Pour clore cet épisode historique, je me suis livré à une étude comparative amusante du volume et des dimensions des vêtements des hommes à travers les siècles. L’idée est de dégager les grandes modes entourant nos vêtements et surtout de constater comment les habits étaient portés, pour prédire éventuellement comment ils le seront. Le pantalon a-t-il toujours été si long, les épaules étaient–elles marquées, etc…
Pour ce faire, j’ai dessiné le profil type d’un homme, par époque. Pour chaque période, j’ai choisi un personnage historique, parfois plusieurs, que j’ai dessiné. Bien sûr, il s’agit de personnages de l’élite ou de l’aristocratie. Car il est difficile de trouver de la documentation et des représentations de l’homme de la rue. J’aurais aussi pu uniquement me servir des uniformes militaires ce qui serait un travail captivant, mais la documentation sur internet est moins riche, alors que trouver des portraits de Jean Sans Peur, de Louis XVI ou de Thiers est plus simple.
Voici donc, par période, mon analyse systématique. Commençons par ma figurine de base. Aux premiers temps était l’homme nu.

Nous passerons bien sûr sur la période où ce dernier apprenait à chasser et à marcher, ainsi que sur l’époque romaine pour arriver aux mérovingiens. J’ai déjà eu l’occasion la semaine dernière dessiner celui-ci. Le dessin est issu de représentations de Clovis (466 – 511). Soyons systématique.
CAPÉ, TAILLE PINCÉE. L’encolure est dégagée. Les épaules sont naturelles, car les drapés sont simples. Les bras sont gainés. Le vêtement principal est ceinturé à la taille et se finit en jupon, à mi cuisse. Les jambes sont aussi enveloppées et les pieds sont enveloppés par un chausson bas voire légèrement montant. L’ensemble est capé pouvant donner une impression de volume contraire à la tenue en dessus, très près du corps.
Nous passons ensuite à Jean Sans Peur (1371 – 1419). TAILLE PINCÉE, CORPS TRICHE. Encolure habillée haut. Épaules rembourrées et exagérées. Bras à moitié volumineux. Le vêtement principal n’a que peu évolué depuis Clovis dans sa forme, toujours ceinturé à la taille et fini en jupon à mi cuisse. Les jambes sont gainées et le pied est exprimé finement.
Étudions François Ier (1494 – 1547). CORPS EXHIBÉ, CORPS SEXUÉ. Encolure encore haute et habillée. Épaule rembourrée mais un peu moins qu’auparavant. Bras à moitié volumineux. Le vêtement principal s’est franchement raccourcit. Taille non ceinturée mais très marquée et jupon au ras du fessier. Expression de la place du sexe via une braguette (coquille). Haut de cuisse rembourrée mais jambe très gainée et un pied exprimé finement. Ceci dit, l’époque appréciait aussi l’exact inverse d’un corps exhibé, en recourant à de très larges capes avec fourrures, faisant passer les hommes pour immenses.

Voici venir Henri IV (1553 – 1610). ÉVOLUTION SIMPLE ET MOINS SEXUÉ DU STYLE RENAISSANCE. L’encolure est toujours haute et habillée. Les épaules sont maintenant serrées et étroites. Le bras est fin mais se termine par un petit volume de dentelle. Le vêtement principal est dissocié du bas. Il est très serré et la taille haute est marquée. La cuisse est totalement exprimée et volumineuse. Le bas de jambe est gainée et le pied fin.
Sous Louis XIV (1638 – 1715), les choses évoluent encore, c’est LA RÉVOLUTION TAILLEUR. Le pourpoint avait lancé les bases du travail de découpe, le vêtement long reprend ici ces idées. L’encolure est maintenant cravatée mais laisse plus de place au mouvement que les précédentes fraises. L’épaule est étroite mais le bras assez rembourré. Le poignet est encore plus marqué, avec un revers et beaucoup de retombée sur la main. Le corps est maintenant à peine pincé. Le vêtement principal est long, au dessus du genou. Le buste est assez long car le gilet l’est aussi. La cuisse bouffonne encore, associée au volume important du bas de l’habit. Par contre le pied n’est plus fin car le mollet est dans une botte. Le volume est plus important.

Sous Louis XVI (1754 – 1793), l’évolution est nette, vers LE GRAND STYLE ANCIEN RÉGIME DÉCONTRACTÉ. Maintenant l’encolure est protégée mais laissée lâche. Les épaules sont étroites et le bras serré. Le bas de manche est toujours marqué. Le vêtement ne change pas de longueur (au dessus du genou), mais il s’ouvre et se relâche. La taille est à peine marquée, un certain volume exprime les hanches mais moins qu’auparavant. La silhouette est plus longiligne, naturelle voire naturaliste. La culotte qui s’arrête au dessous du genou a perdu tout son volume et le bas de soie gaine le mollet. Le pied est fin. L’ensemble paraît plus simple, plus décontracté.
L’époque Napoléonienne est marquée par un retour à l’ordre et au strict en matière de mode, avec une recherche AU PLUS PRES DU CORPS. Tout est serré et ajusté. L’art tailleur ne cherche plus le décontracté. L’encolure est enserrée et les épaules très étroites. Le bras est plus fin que jamais, le bas de manche est plus sobre, plus pratique. La taille apparaît comme plus marquée, d’autant plus que le poitrail est rembourré. L’habit de dessus s’évase beaucoup plus et disparaît en un retroussis sur l’arrière. Il est toujours long au dessus du genou mais paraît plus petit. La culotte prend de la valeur comme pièce visible. Très près du corps, elle montre tout, y compris le sexe très gainé. Le bas de jambe est toujours fin ainsi que le pied.

Napoléon III (1808 – 1873) sert de modèle d’étude pour cette période charnière de l’histoire contemporaine. C’est l’époque DE L’EXAGÉRATION ET DE LA TRANSITION. L’encolure est encore plus haute, jusque sous le menton. L’épaule bat tous les records d’étroitesse et le bras est très fin. Le poitrail est rembourré de manière importante, alors que l’habit maintenant découpé à la taille et en simple queue de pie à l’arrière est démesurément serré à la taille. L’effet est très féminin. La culotte pour sa part laisse place au pantalon au fur et à mesure du Second Empire. Pour autant, il s’agit d’un pantalon tuyau de poêle, très gainant. La botte, certainement militaire, refait une apparition, mais le pied est le plus souvent très fin.
Adolphe Thiers (1797 – 1877) fait la liaison entre l’ancien monde et le nouveau. C’est le moment de L’ÉVOLUTION BOURGEOISE. Le vêtement n’est plus seulement un signe social, il accompagne tout simplement la vie quotidienne. L’encolure reste haute mais devient moderne (col de chemise classique). Les épaules restent relativement étroites mais le bras gagne en aisance. Le vêtement est toujours long au dessous du genou et découpé à la taille. Pour autant cette dernière n’est plus tellement marquée et l’habit a pris du volume, étant très couvrant. LE pantalon est devenu large, la place du pied fin est plus discrète.

Sous Aristide Briand (1862 – 1932), LE VESTON COURT FAIT SON APPARITION. L’encolure est plus basse et les épaules gagnent en largeur. Le bras est relativement ample. La poitrine se met à drapée légèrement pour plus de confort. Mais surtout l’habit principal devient court. La découpe à taille disparaît au profit d’un veston ajusté sous les fesses. Le volume est moyen. Le pantalon gagne en ampleur, le pied est discret.
Le général De Gaulle (1890 – 1970) permet de faire le dernier constant de ce panorama. LE RIGORISME TAILLEUR. L’encolure est toujours habillée, mais plus souple qu’auparavant. Par contre les épaules s’étoffent et se rembourrent. L’allure est trichée, d’autant plus que la taille du veston maintenant court est pincée. L’ensemble est très travaillé, par un art tailleur au sommet de ses capacités. Le bras n’est plus fin de même que les jambes. Le pied est presque perdu sous de larges pantalons.

Après avoir fait le tour de cette question, peut-être voyez-vous vous-même des points de détails sur lesquels je ne me serais pas arrêté? Avez-vous quelques idées ou voyez vous quelques traits caractéristiques? Partageons sur le sujet !
Pour ma part, je retiens plusieurs éléments de cette analyse :
1- l’homme aime assez habiller son cou, y mettre plus de tissu que nécessaire, par soucis esthétique. J’avais déjà écrit un billet sur le sujet, à propos des cols de polo porter relevé, pour donner ‘un genre’.
2- l’épaule naturelle voire étroite est presque plus souvent appréciée que l’épaule rembourrée. La silhouette est préférée au naturel pour le haut du corps, y compris à des moments où les hommes étaient ventripotents. L’envie actuelle pour des vestes moins épaulée est en droite ligne avec l’histoire.
3- les vêtements à mi-cuisse ont souvent été la norme. La veste courte apparait de manière assez évidente comme une hérésie historique. Elle ne marque pas vraiment la taille (ce qui est un fait important) et ne sait pas vraiment si elle montre les fesses ou pas. Car il semble que le vêtement soit très sexué (coquille renaissance, culotte serrée de l’empire, etc.) La veste courte fait hésiter sur le sujet, car elle est un point final à une tenue. Alors que le ‘sur-tout’ ancien régime, à mi-cuisse était facilement retiré, laissant l’homme le plus souvent en gilet près du corps (qui était long devant et court derrière). Par là même, la mode actuelle qui consiste à porter une doudoune trois quart que l’on abandonne très vite en intérieur pour se présenter en simple pull ou chemise est plus proche des manières anciennes que la veste courte, dont l’usage est plus complexe (pas assez chaude et couvrante en hiver par exemple, qui nécessite une pièce en plus). La veste très courte comme portent les jeunes, qui parfois donnent l’impression de porter un cardigan à mi-fesse est aussi peut-être une réponse à ce fait historique important.
4- la jambe a toujours été très fine, juste galbé. Là encore, cette silhouette au naturel devait participer à une sexualisation du vêtement. Montrer ses mollets, signe important? Les premiers pantalons sous le second empire étaient très tuyau de poêle. Les jeans skinny seraient donc plus la norme du point de vu historique, en association avec des souliers fins et étroits?
Bref, je m’amuse à analyser les comportements contemporains à la lumière des faits anciens. Pas forcément de la manière la plus scientifique qui soit. Mais les chercheurs sur le vêtement ne sont pas nombreux. Ma méthode est certainement maladroite. Je souhaite ceci dit qu’elle donne à réfléchir. Qu’en pensez-vous ? Qu’ajouteriez-vous à ce débat ?
Dans l’intervalle, je vous souhaite une bonne semaine, Julien Scavini.