La forme des basques

Quel titre bien mystérieux. Les basques désignent bien sûr les pans bas de la veste. Cela dit, cette définition était véritablement valable à l’époque des jaquettes et autres queues-de-pie descendant au genou. Les basques étaient alors longues. Et quelques mendiants pouvaient s’y accrocher dans la rue pour réclamer un obole. D’où l’expression « lâchez-moi les basques. » Sur une veste contemporaine, les basques sont plus réduites, disons la partie située entre le nombril et le bas de la veste. L’appellation « quartiers » existe aussi, probablement issue de l’univers bottier.

Quoiqu’il en soit, une veste sur le devant en bas présente généralement un arrondi. Cet arrondi s’évase pour dégager les jambes et terminer la veste avec délicatesse et raffinement. La veste courte au court de son développement à la fin du XIXème siècle a immédiatement vu cette courbe apparaitre. Etait-ce pour faire comme la jaquette? Ou simplement par commodité de mobilité? Les jambes bougeant, elles sont besoin d’être dégagées de toute emprise du vêtement de dessus. Sur ces quelques vues ci-dessous, cet arrondi est bien présent. Vers 1860, la veste encore un peu longue s’approche un peu de la jaquette tout en prenant au paletot, une sorte de veste / manteau ample. Et vers 1890, elle trouve sa longueur presque moderne, avec un boutonnage toutefois très haut. L’arrondi est bien là pour faire de la place aux jambes.

Voici une gravure tout à fait parlante par ailleurs de cette transition entre la jaquette (tout à gauche) et la redingote (tout à droite) et les vestes plus modernes. L’arrondi est bien présent.

Autre exemple ci-dessous. La jaquette (tout à droite) est coupée de telle manière qu’elle permet même boutonnée de laisser les jambes s’articuler aisément au buste. A la différence de la redingote croisée portée par Churchill (non ce ne sont pas des manteaux) qui est plus agréable ouverte, pour ne pas gêner le mouvement. Voici la parfaite démonstration de la logique de coupe de la jaquette. Puis de la veste courte qui en dérive.

Car il faut bien l’avouer, une coupe à angle droit du bas de la veste engonce un peu l’homme et rend le mouvement mal-aisé. Toutefois, pour être couvert au mieux, et avec l’entrejambe protégée de la pluie, rien de mieux. C’est pourquoi dès cette époque, les tuniques et vareuses militaires et de chasse sont découpées en angle droit. Ci-dessous un soldat anglais en tenue de l’époque Guerre des Boers (1899) et à côté un garde chasse en 1911 avec une veste genre norfolk. Avec l’angle droit, le statut ambivalent de veste d’apparat et/ou de lourd vêtement utilitaire est consacré.

Notons tout de même que les militaires coupaient les vestes plutôt courtes, cela étant probablement lié à la pratique du cheval. Les basques anguleuses ne gênent alors pas le va et vient des jambes.

Autre photo passionnante ci-dessous, un petit groupe de soldats français en 1914. Les officiers présentent des tuniques impeccables, à pans rigoureusement carrés. Juste derrière, les soldats sont en manteaux. Les pans sont accrochés sur les côtés. Cela s’appelle le retroussis. Le but est clair : ne pas obliger les genoux à pousser le tissu à chaque pas, en bref, faciliter la marche. Le principe est assez similaire avec la veste. Et plus celle-ci est longue, plus l’arrondi se justifie.

Si la norfolk ou la vareuse militaire ont des bas carrés, la volonté d’adoucir les lignes et de rendre plus poétique la coupe reste bien présente. Comme sur cette norfolk de 1920. L’angle droit est à peine adouci :

Après avoir dit cela, force est de constater que cet arrondi peut varier suivant les époques. Dans les années 1920, on l’aime très peu marqué, presque martial, avec un boutonnage très haut placé, donnant des basques très longues comme sur cette photo très typée d’une veste 1 bouton aux pans gigantesques. Toute une allure avec des épaules naturelles sans padding! Déjà à l’époque.

Toutefois, cette mode très typée si elle remplie les magazines de mode (avec des pantalons très étroits et courts, typiques des dessins de JC Leyendecker), la majorité des tailleurs utilisent la même courbe, celle du perroquet d’architecte comme on peut le voir sur cet autre groupe de messieurs en 1920, il y a cent ans donc ! Des vestes aux courbes classiques et sans variation sur le siècle écoulé.

A côté de cette élégante courbe, la veste croisée commence à faire parler d’elle et à devenir une icône du style. Avec des basques carrés, sans exception. Une esthétique formelle et quelque peu martiale pour cette nouvelle forme de veste dont on a jamais réussi à savoir si elle était plus ou moins habillée que la veste à basque arrondie. Que curieusement on appelle en français veste …. droite malgré son élégante courbe terminale.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Dépareiller le seersucker

J’ai un costume en seersucker que j’aime beaucoup porter. Encore aujourd’hui, je l’avais sorti pour faire face à la chaleur. En repartant ce soir de la boutique, je n’ai pu m’empêcher de sentir les regards le long des terrasses que je traversais. Voir quelqu’un en costume complet de seersucker n’a rien de banal, je vous le concède. Un petit esprit totalement décalé. Il faut bien être tailleur, grand amoureux du vêtement, ou américain pour posséder un costume en seersucker. Ou riche. Car au fond, c’est probablement l’un des derniers achats à faire, après moult costumes d’été et d’hiver, après force vestes de tweeds ou de nattés. Ce n’est pas le premier achat à faire j’en conviens bien volontiers.

En 2014, quelques congressmen / women américains, lors de la journée nationale du seersucker, un tissu de sudiste, photo de Paul Morigi :

Mais c’est si joli le seersucker. Et si frais par ses couleurs. J’en veux pour preuve que toutes les marques qui veulent lancer un maillot de bain ou une chemise d’été bon-chic bon-genre les font en seersucker ou simili.

Je dois par ailleurs avouer que ce costume en seersucker constitue ma préférence en été. J’ai des costumes de coton lisse bien sûr. Mais le coton seersucker est plus léger et surtout, bien plus ouvert dans sa trame. Je sens que l’étoffe est plus respirante. Et là où mes costumes de coton lisse font très vite froissés, en particulier au niveau du pantalon, le costume en seersucker garde un maintien très acceptable. Et qu’en fait même, il ne froisse pas. La raison est ce tissage si particulier de côtes aux fils distendus qui « créponnent ».

Le seersucker a de la tenue, il est léger, aéré et ses couleurs sont distrayantes. C’est une étoffe heureuse.

Il faut aussi remarquer un seersucker d’un genre nouveau, très en vogue à l’heure actuelle, le bleu marine uni. Les côtes alternées « créponnées » et lisses sont du même bleu marine, ce qui donne un tissu à l’aspect très uni, mais aux mêmes caractéristiques qu’évoquées précédemment. Un choix intéressant pour un blazer par exemple. Ci-dessous le classique bleu ciel et blanc, à côté la nouveauté marine sur marine.

Toute la question de cet article est de savoir comment porter sur seersucker sans être obligé d’avoir le costume entier. C’est un ensemble très joli, mais qui n’est pas pour toute les bourses et pas pour toutes les envies, je le concède. Le seersucker peut se porter seul, en veste ou en pantalon. Mais sa force n’est-elle pas une limite? Comment faire pour bien l’assortir? Regardons quelques cas.

La veste en seersucker

Idée magnifique que d’opter pour une veste en seersucker, pourquoi pas à poches plaquées. Un choix efficace pour l’été, celui d’une veste avec un panache certain, légère et endurante en même temps. Car cela reste du coton, une matière robuste très éloignée des mélanges soyeux dont je vante par ailleurs les mérites. Une veste en seersucker est très « macronnienne » . Elegante et EN MÊME TEMPS robuste. Raffinée et EN MÊME TEMPS à toutes épreuves. Parfaite l’après-midi pour un pique-nique et EN MÊME TEMPS très chic pour un diner. Avec un certain maintien de la matière, et EN MÊME TEMPS une grande décontraction d’allure. Bref une sorte d’alpha et d’oméga de l’été.

Les clients ayant l’idée d’en faire une me pose souvent la question. Avec quel pantalon la mettre? Je vais parler de la veste en seersucker bleu ciel. Celle marine sur marine ne pose pas particulièrement de question comme moi, elle s’accorde comme un blazer. Plusieurs idées en vrac :

  • avec un pantalon beige, type chino. Accord simple et utilitaire.
  • avec un pantalon marine, type chino aussi, ou en laine fine voire en lin, apportant un contraste fort tout en restant dans le camaïeu de bleu.
  • avec un pantalon bleu ciel, du même coloris que les raies en haut. Un peu plus étudié déjà.
  • avec un pantalon gris clair, très habillé comme option.
  • avec un pantalon blanc, superbe et ultime accord. La simplicité même.
  • avec un pantalon fushia ou vert pétant. Pour jouer sur la dissonance et en même temps donner un grand panache.
  • avec un pantalon vieux rose, façon vieux loup de mer. Un accord de couleurs pastels douces.

Voici quelques images de ces idées :

Voici qui finalement prouve bien à quel point cette veste au bleu discret peut se marier avec moult pantalons. Pas si compliqué, il suffit d’oser.

Le pantalon en seersucker

A l’inverse, questionnons le pantalon en seersucker. Une pièce de style très attractive qui plait toujours. D’autant que le coût plutôt réduit de cette pièce permet aux fébriles de se laisser tenter. Mais comment associer un pantalon en seersucker blanc et bleu?

D’une manière très simple d’abord, je dirais avec un blazer bleu marine. On ne peut faire plus bateau. C’est bon, c’est chic, c’est impactant. Encore ce fameux EN MÊME TEMPS, chic et décontracté. Dans le même genre Pini Parma propose une chemise bleu marine en lin. C’est pas mal du tout aussi.

Et à part ça? Et bien il est vrai que je sèche un peu plus l’inverse. Bien sûr une veste vieux rose serait belle, mais qui a une veste vieux-rose dans sa penderie? Peut-être qu’une veste d’un beige léger pourrait aller. Un accord de couleur douce.

Ce n’est pas si facile dans ce sens là. Car le pantalon en seersucker devient la pièce forte de la tenue. La pièce remarquable qui attire l’oeil et fait sens. Le pantalon qui donne le panache. Alors, tout autour doit venir avec tact. Mais la veste par son importance peut écraser la recherche stylistique. Aussi il apparait difficile de trouver la bonne.

Mais peut-être qu’au fond, comme c’est l’été, la veste est dispensable. Et qu’une belle chemise additionnée d’un beau pantalon se suffisent amplement ! Peut-être… !

Belle et bonne semaine ensoleillée. Julien Scavini

Quelques poches plaquées

Un ami me racontait comment hier, assis à une terrasse de café rue de Grenelle, il vint à discuter avec le monsieur assis à la table à côté, à propos de son élégante veste. D’une maison gracieuse mais hélas disparue, Arnys. Et mon ami de me décrire la veste, avec une martingale et de magnifiques poches plaquées comme gonflées par les soufflets. L’occasion ai-je pensé de passer en revue quelques modèles de poches plaquées.

A la différence d’une poche passepoilée, exécutée en faisant une percée à travers le tissu du devant de la veste, une poche plaquée, ou appliquée, présente un large morceau de tissu rapporté à l’extérieur et cousu de manière délicate. En quelque sorte, une fusion de la poche avec son sac de poche, rendu perceptible.

La poche plaquée classique est simple et légèrement arrondie, comme ci-dessous. Elle se voit assez peu au fond si le placage est bien fait :

Cette poche chez les tailleurs est arrondie, et même un peu gauche comme on dit en architecture, pour être plus élégante, se rapprocher des courbures de l’homme. La poésie de la spline. Une belle poche plaquée ne suit jamais un tracé réalisé au compas avec des arrondis basés sur le cercle parfait. C’est plutôt l’ovale qui prédomine. La poche de poitrine est normalement celle qui fait le plus honneur à cette forme molle et gauche :

Chez Cifonelli, cette courbe atteint des sommets de raffinement. Parfois comme ci-dessous, la poche plaquée peut être bordée en haut d’une large parementure :

Mais évidemment, coudre une telle enforme est très dure. Et lors de la mécanisation du vêtement et de sa production à grande échelle, grande fut la tentation de simplifier ce tracé. Et même de faire des angles. Plus faciles à coudre. La veste de travail si à la mode en ce moment est souvent affublée de cette poche un peu bête. Pas raffinée, mais diablement efficace du point de vue stylistique. On peut dire qu’elle fait simple :

Et puis, à côté des poches plaquées tailleurs classiques, il existe une infinité de modèles. D’abord, la poche plaquée peut recevoir un rabat. C’est très américain, un peu Ivy League. Chez Ralph Lauren, Gant et consort, sur des vestes de velours ou de tweed, elle donne une note professeur d’université intéressante :

Cette poche plaquée à rabat est souvent utilisée sur les manteaux par ailleurs. Elle permet de donner un côté sport à celui-ci tout en protégeant la poche de la pluie. Un modèle plus raffiné encore est appelé poche boite-aux-lettres. Le rabat n’est pas cousu au dessus, mais à l’intérieur même du placage de la poche, avec des passepoils. Un modèle diablement long à bien coudre :

Et puis il y a les soufflets divers et variés. Le premier et le plus joli peut-être est le soufflet à pli-creux. Seule une ligne se devine, une crevée. Le bouton s’aligne sur ce soufflet et le rabat, par sa courbe ou sa pointe, souligne ce détail.

L’inverse exact du pli-creux est appelé pli rond en couture, ou pli plat, ou pli extérieur. Les militaires l’utilisent beaucoup :

Le rabat de la poche peut avoir différents aspects. Les contemporains choisissent souvent une forme triangulaire, vaguement courbée parfois. Sinon, la version XIXème siècle est souvent en forme de couronne inversée. Très chic, bien que les pointes se cornent facilement :

Chez Cifonelli comme chez Arnys parfois, les rabats adoptent des formes différentes. Pourquoi pas. Ici encore avec un pli-creux :

Mais le soufflet n’est pas obligé d’être au centre. Il peut aussi être sur les côtés, au pourtour, faisant décoller la poche de la veste. Les militaires utilisent ce modèle souvent massif et imposant, appelé poche à cartes ; ainsi que les chasseurs, pour les poches gibecières ou cartouchières, en forme de besace. Un modèle classique chez Barbour et ailleurs :

Quelques stylistes pour faire difficile associent pli-rond et pli côté. Pourquoi pas :

La jungle-jacket d’ailleurs fait souvent dans ce genre là. Pli côté plus pli-creux, et en plus, la poche est disposée en biais avec un rabat bizarre. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué :

Dans le même genre d’ailleurs, il y a la poche ticket plaquée disposée de manière gigogne dans la poche plaquée elle-même. Au fond, le plaisir du tailleur, c’est son érudition, et donc bien sûr, sa complication :

Voilà de quoi trouver de l’inspiration pour vos prochains vêtements ! Belle semaine, Julien Scavini

Le doc qui fait parler

Arte est une chaine que j’ai grand plaisir à regarder. En particulier d’ailleurs hier lorsqu’elle a diffusé les neufs symphonies de Beethoven en direct de grandes villes européennes. Quelle riche idée culturelle.

Il se trouve qu’elle diffuse une petite série documentaire intitulée « Faire l’histoire » et que l’un des épisodes est consacré à notre sujet préféré, « le costumecravate » . Passionnant sur le papier. A tel point que plus d’un client ou ami m’en ont parlé. « Alors qu’en penses-tu ? » Je ne voulais par regarder car je me méfie du traitement grand public de mon sujet adoré. Et puis il faut bien que je me sorte la tête de ce sujet aussi de temps à autre…! Mais enfin, cela me travaillait, j’ai donc regardé.

Pour ceux qui n’ont pas vu, voici le lien vers l’article de Slate et vers la vidéo :

http://www.slate.fr/story/208430/costume-cravate-uniforme-monde-moderne

Je dois dire ne pas avoir été déçu. Ah ça non. J’ai retrouvé absolument tout ce que j’avais détesté à la fin de mes études d’architecture. Sous couvert d’aborder les sujets sans pré-conscience, sans a priori, sous couvert de déconstructivisme heureux, on assiste en fait à un exposé orienté de manière absolument délirante… Et bien construit.

L’histoire du costume cravate occidental est totalement bâclé. To-ta-le-ment. Les raccourcis sont monstrueux, où le paletot est présenté comme un évènement fondateur (alors qu’il est pourtant un instant fugace de l’histoire du vêtement de dessus), où les dates sont plus qu’approximatives (il parle de 1880/1900 puis après d’une gestation 50 ans plus tôt), où la forme épaulée des années 30 sert à englober toutes les époques (alors qu’en est-il de l’épaule molle et emboitée des années 1920 et non construite des années 1900?). En oubliant la précision du vêtement d’avant et sa lente évolution chez les tailleurs.

Cette histoire occupe moins d’une minute du documentaire. Et elle est très peu étayée. Avec peu d’illustrations chronologiquement présentées. Pourquoi allez-vous demander?

Simplement car ce document, et cet historien Manuel Charpy, ont un autre but que de faire de l’histoire. Il veulent instrumentaliser cette histoire. Ils veulent tels des architectes de l’histoire, faire la leur. Raconter et y plaquer un discours. Sous couvert d’impartialité historique, ils l’éludent tout simplement.

Et pour quel discours? Bien sûr toujours le même, celui d’une révolution permanente et d’une lutte des classes et/ou des sociétés.

Le costume serait né dans l’industrialisation américaine? C’est nier la recherche esthétique et de confort chez les anglais, de l’aristocratie comme du bas peuple victorien et post-victorien.

Le costume serait une invention sortie de nulle part et imposée? C’est une vision universitaire à laquelle je me suis confronté et heurté déjà. Ce n’est absolument pas ma vision. Le costume moderne est pour moi le fruit d’une lente évolution des modes de vie et des modes de production dans le seconde moitié du XIXème siècle. Et non une révolution d’un instant.

Le costume permet de créer une frontière entre les riches qui font du sur-mesure et ceux qui devaient prendre de la confection. Pardon, mais au début du siècle et jusque dans les années 50, les tailleurs étaient légions. Et ce qui faisait la frontière entre riche et pauvre était plutôt les vêtements neufs versus ceux de seconde ou troisième main. Jusqu’aux fripiers.

C’est oublier par ailleurs qu’entre 1918 et 1970, avant l’avènement des nouveaux tissus et des nouvelles manières de produire, on ne savait tout simplement pas produire grand chose d’autre qu’un complet veston. C’était la forme de l’instant, comme la doudoune t-shirt aujourd’hui.

Enfin la cravate et les accessoires sont mis dans le même sac conceptuel que le costume, alors qu’ils étaient déjà là avant (comme les cols durs ou les boutons de manchettes) et qu’ils disparaissent avant lui. Une histoire séparée eut été plus honnête.

Il dérive après sur la notion de col blanc versus col bleu, ce qui est alors un discours sur l’utilitarisme du vêtement, son usage. Un ouvrier on se doute bien, n’allait pas mettre un fin tissu peigné pour travailler en chaine. Il utilise Chaplin dans Les Temps Modernes à des fins de lutte sociétales là où moi je vois surtout une volonté cartoonesque typiquement américaine de faire des stéréotypes esthétiques.

Mais enfin bref, je ne vais pas faire l’histoire du costume ici en réponse au documentaire.

Non, car je préfère pointer les travers inexcusables de ce documentaire affreusement orienté, voire même… politisé.

Je rappelle que ce documentaire est très court.

Et en si peu de temps, il coche absolument toutes les bonnes cases … pour des téléspectateurs habitant boulevard Beaumarchais… Après avoir bâclé l’histoire de l’objet, il est préférable de lister tous les contre-exemples et les raisons d’abandonner le costume, cet affreux colifichet occidental d’homme blanc. Donc, en premier : le costume-cravate fut imposé aux japonnais et aux turcs par leurs dirigeants… les pauvres. Puis le costume-cravate fut banni lors de la décolonisation en Afrique car il était trop signifiant. Heureux hommes libres. Puis, le costume-cravate fut déconstruit par Mao dans le même esprit. Quelle époque formidable ! Comme si réussir l’exploit de parler de colonisation dans un documentaire de 14min sur le costume n’était pas suffisant, il a fallu parler de … guerre de sexes. Et puis de groupuscules Arts & Craft allemands du début du siècle. Et puis finalement d’anticapitalisme. Évidemment, apothéose de l’orientation scénaristique, une photo de Donald Trump hilare avec une cravate moche fait son apparition à l’image. Une succession de clichés.

C’est hallucinant cette capacité sur un petit sujet aussi simple historiquement, à rameuter autant de poncifs. J’en suis encore bouche bée. Et sidéré. Et triste. Faire l’histoire du costume masculin, dans ses grandes lignes, sans se perdre dans des micro-modes locales, en partant de Beau Brummell pour aller jusqu’à aujourd’hui, n’est vraiment pas difficile. Une histoire coulante et simple, qui parle d’abord et avant tout de la vie des hommes et de l’évolution de leur société. Une histoire d’un habit d’occidental destiné aux occidentaux et à leur mode de vie. Une histoire de nos pères, grands-pères et arrières grands-pères. Une histoire de nos villes et de nos commerces. Une histoire avec un détour par le vêtement militaire. Et une histoire de notre démarche de production.

Enfin et surtout, ce que ce documentaire loupe, c’est une histoire de la beauté. Le costume est un artefact de notre société visant à rendre le corps beau tout en le couvrant. Comment allier l’utile à l’agréable. Jusqu’à ce qu’en effet, l’agréable soit vécu différemment à partir des années 70. Le costume-cravate occidental, c’est une histoire du beau en partage. De l’ordonnance d’une société à son individualisation. Mais évidemment, à voir comment cet historien ose s’afficher à l’image, des images qui resteront de lui, on se doute bien qu’au fond, le beau ne l’intéresse pas !

Julien Scavini