Si les femmes ont leur sac à main, les hommes ont leur veste. Une véritable besace où ranger, parfois enfouir, tout un bric-à-brac. Téléphone, parfois second téléphone, portefeuille, stylo, peigne, cigare, lunettes, agenda, tout y trouve une place. Les poches extérieures servent un peu. Mais les poches intérieures servent surtout plus. Il existe plusieurs manières de les disposer le long de la parementure. La parementure, c’est ce morceau de tissu qui borde le devant d’une veste, et se retourne pour devenir la face visible du revers.
Le fin du fin chez les tailleurs parisiens consiste à couper cette parementure généreusement, avec un long appendice fuyant vers l’emmanchure. C’est la technique qui consomme le plus de tissu au moment de la coupe, car cette excroissance trouve difficilement sa place au milieu des autres morceaux. Il y a une petite perte de tissu, c’est donc un luxe.
La poche portefeuille est réalisée dans cet appendice. Ce faisant, elle se retrouve fortement en biais et plutôt haut. Surtout si les emmanchures sont hautes, ce qui est à la mode. Le fait de « fuir » en biais vers l’emmanchure est idéal pour terminer cet appendice dans « quelque chose ». Et non dans le panneau de doublure suivant. Voyez ce dessin, présentant la manière classique parisienne de couper la parementure. Et une version édulcorée par la confection, un peu fade je trouve.

Un client l’année dernière m’avait fait refaire l’intérieur d’une grande mesure, car il trouvait la poche initiale trop en biais et surtout trop haut placée. Il est vrai qu’il était habitué au prêt-à-porter italien haut-de-gamme qui n’a jamais proposé ce genre de parementure et positionne les poches portefeuilles plus basses.
Le processus le plus rationnel en confection, et même pour les tailleurs du reste, est de couper une parementure la plus étroite et rectiligne possible. Cette parementure peut-être :
Cas numéro 1, par simplicité, cousue à la doublure tout du long. C’est la méthode du prêt-à-porter pas cher. Mais aussi des tailleurs londoniens qui ne s’embêtent plus guère avec la finesse de l’artisanat. Dans cette méthode, la poche portefeuille est réalisée à cheval sur le tissu et la doublure. Les passepoils de la poche sont pris directement dans la doublure.
Ce cas de figure de montage rend la poche plus fragile. Car la doublure est délicate et supportera peu les poids dans la poche. Pour en avoir discuté avec un tailleur une fois, il m’avait rétorqué que, d’abord la clientèle très haut de gamme a de nombreuses vestes, donc abime peu ses poches, et que surtout, si la poche craquait, c’était le signe indéniable que probablement, la doublure entière est à changer. Pourquoi pas…

Cas numéro 2, la parementure est toujours cousue à la doublure tout du long. Mais dans cette variante érudite, de petits empiècements de tissus sont rapportés pour placer les poches. Cet arrangement s’appelle le « piano facing » en industrie. De plus en plus d’usines l’adoptent car c’est un signe de plus grande qualité par rapport au cas numéro 1. La poche, réalisée dans cet empiècement de tissu, est plus solide et plus durable.
Parfois, les poches basses (anciennement appelée poches cigarette) sont aussi positionnés dans ces empiècements de tissus. C’est plus rare et seulement les bonnes fabriques surtout italiennes proposent cette option qui consomme un peu plus de ressource en couture. Ce sont mes deux dessins :

Si à l’époque de mon entrée à l’École des Tailleurs j’appréciais particulièrement la variante tailleur avec sa signature en biais très caractéristique (et qui me faisait penser à des pièces de peaux animales avec cette géométrie presque organique), je préfère maintenant la simplicité du cas numéro 2, avec ces discrets entourages de tissus autour des passepoils. Je trouve cela plus discret, d’autant plus qu’industriellement, ils sont souvent mieux maîtrisés.
L’empiècement tailleur en biais, est lui en revanche assez souvent mal patronné par les ateliers et alors, il manque d’allure comme je l’ai dessiné en haut à droite. Car pour être chic, il doit – à mon sens – être taillé comme à la serpe, avec netteté et un sens aiguisé de l’oblique. Que la main maîtrise mieux. Mais enfin, tout cela n’est que peu de choses !
Une chose est sûre, si vous soyez des poches portefeuilles sans entourage de tissus, alors fuyez. En cherchant autre chose, Google m’a donné l’image ci-dessous. Et bien franchement, avoir un tel nom pour proposer une finition si bas-de-gamme, c’est se ficher du monde. Ne pas faire l’empiècement, c’est probablement économiser 2 à 3€ à la fabrication… S’ils en sont là ! Il est probable aussi que cette veste n’ait pas de surpiqure au bord. Pour économiser encore quelques sous.
Bonne réflexion sur le sujet. Je repars manger du chocolat ! Julien Scavini
NB : pourquoi la poche à cheval sur la doublure est une fadaise simpliste en grande mesure.
Car normalement, la poche portefeuille s’exécute sur la parementure en amont. Cette poche prend place sur la parementure ou à cheval sur la parementure et une langue de tissu. Puis la parementure est cousue et révèle le bord de la veste. Puis enfin et seulement, la doublure est amenée à la main.
Lorsque la poche est réalisée à cheval sur la doublure, cela veut tout simplement dire que la parementure est préalablement cousue à sa doublure, pour pouvoir y faire la poche. C’est moins fin. Et beaucoup plus rapide. Car lorsque la parementure est cousue et révèle le bord de la veste, alors tout le devant, d’un coup est terminé. Gain de temps évident.
Quid des parmentures américaines ? Est-ce que ça change quelque chose ?
Non, car à ce moment là, sans doublure, la parementure devient très larges. Et il y a toute la place d’y disposer une poche passepoilée.
Quel dommage de lire sur ce blog, d’habitude si bien documenté, une remarque à l’emporte pièce fustigeant les « tailleurs londoniens qui ne s’embêtent plus guère avec la finesse de l’artisanat », qui traduit une méconnaissance du style Savile Row, dont les tailleurs ont toujours proposé des poches à cheval sur le tissu et la doublure… et ça n’a rien de fragile quand c’est bien réalisé sur une veste entoilée et très structurée !
Je me souviens très bien lors de la visite des ateliers avec l’Ecole des Tailleurs (article quelque part sur ce blog) la fierté de ce turc (peut-être chez Henry Poole) qui a exécuté devant moi en 10 min trois poches intérieures sans un batissage. Uniquement avec une machine à coudre… à ce rythme, les vestes sortaient comme d’une usine. Réponse complète en NB de l’article.
« C’est moins fin. Et beaucoup plus rapide » certes, mais je ne vois pas pourquoi parler de « fadaise simpliste »…les tailleurs de Savile Row font comme ça depuis plus d’un siècle..par habitude, et non pas par économie ou rapidité ! Après forcément cela heurte le sens très parisien de l’obsession du détail…
Pour information, chez Henry Poole, Mr Cook a adopté le « piano facing » sur les vestes allégées (tissu de 10oz et moins) par souci de renfort car l’entoilage est beaucoup plus léger que sur les vestes réalisées dans un tissu plus lourd..mais garde les poches à cheval sur la doublure sur des tissu de 11oz ou plus (sauf demande du client évidemment)…
Merci, cher Julien, pour ce savoureux article… Franchement, je ne connais aucun autre site ou blog en langue française sur lesquels l’internaute pourrait se régaler d’un texte aussi pointu, renseigné, avisé, sur le thème de la « parementure autour de la poche portefeuille » !
Merci !
Merci pour cet article très intéressant,
Je me rend compte que j’utilise la seconde méthode (en amateur), suivant scrupuleusement les indications de Cabrera, mais par contre la doublure est cousue machine auparavant à la parmenture, ce qui permet de faire les poches passepoilées tranquillement, méthode dite « Barcelona Pocket » (qui semble assez répandue). Je trouve cela plutôt joli, et permet un bel exercice. En ce qui concerne la solidité, je m’étonne un peu car il me semble que la construction de la poche implique logiquement de fixer solidement le haut de la poche à l’entoilage traditionnel. Du même coup le poids de la poche s’exerce quasi uniquement sur ces points, et non sur la doublure. En tout cas, cela me donne envie de faire de nouveaux essais, et je retiens surtout l’idée de la poche à cigarettes !
C’est vrai que le sac de poche est glacé sur l’entoilage, derrière la doublure. Donc cela renforce. Mais quand je vois que les clients arrivent à déchirer les passepoils cousus dans un empiècement tissu, je me dis alors, qu’est-ce que ça doit être si c’est seulement de la doublure…. !
Surtout qu’en Grande Mesure français, les passepoils de la poche intérieur ne sont pas à couture ouverte, mais à couture couchée vers l’intérieur… c’est à dire que le passepoil doublure « enrobe » le tissu qui se trouve à l’intérieur. C’est solide comme option !