberis Canonico

Je voudrais évoquer ce soir, en quelques lignes, ce qu’est la maison Vitale Barberis Canonico. Ce nom est maintenant très connu des élégants de part le monde. Et à raison, tant cette vénérable maison est synonyme de qualité et de durabilité. C’est aussi et surtout l’occasion de faire comprendre pourquoi, jamais, vous ne verrez une liasse Vitale Barberis chez un tailleur.

Le plus ancien drapier italien porte un nom à rallonge, Vitale Barberis Canonico. Un bon de livraison au duc de Savoie datant de 1663 atteste de l’activité lainière d’Ajmo Barberis. Peu d’entreprises peuvent s’enorgueillir d’exister depuis plus de 350ans ! La maison installée à Pratrivero, à une douzaine de kilomètres au nord de Biella est depuis l’origine dirigée par la famille Barberis Canonico. La treizième génération est aujourd’hui à sa tête, sous la forme d’un trio composé d’Alessandro, de Lucia et de Franscesco, figure bien connue du milieu « sartorial ».

Vitale Barberis Canonico est un drapier qui part du mouton. Il possède d’ailleurs trois fermes en Australie, mais découvre comme un sourcier des laines et des fibres de qualité partout ailleurs. Tout est rapporté, filé et travaillé sur place, à Pratrivero et à Pray, dans ce que les Italiens appellent la vallée de la laine. Deux « mills » parmi les plus silencieux au monde emploient 450 employés. Le cycle complet est conduit en Italie. Vitale Barberis Canonico traite cinq mille tonnes de laine brute par an, pour produire environ dix millions de mètres de drap de laine fine. Soit environ 3,5 millions de costumes ou vestes.

S’il est souvent possible d’apercevoir une étiquette Vitale Barberis Canonico dans un beau vêtement de prêt-à-porter, ou dans une belle mesure, vous ne trouverez en revanche pas de liasse (ces sortes de classeurs de tissus) à l’effigie directe de V.B.C. Car la maison se contente encore pour le moment de son métier de base, à savoir la production de laine, du mouton à la pièce de tissu.

Or, il faut savoir que la distribution auprès des tailleurs est un métier à part entière. En France, on met tout sous l’appellation « drapier ». Pour une fois, l’anglais a plus de vocabulaire et différencie le « mill« , ou fabricant, du « merchant« , le marchand. La plus plupart des grands drapiers sont un peu les deux. Mais Holland & Sherry par exemple est plus « merchant » que « mill« .

Vitale Barberis Canonico par contre, est « simplement » un « mill ». Pas de vente au détail, pas de vente à la coupe. C’est pourquoi, vous ne pourrez pas trouver de liasse chez un tailleur. En revanche, c’est un secret de polichinelle, Vitale Barberis Canonico fabrique discrètement pour ses concurrents directs. En mettant alors sur la lisière le nom du dit drapier. Et ainsi, dans des liasses H&S, Scabal ou Caccioppoli, vous trouverez sans le savoir un certain nombre de références V.B.C. Mais c’est le jeu, ce sont des « merchants » dont c’est le but de revendre à la coupe ce que des « mills » fabriquent.

Vitale Barberis Canonico a fait un choix, celui de vendre en gros. Dans le milieu, on dit plus élégamment, aux « grands comptes ». Ces grands comptes peuvent être Hermès, Dior, SuitSupply, Boggi, Hackett, ou encore BonneGueule, Asphalte ou les Pantalons Scavini. C’est l’étonnante et unique agilité de ce groupe textile, que de pouvoir se confronter à d’immenses donneurs d’ordres. Ou à des plus petits, comme moi.

Pour se faire, Vitale Barberis Canonico ne travaille que la laine. Et que la laine dans certaines qualités choisies. Sur les photos ci-dessous, j’ai pris en photo quatre liasses. Alors, je vous parle de liasse finalement?! Oui, Car V.B.C. en édite. Mais attention, les échantillons qui s’y trouvent ne sont disponibles que par 50m minimum, avec un délais de production de 3 à 6 mois. Ce n’est dont pas pour tout le monde. Pour un costume, il faut 3m30 environ à titre d’info. Ces quatre collections semi-permanentes sont renouvelées tous les deux à trois ans. Ces liasses sont pour les « grands comptes ». Il y a :
– la « sunny season« , rassemblant laines et laine-mohair en tissages d’été, aux alentours de 230grs
– la « perennial« , rassemblant des bons classiques, tous en 260/280grs à la jauge raisonnable de super 110’s. Cette qualité « perennial » est vendu partout à travers le monde, de Zara à Anthony Garçon en passant par mes propres propositions d’atelier.
– la « revenge« , rassemblant des bons classiques là encore, aux alentours de 250grs à la jauge de super 150’s. Cette qualité, plus fine, est utilisée pour des costumes de belle confection chez Ralph Lauren par exemple.
– les « flannels« , rassemblant les merveilleuses « Original Woollen Flannel » qui à 340grs font le plaisir des élégants, et dans lesquelles je trouve toujours des pantalons à couper. Mais aussi quelques flanelles légères en 280grs super 120’s et quelques whipcord pour manteaux légers ou pantalons solides.

Il vous faut ainsi comprendre, que si au détour d’un site internet quelconque, vous trouvez une référence du genre 486.801/12, cela correspond bien à une référence de tissu Vitale Barberis. Mais elle n’est pas disponible auprès d’un drapier, à moins que j’aille chez V.B.C. demander 50m, que j’aurais trois mois plus tard environ.

Vous me direz alors, il n’y a que cela chez V.B.C.? Et bien non, rassurez-vous. Cela n’est que la partie émergée de l’iceberg. Cette minuscule partie des tissus, disponibles sur commande en trois mois environ, se double d’une encore plus petite sélection de ceux-ci, disponibles 24h/24, 7 jours sur 7. Cette ultra-sélection, bleus et gris souvent unis, se retrouvent dans les liasses des différentes usines de mesure à travers le monde. Car cette réactivité permet de soutenir le flux tendu des services sur-mesure comme le mien.

Cette collection semi-permanente est étoffée de manière annuelle de références variées. Même qualité, mais coloris différents en plus :

Et par ailleurs et surtout, Vitale Barberis Canonico propose tous les six mois, une collection « preview » de 2500 étoffes environ, un an à l’avance . Ainsi, en ce moment précis, chez l’agent V.B.C., il est possible d’observer des échantillons des tissus pour l’hiver 2021-2022, voire des « previews » pour le printemps-été 2022. C’est que le travail de collection se fait très en amont. A titre indicatif, j’ai terminé il y a un mois la collection de Pantalons Scavini de l’hiver prochain. Et je suis pas le plus en avance ! A cette occasion, je me suis fais envoyé des échantillons de la part de V.B.C. Ils tiennent dans ce carton, imaginez la quantité à trier et à juger !

A l’intérieur, les différentes qualités me sont proposées dans des étuis fermés à l’ancienne. A l’intérieur, toutes les cartonnettes d’échantillons. Là des tweed, ici des draps à manteaux. Là des whipcord, ici des flanelles particulières. Là des laines froides, ici des « 4 ply » rustiques. Il y en a pour tous les goûts comme vous voyez sur cet aperçu des « shetland tweed » de l’année dernière, pas reproduits cette année hélas. Chaque petit carré de tissu a une référence. Il est possible de commander 50m de chaque 3 à 6 mois, souvent 1 an à l’avance. Car en général, les usines doivent stocker les tissus 4 à 6 mois avant la mise en production.

Par exemple, pour ma collection de Pantalons printemps-été 2021, qui va arriver chez moi fin janvier, pour être mise en ligne fin février, les tissus commandés en février 2020, fabriqués par V.B.C. cet été, sont maintenant tous en stock chez mon faiseur en attente de production fin décembre.

Il faut faire un choix parmi ces collections. Et c’est un travail long, tant il y a à boire et à manger. Voyez plutôt encore ce minuscule aperçu des cartonnettes à ma disposition. Ce n’est pas toujours facile de se rendre compte sur des coupons si petits. Sachez que chez Loro Piana, les aperçus sont moitié moins grand encore.

Pour réaliser le tour de force de produire des milliers de références, Vitale Barberis s’appuient sur plusieurs éléments. Le premier, le marché de l’homme. Il est très stable et fait peu place à la fantaisie. C’est un marché moins difficile que celui de l’habillement féminin, beaucoup plus volatil. Le deuxième, ce sont des qualités de fils connues et largement stockées, fils super 110’s, fils super 150’s, fils cardés, etc. Moins les fils sont variés, plus les tissus sont vite réalisables. Enfin, le troisième point est un petit panel de teinture. Gris, bleu, vert, quelques rouille et ocre, des pointes de marron. Ainsi, d’une qualité à l’autre, des flanelles aux super 150’s, ce sont les mêmes teintes qui reviennent.

Les très très « grands comptes » comme Hermès ou Inditex (Zara), arrivent eux avec leurs propres cahiers-des-charges, leurs propres dessins « maison » pour faire faire des tissus autres. C’est pour cela qu’il est très difficile à un tailleur de trouver LE tissu parfait pour refaire un pantalon de costume craqué par exemple.

Enfin, ces dernières années, Vitale Barberis a fini d’absorber un drapier indépendant, Drapers à Bologne. Ce faisait, le « mill » devient un peu « merchant » à travers de Drapers. L’évolution d’ailleurs se fait ressentir, les nouvelles liasses Drapers adoptant l’élégante présentation V.B.C. La liasse « Lady Sanfelice » est par exemple une sorte de copie de la liasse « Flannels » présentée plus haut. Regardez sur ma photo plus haut, un tartan rouge, qui se retrouve dans la liasse. Elle est aussi agrémentée de dessins exclusifs à Drapers.

Voilà, j’espère que maintenant, vous comprendrez mieux comment fonctionne Vitale Barberis Canonico, et pourquoi, chez les tailleurs vous ne pouvez en acheter directement alors que dans le prêt-à-porter, si !

Bonne semaine, Julien Scavini

Zéro, une ou deux fentes dos? Partie 2

La semaine dernière, nous sommes donc arrivés aux années 90 / 2000. Les couturiers italiens, Armani, Cerutti et d’autres, mettaient en avant de belles vestes, un peu larges et généreuses aux épaules, et en même temps très prises au bassin, glorifiant d’une certaine manière l’homme taillé en V. Ce bassin étroit reposait sur une absence de fente. Et comme je l’ai dit, les belles vestes se caractérisaient ainsi. En opposition aux maisons anglaises proposant deux profondes fentes. Ci-dessous, un costume Armani de 1990 :

Qu’en est-il aujourd’hui ?

D’abord, l’absence de fente a totalement disparu, ou presque, de la circulation. Toutes les vestes sont revenues sur ce paradigme d’un instant. Les marques italiennes ont massivement reproposé la double fente, dans une sorte de consensus, à vrai dire, assez international.

A l’inverse, la fente simple milieu dos reste la préférence des marques dîtes « couture » ou qui se croient ainsi. Pourquoi, je ne l’explique pas particulièrement. C’est un fait.

La double fente

Celles-ci permettent de mieux gérer d’une certaine manière le cintrage de la taille. Dans le cadre d’un fessier un peu rebondi, le manque de bassin de la veste ( comprenez le diamètre de la veste au niveau des fesses ) est réparti sur les deux fentes. Si le bassin du client est de 106cm et que le bassin de la veste est conçu pour 102cm, les 4cm manquant sont répartis, 2cm à chaque fente. Cela permet à celles-ci de s’ouvrir peu, de moins s’évaser. C’est donc une simplicité de conception, et une souplesse de vente. Les doubles fentes pardonnent.

Dans le cadre d’un fessier plat par ailleurs, les doubles fentes tombent en plaquant le tissu contre le bassin, et alors, R.A.S. comme on dit chez les espions. Que le bassin soit plat, normal, ou rebondi, les doubles fentes s’adaptent. C’est ce que l’on cherche en prêt-à-porter.

La simple fente

Celle-ci impose en revanche au porteur, d’avoir le bassin idéalement proportionné, donc, d’être à l’instar d’une gravure de mode, dans le « canon ». Revenons à l’exemple, si le client a 106cm de bassin, et que la veste est conçue avec 102cm de bassin, les 4cm manquant se retrouvent sur la fente, qui ouvre inéluctablement. 4cm, c’est en effet la valeur moyenne de chevauchement des pans.

Donc, dans le cadre d’une simple fente, avec un fessier fort, il y a fort à parier que la fente ouvre… car les hommes ont souvent un peu de fesse.Vous me direz alors, mais pourquoi les bureaux de style créent-ils des bassins étroits ? Ils n’ont qu’à dessiner des bassins un peu larges.

La première réponse est : excellente idée. Car un bassin large donnera toujours l’impression d’une veste bien cintrée. C’est le paradigme des années 1920, avec des vestes très dodues de l’arrière train.
La deuxième réponse va nuancer ce propos. Car les hommes actuellement, sauf une rare majorité, n’aiment pas que la veste paraisse grosse au fessier. Ils veulent que le pantalon, pour une majorité moule le fessier, mais pas la veste.
Enfin, troisième réponse : une veste qui aurait un bassin large adapté aux forts popotins n’irait pas à une autre portion d’hommes avec un bassin plat. Pourquoi ? Car la veste alors fera des vagues comme une jupe autour des hanches.

La simple fente est plus spécifique du sur-mesure, où un calcul très fin du tour de bassin peut être effectué. La simple fente oblige à un moulage plus précis du corps. Là où les doubles fentes sont plus imprécises. Chose particulièrement curieuse, dans les derniers James Bond, Daniel Craig ci-dessous a été habillé de vestes à une seule fente. Cette forme emboitantante n’est pas la plus adaptée pour avoir de l’ampleur dans les mouvements. Et d’ailleurs en position statique, elle ouvre un peu. Je le pardonne au tailleur !

Le sans fente

Quant aux vestes tonneaux, totalement serrées au bassin et ne présentant aucune fente, il semble bien, même pour les smokings, qu’elles aient disparues. Pour ma part, deux de mes vestes sports, de week-end, des modèles simples et sans fioritures, ne présentent aucune fente. Pourquoi ?

Car d’abord, sans fente, une veste est plus solide, plus endurante. Surtout que l’une est non doublée. Cela évite plein de petits points délicats en haut des fentes. Ensuite, j’exprime par cette allure l’envie de rapprocher un peu la veste du blouson. Ou de ces formes modernes de work-jacket qui n’ont pas de fente. Il y a une sorte de simplicité charmante dans ce style.

Évidemment, le patronage ne fut pas si simple, pour donner suffisamment de hanche à mon bassin. Mon idée était aussi de se rapprocher de ces images très élégantes des années 1920, avec des vestes bien pincées mais très « hanchées », rondes, à la manière du Prince de Galles de l’époque, ci-dessous. J’ai disposé une martingale sur le dos de l’une des deux. Cela renforce ce petit esprit années 20.

Quid des manteaux

Les manteaux, par leur longueur, ont toujours eu besoin d’une fente, pour donner de l’aisance. La fente milieu dos permet aux pans de trouver une certaine souplesse et latitude pour s’écarter au contact des jambes qui bougent, du corps qui avance. Cette fente est normalement plutôt haute et longue, c’est plus élégant. Surtout si le manteau est long.

Quelques rares essais de doubles fentes furent tentés. Évidemment, cela n’a pas de logique, car les pans doivent s’ouvrir et voler bêtement, et ainsi donner froid. L’inverse de ce qui est recherché ! Cette illustration de Laurence Fellows évite sagement cet écueil : les deux fentes sont en fait des replis de tissus, des soufflets. Quelle débauche de matière !

 Bonne semaine, Julien Scavini

Zéro, une ou deux fentes dos? Partie 1

Chaque tailleur ou chaque maison de prêt-à-porter a sa règle d’usage concernant les fentes du dos de la veste. Une fente milieu dos, deux fentes sur les côtés, ou zéro ? Histoire et usage, faisons le point.

Avant que la veste « courte », celle que nous connaissons aujourd’hui, n’arrive sur le devant de la scène stylistique, des « vestes » longues étaient en usage, comme la jaquette ou la queue-de-pie. On ne les appelait pas vestes toutefois, même si c’était les vêtements de dessus, et pas des manteaux.

Frac, redingote, jaquette ou queue-de-pie, les appellations sont variées. Mais une chose est sûre, ces différents habits présentaient tous une fente milieu dos, longue, terminant à la taille, dans la couture horizontale faisant le tour de ces vêtements. Cette fente milieu dos était déjà présente sous l’ancien-régime. Les habits à l’époque de Louis XIV présentaient déjà une fente milieu dos. Cette découpe a une logique certaine : la pratique du cheval. A califourchon sur une selle, les pans s’évasent de chaque côté. Sur cet habit anglais daté de 1770, la fente milieu dos est soulignée par des broderies d’argent :

Sous le premier Empire, les militaires mettent le dolman, très court car s’arrêtant à la taille, sur le devant de la scène. Avec le dolman, qui développe une carrure à la romaine (le goût de l’antique, ou néo-classicisme), les officiers sont plein de sex-appeal. Les culottes ultra-moulantes rajoutent à ce plaisir du corps où l’on voit à peu près tout… Est-ce là un érotisme à l’antique, par ailleurs très peint par Jacques-Louis David ? On peut dire sur ce tableau que Joachim Murat, en dolman vert, savait se mettre en valeur :

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/ba/Murat.jpg

Toujours est-il que ce dolman, super court, ne nécessite pas de fente milieu dos. Vers 1870, anglais, français et prussiens allongent un peu le dolman vers mi-fesses, retour d’une pudeur bien légitime. La nouvelle petite basque présente une fente milieu dos, souvent richement ouvragée. Et parfois, pour donner de la « jupe » en position assis, des soufflets sont aménagés à l’endroit de ce qui deviendra plus tard la double fente. Sur ce dolman rallongé allemand de 1890, la fente est mise en valeur par des brandebourgs :

En passant, dans le nord de l’Europe, quelques armées garderont très longtemps cette allure courte des dolmans Empire, parfois jusque dans les années 50. Comme ici un officier finlandais :

Dans le même temps, la veste est adoptée par les civils sur une coupe nouvelle, très enveloppante, tout en rondeur. Le Prince de Galles d’alors, le fils de la Reine Victoria et futur Edouard VII semble apprécier cette nouvelle veste « courte » pratique et décomplexée. Ces vestes là, n’ont aucune fente, ce sont des tonneaux emboitant les hanches, c’est le terme consacré. Jusqu’à 1914 je dirais, les vestes civiles ne présentent pas de fente dos.

De leur côté, les militaires ont inventé les tuniques, vestes à pans carrés sur le devant, avec multiples poches à soufflets. L’ancêtre des sahariennes. Et ces nouvelles tuniques, ou vestes, sont longues, pour venir épouser les culottes de cheval avec une allure indéniable. Cette longueur à cheval rend nécessaire le retour de la fente milieu dos. Les militaires aux alentours de la première guerre mondiale ont un chic incontestable ! De face, une vareuse d’officier colonial & de dos une vareuse de gendarmerie, vers 1920 :

Après la première guerre mondiale, les civils adoptent une mode des vestes plutôt longues, et des pantalons plutôt courts et étroits. Ces vestes, telles que décrites par la marque Arrow Collars ou Kuppenheimer, présentent souvent une fente, dans les dessins de J.C. Leydendecker. Mais zéro fente reste très répandu toutefois.

Et puis pour la pratique des sports mécaniques (vélo ou moto) ou pour l’aviation, les tailleurs inventent le blouson court, à la taille. Retour en quelque sorte du dolman du Premier Empire. Avec comme sous le Premier Empire des parements au col et à la ceinture en … fourrure. La mode vient et revient sans cesse. Dès lors, la belle veste habillée n’a pas besoin de fente, car un autre vêtement existe.

Pour la pratique du cheval toutefois, la veste à longue fente milieu est appréciée, dans la droite ligne des habits de vénerie.

Et dans tout cela alors, les doubles fentes, quand ont-elles été inventées? Et bien difficile à dire précisément. Je dirais aux alentours de la seconde guerre mondiale. Mais très timidement. Peut-être était-elle déjà là dans les années 30 ? Je suis assez persuadé ce que sont les tailleurs anglais qui ont amené cette souplesse dans la coupe et dans le port.

Une chose est sûre, si dans les années 60, les fentes doubles fentes sont plutôt courtes et parfois même très chiches, les tailleurs des années 70 s’en servent allègrement pour donner une allure ostentatoire et baroque aux vêtements. D’autant plus que les vestes étant longues, ces grandes fentes fuyantes aiguisent la ligne stylistique de l’homme. Ci-dessous deux aperçus du site BondSuits, Sean Connery d’un côté, George Lazenby de l’autre, 1962 contre 1969, les fentes côté s’allongent et le style est moins vague :

Avec les années 80, les tailleurs italiens qui produisent alors les costumes de référence, abandonnent les fentes. Retour d’une silhouette plus emboitée, serrée au bassin et très larges aux épaules. L’inverse de l’esprit années 20 très « hanché ». Cela va ancrer dans l’esprit des gens que les belles vestes n’ont pas de fente. D’ailleurs, le smoking baigne encore dans cet idéal. Un smoking ne devrait pas avoir de fente. Cela se discute, mais c’est un autre sujet.

Les maisons anglaises n’ont pas souvent adopté ce standard zéro fente. D’ailleurs, avec les poches en biais, c’est ce qui les caractérisaient dans les années 90. Il y avait les amateurs de style italien, emboitant au fessier et aux épaules larges, et les amateurs de style anglais, aux doubles fentes généreuses, poches en biais, & doublures flashy.

Les marques françaises, comme Dior ou De Fursac, pour se positionner, adoptèrent la fente milieu dos, comme à mi-chemin des autres. Un esprit qui perdure jusqu’à nos jours…

La suite, la semaine prochaine…

 Bonne semaine, Julien Scavini

La forme de la parementure autour de la poche portefeuille

Si les femmes ont leur sac à main, les hommes ont leur veste. Une véritable besace où ranger, parfois enfouir, tout un bric-à-brac. Téléphone, parfois second téléphone, portefeuille, stylo, peigne, cigare, lunettes, agenda, tout y trouve une place. Les poches extérieures servent un peu. Mais les poches intérieures servent surtout plus. Il existe plusieurs manières de les disposer le long de la parementure. La parementure, c’est ce morceau de tissu qui borde le devant d’une veste, et se retourne pour devenir la face visible du revers.

Le fin du fin chez les tailleurs parisiens consiste à couper cette parementure généreusement, avec un long appendice fuyant vers l’emmanchure. C’est la technique qui consomme le plus de tissu au moment de la coupe, car cette excroissance trouve difficilement sa place au milieu des autres morceaux. Il y a une petite perte de tissu, c’est donc un luxe.

La poche portefeuille est réalisée dans cet appendice. Ce faisant, elle se retrouve fortement en biais et plutôt haut. Surtout si les emmanchures sont hautes, ce qui est à la mode. Le fait de « fuir » en biais vers l’emmanchure est idéal pour terminer cet appendice dans « quelque chose ». Et non dans le panneau de doublure suivant. Voyez ce dessin, présentant la manière classique parisienne de couper la parementure. Et une version édulcorée par la confection, un peu fade je trouve.

Un client l’année dernière m’avait fait refaire l’intérieur d’une grande mesure, car il trouvait la poche initiale trop en biais et surtout trop haut placée. Il est vrai qu’il était habitué au prêt-à-porter italien haut-de-gamme qui n’a jamais proposé ce genre de parementure et positionne les poches portefeuilles plus basses.

Le processus le plus rationnel en confection, et même pour les tailleurs du reste, est de couper une parementure la plus étroite et rectiligne possible. Cette parementure peut-être :

Cas numéro 1, par simplicité, cousue à la doublure tout du long. C’est la méthode du prêt-à-porter pas cher. Mais aussi des tailleurs londoniens qui ne s’embêtent plus guère avec la finesse de l’artisanat. Dans cette méthode, la poche portefeuille est réalisée à cheval sur le tissu et la doublure. Les passepoils de la poche sont pris directement dans la doublure.

Ce cas de figure de montage rend la poche plus fragile. Car la doublure est délicate et supportera peu les poids dans la poche. Pour en avoir discuté avec un tailleur une fois, il m’avait rétorqué que, d’abord la clientèle très haut de gamme a de nombreuses vestes, donc abime peu ses poches, et que surtout, si la poche craquait, c’était le signe indéniable que probablement, la doublure entière est à changer. Pourquoi pas…

Cas numéro 2, la parementure est toujours cousue à la doublure tout du long. Mais dans cette variante érudite, de petits empiècements de tissus sont rapportés pour placer les poches. Cet arrangement s’appelle le « piano facing » en industrie. De plus en plus d’usines l’adoptent car c’est un signe de plus grande qualité par rapport au cas numéro 1. La poche, réalisée dans cet empiècement de tissu, est plus solide et plus durable.
Parfois, les poches basses (anciennement appelée poches cigarette) sont aussi positionnés dans ces empiècements de tissus. C’est plus rare et seulement les bonnes fabriques surtout italiennes proposent cette option qui consomme un peu plus de ressource en couture. Ce sont mes deux dessins :

Si à l’époque de mon entrée à l’École des Tailleurs j’appréciais particulièrement la variante tailleur avec sa signature en biais très caractéristique (et qui me faisait penser à des pièces de peaux animales avec cette géométrie presque organique), je préfère maintenant la simplicité du cas numéro 2, avec ces discrets entourages de tissus autour des passepoils. Je trouve cela plus discret, d’autant plus qu’industriellement, ils sont souvent mieux maîtrisés.

L’empiècement tailleur en biais, est lui en revanche assez souvent mal patronné par les ateliers et alors, il manque d’allure comme je l’ai dessiné en haut à droite. Car pour être chic, il doit – à mon sens – être taillé comme à la serpe, avec netteté et un sens aiguisé de l’oblique. Que la main maîtrise mieux. Mais enfin, tout cela n’est que peu de choses !

Une chose est sûre, si vous soyez des poches portefeuilles sans entourage de tissus, alors fuyez. En cherchant autre chose, Google m’a donné l’image ci-dessous. Et bien franchement, avoir un tel nom pour proposer une finition si bas-de-gamme, c’est se ficher du monde. Ne pas faire l’empiècement, c’est probablement économiser 2 à 3€ à la fabrication… S’ils en sont là ! Il est probable aussi que cette veste n’ait pas de surpiqure au bord. Pour économiser encore quelques sous.

Bonne réflexion sur le sujet. Je repars manger du chocolat ! Julien Scavini

NB : pourquoi la poche à cheval sur la doublure est une fadaise simpliste en grande mesure.

Car normalement, la poche portefeuille s’exécute sur la parementure en amont. Cette poche prend place sur la parementure ou à cheval sur la parementure et une langue de tissu. Puis la parementure est cousue et révèle le bord de la veste. Puis enfin et seulement, la doublure est amenée à la main.

Lorsque la poche est réalisée à cheval sur la doublure, cela veut tout simplement dire que la parementure est préalablement cousue à sa doublure, pour pouvoir y faire la poche. C’est moins fin. Et beaucoup plus rapide. Car lorsque la parementure est cousue et révèle le bord de la veste, alors tout le devant, d’un coup est terminé. Gain de temps évident.

Deux photographies

Et nous voilà encore replongé dans le marasme ! Quel déplaisir. J’ai déjà tant écrit sur l’élégance du confinement : le pyjama, les chapeaux d’intérieur, les robes de chambres ou encore les pantoufles. Difficile de trouver alors d’autres sujets. Le jogging ? Je n’expérimente pas moi-même, difficile d’en parler dès lors. Et puis cette simple première photo me suffit. Ouhla. « Fashion faux-pas« dirait Cristina Cordula ! Je suis tombé par hasard au cours d’une petite recherche sur ce cliché plein d’allure. Ronald Reagan à bord d’Air Force One. J’imagine que la couturière était en train de repasser son pantalon de costume. Franchement, ne passez pas le confinement ainsi !

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Mais au cours de la même recherche, je ne sais par quelle association de mots-clefs, je suis arrivé sur cette photographie du duc de Windsor et de Wallis Simpson. J’y ai trouvé tant de charme que je l’ai enregistré. Deux être aux regards vides, presque un tableau de Hopper. Impression renforcée par la simplicité graphique, haut clair et bas foncé, centre orangée des fleurs faisant échos à la cravate.

Lui est amusant. La veste avec son large pied-de-poule – on pourrait dire un pied-de-coq – est ample, presque opulente dans ses proportions. Les épaules sont nettes, les têtes de manches généreuses. La franche opposition du motif est soutenue par le choix d’une ceinture de cuir tressé assez unique qui a quelque chose d’un peu amérindien. La cravate est nouée à l’italienne, petit pan plus long coincé dans la ceinture. La classe dans la décontraction. La chemise n’est pas blanche, à peine beige. Quant au pantalon, il pourrait héberger trois paires de jambes. Apparemment, ce pantalon est dépourvu de « ceinture ». La pince semble passer sous la ceinture de cuir. Et le passant et cousu sur la « jambe » comme les modèles Hollywood d’Edward Sexton.

Ce pantalon de flanelle, il a la même couleur et la même ampleur que celui de Ronald Reagan. Pourtant, la force de ce pli est sa dignité. Il structure la silhouette et donne une ligne. Malgré l’aisance. Le confort est le même dans les deux cas. L’allure elle n’est certainement pas la même en revanche. J’aime ce petit homme que portait l’Histoire sur ses épaules tout en voulant y échapper. Sa souple décontraction vestimentaire est un heureux modèle.

Belle et bonne semaine. Bon courage. Julien Scavini