Voilà un énième questionnement sur le fameux style français. Au fil de mes discussions avec des amis sur le sujet, et à force d’observation de mes clients, je nourris cette réflexion sans fin.
Quand on parle de style français, comme du style anglais, il existe une vraie différence entre le registre ville et le registre campagne. Mais alors que l’anglais est versatile à ce sujet, changeant suivant le lieu et les circonstances de registre (le lord s’habille et fréquente clubs à Londres et propriétés à la campagne en changeant de tenue), le français telle que je le pose dans ma démonstration (que j’appellerai Monsieur de F.) est un esthète au goût peut-être moins versatile.
Ainsi, beaucoup de Messieurs de F. affectionnent le registre de la campagne en exclusivité, donc même et surtout en ville ! C’est le fameux gentleman farmer des magazines, un terme absolument affreux et impropre pour désigner antiquaires, médecins, éditeurs, conseillers d’État et autres intellectuels qui se régalent des couleurs et des velours campagnards, à la ville.
Il s’agit d’une catégorie d’hommes que j’ai déjà eu l’occasion de décrire ici et là. Avec eux, le style est plus fait de couleurs et de matières que d’une véritable étude tailleur. Les formes peuvent être aussi bien étriquées qu’amples, affutées que molles. Ce qui compte, c’est l’effet visuel, le panache immédiat. Pour autant, si la recherche est flamboyante, la palette est réduite. Il ne s’agit pas d’un vestiaire de Pinocchio.
Ce registre, nous l’avons tous identifié. Serge Moati, Jean Pierre Coffe et d’autres à la télévision. Il est reconnaissable. Et il fait style! Style Français, c’est certain. A la différence du style anglais, il est moins regardant des usages et circonstances. Il est assez revendicatif de liberté, d’un esprit un peu bohême parfois agaçant mais qui fonctionne comme lorsque F. Fillon avait mis une forestière.
La seconde facette du style français, dans le registre urbain est plus difficile à cerner. Très anglophile dans son esprit, ce style est plus autonome, différent de la raison du lord anglais.
J’ai pu observer celui-ci sur quelques clients, mais assez peu. Ceci dit, la silhouette que ceux-ci dégagaient était tout à fait remarquable.
Premièrement, il s’agit là encore de professions supérieures, avocats, producteurs, haut-fonctionnaires. Les plus remarquables dans le genre portent aussi des noms à particule. Comme si ce petit ‘de’ était porteur d’un inné ad hoc. Par contre, à la différence de la facette ‘campagne’, ces Messieurs de F. ont un physique pour.
Je m’explique. Comme évoqué, les amateurs du style coloré décrit plus haut ont des physiques qui apprécient la rondeur et l’aise, et l’art de la coupe n’est pas vraiment prise en compte. Mais dans le cas qui m’intéresse maintenant, le physique racé est l’objet d’une véritable recherche sculpturale, comme Etienne de Beaumont dans la photo d’Adolf de Meyer. Ce n’est pas un chic fatigué.
J’ai noté que ces Messieurs de F. ont des physiques et au delà, des attitudes gracieuses, délicates et distinguées. Quand ils pinaillent sur un demi-pli, ce n’est pas seulement pas coquetterie, ni pour montrer qu’à 50 ans ils ont toujours un physique de jeune premier, mais pour au contraire être au plus proche du potentiel de la coupe. C’est un esthétisme, une recherche d’art.
Et en les regardant, une chose m’a frappé, l’allure d’ancien régime. Ce petit gentilhomme à l’allure un peu grêle, juché sur des jambes minces que le bas de soie mettait en valeur, était devant moi.
Une impression amusante. Plusieurs facteurs expliquent cette impression, que le physique aide absolument :
1- les pantalons sont coupés très étroits. Très très étroits, possibilité offerte par une cuisse fine. Je le redis, ce n’est pas un style pour rugbyman, mais au contraire pour un homme aux dimensions de l’ancien régime (1m70 environ, 60kg). Ce pantalon est étroit et est porté haut sur les hanches. Un petit effet carotte sympathique qui emboite bien le ventre. Ce pantalon étroit est arrêté très court sur la chaussure, à l’anglaise (trop court au goût du commun). Le plus souvent, un généreux revers termine le bas. Pour autant, ce n’est pas une allure à la Tom Browne ou à l’italienne. Car ici les coloris sont sombres et les souliers noirs.
2- les souliers sont très fins également. Je me souviens du film Les Vestiges du Jour, où le personnage du diplomate joué par Michael Lonsdale se plaint de souliers trop étroits, uniquement achetés ‘par vanité’ dit-il. Il y a là dedans quelque chose d’essentiel pour ce goût français que je décris. Le lord anglais est dans la mesure. Il est flegme. Ce monsieur de F. que je décris ne l’est pas, ou alors pas de la même manière. D’ailleurs, les souliers produits par la maison Aubercy sont remarquables à ce titre. Je n’ai jamais vu une telle ligne. Avec on perd deux tailles. Le chaussant est minuscule, le débord de la semelle quasi inexistant. La ligne est très fine et racée. Un peu à la manière de Corthay, qui autre fait intéressant dans le débat qui nous occupe ce jour, a mis à l’honneur de soulier derby, une forme très peu anglaise à la ville.
3- la veste est taillée à la serpe. La taille est bien serrée et comme tous les hommes ont des fesses, le bassin un peu visible. Impression de bassin un peu large renforcée par une épaule très étroite, en forme de bouteille de Saint Galmier comme l’expression le dit. Tout le haut la veste fait l’objet d’une attention précise: emmanchure haute et épaule étroite, peu épaule sans trop d’épaulette, à l’anglaise, et manches montées (et non pas tombantes à l’italienne) avec un peu de volume, mais qui s’effondre vite sous l’effet de l’utilisation. Le style à ce niveau des grands tailleurs comme Cifonelli ou Camps est aussi une réponse différente des tailleurs anglais pour un goût différent. Cette belle tête de manche, bien rembourrée finie inévitablement par se tasser un peu. En s’effondrant, elle renforce le côté fuyant de l’épaule. Monsieur de F. ne fait pas beaucoup de sport, aussi le biceps n’est pas fort mais la manche est plutôt ample.
Ces trois points coordonnés donnent une allure distinctive à Monsieur de F. Un petit duc juché sur deux ergots, les manières fines et l’allure alerte. On pourrait qualifier cette recherche de dandysme. Oui un petit peu. Mais un vrai, pas à la façon d’un article grossier sur le sujet trouvé dans un magazine quelconque. En même temps ce qui surprend, c’est l’étonnant détachement dont font preuve ces clients. J’ai l’impression que c’est presque une évidence pour eux, pas un effort.
Et le plus remarquable, cette allure n’est pas vraiment reconnaissable par le commun. Ce n’est pas une ostentation italienne. Cela reste simple et souvent sombre (je le répète, je parle du registre ville ici).
Une sorte de nonchalance française. Un esthétique pour esthètes. Une sprezzatura de chez nous, qui emprunte tout à l’anglais mais dans un esprit de salon un petit peu précieux, à la française d’une certaine manière…
Que d’idées ! Peut-être fausses… c’est tout le piquant du débat.
Je dédicace cet article et tous les autres sur le sujet du style français à mon cher et toujours mystérieux ami, Le Chouan Des Villes !