La canadienne

Le froid est revenu et depuis que j’ai un scooter, chose véritablement libératrice lorsque l’on vit à Paris, j’ai froid ! Ce nouveau mode de vie m’a poussé subitement à abandonner le manteau, pourtant si agréable et élégant. Fini le drap de laine et cachemire, les cols en velours et la longueur généreuse, car assis, cela ne fonctionne pas ! Mince alors. Je n’y croyais pas beaucoup du reste, mais force est de constater que dès 30km/h, il gèle!!!

Je me suis donc intéressé au vestiaire ‘sport’ ou ‘militaire’ moderne et ancien. Bien évidemment, il est toujours possible de prendre une doudoune rembourrée de plume, LE vêtement du moment (on s’excuse (et on s’alarme) auprès des oies, parfois plumées vivantes en Chine). Canada Goose, Schott NYC et Pyrenex apparaissent comme les faiseurs historiques de ce vêtement dont les premiers exemplaires remontent aux années 40. A l’époque on l’appelait plutôt parka bien que le matelassage caractéristique soit arrivé plus tard. Les prémices de ce vêtements se trouvent dans les vêtements ‘bibendum’ des pilotes civils et militaires des années 20 et 30, qui portaient des manteaux tout en mouton retourné (poil laineux vers l’intérieur et capuche en fourrure). L’excellent livre Vintage Menswear de Sims, Luckett & Gunn aux éditions Laurence King montre de nombreuses pièces de la sorte.

Récemment, je lisais un article sur Alain Juppé qui racontait son mode de vie et ses rites bordelais. Au détour d’une phrase était citée sa fameuse canadienne verte, un peu défraichie, qui ne le quitte pas. Je me suis alors demandé ce qu’était une canadienne. Pour moi, le mot sonnait très années 90. Quand j’étais petit, il allait de paire avec la cagoule et autres errements vestimentaires. La canadienne… voici bien un vêtement vintage.

Au cours de ma petite recherche, j’ai découvert que ce vêtement est arrivé en France durant les années 30. Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo dans Un Singe en Hiver réalisé par Henri Verneuil en 1962 portent une canadienne. Le vêtement est caractérisé par sa longueur à peine trois quart, ses poches ventrales, son boutonnage croisé et son col châle très enveloppant réalisé en feutre de laine dense, quand le corps est plus souvent en gabardine imperméable de coton ou de laine. Le col recouvert de laine de mouton est venu plus tard.

ILLUS86En France, nous l’appelons canadienne car c’est certainement de là-bas que les premiers modèles furent importés. Le vêtement puise en effet son origine autour des grands lacs Michigan et Huron. Plus précisément, ce manteau court fût développé et commandé vers 1811 pour vêtir les militaires d’un camp anglais, le Fort Saint Joseph. Il fut réalisé par des amérindiens qui lui donnèrent le nom de mackinac ou mackinaw d’après l’appellation du passage reliant les lacs Michigan et Huron, le détroit de Mackinac. Par la suite, les trappeurs et marchands rendirent populaires le modèle, chaud et utilitaire. Dans les années 20, il était très populaire, en particulier après des bûcherons et autres travailleurs en extérieur. L’armée américaine utilisa le modèle dès la première guerre mondiale et en 1938, le vêtement devint officiellement un uniforme, teinté en vert olive. La mackinaw pris le nom de Jeep coat.

Au début du siècle, les canadiennes étaient réalisées en cuir de cheval, car c’était le cuir le plus résistant qui soit. Les chevaux étaient abondants, car ils servaient à la ferme et en ville pour tracter les véhicules. Avec leur disparition progressive, le cuir devint plus cher et il fut abandonné. Cela en faisait le vêtement par excellence des travailleurs des pays froids. La goodyear Rubber Company fabriquait des exemplaires non croisés en cuir de cheval.

De nos jours, ce vêtement est un peu tombé en désuétude, même si quelques maisons en éditent de temps à autre, comme Gap. Son aspect un peu militaire, dû en partie à la couleur olive, rend la canadienne populaire auprès des jeunes. Pour autant, il n’est pas le vêtement le plus élégant qui soit. La pièce est charmante ceci dit, surtout lorsque l’on voit son patronage, ci dessous. Ma quête continue donc !

Pour les amateurs donc, le tracé par LadevèzeDarroux 1966 :

canadienne patronnageBelle semaine, Julien Scavini

Pensées italiennes

Je suis récemment allé à Florence. J’ai donc vu la ville du Pitti. Formidable! Très jolie ville bien que remplie de touristes. J’ai cependant noté assez peu d’italiens élégants je dois dire. Y compris les boutiques, je n’ai rien vu de notable, alors même que je pensais revenir avec des photos de vitrines comme je l’avais déjà fait il y a plusieurs mois. Tant pis.

Ceci dit, je me suis plongé dans la culture italienne et en particulier celle de la Renaissance, Florence étant par excellence la ville du renouveau éclairé. Les Médicis ont fait de cette cité un joyau serti de tous les arts, sculpture, peinture et architecture. L’occasion de bâtir une petite réflexion que je m’empresse de vous livrer, faisant lien entre l’ancien et le moderne, les arts et le vêtement, les italiens et le reste du monde. Tout est venu à partir de la visite des jardins de Boboli où notre guide évoquait la question du maniérisme.

Vous savez, sur ce blog en particulier, j’aime caractériser les choses. Le vêtement est fait de code. Et ces codes peuvent être tempéré par un style particulier, personnel ou local. Le style italien que l’on voit au Pitti, très démonstratif et fait de mélanges est à ce sujet plein d’attrait. Qu’en dire? Comment le dire? Comment le reproduire? Autant que de questions que je me suis amusé à compiler sous une même hypothèse stylistique. Presque une hypothèse d’esthétique !

Ainsi nous dit notre guide à propos d’abord du Palais Pitti et en rapport aux nombreux chefs-d’œuvre déjà vu dans Florence, le maniérisme des années 1530-1550 désigne le travail des élèves de grands maitres, peintres et sculpteurs, travaillant leur art ‘à la manière de’, soit pour finir des œuvres, soit pour en créer de nouvelles. Ce faisant, ces élèves s’éloignent peu à peu de l’idéal de leur illustre prédécesseur qui était celui de la perfection et de la règle. Le maniérisme, c’est donc l’histoire d’une suite et d’une rupture.

J’ai alors échafaudé une certaine théorie dans ma tête qui s’adapte bien au goût ‘tailleur’ italien actuel, en opposition au goût ‘tailleur’ anglais et français. Ainsi, le style anglais et français classique serait celui de la règle et de la continuité, alors que le style italien serait celui de la rupture.

Mais avançons encore dans le raisonnement.

Le maniérisme, c’est donc ‘à la manière de’. Cette façon très italienne de penser vise à continuer, à reproduire. Mais dans la copie, les maniéristes italiens introduisent un changement qui leur est propre. Le maniérisme, c’est l’introduction d’un dynamisme, d’une licence (au sens ‘d’un droit à’) et en bref, d’une bizarrerie. Dans le maniérisme, il y a un côté moins équilibré.

Je trouve que l’analogie avec le goût tailleur est très intéressante.

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Car par exemple, cette manière de penser est très différente de la façon française qui vise plus l’ordonnance et la proportion par exemple. Le français et l’anglais de surcroit pourraient paraitre plus mesurés, plus équilibrés.

Le style anglais (et français par extension) est fait pour aider. C’est ce que je fais sur mon blog en permanence. Mais le goût italien est fait pour confondre. Vous comprenez ?

Les élégants et parfois ridicules italiens (au goût des autres classiques qui pourtant les regardent goulument) que l’on voit en photo au Pitti sont des maniéristes, au sens d’une réaction à la perfection atteinte auparavant au Royaume-Uni et ailleurs. Un changement léger mais introduisant du bizarre, dans la continuité. Ce changement eut lieu en plusieurs phases. D’abord par la copie des techniques. Dans les années 50, les petites industries italiennes se sont structurées pour produire des vêtements dans un goût parfaitement anglais. Dans les années 80, les grands noms comme Valentino ou Cerruti ont même pris le dessus, à tel point que Brioni habillait James Bond ! Puis, à ‘cette manière de’ a succédé une phase plus typiquement italienne, récupération actée puis transformée.

Pour paraphraser wikipédia, j’ajouterai même que le maniérisme contemporain et sartorial se caractérise comme un art de répertoire, où les artistes et les figures de prou telles que Gianni Agnelli, Lino Ieluzzi et Luca Rubinacci puisent chez Edouard VI ou le Prince Charles des formules pour définir leur vocabulaire spécifique. Le maniérisme sartorial est donc un jeu artistique de l’emprunt (la montre gousset du banquier) mais aussi un jeu de codes et de symboles souvent troubles (les gants dans la poche, le 7 brodé sur la cravate). Dans le dessin ci-dessus, aucun vêtement en particulier n’est bizarre. Mais leur assemblage peut le paraitre.

Pour terminer, si l’on imagine que l’histoire se repète toujours (mais en l’occurrence sur un registre et une temporalité différente), on pourrait émettre l’hypothèque qu’un retour de bâton viendra un jour. Car les clients pourraient reprocher aux ‘artistes’ ce maniérisme à l’aspect un peu artificiel. Le jeu est-il fait pour durer ? L’avenir s’annonce passionnant !

Sur ces réflexions très ‘chouannesques’, je vous laisse penser et vous souhaite une belle semaine.

Julien Scavini