Il y a polo, et polo.

L’été est arrivé. Après de longs mois de fraicheurs, enfin un soleil chaleureux. Les manches courtes peuvent ressortir du placard. Le vêtement phare de cette saison, du moins dans les instants de décontraction, c’est le polo. Ce petit haut inventé pour la pratique du tennis et réalisé dans un piqué de coton est depuis longtemps passé au rang d’icône du style masculin. Il est même un signifiant social depuis que les marques y ont collé un logo, à la fois petit et discret, mais fort voyant et reconnaissable.

Question amusante : qui brode ce mouton de la toison d’or sur ses polos ? :

Il existe deux manières de confectionner un polo. Le coupé-cousu. Le tricoté. Parlons-en rapidement.

La première méthode est celle qui est la plus répandue. Le coupé-cousu. Nous avons presque tous un polo ainsi réalisé, par Lacoste ou Ralph Lauren, Gant ou Jules, La Martina ou Hugo Boss. Pour réaliser ces polos bien connus, il faut d’abord acheter du tissu au mètre, se présentant en rouleaux. Ce jersey petit piqué est coupé à plat, avec des ciseaux ou un banc numérique, puis ensuite, les parties sont cousues ensemble par un opérateur derrière une machine à coudre. Les opérations sont très similaires à celles d’une chemise. Un corps avec sa patte boutonnée, deux manches, un petit col en bord côté, généralement tricoté à part, avec le même fil que le tissu principal. D’où le terme coupé-cousu. (Ci-dessus ).

La seconde méthode est moins répandue. Le tricoté. Dans cette technique, les pelotes de fils font entrer en tricotage et le vêtement va être créé en forme, comme une grand-mère tricoterait un pull. Aussi appelé « fully-fashionned », cette technique va donner naissance à un tricot en forme de polo. Si le fil était épais et moelleux, on aurait une surchemise presque. Mais avec un fil de jauge fine, on obtient un vêtement léger, un polo de grande finesse. Les opérations de tricotages donnent un vêtement nativement en trois dimensions. (Ci-dessous):

Il me semble que le polo historique est plutôt réalisé en coupé-cousu, du moins sur les photos que j’ai pu voir de M. Lacoste. Je ne saurais le jurer.

La première méthode s’apparente à l’art de la chemise. La seconde méthode s’apparente à l’art du tricotage.

La première méthode est plus rapide et plus économique. C’est pourquoi elle est plus répandue. La seconde méthode est plus complexe et fait appel à des machines de haute technologie. C’est pourquoi elle est plus rare.

La première méthode donne des polos robustes et endurants. Capables de supporter la pratique des sports et des lavages intensifs. (Tout en se délavant et en perdant de la netteté). La seconde méthode donne des polos légers, souples comme une caresse sur la peau. Capables d’être soyeux et redoutablement élégants. Chez Bompard, ils appellent cela le polo ultra-fin. (Tout en étant moins soumis à des cycles de lavages rudes).

De fait, comme évoqué dans mon titre, il y a polo & polo. Les deux sont assez semblables en forme. Mais dans la réalité, ce n’est pas la même chose. Le polo en jersey coupé et cousu est bien plus répandu. Il a pour lui un aspect décontracté, d’autant plus que son col généralement sans grande forme fait un peu ce qu’il veut. Le polo en maille tricotée est peu répandu. Il a pour lui un aspect bien plus habillé, plus urbain, avec un tomber plus fluide, plus gracieux, renforcé par un col qui généralement place bien autour du cou.

Généralement, le polo tricoté n’a pas de logo. Son élégance sobre se suffit à elle-même. C’est pourquoi il est sélectionné par les marques haut de gamme, comme Dunhill ou Smedley. Il est plus élégant sous une veste d’ailleurs, car il y a une relation esthétique entre les deux je dirais. Simon Crompton semble ne jurer que par le polo en maille l’été :

L’idée du blog de ce soir n’était pas de trancher forcément. Il n’y en a pas un mieux que l’autre. Il y a juste deux approches, qu’il est intéressant d’avoir en tête. Pour mieux choisir. Reste que le polo en maille est généralement proposé autour de 200 euros. Cela en fait donc un luxe.

Belle semaine et bonne soirée. Julien Scavini

Ce soir, j’ai écouté (plusieurs fois) pour écrire ce billet, la symphonie numéro de 7 de Sibelius, mon compositeur préféré peut-être. D’une poésie à couper le souffle.

Monsieur Erdoğan

Les turcs sont appelés aux urnes pour élire leur Président. Le résultat n’est pas tombé hier, un second tour aura lieu. L’occasion de se pencher sur le sortant. Recep Tayyip Erdoğan est un homme élégant. Voilà bien un angle rare pour parler du Président de la République de Turquie. Il est plus souvent question dans nos médias de son discours conservateur, teinté de religiosité, et parfois anti-occident. Mais mon blog n’est pas là pour parler politique. Je m’amuserais que cet article soit perçu comme du poil à gratter.

On peut parler vêtement. Et c’est mon angle. L’homme de 69 ans est un équilibriste au goût esthétique plutôt très sûr. Rien que sa moustache le prouve. Qui a déjà tenté l’expérience sait qu’il faut de la patience pour entretenir cette petite subtilité capillaire.

Monsieur Erdoğan sait bien s’habiller, ce qui est fort rare chez les politiques, dans le monde. De prime abord, on pourrait peut-être penser à une garde robe un peu orientale. Que les iraniens savent manier, à mi chemin entre tradition européenne et formes à l’indienne. Mais le Président turc s’habille à l’occidentale. Résolument.

En 1994, il est élu maire d’Istanbul sur la base d’un programme de lutte contre la corruption. Il est acclamé pour ses efforts visant à remédier aux pénuries d’eau, à la pollution et au chaos de la circulation. Il porte alors fièrement les vestes croisées et le blazer croisé à boutons dorés. Quant à cette chemise à carreaux, très sport, portée avec le blazer, elle est intéressante et dénote déjà, un grand sens de l’esthétique anglaise.

Il préfère maintenant la veste deux boutons, permettant de mieux mettre en valeur ses cravates, qui sont forts nombreuses, et forts bien choisies malgré quelques curiosités parfois ! Souvent à micro-motifs, parfois club ou paisley, de couleurs froides ou chaudes, voilà une variété à faire pâlir. Un florilège trouvé en quelques instants sur google, dont le seul bémol serait peut-être les nœuds, souvent un peu gros :

Lorsqu’il porte un manteau, il est long et l’écharpe est parfaitement placée. La photo avec Donald Trump pouvant, j’en ai bien conscience, faire bouillir l’eau bénite, je mets également une photo avec le Président ukrainien, pour rééquilibrer mon karma :

En veste sport à carreaux et chemise à col boutonné, il montre par ailleurs un savoir-faire même dans ce registre moins facile. Il en fait même une marque de fabrique. Ses vestes à carreaux sont même copiés par des édiles turques avides de faire du genre, comme le Président. Voir cet article. Ou cet autre article. Ses vestes sont élégantes. Un peu vieux style, mais c’est un style. Depuis Jacques Chirac, je crois qu’aucun Président ici n’a montré savoir ce qu’est une veste sport. Une variété tout à fait singulière dans le monde stylistique moderne.

Mention spéciale pour cet accord, correct du point de vue des canons masculins, mais osé :

Côté costume, il ose les rayures, parfois franches, mais jamais criardes. Il ne se contente pas du col classique, ses vestes ont parfois de généreux revers en pointe. Il n’hésite pas à porter le gilet. Sélectionne des tissus chatoyants et parfois de la flanelle. Quelques vestes, jamais trop près du corps, présentent aussi une poche ticket. Un inventaire de (très) bon ton que le tailleur applaudit. Quelle variété n’est-ce pas ?

Alors évidemment, je crains d’ici, non des représailles, mais des railleries. Sur un blog repère de je ne sais quoi… Vais-je oser écrire sur Kim Jong-un et Bachar el-Assad ? Je ne suis pas là pour faire l’apologie d’un homme, d’un mouvement politique ou même d’un pays. Simplement pour faire remarquer. En l’occurrence, qu’il y a chez monsieur Erdoğan un sens de l’esthétique. Et qui plus est, un traditionalisme totalement en phase avec ce qu’ici, nous appelons le style anglais. Un traditionalisme que d’ailleurs ici nous tâchons de faire disparaitre. Une culture vestimentaire, la nôtre, qui est maintenant moquée, vilipendée. Dès lors, j’apprécie ce panorama général et particulier d’une penderie bien élégante et variée.

Mais d’ailleurs, les turcs en ont connu un autre qui fut (très) très élégant. C’était Atatürk :

Là dessus, je vous souhaite une belle semaine !

Julien Scavini

La tête de manche ronde et fuyante

La semaine dernière nous avons évoqué la manche montée avec une cigarette, donnant une tête de manche légèrement bombée et rembourrée. Un montage est une technique tailleur ancestrale, dont les variations ont pu être constatées à travers les époques, et suivant les lieux. Cette tête de manche bombée que les italiens appellent « con rollino » n’est pas plus italienne que française. Elle est transnationale.

Toutefois, il est intéressant de constater aussi qu’à travers les époques, ce « roulé bombé » n’a pas toujours été recherché. J’ai évoqué la semaine dernière le XIXème siècle comme instant d’apparition de cette légère structure. Sous l’Ancien Régime, les habits n’étaient pas encore coupés avec l’aisance que les anglais vont codifier ensuite.

L’habit de tradition aristocratique, qu’il soit taillé à Paris par des tailleurs français ou d’origine italienne, est un justaucorps étriqué. Un collant qui moule l’homme. Pour trouver l’aisance dans les mouvements, les patronages adoptent des coupes tout à fait baroques, comme des manches très coudées ou des emmanchures cisaillant le dessous de bras. Le corps de l’homme est littéralement ventousé dans un habit d’Ancien Régime. On se demande comment y rentrer, mais une fois dedans, c’est comme une combinaison.

Cet habit ne présente absolument aucun relief à l’épaule. L’épaule n’est pas rembourrée d’ailleurs. Et la manche file avec rondeur, comme vous pouvez l’observer sur ce portrait de Louis le XVIème.

Et pour prolonger un peu cette plongée picturale et historique dans les épaules plongeantes, observons ces tableaux de Thomas Gainsborough. Oh merveilles !

Observons aussi cet habit passé en vente aux enchères. Splendeur du montage à épaules emboitées, étroites et rondes :

J’ai eu la chance il y a quelques années de voir un habit qu’un client m’avait demandé de restaurer, d’époque Charles X. L’épaule était montée en couture ouverte. Autrement appelée épaule ronde. La laine était tissée très densément à l’époque. Elle était peu élastique. Alors, pour laisser un peu d’aisance au bras, il ne fallait pas trop lisser les lignes. Il fallait ménager un peu d’aisance. C’est ce que l’on voit sur cette redingote de Napoléon exposée à Malmaison. Il y a présence de fronces :

Au XIXème siècle, on n’aimait plus ces fronces. On pensait qu’elles étaient le signe des mauvais tailleurs certainement. C’est pourquoi la cigarette fut inventée. Pour venir, par l’intérieur, pousser l’étoffe et la tendre.

Ces fronces, les tailleurs vont par tous les moyens essayer de les éradiquer au XIXème siècle. Observons ce portrait du Prince Consort du Royaume-Uni, Albert mari de la Reine Victoria. L’épaule est à peine bombée. Et la tête de manche est maintenant un peu plus nette, plus contemporaine.

Nous sommes encore dans une époque qui n’aime pas les fronces en tête de manche. Pour la plupart de mes clients, les dames en particulier qui observent tout, une fronce sur une manche, c’est signe de mauvais montage. Cela ne fut pas toujours le cas. Et puis en Italie, la fronce est même devenue une caractéristique de goût.

Quelle différence maintenant entre une tête de manche ronde, à couture ouverte, modèle ancestral, et une tête de manche dite napolitaine ? On devrait plutôt l’appeler « spalla camicia », car au fond, pourquoi napolitaine ? Les italiens de diverses villes s’enorgueillissent de faire cette épaule, avec ou sans fronce. Comme une chemise donc.

Dans ce montage, la couture de tête de manche n’est plus ouverte. Elle est carrément renversée vers l’épaule, couchée vers l’intérieur. Parceque c’est assez technique et difficile à faire, elle ne se répand pas plus que ça. Il faut trouver des moyens techniques pour faire tenir ce montage en place. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais là où l’épaule ronde est maitrisable, l’épaule napolitaine demande un petit savoir faire.

Ensuite, ce montage est permis par la relative finesse des tissus d’aujourd’hui. Allez essayer de coucher un lainage lourd et raide, ce n’est pas facile. Lorsque le tissu est un peu épais comme du Harris Tweed, la couture napolitaine crée de l’épaisseur. Une épaisseur qu’il faut écraser durement pour garder l’épaule bien nette. Cette épaisseur, si on l’inverse pour créer une manche à cigarette, c’est tellement plus logique.

Enfin bref, c’est un peu compliqué comme laïus. Retenons une chose. Historiquement, c’est plutôt l’épaule ronde, à couture ouverte, qui a les faveurs des élégants et des tailleurs. C’est le XIXème siècle, perfectionniste, qui a cherché à donner du galbe et de la netteté aux lignes, par la création de la cigarette, qui elle-même, suivant les époques, a pu être plus ou moins marquée. Enfin, à l’orée du XXIème siècle, ce montage si baroque à fronces, passage obligé d’un habit d’Ancien Régime refait surface. Et plait… La mode, éternel recommencement ?

Voici pour finir un petit comparatif trouvé sur google : épaule à cigarette (bombée), épaule ronde à couture ouverte (plate), épaule napolitaine à couture couchée (en creux). Faite votre choix :

Belle et bonne semaine, Julien Scavini.

Cette semaine, c’était Radu Lupu que j’écoutais, dans le Concerto pour piano no 1 de Brahms…

La tête de manche bombée, à cigarette

Grâce à (ou à cause de) la profusion d’informations disponible principalement sur internet, le passionné se perd parfois un peu. Youtube, instragram, les blogs, les forums, autant de sources, autant d’auteurs, autant de points de vue qui peuvent faire perdre le sens profond d’une information et même la transformer. Pour qui n’est pas très précis et super informé, il est parfois difficile de s’y retrouver dans le monde de l’information sartoriale en particulier. Combien de clients m’ont parlé d’une « émanchure » quand ils faisaient référence à une « emmanchure ».

Le point le plus notable concerne les épaules. S’il est normal que chaque tailleur manuel (dit de grande mesure) ait sa façon de monter une manche, il est anormal d’en tirer une règle ou une conclusion de portée générale. Vous n’imaginez pas les fables que l’on me présente lorsque, lors d’une prise de mesure, je questionne ce point de la veste.

Lorsque certains clients voient la tête de manche légèrement bombée, dit montage avec cigarette, ils reconnaissent cela en me disant, « c’est bien ce montage romain ? » D’autres, dans une confusion absolue croient qu’il s’agit de l’épaule napolitaine. D’autres me demandent si c’est plus italien comme façon de monter les manches. Ou est-ce que c’est français ainsi ? Je fais toujours un peu les yeux ronds.

Et puis il y a le padding. J’ai horreur de ce mot qui a été balancé à tord et à travers sur internet et qui ne veut plus rien dire du tout ! Le padding est une partie du sujet de l’épaule et de la manche, qui ne dissocie pas hélas l’épaulette, l’entoilage et la cigarette. Nous y reviendrons ultérieurement.

Donc, je crois important de repositionner les bases et de donner une (la?) référence. Commençons par les manches, et leur montage.

La seule méthode pour monter une manche, depuis au moins un siècle et demi, c’est le montage bombé avec un petit rembourrage. Ce rembourrage est appelé en France la cigarette. C’est ainsi que font tous les tailleurs, en Angleterre, en France, en Italie ou en Espagne. C’est ainsi que l’on monte une manche. On la coud sur le corps au niveau de l’emmanchure. Et pour que ce montage soit joli et pas gondolé ou froncé, on met un petit peu de feutre et de crin sous forme de la cigarette. Ce petit rembourrage rend la tête de manche net.

Pourquoi fait-on ce petit bombé me direz-vous? Je viens de l’écrire. Pour rendre net le montage de la manche. Mais aussi pour donner un peu d’aisance. Car ce petit bombé, c’est en fait une réserve de tissu pour le cas où vous tendez le bras, où vous bougez. Le bombé donne un peu de « mou ». Toutefois, je tiens à nuancer immédiatement : c’était vrai lorsque les tissus étaient raides et denses. C’est bien moins vrai avec les tissus actuels, forts souples et tendres.

Ensuite, ce montage bombé peut présenter des spécificités locales ou historiques.

L’idée de structurer un peu la tête de manche pour la démarquer un peu de l’épaule apparait probablement vers 1800. C’est la découverte peu à peu du vêtement moderne d’essence britannique. Un vêtement mieux patronner, mieux régler sur le corps, qui suit des règles précises patronage.

La première itération spectaculaire de cette manche qui trouve un peu son autonomie sur le buste apparait juste après la Révolution Française. Un courant de mode spécial dandy dirons-nous. D’une extravagance forte. Ces « incroyables » font rembourrer leurs têtes de manches. Ils se donnent des airs avec leurs cols hauts et leurs manches en gigot. Cette esthétique va fortement influencer la mode masculine, et cela tout au long du XIXème siècle, qui voit des épaules grosses ça et là. Voyez cette gravure. Quelle décadence des épaules !

Toutefois, la norme reste une tête de manche raisonnable. Comme vous pouvez le voir ci-dessous à l’aide de photos de la fin du XIXème siècle. On voit bien ces manches à cigarette. Premier clichés, les frères Caillebotte, avec de jolies épaules tombantes (très peu épaulées) mais une tête de manche gentillement bombée :

On pourrait aussi voir le manteau (ou le paletot ?) d’Eugène Delacroix :

Spécificités historiques donc.

Et locales ensuite. C’est là que la magie contemporaine opère. Où des tailleurs italiens se targuent d’utiliser comme cigarette une feuille de cuir de chèvre, pour faire une tête de manche molle. A Paris, spécificité locale importante, les deux grands tailleurs indépendant de la place, Cifonelli et Camps de Luca forcent un peu cette cigarette, en modifiant le tracé de la tête de manche. Sur cette photo de Lorenzo Cifonelli, on retrouve presque ces épaules des « incroyables ». Est-ce une sorte de tradition française de forcer un peu ce trait ? Voilà une bonne question de thèse de recherche.

Fondamentalement, c’est toujours une épaule cigarette. Mais c’est un savoir poussé à l’extrême, presque une démonstration de « know-how » comme disent les anglais. Voyons par exemple chez Henry Poole à Londres. La cigarette est là. Moins marquée, plus classique :

Et chez Liverano & Liverano ? Voyons sur Simon Crompton. Elle est présente aussi cette petit cigarette :

A la fin de ce court exposé, une chose à retenir, monter une manche avec une petite bosse, c’est normal, c’est ainsi que l’on fait chez les tailleurs. Et ce n’est pas parce que certains blogueurs ont appelé ça « rollino » que ça veut forcément dire que c’est italien… !

La semaine prochaine, on voit ensemble la tête de manche sans cigarette. (Ou presque.)

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Pour écrire cet article, j’ai écouté de Rimsky Korsakov, son Scheherazade par Leopold Stokowski avec le LSO.

Mon avis sur (De) Fursac

On me demande fréquemment ce que je pense de la marque De Fursac, qui il faut le reconnaitre, est depuis bien longtemps ancrée dans le paysage stylistique français. La marque est ancienne. Les anciens l’appellent encore « Monsieur de Fursac ». Le nom de la marque est tiré du nom d’une ville en fait, Saint-Etienne-de-Fursac, où furent installés les ateliers.

Je n’ai jamais su trop quoi penser de cette enseigne et je n’en disais donc rien. Je notais juste que beaucoup de clients se plaignaient de tissus trop fragiles aux pantalons. De mon côté, je leur rétorquais que précisément, les costumes se vendaient bien car ils étaient légers, souples. Et que cette réflexion au fond était un peu schizophrène. Déplorer les conséquences d’une cause appréciée, c’est un classique.

Je n’étais pas très sûr de savoir où positionner De Fursac. Style proche de celui de Dior, mais moins cher. Esthétique pas très loin de A.P.C. mais plus orientée costume et ville que cette dernière. Esprit relativement parisien. Prédominance du noir. Moi qui étais plus proche de l’élégance d’une maison comme Hackett, vantant la countrylife anglaise, je n’étais pas clients. Mais nombre d’amis dans les tours de La Défence aimaient De Fursac. Et surtout ses soldes, qui furent longtemps très attractives.

Un jour, je demandais à un grand industriel français du textile son avis sur De Fursac. Devant ma moue interrogative, il fut très clair et très net. « De Fursac, c’est LA référence du costume en France. C’est eux qui définissent le cahier des charges de référence, et créent le rapport produit-prix. C’est l’étalon du costume sur le marché national. Un costume De Fursac sortie des usines de France, c’était la Rolls de ce qui se faisait, en France, avant que la marque ne décide d’aller produire à l’Est de l’Europe ». Dont acte. Ci-dessous, visuels récents, au petit esprit Attrape moi si tu peux avec Léonardo DiCaprio :

Dès lors, je me mis à regarder avec plus de sérieux les vitrines de De Fursac, ainsi que ses campagnes de publicité. Quelqu’un de sérieux m’avait dit que c’était la référence. Alors soit, je le prenais au sérieux, et ne trouvais rien à redire à mes amis en De Fursac. Quand aux clients cités plus hauts, je continuais le même discours qu’avant. On aime ce qu’on achète et inversement.

Et puis voilà, la marque a été rachetée par SMCP, un gros groupe textile. Un nouveau directeur artistique est arrivé, Gauthier Borsarello jadis commentateur de mes humbles articles ici. Je ne pouvais que me dire, espérons qu’ils fassent bien les choses, ce n’est vraiment pas une industrie facile le textile. Même dans un secteur en croissance comme l’habillement masculin, ce n’est vraiment pas simple. Il faut tirer son épingle du jeu sur un marché national aux prix serrés, face à des acteurs internationaux très lourds (Hugo Boss, Suit Supply, Boggi éventuellement, etc…).Il faut avoir les bons codes, les bons réflexes de style.

Le fait est que les silhouettes proposées sont très élégantes  maintenant, et bien moins fades que par le passé. La maison surfe sur un léger revival des années 80 et 90 très à la mode et porté par un créateur jeune quadragénaire. Le catalogue présente des vêtements bien choisis (manteau long cet hiver, blouson dans de belles matières, col roulé à l’italienne, etc… Un petit mixte entre les parisiens A.P.C. , Husbands, Beige Habilleur, Dior, et les mastotodontes Ralph Lauren ou Gant. Les deux manteaux ci-dessus sont très beaux. Et ci-dessous : certes le mannequin au sourire froid d’humanoïde ne m’inspire pas. Mais les tenues sont très belles. Beaux mocassins, belles chemises aux cols généreux, cravates amusantes. Un peu esprit Wall Street 1990.

Surtout, ce que j’apprécie par-dessus tout, c’est le nouveau positionnement tarifaire. J’ai vu au CNIT jeudi dernier une vitrine présentant un pantalon en coton blanc, net, au prix de 255 euros, avec des petits ajusteurs sur le côté. Voilà un produit avec une bonne marge. Donc, une marge permettant de vivre et de se développer, une marge rémunérant un groupe et ses travailleurs, en particulier les vendeurs dans les boutiques. Sur un marché national qui s’éteint de sa propre recherche du prix toujours plus bas, c’est un signe salutaire. Un produit vaut quelque chose.

Les jeunes marques digitales ayant érigé comme un dogme l’annihilation des intermédiaires, pour vendre au prix le plus « honnête » en direct d’usine, ont renchéri sur ce phénomène franco-français. Loro Piana avait fait une étude sur ses marchés tissus, et avait découvert qu’en France, c’était le pays où il était possible d’acheter un costume en tissu Loro Piana le moins cher au monde. C’est ahurissant.

Cette politique prix de Fursac (la marque a perdu son DE, à tord ou à raison… ?) m’est apparue heureuse. On ne crée pas une envie de marque, une image, un désir en donnant ses produits. Au contraire. « Qui trop embrasse mal étreint » ai-je lu quelque part. C’est assez vrai. En même temps, le consommateur n’a pas un portefeuille extensible et donc il y a une friction de marché. Je ne sais pas du tout où en est la maison Fursac. Elle a ouvert à Londres. Va ouvrir à New-York.

On peut lui souhaiter bonne chance je crois. Voilà une jolie enseigne qui propose de jolis produits. Dessinés à Paris. Soyons orgueilleux de notre patrimoine économique. Voilà mon avis en fait.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

J’ai écouté ce soir pour rédiger cet article, Les Nocturnes de Claude Debussy, par Pierre Boulez.

D’où vient le cran parisien         

C’est une question que l’on me pose assez souvent. Mais d’où vient le cran parisien? Pourquoi l’est-il d’ailleurs ? La première chose à faire est de caractériser cette forme de revers de veste.

Le cran parisien désigne la forme particulière que prend l’encoche séparant – ou liant – le revers de la veste et le col. Posons d’abord le référentiel, soit le cran normal, que les anglais appellent « notch lapel », formant une sorte de coin à presque 90°. Dans ce cran, la ligne d’anglaise (la couture liant revers et col, en rouge) est rectiligne et descendante. Le col lui épouse l’anglaise, puis s’en éloigne d’un coup, formant le cran ouvert. C’est la contre-anglaise, en vert.

Dans le cran pointu, une autre forme traditionnelle issue de l’École anglaise, la ligne d’anglaise se brise en deux. Elle est d’abord descendante, puis montante. Et le col épouse cette anglaise. Par couture d’abord, par simple jonction ensuite. Voyez ces schémas :

Le cran parisien se caractérise par une ligne d’anglaise brisée, descendante d’abord. Et moins descendante ensuite. Elle vient « taper » le bord du revers en formant un angle à 90° environ. Le col épouse l’anglaise, puis à l’instar du col normal, s’en éloigne. Mais s’en éloigne relativement peu.

De fait, l’ouverture du cran est légèrement plus fermée. Il existe quelques variantes, suivant les tailleurs, ou suivant que la veste est 2 ou 3 boutons. L’équilibre y est très subtil, entre dessin pur et lignes moches. La symétrie est très importante aussi. Et ce cran présente mieux s’il est un peu plus bas. Sur mon petit schéma ci-dessous, on pourrait penser que le canonique, à la Camps de Luca est ne n°2 et le Smalto, quelque chose entre les deux derniers :

Globalement, le cran parisien se caractérise donc par une ligne d’anglaise brisée et un cran peu ouvert, que les italiens appellent « bouche de loup » ou les anglais « bouche de grenouille ». Et je crois avoir entendu bien d’autres termes que j’ai oublié. D’une certaine manière, le col du polo-coat est une forme de cran parisien.

Toutefois, est-ce à Paris que l’on a inventé ce cran ? Certainement pas. Mais c’est à Paris qu’il est resté une forme de tradition, remise au goût du jour dans les années 60/70 par un certain Joseph Camps, qui eut un élève, Francesco Smalto. D’une certaine manière, tous les deux ont creusé le sillon de ce revers élégant. Qui n’était pas le revers des autres tailleurs avant et après. Evzeline, Cardin, Cifonelli n’utilisaient pas cette forme. Que vous n’avez pas vu sur Jean Gabin, ni Alain Delon, ni Philippe Noiret.

Les frères Grimbert chez Arnys avaient mis ce revers à l’honneur, mais cela uniquement sur la fin, après l’an 2000. Car avant, les vestes Arnys n’étaient pas ainsi coupées. Mais en revers anglais normal. La tradition infusait un peu et devenait distinctive. Marc Guyot est de ceux qui ont vu l’intérêt de cette ligne de revers et en ont fait un argument esthétique. Le tailleur japonnais Kenjiro Suzuki a aussi compris l’intérêt de cette ligne.

Quelques Présidents africains, le Roi du Maroc, et d’érudits industriels ont vu aussi là une griffe caractéristique, qui ne fait pas costume anglais. Admirez ci-dessous, Omar Bongo. Félix Tshisekedi. Macky Sall. Paul Biya. Patrick Drahi. Globalement, les états d’Afrique francophone sont plus enclins à aimer le cran parisien. Al Sissi en Egypte s’en fiche bien. Que de beaux costumes finement coupés n’est-ce pas :

Ce cran parisien est une marotte des tailleurs de la capitale française depuis les années 70 disons. Toutefois, on en trouve des traces auparavant. Et pas qu’en France. Aux États-Unis, il était une forme assez répandue en fait. Admirez ce portrait officiel de Richard Nixon :

De mon côté, j’en avais vu un dans Columbo, très ostentatoire, très opulent. En fait pour les tailleurs, il semble que cette forme est / était une sorte d’étude technique et esthétique, entre le cran classique et le cran en pointe. Une variante du cran en pointe en fait. Et encore avant les années 70, dans les années 1920, cette forme de revers était utilisée. Même assez caractéristique des années 20. Voyez Charly Chaplin et deux fois Rudolf Valentino :

Lorsque la télévision diffuse des images d’archives des années 20, je me mets à scruter très attentivement l’image, les personnages et les arrières plans. Non pas que j’y cherche un copain perdu de vu. Mais ces formes de revers justement. Ou de poches. Ou les épaules. Pour voir comment on faisait, quelle était l’esthétique exacte. Ainsi, je peux le dire à force d’expérience, le cran parisien ne l’est pas vraiment. Toutefois, reconnaissons qu’il est actuellement un trait distinctif des tailleurs de la capitale.

Je vous souhaite une belle et bonne semaine. Julien Scavini.

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Quelle musique ai-je écouté pour écrire cet article? L’Introduction et Allegro op 47 d’Elgar. Et plusieurs fois le Sospiro op 70, par Sir John Barbirolli.

Petit rajout suite à un commentaire avisé :

Grain de poudre

Le smoking s’attire toujours les faveurs des élégants. Il y a ceux qui sautent le pas pour le plaisir d’être parfaitement vêtu lors des soirées « black tie ». Et il y a ceux qui à l’occasion de leur mariage veulent une tenue remarquable et qui sort de l’ordinaire.

Les très rigoristes bien sûr vont ergoter sur l’ineptie du smoking porté en journée. Je ne peux pas leur donner tort. En même temps, de nos jours où tout est si moche, un beau smoking s’applaudit toujours. Même le jour. D’autant plus que beaucoup de mariés chez moi optent pour le smoking d’été, à veste écrue. Quelle merveille. L’allure de James Bond quand c’est bien fait.

Le tissu ancestral du smoking est logiquement le tissu de la queue-de-pie, son ancêtre. Pour rappel, la tenue composée de cette veste aux basques longues dans le dos, associée avec une chemise à col cassé, un pantalon du même tissu, un gilet en coton nid d’abeille et un papillon du même coton, cette tenue donc s’appelle un frac.

Pour couper queue-de-pie ou smoking, le tailleur propose à son client un tissu particulier que l’on appelle en France un grain de poudre. Définition :

GRAIN DE POUDRE, locution masculine. Tissu proche d’un granité alterné (natté irrégulier 2 à 1) fabriqué en laine peignée très fine ou en soie, d’aspect sec au grain poudreux.

Pour la faire plus compréhensible, le grain de poudre ne fait pas apparaitre le dessin habituel des twill (ou serge = légère trame diagonale) ou des toiles (légère trame de fils qui s’entrecroise orthogonalement). Le grain de poudre a une surface légèrement piquée, un petit peu comme le tissu qui recouvre des enceintes audio on pourrait dire. Voyez ces diverses images à échelles différentes :

Le grain de poudre, c’est le nom français. Dans les pays de langue anglaise, on dit barathea. Mais en France aussi on peut dire une barathea, ou un barathea. Seulement, quelques drapiers interrogés font une distinction entre grain de poudre et barathea. Pour eux, le grain de poudre c’est le fin du fin, une trame dense et serrée. D’où l’impression de poudre. Alors que le barathea, c’est beaucoup plus grossier. Et de conclure, de toute manière, le grain de poudre ça n’existe plus, y’a plus que du barathea. Cette manche au dessus, c’est du barathea. On le voit sur les boutons. C’est trop granuleux pour être du grain de poudre.

Pour avoir assez souvent observé des habits du siècle précédent, je peux confirmer que les grains de poudre que j’ai vu était d’une densité incroyable. Il faut tirer l’aiguille avec une pince pour arriver à coudre un bouton dedans. (Presque).

Le grain de poudre, ou la barathea, peuvent être noir, ou écru. Ou bleu. Ou rouge même, pour des uniformes de la garde royale anglaise. Bref, comme on veut.

Mais ce n’est pas non plus obligé. Un autre tissu adapté à un smoking, surtout un smoking d’été est la toile. Qui lorsqu’elle est un peu grosse, disons composée de fils un peu épais, peut prendre le nom d’hopsack. Souvent, ces toiles ou hopsack ne sont pas 100% laine, mais laine et mohair. Le mohair apportant un brillant et une raideur bienvenus. Cette toile un peu forte type hopsack, elle est en photo ci-dessous :

Et puis il y a aussi la faille. Ahaha voilà une armure rare. La faille, définition :

FAILLE, nom féminin. Tissu, toile de soie ou de fibre artificielle, moins brillante que le taffetas, à grains très marqués. Des côtes transversales se dessinent à la surface du tissu. Elles résultent de l’utilisation de filés de soie organsins en chaîne et de gros fils de soie ou de coton glacé en trame, ou encore de l’introduction simultanée de plusieurs duites dans le même pas. Le tombé de la faille est raide mais élégant. Autrefois, la chaine était en soie cuite.

Voilà pour cette définition qui est un bonheur de langue française, mais bien difficile à saisir. Ce que l’on peut rajouter est que la faille se fait aussi en laine. Et qu’une faille de laine peut très bien être utilisée pour couper un smoking. Il aura une tendance entre mat et brillant. C’est difficile à décrire, mais c’est très beau. La faille, c’est plus brillant qu’un twill tout bête. Mais moins brillant que du satin, comme le montre peu clairement la photo ci-dessous :

D’ailleurs, en parlant de cela, évoquons les revers du smoking noir. Le tissu qui les recouvre n’est pas du satin comme les clients me disent souvent. Mais de la faille justement. Faille de soie lorsque l’on a (énormément) d’argent, faille en matière artificielle dans tous les autres cas. La faille est un tissu luisant, mais pas brillant. Elle fait un contraste très subtil avec le tissu du corps, sans pour autant être brillante. En fait, la différence entre le lainage du corps et la matière du revers doit à peine s’apercevoir. C’est justement là que l’on remarque un smoking acheté chez Tati. Ses revers sont brillants, en satin (ou taffetas). Erreur, les revers brillants, c’est pour les vestes de fumoir en velours. Que les anglais appellent « smoking jacket ». Mince, on va se perdre… !

Enfin dernière option, des revers recouverts en cannelé, aussi appelé ottoman, aussi appelé reps suivant les matières. L’ottoman c’est en laine ou en coton ou en matière artificielle, le reps, c’est en soie. Ces cannelés sont striés horizontalement, pas verticalement. Du plus bel effet :

Voilà de quoi alimenter les débats sartoriaux les plus érudits! Ou simplement enrichir son vocabulaire de mots nouveaux. Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Une devinette doublée d’une drôlerie [réponse]

Au fil d’heures de ratissage des bases de données de wikimedia commons, je trouve et j’enregistre moult images. Dont celle-ci, Churchill pendant la guerre. Je ne crois pas trop me tromper en disant que les trois armes y sont réunies. Croisé de Marine à 4 rangs de boutons et teinte profondément navy à droite. Veston de l’Air à gauche en teinte logiquement… air force blue… ou RAF blue, (en prononçant longtemps le Raaaffff) et teinte terreuse pour la Terre. C’est si élégant.

En plus, il y a dans cette photo une drôlerie je pense. Une invention. Je vous laisse observer cette photo et mettre en commentaire quelle peut bien être cette drôlerie. Et demain ou après-demain, je donne la réponse 🙂

A demain, et bon début de semaine, Julien Scavini

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Et en effet, vous étiez nombreux à l’avoir vu… la fermeture à glissière, autrement appelée fermeture éclair, autrement appelée zip… sur les richelieus noirs de Winston Churchill! Plus simple que les lacets. Plus simple que la fermeture à boucle. Et avant le scratch. Quelle idée ergonomique. Jamais vu cela ailleurs ! On osera pas poser la question du bon goût, Churchill par ses origines et ce qu’il fit de sa vie avait tous les droits en la matière !

Je ne l’avais pas fait remarquer hier de peur de mettre la puce à l’oreille, mais l’accord entre le cuir des souliers et des uniformes est implacable. Souliers noirs pour l’Air Force et la Royal Navy, et encore mieux, des richelieus! Souliers marron pour l’Armée de Terre, et encore mieux, un derby. Voilà un bel exemple de dignité vestimentaire.

Quant à la pochette sur le croisé militaire, quelle merveille. J’espère que ce petit exercice d’observation vous fut d’un agrément des plus plaisants!

A bientôt

Le croisé, une question au carré

Sur la photo du Prince Michael de Kent (pour ceux qui ne le savent pas, un cousin germain d’Élisabeth II) publiée la semaine dernière, Monsieur A. à la boutique m’a fait remarquer le positionnement très bas des boutons. Il est vrai que les passepoils des poches côtés se retrouvent placés comme au milieu du carré de bouton.

C’est qu’à la fois les poches sont assez hautes en fait (pour ma part je les aurais placé un peu plus bas), et qu’à la fois le carré de boutons est assez bas. Cette position, je la trouve pour ma part assez bonne. Si l’on cache les poches, on remarque un placement des boutons un peu bas certes, mais cela permet de donner un V assez marqué pour placer de généreuses et opulentes cravates.

Soit le tailleur aurait pu descendre un peu les poches. Soit il aurait pu remonter un peu les boutons. Ce que cela nous montre, c’est qu’il n’y a jamais une seule bonne réponse en art tailleur.

Ce qu’il faut avoir à l’esprit, c’est qu’à cause de sa croisure double, le V de la veste croisée se trouve rogné un petit peu. Un boutonnage haut sur une veste croisée donne un V court, similaire à une veste droite à 3 boutons. Un boutonnage placé plus bas, comme sur le Prince permet de dégager un V digne d’une veste droite à 2 boutons, à peu près. Voyez plutôt ce dessin :

Mais aujourd’hui, j’ai envie de vous parler un peu de ce carré de boutons devant. Sur le Prince Michael de Kent, les boutons sont disposés devant en formant un carré fort scrupuleux.  C’est tout à fait satisfaisant pour l’esprit. Une sorte de quadrature.

Cela dit, est-ce que le carré est digne des proportions de l’Homme ? Pourquoi un rectangle aux proportions d’or ne serait-il pas mieux ? Un rectangle posé à la verticale, plus haut que large. Après tout, lorsque les drapiers dessinent des prince-de-galles et autres carreaux-fenêtres, ils ne dessinent jamais des carrés. Mais des rectangles verticaux. Car le rectangle vertical sied mieux à la verticalité du corps humain.

C’est avec cette logique que bien des tailleurs et stylistes composent le croisé. Et ce faisant, ils définissent plutôt un rectangle devant, vertical. Deux paramètres donnent ce rectangle un peu vertical : d’abord une croisure moindre, ensuite un corps relativement mince.

Car c’est le grand défi du croisé. Lorsque le porteur est mince, fluet, élancé, on manque un peu de tissu devant pour bien réaliser le carré de bouton. On ne peut pas trop forcer la croisure, car alors le bord du devant viendrait embrasser la poche. Et on ne peut pas non plus repousser la poche vers le dos, car alors celle-ci irait chatouiller la fente dos. Il y a un équilibre subtil à trouver et placer les quatre boutons un peu en forme rectangulaire vertical est obligatoire.

De là à dire que le croisé est plus facile à caler sur quelqu’un de corpulent, il n’y a qu’un pas que je peux bien franchir.

D’ailleurs, à l’inverse exactement, lorsque le client a un peu de « surface », il est aussi possible dans certaines circonstances d’obtenir un croisé avec des boutons disposés en rectangle… horizontal. C’est encore bien autre chose. Les stylistes de chez Ralph Lauren sont assez tentés par cela, comme une disposition un peu forcée du croisé, un stéréotype un peu outré. C’est ainsi que l’on forge des images.  

Ci-dessous : le carré, le rectangle vertical, le rectangle horizontal :

Pour finir, revenons au carré. Au bon carré bien régulier. Ses dimensions peuvent varier. Les tailleurs un peu « tradi » ont tendance à faire des petits carrés devant. Moi je trouve cela trop chiche. Le Roi Charles porte un peu comme ça. Petit croisé. J’aime mieux lorsque le carré prend une belle dimension, disons 12cm de côté. Au lieu de 10cm comme chez Charles. C’est subtil vous me direz.

Il est vrai. Le croisé, c’est fort subtil à bien dessiner et à bien calibrer. Et il dépend un peu de chaque client, de sa corpulence et de son rapport hauteur largeur. Quel art… ! Interprété avec diversité aussi bien par les tailleurs que par les clients ! & bloggeurs…

Ci-dessous, une image d’un croisé Ralph Lauren et une autre du Roi Charles, avec son petit croisé de boutons… et sa rustine en bas à gauche de la veste :

Bonne semaine, Julien Scavini

Les boutons du croisé

Si le croisé 6 en 1 façon années 90 revient un peu sur le devant de la scène sartoriale (à cause ou grâce à Lorenzo Cifonelli?), le modèle classique reste toutefois le 6 en 2. Soit pour celles et ceux qui ne suivraient pas, 6 boutons visibles sur le devant, dont 2 se boutonnent du côté droit.

Ce faisant, s’il y a 2 boutonnant à droite, il y a en retour 2 décoratifs à gauche, question de symétrie. Certains stylistes se sont essayés à l’asymétrie. Ainsi qu’un client une fois qui m’avait demandé de ne pas disposer les boutons ne « servant à rien ». C’est un style…

Le croisé classique 6 en 2 présente sur le devant 4 boutons disposés en carré. Plus deux boutons un peu plus haut, sur les poitrines. Pourquoi? Allez savoir. Probablement une question de silhouette et de forme en V. Le carré seul devant fait un peu pataud, comme ci-dessous à gauche. Ajouter ces deux boutons de manière un peu excentré, ça redonne une ligne à la veste en évasant son dessin vers les épaules. Une veste croisé avec un carré devant, mais sans les deux boutons aux poitrines, c’est tout à fait singulier. Ça fait pauvre. Voyez plutôt :

Sauf si la poche poitrine est plaquée. Alors dans ce cas, on ne met pas le bouton. Cela donne un vieux style de Lord en goguette. Car on ne le coud pas sur la poche. Comme je l’ai vu dans une publicité une fois. Ou une autre fois j’ai vu une médiocre fabrication chinoise qui se voulait sartoriale. Ne sachant pas quoi faire des deux boutons du haut, ils les avaient placés plus bas, en les rapprochant du carré. Quelle curiosité comme sur mon dessin ci-dessous à droite :

A titre informatif, je pense que les deux boutons décoratifs se placent au même espacement que les boutons du bas. Si 12cm, alors, 12cm. La diagonale fera un peu plus logiquement. Voir flèches en orange.

Anglais et italiens n’ont je crois pas la même approche de ce positionnement. Les anglais ont tendances à placer ces boutons proches du centre, donnant un V peu marqué, ci-dessous à gauche. A l’inverse les italiens placent les boutons de manière plus excentrés ci-dessous à droite, accentuant le V. Ralph Lauren est le maître en la matière, avec des boutons de poitrine placés sur les pinces devant. Je fais ainsi presque. J’aime bien. C’est selon les goûts.

Il y a aussi la hauteur de positionnement des boutons du croisé. J’ai tendance à penser que sur un croisé, il faut franchement abaisser ce niveau de boutonnage. Placer les deux boutons fonctionnels plus bas que si c’était une veste droite. En descendant le rang du bas sous la poche. C’est aussi une vision, que ne partagent pas toujours les ateliers.

La semaine prochaine si tout va bien on parlera du carré devant.

Reste enfin une dernière touche de symétrie sur le croisé. Avec une ou deux milanaises au revers… ? Pour moi, c’est deux comme la photo ci-dessous du cousin d’Elizabeth II, Mickael de Kent. Une de chaque côté. Autant aller sur la symétrie jusqu’au bout ! Mais ça aussi, c’est une question de goût !

Amusante photo enfin, autour du Président Truman, l’homme en papillon et croisé clair. A sa droite, un croisé à poche plaquée de poitrine, avec une bouton subtilement cousu au bord de la poche de poitrine… Et vers la gauche, un homme déboutonnant son croisé façon 4 en 1, sans les boutons de poitrine. Tout se fait, tout s’est fait !

Belle et bonne semaine. Julien Scavini