Un ami me racontait comment hier, assis à une terrasse de café rue de Grenelle, il vint à discuter avec le monsieur assis à la table à côté, à propos de son élégante veste. D’une maison gracieuse mais hélas disparue, Arnys. Et mon ami de me décrire la veste, avec une martingale et de magnifiques poches plaquées comme gonflées par les soufflets. L’occasion ai-je pensé de passer en revue quelques modèles de poches plaquées.
A la différence d’une poche passepoilée, exécutée en faisant une percée à travers le tissu du devant de la veste, une poche plaquée, ou appliquée, présente un large morceau de tissu rapporté à l’extérieur et cousu de manière délicate. En quelque sorte, une fusion de la poche avec son sac de poche, rendu perceptible.
La poche plaquée classique est simple et légèrement arrondie, comme ci-dessous. Elle se voit assez peu au fond si le placage est bien fait :
Cette poche chez les tailleurs est arrondie, et même un peu gauche comme on dit en architecture, pour être plus élégante, se rapprocher des courbures de l’homme. La poésie de la spline. Une belle poche plaquée ne suit jamais un tracé réalisé au compas avec des arrondis basés sur le cercle parfait. C’est plutôt l’ovale qui prédomine. La poche de poitrine est normalement celle qui fait le plus honneur à cette forme molle et gauche :
Chez Cifonelli, cette courbe atteint des sommets de raffinement. Parfois comme ci-dessous, la poche plaquée peut être bordée en haut d’une large parementure :
Mais évidemment, coudre une telle enforme est très dure. Et lors de la mécanisation du vêtement et de sa production à grande échelle, grande fut la tentation de simplifier ce tracé. Et même de faire des angles. Plus faciles à coudre. La veste de travail si à la mode en ce moment est souvent affublée de cette poche un peu bête. Pas raffinée, mais diablement efficace du point de vue stylistique. On peut dire qu’elle fait simple :
Et puis, à côté des poches plaquées tailleurs classiques, il existe une infinité de modèles. D’abord, la poche plaquée peut recevoir un rabat. C’est très américain, un peu Ivy League. Chez Ralph Lauren, Gant et consort, sur des vestes de velours ou de tweed, elle donne une note professeur d’université intéressante :
Cette poche plaquée à rabat est souvent utilisée sur les manteaux par ailleurs. Elle permet de donner un côté sport à celui-ci tout en protégeant la poche de la pluie. Un modèle plus raffiné encore est appelé poche boite-aux-lettres. Le rabat n’est pas cousu au dessus, mais à l’intérieur même du placage de la poche, avec des passepoils. Un modèle diablement long à bien coudre :
Et puis il y a les soufflets divers et variés. Le premier et le plus joli peut-être est le soufflet à pli-creux. Seule une ligne se devine, une crevée. Le bouton s’aligne sur ce soufflet et le rabat, par sa courbe ou sa pointe, souligne ce détail.
L’inverse exact du pli-creux est appelé pli rond en couture, ou pli plat, ou pli extérieur. Les militaires l’utilisent beaucoup :
Le rabat de la poche peut avoir différents aspects. Les contemporains choisissent souvent une forme triangulaire, vaguement courbée parfois. Sinon, la version XIXème siècle est souvent en forme de couronne inversée. Très chic, bien que les pointes se cornent facilement :
Chez Cifonelli comme chez Arnys parfois, les rabats adoptent des formes différentes. Pourquoi pas. Ici encore avec un pli-creux :
Mais le soufflet n’est pas obligé d’être au centre. Il peut aussi être sur les côtés, au pourtour, faisant décoller la poche de la veste. Les militaires utilisent ce modèle souvent massif et imposant, appelé poche à cartes ; ainsi que les chasseurs, pour les poches gibecières ou cartouchières, en forme de besace. Un modèle classique chez Barbour et ailleurs :
Quelques stylistes pour faire difficile associent pli-rond et pli côté. Pourquoi pas :
La jungle-jacket d’ailleurs fait souvent dans ce genre là. Pli côté plus pli-creux, et en plus, la poche est disposée en biais avec un rabat bizarre. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué :
Dans le même genre d’ailleurs, il y a la poche ticket plaquée disposée de manière gigogne dans la poche plaquée elle-même. Au fond, le plaisir du tailleur, c’est son érudition, et donc bien sûr, sa complication :
Voilà de quoi trouver de l’inspiration pour vos prochains vêtements ! Belle semaine, Julien Scavini
Est-ce que vous pensez qu’un des moyens de faire « évoluer » la demi-mesure est de faire 90% du travail dans un atelier ( pour les principaux : Italie, Portugal, Roumanie, Moldavie) et finir le travail notamment des poches plaquées en France ?
A partir d’un certain prix, je pense que les clients cherchent à se rapprocher du bespoke et avoir une veste unique, au moins « visuellement », et les poches plaquées sont parfaites pour se distinguer un peu !
Vous me direz peut-être que vos clients cherchent à ressembler à monsieur tout le monde, surtout lors de la saison des mariages ! :p
Hélas, les poches doivent être plaquées très en amont, après la coupe du devant et la réalisation de la pince. C’est une étape primitive. Les faire à la fin obligerait à démonter parementure et doublure. Pas simple. Mais pas infaisable. De manière générale, l’équilibre économique repose sur une certaine standardisation. Sinon, le coût explose.
Je trouve la poche ticket plaquée tout à fait charmante. Proposez-vous des semblables chez Scavini ?
Oui 🙂