Visite des usines II

Après la visite de l’usine de costumes, j’ai eu la chance de visiter la fabrique où le tissu prend vie. Une usine immense et bruyante. Le tissu, quelle industrie ! Cette unité produit 7 million de mètres par an. Oui vous avez bien lu. Et un jour Zara a commandé un seul coloris en  300 000m ! Située à quelques encablures de mon usine, ce fut une vraie opportunité pour moi d’être invité à voir comment on fait du tissu ! Si j’utilise presque uniquement des 100¨% laine, cette draperie produit principale des lainages courants pour le prêt à porter, en mélange poly-laine, laine-viscose ou laine-lycra, et quelques fois au hasard des collections et du prix proposé par les grands acheteurs, des pures laines ou des mélanges coton, laine et lin par exemple. Tout est une question de prix dans une industrie aux marges très serrées.

Tout commence avec un dessin. Le styliste d’une maison de prêt à porter ou les techniciens maisons proposent des motifs, sélectionnent des fils et les assemblent suivant deux schémas incontournables : la toile ou la serge (dont dérive le chevron). L’harmonie, la densité, le poids, la colorimétrie sont des points très importants. Les fils de base arrivent principalement de Turquie qui est devenue en quelque année un acteur incontournable. L’Allemagne reste en pointe sur les fibres techniques et le Portugal n’est pas en reste, profitant d’une ancienne tradition textile restée vivace grâce au coût du travail bas.

Les lots de bobines arrivent près teintées des filatures. Les fils sont testés (torsion, teinte, section et densité, élasticité etc) en interne et par un laboratoire indépendant pour pouvoir faire un rapport au client final et pour s’assurer des qualités de tissage de fibres. Les bobines sont stockées dans des locaux climatisés pour garantir la fixité des fibres.

Ensuite, les bobines sont placées dans de grandes cages aux multiples dévidoirs. L’opération est manuelle et prend plusieurs heures aux ouvrières. Il faut enfiler chaque bobine sur son support et emmené son fil vers l’ourdissoir. Cet immense rouleau rotatif placé au bout de l’outil permet de dérouler l’intégralité de la chaine. Rappelez vous de la structure d’un tissu. Les fils en long, en droit fil sont appelés fils de chaine, ceux qui sont en travers, dans le petit côté fils de trame. L’ourdissoir permet de préparer la longue chaine, parfois jusqu’à 5000m.

Lorsque le fil arrive à l’ourdissoir, on en profite pour le graisser un peu, pour qu’il soit plus facile à travailler ensuite. Un fois la très très grosse bobine crée, on va la diviser en bobines plus petites prêtes à être installées sur les métiers à tisser. C’est la même machine qui exécute l’opération. Regardez ces harpes de fils. Comprenez qu’à ce stade, le tissu existe déjà. Si le tissu est rayé, cette grosse bobine sera rayée. Il s’agit vraiment de la disposition finale. Cette étape de positionnement des bobines est donc cruciale pour le dessin final. Si un fil casse, la machine numérique le détecte automatiquement et l’ouvrière en poste recherche la cassure et fait un nœud plat. Quelle patience.

Une fois la bobine constituée, on va à la salle des métiers à tisser. Alors là, comment vous décrire. Imaginez un stade de foot immense, couvert, où il fait 50°c toute l’année et où des machines battent la mesure au point de faire vibrer le sol comme si un métro passé dessous. Inouïe. Environ 100 métiers se trouvent dans cette salle surveillée par une technicienne pour 6 métiers environ. Les métiers frappent environ 400 coups à la minute, ci-bien que le niveau sonore est d’environ 90 décibels. Les protections acoustiques sont obligatoires ! La salle est par ailleurs sous vide d’air pour empêcher les poussières de polluer les tissus. Des grilles au sol aspirent les résidus de tissu et des aspirateurs robots se promènent depuis le plafond pour aspirer l’air ambiant. Quelle aventure !

Les métiers à tisser de cette usine moderne ne travaillent plus avec des navettes qui distribuent le fil de trame d’un côté à l’autre du pan de tissu. La navette est remplacée par des bras pneumatiques (un de chaque côté) qui se rejoignent au centre pour s’échanger un fil. Les métiers les plus modernes utilisent une jet d’air pour se faire. L’électronique régule tout. La encore, si un fil casse, le métier s’arrête instantanément pour que la technicienne recherche la cassure et fasse un nœud (toujours placé sur l’envers du tissu).

Un métier fonctionne simplement : la bobine mère d’un côté et sa harpe qui entre dans le métier, des petites bobines placées sur le côté entre pour réaliser la trame (sur le principe de la navette qui va de gauche à droite) et un peigne tasse le tout (jusqu’à 400 fois par minute, si bien que vous ne voyez qu’un flou au niveau des peignes, ça va trop vite pour l’oeil humain). De l’autre côté, le tissu s’enroule sur une bobine finale.

Les rouleaux en sortie doivent faire 25kg environ, pour faciliter la manutention humaine. Certains pays ne respectent pas de ce bon sens. Le tissu passe alors un premier contrôle visuel et au toucher. Tous les métrages, oui ! Un travail fastidieux réalisé devant une forte lumière blanche.

Ensuite, le tissu va subir un lavage. Un lavage à l’eau sur de grandes machines semblables à celles employées dans la papeterie. A l’issue, on a une énorme bobine de tissu sec. On peut aussi faire un lavage sous vide au perchloréthylène (cette machine avec des tuyaux partout, un des deux seuls modèles visibles en Europe !)

Après le lavage, les tissus techniques avec des fibres artificielles (lycra, élasthanne, polyester etc) subissent une thermofixation entre des rouleaux chauffants (comme un grand four à biscuits) pour fixer les fibres en longueur et en largeur. Une étape très importante. Enfin, les traitements de surface sont appliqués. Cette partie intéressera les tailleurs. Avec une laine basique, on peut obtenir un panel de lainage différents, de terne à brillant en passant par feutré etc… jusqu’à 50% du travail de création d’un tissu est réalisé ici, sur une très large variété de machine. Des apprêts peuvent être déposés pour rendre lumineux le tissu. Le tissu peut-être battu par des barres de fer pour lui donner du gonflant. Sa surface peut être grattée avec des chardons métallique pour donner l’aspect flanelle etc. C’est sur ce point que se joue la match entre tissu anglais et italiens, les anglais aiment les tissus ternes, plus proche de la laine et les italiens l’aspect satiné. Les italiens de mauvais goût comme D&G par exemple adorent les tissus brillants (suivi dans cela par une foule de petites marques pas chères). Facile : le tissu est cuit en autoclave. Vous savez ce que ça fait lorsque vous oubliez le fer sur une veste, elle lustre. Et bah là, c’est pareil !

Voilà, la route est presque terminée. Les tissus sont enroulés de nouveau en rouleaux de 25m et un dernier et très important contrôle visuel et au toucher est effectué. Entre 1h et 10h par rouleau suivant le besoin. Les techniciens peuvent réparer des trous, couper les nœuds, remailler des points et disposer des sonnettes (petits brins de fils colorés) pour alerter d’erreurs non réparables et qui doivent ci-besoin être évitées à la coupe. La plupart des clients s’en fichent, sauf les clients allemands qui demandent trois niveaux de sonnettes (erreur légère, à placer au bon endroit pour que le vêtement ne soit pas altéré / erreur moyenne, à placer au bon endroit ou à supprimer suivant grade de qualité / erreur importante à supprimer ou à placer à l’intérieur du vêtement par exemple). La qualité allemande commence ici, c’est amusant.

Avant l’expédition, un rapport de tissage est réalisé pour le client. Des laboratoires (interne et externe) testent les tissus : respect de la couleur, toucher, déformation, élasticité, rétrécissement après lavage, résistance au fer à repasser, capacité à être cousu à la machine et à quelle vitesse,  résistance à la déformation, à l’abrasion, résistance à une déchirure amorcée (boutonnière par exemple), résistance en tension etc… (avec des protocoles européens ou américains, c’est selon).

Voilà, comme vous le voyez, que de technicité et d’ingéniosité. Que de ressources aussi pour alimenter boutiques et tailleurs en matière première. C’est sidérant. J’espère que ce voyage vous a intéressé. Il est, à mon avis, toujours très important de se cultiver des choses de la technique. Il me semble que la culture générale en France à propos de l’industrie est assez faible ce qui est dommageable. Voyez d’où viennent vos vêtements. Quel périple !

Sur ces entrefaites, je vous laisse vous reposer cet été et profiter pleinement du beau temps et du temps libre des vacances. Pour ma part, il reste un mois de travail avant celle-ci. Je rechargerai mes batteries pour mon retour en septembre !

Bel été, Julien Scavini

Visite des usines

La semaine dernière, je n’ai pas pu faire mon article car je visitais l’atelier qui réalise mes costumes en demi-mesure. C’est l’occasion de vous faire découvrir comment est produit un costume à la chaine, quelles sont les étapes et les impératifs. J’ai aussi pu visiter une autre usine de tissage. Découvrir comment le tissu est créé fut passionnant et là encore, très très technique. Petit tour d’horizon commenté.

Première étape pour réaliser un costume, le tracé du patronage. En demi-mesure, la fiche saisie par le client est traitée d’abord par une assistante commerciale qui traduit la commande en langage d’usine (codification interne comme le type d’épaule, le type de toile, références tissus et fournitures, étiquettes et positionnement des poches, spécificités clients etc.). La commande passe ensuite entre les mains d’un technicien modéliste, qui à partir de la base standard va faire les modifications de dimensions et d’attitude dans l’ordinateur, sur un logiciel dédié. Le patron ainsi créé est conservé au nom du client. Il est imprimé sur un grand papier lequel est disposé sur le tissu pour être coupé. La coupe peut aussi être réalisée sans papier, directement par le cutter depuis l’ordinateur. Le tissu est étalé sur le ban de coupe et un film plastique est déposé, car la coupe se fait sous-vide, pour éviter que le tissu se déforme. C’est le cutter à guidée laser qui réalise les raccords de motifs (rayures et carreaux).

Le tissu est coupé. Mais il faut aussi couper les éléments annexes : doublures, fonds de poches, renforts divers, toile tailleur, feutre et toile de col etc. Une quantité de petits patrons est utilisée. C’est pour cela que des modifications diverses comme les fonds de poches, leur largeur ou la forme de la doublure sont compliqués à mettre en place à l’unité. Ce faisant, on crée une buche, c’est à dire un paquet constitué des éléments prêts à l’emploi sur la chaine. Une séparation se fait à ce moment entre les diverses chaines de montage : chaine corps veste, chaine manches, chaine pantalon, chaine gilet etc.

Ensuite, le montage commande. La première étape consiste à disposer des petits renforts collants sur le tissu. Un classique, même en entoilé intégral. Il faut ensuite réaliser les pinces sur les devants, puis les poches. Les rabats de poches sont réalisés grâce à des formes métalliques appelées matrices. Ces matrices coûtent très chères à fabriquer. Elles permettent de piquer les rabats avec une forme très régulière, à l’aide d’une machine à coudre dotée d’une crémaillère, qui pique toute seule. C’est pour cela qu’il est impossible de changer la forme du rabat par exemple. Les passepoils sont cousus par un automate à positionnement laser. La poche poitrine est aussi tracée par une ouvrière, à la main à l’aide d’un patron standard. Le rabat de la poche poitrine est préformé au fer par une ouvrière avec un petit gabarit.

La poche poitrine est piquée manuellement, ce qui demande à la couturière une grande dextérité, surtout pour les raccords. La poche plaquée est difficile aussi, il faut de nombreux gabarits papier. Une fois ces tâches effectuées, les devants sont terminés, ils sont repassés dans une presse en forme.

L’étape la plus importante, mais qui n’est pourtant qu’une petite parmi les 150 étapes pour réaliser une veste est la mise sur toile. L’ouvrière spécialisée est formée spécifiquement pour cette tâche. Il faut déposer la toile bien à l’aplomb, commencer par faire un grand point de bâti sur la pince devant, puis faire une succession de lignes de bâtis à divers endroits suivant un schéma ancestral développé par les tailleurs. Il faut évidemment placer des souplesses et des embus (trop plein de toile à l’épaule pour faire ‘avancer’ celle-ci, trop plein de toile au pied du revers pour faire rouler celui-ci etc, passement de tension de la cassure revers). La mise sur toile se fait de concert avec la machine ‘double plongeur’ qui fait les points invisibles pour faire rouler le revers.

A la suite de cette grande opération, il faut régler la pose de la garniture, c’est à dire le tissu intérieur au bord de la veste, qui revient sur le revers. C’est une autre opération très délicate, car de la minutie de la couturière dépendra la ligne de votre veste et la finesse du cran de revers. On trace au bic sur un petit renfort collé blanc pour mieux voir. Là encore, modifier la ligne du revers pose problème sur la chaine de production qui voit défiler entre 100 et 200 costumes par jour. Des techniques me permettent de vous proposer de faire varier la largeur du revers à l’envie. Mais pas la hauteur ou la forme par exemple. Une fois la garniture piquée, la couture devant veste est ouverte sur un ‘ouvre-fourreau’ à vapeur. Les doublures qui sont déjà là sont positionnées et recoupées. On assemble les deux devants avec le dos, et la veste émerge. Une contremaitre la bichonne et en vérifie les côtes.

Voilà, il ne reste plus qu’à piquer les épaules et le corps est là. Il faut alors monter le col. Ceux-ci sont préparés en amont, avec les bonnes dimensions. Car ce point est crucial. L’ouvrière en charge du montage doit faire preuve de beaucoup de minutie pour que votre veste soit belle. Elle vérifie systématiquement la symétrie par exemple.

Les manches arrivent ensuite d’une autre partie de l’usine et grâce à la magie des codes-barre, les deux se retrouvent. Il faut les piquer. Cette opération très très complexe demande des mois de réglages à l’usine et aux techniciens. Les crans de montage doivent être précis et nombreux. Les machines doivent être finement réglées pour avec un beau développé de la tête de manche. Pour passer l’embu, c’est à dire coudre plus de manche que d’emmanchure (toujours le même problème technique évoqué mille fois sur Stiff Collar), diverses machines existent : machine à double entrainement (haut et bas) ou machine à jet d’air comprimé pour faire avancer la manche plus vite. Une fois la manche posée, il faut terminer la mise sur toile de l’épaule, placer la cigarette (le boudin de tissu que l’on met en haut de manche pour la rendre volumineuse), adjoindre la petite épaulette (qui est fabriquée dans l’usine même) et préparer le rabattement de la doublure de manche, appelée mignonette. Je n’ai que peu de photos du montage à proprement parler, la méthodologie est top secrète.

Au détour de la chaîne, je vois un tissu Drapers qui me dit quelque chose. Je regarde dedans :

Voilà, il ne reste plus que quelques étapes, comme la réalisation de boutonnières, diverses coutures à la main et enfin le bichonnage, c’est à dire le repassage final dans les presses. Un travail presque aussi long que la réalisation de la veste, car un bon repassage compte beaucoup, tous les tailleurs vous le diront.

Il faut une bonne petite semaine pour coudre tous les éléments, même si en temps cumulé 5h suffisent à monter une veste. Les 200 ouvriers de la chaine, dans cette partie de la moldavie commencent leur journée à 6h du matin et la finissent vers 15h. C’est une tradition en Europe de l’Est où le travail aux champs l’après midi est monnaie courante. Dans l’usine, il fait entre 25 et 40°c à cause du nombre de presses à vapeur. Dehors, la température varie de -30°c à + 40°c, c’est une drôle de contrée.

Je souhaite que ce court reportage vous aura intéressé et fait voir d’une autre manière la confection et la demi-mesure de qualité. Un travail de longue haleine, qui demande des mois voire des années aux ateliers pour bien faire. Les étapes sont très nombreuses et les ouvriers tournent peu, car sont très spécialisés. Chaque jour chez Scavini nous avons le plaisir de livrer un costume sortant de cette chaine. Je m’y rends le plus souvent possible pour y mettre mon grain de sel et pour toujours mieux vous servir.

Dans quelques jours, la seconde partie de l’article sur la draperie que j’ai visitée.

Julien Scavini.