Au cours des nombreux rendez-vous que je peux avoir avec des jeunes gens en quête de leur costume de mariage, un point revient souvent : l’hésitation sur la couleur des souliers. Il semble que ce soit le grand doute concernant la couleur qu’il convient de mettre. Plus généralement, ce questionnement sur la couleur des souliers peut se poser avec un simple costume de travail. Il suffit de cinq minutes dans le métro pour découvrir l’abysse en culture bottière.
Essayons pas à pas d’y voir plus clair.
Il existe deux grandes catégories de souliers : les noirs et les marrons. Au cours du XIXème siècle, une couleur a dominé en ville : le noir. Les souliers marron existaient mais étaient très très rares. Les tenues bourgeoises étaient elles aussi foncées. Ainsi, le noir est depuis longtemps attaché aux souliers de ville, aux souliers habillés. A l’inverse, le marron issu de la vénerie est resté attaché à la campagne.
Dans les années 1900, la notion de vestiaire sport apparait. Les bottines allant avec ces tenues sont alors marron. Une dissociation nait vers 1900, souliers noirs à la ville et bottes ou bottines marron à la campagne.
Au cours des années 50, si ce n’est pas avant, la dissociation souliers noir ville et souliers marron campagne s’est estompée. On se met à porter des souliers noirs avec des tenues dépareillées, car on veut faire urbain et un peu bcbg et en même temps, le soulier marron devient possible avec le costume. Ce faisant, deux écoles s’opposent : ceux qui considèrent qu’en ville priment les chaussures noires, qu’importe la situation, et ceux qui pensent qu’en ville il est plaisant de pouvoir porter les deux pour différencier des situations.
De mon point de vue, avec un ensemble dépareillé, la chaussure marron est plus intéressante, 1- pour l’harmonie des couleurs et 2- pour bien marquer l’esprit décontracté. On retrouve ce débat autour du blazer, veste bleue qui s’associe généralement avec un pantalon gris. Certains se plaisent à le porter avec des souliers marron, soulignant là son origine très ‘club de sport’, d’autres l’associent avec des souliers noirs, accentuant son aspect semi-habillé, parfait pour un cocktail mondain façon bcbg. On note que les militaires de la marine, avec le blazer croisé portent des souliers noirs.
Pour les anglais, un costume de ville, donc porté au bureau par exemple, entraine l’obligation de porter des souliers noirs. Dans la banque et l’assurance, chez les avocats, c’est encore une règle logique. Pour un mariage, il serait de bon ton aussi de porter des souliers noirs, c’est un grand évènement formel.
Toutefois, en France et probablement ailleurs en Europe, surtout en Italie, la mode de porter du marron en ville avec un costume est très présente dès les années 50. Le costume marron beigasse est un classique de l’allure française des sixties, avec un petit chapeau trilby, à la Fantasio. Une manière je pense pour l’homme hexagonal de se dissocier de la mode très anglaise.
Que faire de nos jours?
Il faut avoir à l’esprit que le soulier noir est habillé et qu’il est convenable avec un costume. Deuxièmement, le soulier noir ne va pas avec une tenue dépareillée. Point, et pas autrement. On ne met pas de souliers noirs avec une veste de tweed et un pantalon de velours par exemple, c’est curieux. Sauf peut-être si cet ensemble est fait de nuances de gris…
La grammaire a ses exceptions. Mais globalement retenir noir = costume et marron = décontraction, c’est bien.
Et pour le costume bleu marine?
Question curieuse souvent posée, en particulier par les femmes : peut-on associer un costume marine avec des souliers noirs. Je ne sais pas pourquoi on ne pourrait pas ? La règle est simple, un costume porté dans un bureau se met avec des souliers noirs. Sauf si en effet on suit la règle très ‘Elle’ ou ‘Marie–Claire’ disant que le marine ne s’associe jamais avec du noir, alors…
Ne peut-on pas mettre de souliers marron avec un costume?
Une fois la règle posée et consciencieusement intégrée, il est possible d’aller plus loin. Ainsi, dès les années 30; un costume marine était de bon ton avec des souliers marron, pourquoi pas en veau-velours, comme le montrent les images d’Apparel Arts. C’est une question de tact. Bien sûr que des souliers marrons collent avec un costume bleu. Ci-dessous, le même costume que précédemment, mais dans une tenue plus décontractée, avec souliers marron.
Et avec un costume gris?
Costume gris, chaussures marron? Chacun fait comme il veut. C’est pas impossible.
Si le costume est porté avec une chemise blanche?
Pour moi c’est radical. Chemise blanche = formalisme. Si je mets une chemise blanche avec mon costume, je mets des souliers noirs. Pareil si la chemise est colorée à col blanc. Des souliers marrons avec ce beau blanc écarlate en haut est un drôle d’attelage, formel / décontracté qui ne va pas.
Il faut faire attention à la ceinture!
Si vous portez des souliers marron avec votre costume bleu, ne portez pas de ceinture noire. Diantre. Les cuirs se répondent et s’harmonisent. Chaussures marron = ceinture marron. Une simplicité souvent non respectée, parole d’observateur métropolitain.
Il faut faire attention aux souliers marron!
Cette couleur oblige plus que le noir. Des souliers noirs s’entretiennent tellement plus facilement. Un coup de cirage, un peu de crème, et hop les voilà resplendissant. Les souliers marron sont pour 1- les gens riches ou 2- les gens précautionneux. Il faut bien les crémer et en prendre soin. La mode des souliers patinées est par ailleurs très intéressante … si l’on en prend soin. Mais diantre, combien de ploucs avec des godillots aux pieds à la fin. Combien d’affreuses chaussures marron jamais cirées? Toutes biscornues car elles ne voient jamais d’embauchoirs…
De nos jours, les souliers marron ont envahi l’espace. Chemise blanche et chaussures noires, symboles jadis de respectabilité, ne sont plus forcément dans l’air du temps. Bien que l’association chaussures noires + jean + chemise blanche soit elle en vogue… sans intérêt.
En bref et finalement, l’époque contemporaine c’est un peu le fait comme tu veux. Mais, il est possible de décréter que les vieilles règles ne sont pas si idiotes. Tout en jouant un peu avec. Par exemple, même en étant rigoriste, je peux reconnaitre que le costume en flanelle bleue est merveilleux associé à des chaussures en veau-velours.
C’est comme les tableaux de conjugaison. Il y a les grandes formules et celles un peu moins usitées, les synonymes plus raffinés etc… Il y a la base, et il y a ce qu’on en fait.
Belle semaine, Julien Scavini