D’où vient le cran parisien         

C’est une question que l’on me pose assez souvent. Mais d’où vient le cran parisien? Pourquoi l’est-il d’ailleurs ? La première chose à faire est de caractériser cette forme de revers de veste.

Le cran parisien désigne la forme particulière que prend l’encoche séparant – ou liant – le revers de la veste et le col. Posons d’abord le référentiel, soit le cran normal, que les anglais appellent « notch lapel », formant une sorte de coin à presque 90°. Dans ce cran, la ligne d’anglaise (la couture liant revers et col, en rouge) est rectiligne et descendante. Le col lui épouse l’anglaise, puis s’en éloigne d’un coup, formant le cran ouvert. C’est la contre-anglaise, en vert.

Dans le cran pointu, une autre forme traditionnelle issue de l’École anglaise, la ligne d’anglaise se brise en deux. Elle est d’abord descendante, puis montante. Et le col épouse cette anglaise. Par couture d’abord, par simple jonction ensuite. Voyez ces schémas :

Le cran parisien se caractérise par une ligne d’anglaise brisée, descendante d’abord. Et moins descendante ensuite. Elle vient « taper » le bord du revers en formant un angle à 90° environ. Le col épouse l’anglaise, puis à l’instar du col normal, s’en éloigne. Mais s’en éloigne relativement peu.

De fait, l’ouverture du cran est légèrement plus fermée. Il existe quelques variantes, suivant les tailleurs, ou suivant que la veste est 2 ou 3 boutons. L’équilibre y est très subtil, entre dessin pur et lignes moches. La symétrie est très importante aussi. Et ce cran présente mieux s’il est un peu plus bas. Sur mon petit schéma ci-dessous, on pourrait penser que le canonique, à la Camps de Luca est ne n°2 et le Smalto, quelque chose entre les deux derniers :

Globalement, le cran parisien se caractérise donc par une ligne d’anglaise brisée et un cran peu ouvert, que les italiens appellent « bouche de loup » ou les anglais « bouche de grenouille ». Et je crois avoir entendu bien d’autres termes que j’ai oublié. D’une certaine manière, le col du polo-coat est une forme de cran parisien.

Toutefois, est-ce à Paris que l’on a inventé ce cran ? Certainement pas. Mais c’est à Paris qu’il est resté une forme de tradition, remise au goût du jour dans les années 60/70 par un certain Joseph Camps, qui eut un élève, Francesco Smalto. D’une certaine manière, tous les deux ont creusé le sillon de ce revers élégant. Qui n’était pas le revers des autres tailleurs avant et après. Evzeline, Cardin, Cifonelli n’utilisaient pas cette forme. Que vous n’avez pas vu sur Jean Gabin, ni Alain Delon, ni Philippe Noiret.

Les frères Grimbert chez Arnys avaient mis ce revers à l’honneur, mais cela uniquement sur la fin, après l’an 2000. Car avant, les vestes Arnys n’étaient pas ainsi coupées. Mais en revers anglais normal. La tradition infusait un peu et devenait distinctive. Marc Guyot est de ceux qui ont vu l’intérêt de cette ligne de revers et en ont fait un argument esthétique. Le tailleur japonnais Kenjiro Suzuki a aussi compris l’intérêt de cette ligne.

Quelques Présidents africains, le Roi du Maroc, et d’érudits industriels ont vu aussi là une griffe caractéristique, qui ne fait pas costume anglais. Admirez ci-dessous, Omar Bongo. Félix Tshisekedi. Macky Sall. Paul Biya. Patrick Drahi. Globalement, les états d’Afrique francophone sont plus enclins à aimer le cran parisien. Al Sissi en Egypte s’en fiche bien. Que de beaux costumes finement coupés n’est-ce pas :

Ce cran parisien est une marotte des tailleurs de la capitale française depuis les années 70 disons. Toutefois, on en trouve des traces auparavant. Et pas qu’en France. Aux États-Unis, il était une forme assez répandue en fait. Admirez ce portrait officiel de Richard Nixon :

De mon côté, j’en avais vu un dans Columbo, très ostentatoire, très opulent. En fait pour les tailleurs, il semble que cette forme est / était une sorte d’étude technique et esthétique, entre le cran classique et le cran en pointe. Une variante du cran en pointe en fait. Et encore avant les années 70, dans les années 1920, cette forme de revers était utilisée. Même assez caractéristique des années 20. Voyez Charly Chaplin et deux fois Rudolf Valentino :

Lorsque la télévision diffuse des images d’archives des années 20, je me mets à scruter très attentivement l’image, les personnages et les arrières plans. Non pas que j’y cherche un copain perdu de vu. Mais ces formes de revers justement. Ou de poches. Ou les épaules. Pour voir comment on faisait, quelle était l’esthétique exacte. Ainsi, je peux le dire à force d’expérience, le cran parisien ne l’est pas vraiment. Toutefois, reconnaissons qu’il est actuellement un trait distinctif des tailleurs de la capitale.

Je vous souhaite une belle et bonne semaine. Julien Scavini.

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Quelle musique ai-je écouté pour écrire cet article? L’Introduction et Allegro op 47 d’Elgar. Et plusieurs fois le Sospiro op 70, par Sir John Barbirolli.

Petit rajout suite à un commentaire avisé :

Les différents velours et leur fabrication

Il existe trois types de velours :

  • le velours lisse, où la surface douce et duveteuse est unie et continue. On appelle ce velours chez les tailleurs de la palatine. Et chez les anglais, on dit « velvet ».  Ce velours est idéal pour couper des habits du soir, des vêtements formels. Et habiller des fauteuils ou des coussins.
  • Le velours à côtes, où la surface douce et duveteuse est discontinue, seulement présente le long de lignes, les côtes, de largeur et de densité variables. Chez les anglais, on dit « corduroy » quand il est gros, « needle cord » quand il est petit. Les côtes se comptent par pouce. Un gros velours, c’est 8 côtes par pouces. Un velours fin, c’est 16 côtes par pouces, presque du mille-raies. Ce velours est idéal pour couper de robustes habits d’esprit campagnard.
  • Le velours façonné, mélange des deux précédents, où des dessins et arabesques sont créés par des surfaces douces et duveteuses, en relief, s’opposant à la trame de fond. En ameublement, je crois que l’on parle de velours de Gênes ou de velours Damassé.

Tous ces velours présentent des fils dressés et accrochés dans une trame de fond. Ce sont des fils dressés comme du gazon sur de la terre qui donnent la douceur et l’aspect brillant et luisant au velours.

C’est probablement le tissu le plus onéreux qu’il était possible de trouver avant la révolution industrielle. Car en plus d’une trame de fond lisse, il faut une énorme quantité de fils pour créer toute cette surface poilue. Et le fil a toujours été fastidieux à obtenir. C’est le plus long dans l’élaboration d’un tissu.

Il est bon ici de faire une remarque. Le velours est donc une manière de tisser. Qui ne préfigure en rien la matière utilisée. Pour faire du velours, on peut utiliser :

  • de la soie. La matière la plus ancienne, et la plus onéreuse, encore aujourd’hui. Le velours de soie, c’est la Rolls des tissus, impraticable ou presque pour un tailleur, apprécié pour habiller fauteuils et intérieurs de châteaux.
  • du mohair, solide et endurant. Les bancs de l’Assemblée Nationale sont en velours de mohair. Une composition exclusive de l’ameublement de luxe. 
  • du coton. C’est le plus simple de nos jours.
  • du polyester ou de la viscose. Et plein d’autres merveilles de la chimie moderne qu’il serait préférable d’oublier.
  • des mélanges. Par exemple, pour un beau velours d’habillement à côtes, mélanger coton et laine, ou coton et cachemire est un plaisir pour le porteur. Une touche d’élasthanne est aussi possible. Chez Dormeuil, j’avais le souvenir d’un velours palatine de coton et soie, une beauté.
  • de la laine. Je n’en ai jamais vu. Mais je sais que cela existe.

La création du velours lisse et du velours côtelé est une merveille d’ingéniosité. Pour faire du velours, il faut déjà créer un tissu composant le fond du velours. Ou plutôt, il faut créer deux tissus, car ce métier à tisser spécial va créer deux velours en même temps. Ces deux tissus sont fabriqués dans le métier, avec quelques millimètres de séparations. Il y a de l’air entre ces deux tissus. Chaque tissu haut et bas possède sa chaine et sa trame. En même temps, une troisième chaine (c’est à dire les fils dans les longueur) est insérée, avec détente, reliant les deux couches. Des milliers de fils, pour relier ces deux tissus, comme pour les coller. Comme un gros sandwich, lisse au dessus, lisse en dessous, et plein de milliers de fils (perpendiculaires) au milieu, comme une éponge.

En sortie de métier, une imposante lame de rasoir attend. Cette lame est située pile entre les deux tissus initiaux. Se faisant, en avançant, le rasoir coupe les milliers de fils constituant le milieu du sandwich. Il en résulte quoi ? Deux tissus de nouveau séparés, mais présentant maintenant des fils coupés et dressés, les scories de la troisième chaine. Malin n’est-ce pas ! Un bon schéma :

Légende : les tissus de fond sont composées chacune d’une trame (en orange) ainsi que d’une chaine qui zigzag entre la trame (rouge et violet). Il y a donc deux trames et deux chaines. Puis une troisième chaine est insérée (en bleu canard) qui relie et fusionne les deux étoffes. A la fin, une lame (en grise) coupe cette troisième trame, dont les bouts deviennent des poils dressés.

Précisons que les tissus de fond ne sont pas obligées d’avoir la même composition que les fibres « poilues » du velours. Généralement en habillement, c’est le cas, sauf l’élasthanne qui n’est présente par exemple quand dans les trames et non dans les « poils ». En ameublement, la trame peut être différente pour soucis d’économie, le beau du velours étant le « poil » et non le fond.

Lors du processus de fabrication de ce velours, une certaine orientation des « poils » apparait. Un velours, lorsque vous le caressez, a toujours un sens. Dans le bon sens, il est doux. A contre-sens, ou devrais-je dire à rebrousse-poil, il est plus rugueux.

Mais il y a la douceur. Et il y a la prise de la lumière. Deux choses différentes.

Car à contrario de la douceur, un velours prend mieux la lumière à rebrousse-poil. Sa couleur est plus profonde, plus vibrante, en particulier pour le velours palatine. Dans le bon sens, le même velours sera terne, presque blanchi.

Lorsqu’un tailleur coupe un vêtement en velours, il doit donc s’interroger sur le sens de la coupe. Coupe-t-il la veste dans le sens du poil pour la douceur ? Ou la coupe-t-il à contre sens, pour l’éclat de la couleur ?

Pour ma part, j’ai le plus souvent fait couper à rebrousse-poil les vestes en palatine, pour une plus grande expressivité de la teinte. Et j’alterne pour les pantalons, les côtes ayant un peu moins ce problème.

Cela dit, tous les tailleurs ne sont pas d’accord. « Un velours coupé à contre-sens s’abime plus » m’avait dit Monsieur Guilson. Pourtant, un vêtement du soir n’est pas si utilisé que cela. Et les grandes maisons italiennes, et Ralph Lauren, coupent à contre-sens ai-je souvent remarqué. Donc…

C’est un petit débat de tailleur, je le concède.

Belle et bonne semaine. Julien Scavini

Le pantalon grande-mesure, un poème

Depuis quelques années que je collabore avec un tailleur pour la réalisation de costumes en grande mesure, je me félicite de constater le plaisir qu’ont les clients lors de l’essayage, en particulier, du pantalon. Le pantalon en grande-mesure, un plaisir à nul autre pareil.

Certes la veste est une œuvre d’art complexe qui demande beaucoup de travail et d’ajustements. Mais le pantalon, cette pièce si souvent vue comme inférieure, ne démérite pas. La veste, comme pièce de résistance est la plupart du temps attendue au tournant. Les clients attendent de voir l’épaule, le volume de la manche, la longueur du corps, la largeur du revers, le bon positionnement du bouton. Autant de détails qui ont été pensé et dont l’assemblage global donne le ton, l’esthétique et le plaisir du costume terminé.

Le pantalon lui, il est essayé en premier, comme ça, presque comme une formalité. Et une impatience apparait, alors que les ajustements sont faits ça et là pour caler la culotte, le rond de hanche ou la longueur.

Et puis, l’humeur se détend et le pantalon est observé. Le temps passe et le pantalon devient, en amont de l’essayage de la veste, un objet à regarder. Il devient un sujet. Le client s’assoit, teste son confort.

Souvent, pour ne pas dire invariablement, une sorte d’aise apparait, un sourire. Finalement ce pantalon qui n’était pas un gros sujet d’attente devient… une surprise. Celle d’une coupe élégante et précise, qui en même temps donne un grand confort.

Je ne compte plus les clients qui en fait, m’ont félicité (même si je n’y suis pour rien ne réalisant pas les grandes-mesures moi-même) pour le pantalon. Parfois certains recommandent quelques autres modèles, en coton ou en flanelle.

A quoi est-ce dû ? Il y a la coupe pour une part, je ne puis le nier. La coupe d’un pantalon se joue presque entièrement sur deux coutures, celle de l’intérieur de la cuisse se poursuivant depuis la fourche vers le milieu dos. De la conjonction de ces deux lignes nait le pantalon, un « siège » où résident le confort et le séant de Monsieur. Et ces deux lignes ne sont pas facile à caler, j’en sais quelque chose en petite-mesure. On fait « au mieux ». Mais en grande mesure, l’ajustement est évidemment plus simple, plus efficace, plus direct.

Je ne peux nier donc une part de la coupe. Mais ce n’est qu’une part je pense. Et pas tout à fait majoritaire. Car pour moi, tout le secret d’un bon pantalon en grande-mesure est dans le montage des intérieurs, les hausses et sacs de poches, en percaline (un coton fin) la plupart du temps. Et dans l’entoilage de la ceinture, à la toile de lin, à la fois souple et rigide. « All natural ».

Tout cela est monté à la main. Une spécificité de la grande-mesure parisienne ou italienne, où tout est fait main. Peu ou pas de machine à coudre. Mais des doublures appliquées à la main, où l’on voit l’enchainement des petits points de rabattement. Ces intérieurs si particuliers sont tels que le commun des mortels le trouve passable, mal exécuté voire grossier. C’est si différent des intérieurs normalisés et cousus machine que l’on connait. Lorsque j’ai donné des cours de couture (enregistrés par Artesane), j’ai vu l’étonnement de couturiers(ères), dont l’apothéose logique était de réaliser les intérieurs les plus impeccables possibles, orthogonaux et parfaitement bien cousus à la machine. D’une netteté d’usine. A l’inverse de la couture main qui fait irrégulier, curieux et ancien.

Mais tout est là. Et pourtant, tout est là ! Tout en souplesse. Un poème d’harmonie et de douceur contre le corps. Il vaut l’avoir essayé pour le croire. De cette pure simplicité de rabattements curieux et ancestraux, presque de rustines et de patch parfois, nait un confort inénarrable. Hélas, tout le monde ne peut l’essayer vu le coût. (Sauf à trouver quelques modèles en seconde main.) Il faut alors me croire, sur parole !

Bonne semaine, Julien Scavini

Faut-il aller au pressing ?

C’est une question que l’on me pose très très régulièrement à propos des costumes, qu’ils viennent de chez moi ou d’ailleurs. De manière générale, il me semble que les hommes mettent trop souvent au pressing les leurs. Je ne parle même pas des quelques rares qui se sentent obligés de l’y amener à chaque fois qu’il est porté. Là, c’est vraiment l’extrême. Plus courant toutefois que l’on pourrait le croire. L’hygiénisme mène à toutes les folies ! A l’inverse, d’autres visiblement n’ont pas l’idée de l’y apporter et ne se sentent pas gênés de porter un chiffon.

La première réponse que je donne est d’y aller assez peu. Pour la bonne et simple raison, chacun aura pu le constater, que les pressings ont tendance à abimer les costumes. Et pour me l’être fait expliquer par un excellent teinturier maintenant retraité, ce n’est pas les solvants utilisés dans les sortes de grosses machines à laver (perchloroéthylène notamment) qui abiment. Mais plutôt l’étape du repassage qui suit, souvent trop rapidement effectuée, avec des fers trop chauds. Qui alors lustrent la laine. Celle-ci se met alors à briller légèrement. Si le nettoyage en tambour n’est pas très onéreux pour le teinturier, la main d’œuvre au repassage l’est. C’est pourquoi cette étape est plus rapidement exécutée.

Première chose à savoir, un costume n’a pas besoin d’aller beaucoup au pressing. Je dirais une à deux fois l’an. Et les manteaux en sortie d’hiver. Précisons.

La veste

La veste en particulier est un vêtement de dessus, qui ne prend pas ou peu la transpiration et les salissures diverses. La chemise est bien plus exposée. Il faut veiller à prendre soin de sa veste. La poser correctement sur un dossier de chaise ou une patère. Et surtout le soir, vider les poches, disposer les rabats des poches convenablement, et remettre la veste sur un cintre épais, qui forme bien les épaules. La veste ainsi disposée, va naturellement se défroisser et s’aérer. Sans poids dans ses poches, elle ne va pas se déformer. L’entoilé intégral est supérieur au semi-entoilé à ce niveau, avec un gonflant plus évident et naturel de la structure interne qui supporte mieux ce cycle actif / repos. Le stockage est très important !

Si la veste a pris des odeurs lors d’une soirée avec des fumeurs par exemple, il faut placer le cintre et la veste à l’extérieur. A l’abri, l’air frais de la nuit fera disparaitre les relents désagréables. Et au petit matin, elle sera parfaite. Il est possible de lui faire prendre un bain de vapeur dans la salle-de-bain, à côté de vous prenant une douche bien chaude. La vapeur va aider la laine à défroisser et aux fibres à se détendre pour permettre aux odeurs de partir.

Il est enfin rare de faire des tâches sur la veste. Là en effet, le pressing sera très utile.

Pour ne pas avoir l’air d’en vouloir au pressing, il faut aussi reconnaitre qu’une veste qui a été nettoyée retrouve un éclat et une vigueur heureuse. La laine retrouve une certaine lueur. Je suis content quant je récupère une veste, je vois que cela lui a fait du bien. Les revers bien lisses, les épaules nettes. Le pressing aide un vêtement a retrouver une jeunesse. Point trop n’en faut.

Le pantalon

Intéressons-nous plus au cas du pantalon. Lui n’est pas un vêtement de dessus. Il se salit plus vite. Nous nous asseyons dessus, et pas toujours sur des surfaces propres. De plus, notre auguste séant y trouve place. Il est donc un peu plus sujet aux tâches et aux odeurs. Si je disais ce que des clients osent me rapporter pour retouche… Un vrai sujet pour un Instagram. Maintenant, j’exige que le pantalon sorte du pressing. Lorsque j’étais plus jeune on me la faisait plus souvent à l’envers. Bref.

Si la veste voit une à deux fois l’an un pressing, le pantalon lui peut y aller plus souvent. Nulle peur d’une décoloration. C’est la lune qui décolore. Pas le repassage. Si vous avez cinq costumes, cela signifie que vous mettez le pantalon une fois par semaine. Si vous amenez le pantalon au pressing tous les deux mois, cela fait huit à neuf ports. Je pense que l’on peut monter à un trimestre entre chaque pressage. Toutefois, l’hygiène ne se discute pas. C’est donc à convenance.

Il est aussi possible de ne demander qu’un repassage et non un nettoyage complet du pantalon. Mais au fond, comme ce n’est pas le nettoyage qui abime mais le repassage, le gain n’est pas énorme, autant faire nettoyer.

Et avant ?

Comment faisait-on au début du siècle me demande-t-on souvent? Et bien, justement tout le bric-à-brac de machines et de produits n’existait pas. Les teinturiers se servaient de patte-mouille (linge blanc humectée) et d’un fer. L’eau contenue dans la patte-mouille se vaporisant au contact du fer, elle entraine la saleté sur le linge blanc. Le vêtement en dessous se nettoie tout seul. Mais c’est très long. Quelques poudres pouvaient être utilisées aussi ai-je lu. En complément, une bonne brosse à poils semi-durs permet de lisser et décrasser le drap du costume.

Attention, si vous le faîtes vous-même, attendez entre chaque mouvement de la veste ou du pantalon qu’elle ou il refroidisse. Il ne faut pas bouger le vêtement chaud, car alors vous allez ruiner votre repassage. La laine chaude gonfle et votre vêtement va perdre toute son allure. Le repassage à la patte-mouille et long. Entre chaque pressage et avant de bouger le vêtement, il faut qu’il refroidisse. C’est pourquoi les tables à repasser des pressings aspirent l’air à travers le tapis, pour créer une dépression qui refroidit le vêtement rapidement.

Cela se pratique-t-il encore ?

Les grands-tailleurs peuvent probablement se charger de ce travail de repassage / nettoyage haut-de-gamme. Mais leur atelier n’est pas non plus fait pour cela. Probablement donne-t-il le costume à un pressing de qualité. Il en existe quelques uns à Paris qui réalisent ce nettoyage à l’ancienne, sans machine. J’en connais trois à Paris :

  • Teinturerie Germaine Lesèche Paris 8
  • Meilleur élève de Pouyanne près du Printemps-Haussmann Paris 8
  • Delaporte Paris 7 qui est le teinturier de Dior Haute-Couture

Il en existe probablement d’autres. Je ne les connais pas tous. Sachez que le nettoyage là d’un costume vous coutera plus de 70€. C’est normal vu le travail. Les boutons sont souvent recousus comme les doublures pour ce prix. C’est du petit entretien et un service.

Et sinon, pour moins cher?

En dehors de ces grands noms, il existe une infinité de pressings, qui cachent souvent un travail industriel. Difficile à juger. Parfois, le fait de délocaliser sur un gros site le nettoyage peut être garant d’une certaine qualité, avec un contrôle qualité renforcé. Il serait idéal de fuir les grosses chaines, et encore donc. L’avantage de ne donner à nettoyer que le pantalon est de réduire le risque d’abimer. Disons que 30 à 35€ me parait honnête pour avoir un bon travail sur un costume. 12€ une veste comme j’ai pu voir est très discutable. Il ne faut pas trop radiner. Testez. Mais si vous amenez vos pantalons quatre par quatre occasionnellement et que vous payez 10/12€ par pièce, si vous vous y retrouvez, je ne pourrais pas y trouver à redire. Rien de vaut des pantalons bien pressés.

Bonne semaine, Julien Scavini

Le bouton, partie première

Pour fermer vestes, manteaux et pantalons, il faut des boutons. Si la fermeture à glissière a bien révolutionné l’industrie textile, le bon vieux bouton, dispositif millénaire, a encore de beaux jours devant lui. Archi simple à mettre en œuvre et très facile à réparer, ce petit dispositif rond est plein de poésie.

Commençons par le décrire. Généralement, un bouton d’homme a quatre trous. Deux est plus fragile et un peu plus féminin mais à Savile Row, c’est un classique. Je n’en ai jamais vu à trois, ce serait pourtant une riche et élégante idée, la couture en triangle ! Pour être élégant, ce bouton n’est pas plat, mais dispose d’une lèvre à son pourtour, plus ou moins bombée. A Savile Row toujours, les tailleurs utilisent un bouton spécial, incurvé vers l’intérieur, en forme de ménisque. C’est une élégante spécificité, comme vous le voyez ci-dessous :

https://i.ebayimg.com/images/g/YHoAAOSwsGhaelKI/s-l300.jpg

Pour les vestes, le diamètre habituel du bouton devant est 18/19mm et aux manches 14/15mm. Dans les années 50, ces mêmes boutons étaient 2mm plus larges environ, surtout devant. C’est dire qu’avec le temps, les boutons ont légèrement diminué de taille.

Pour un manteau, le bouton est plutôt de 25mm devant, et 16/17mm aux manches. Mais la tendance actuelle pour les manteaux est de mettre aux manches, les mêmes boutons qu’aux manches d’une veste, soit 14/15mm. C’est un peu dommage, mais cela réduit les coûts probablement.

Dans ma boutique, je présente les boutons sur cette petite planche. A gauche, le 25mm à manteau, au centre, le 19mm à veste, à droite le 15mm pour manches de veste. Manque donc le modèle manche de manteau. Le gilet se contente du plus petit modèle à droite, comme le pantalon :

Pour une chemise, le bouton principal est de 11mm et celui de la gorge de poignet de 9mm. L’épaisseur est d’environ un millimètre et demi en nacre, deux millimètres en plastique, et parfois 5mm pour des nacres italiennes. Ces boutons sont plus ostentatoires. Sur la photo ci-dessous, voyez la présence d’un cercle gravé en creux au pourtour du bouton, signe d’excellence par rapport à des boutons plus simples :

https://www.acornfabrics.com/wp-content/uploads/2019/07/button201820mop20mass20shot.jpg

Comment coudre un bouton maintenant ? En tailleur, les deux écoles se battent continuellement. Certains prétendent que le X est mieux que le = . En industrie, le X prédomine et je crois me souvenir que quand j’étais stagiaire chez Camps de Luca, on faisait des = . Donc, je ne crois pas du tout à une supériorité de l’un sur l’autre. En chemiserie, depuis quelques années, les italiens ont donné le goût de la couture en patte d’oie (zampa di gallina en italien), ou en fleur de lys comme on dit en France, comme ça : \|/ . Je dois dire qu’il est possible de coudre les boutons de cette manière, même sur un costume. Je n’y vois pas d’inconvénient en tout cas. Regardez sur une chemise ce que cela donne :

https://i.pinimg.com/originals/54/a9/c3/54a9c38495028fbfd6c676f6cfdbefd4.jpg

Normalement, le bouton présente une petite queue à sa base. Elle est réalisée en laissant du « mou » lors de la couture du bouton, puis ce « mou » est entouré de fil, comme un ressort, ce qui donne comme un pied. Le bouton est plus facile ainsi à passer dans les boutonnières. Y compris sur les belles chemises. Les machines à coudre bas de gamme des industriels bas de gamme cousent les boutons sans queue. Le coup de l’allumette pour être sûr de laisser le bon « mou » est super, mais il prendre beaucoup trop de temps!

La semaine prochaine, nous regarderons de plus près les matières à notre disposition ! Bonne semaine, Julien Scavini

Comment devenir tailleur ?

C’est souvent que l’on m’écrit, ou que l’on vient me voir en boutique pour me poser cette « ultime » question comme dirait Asphalte : « comment devient-on tailleur » ? Je ne compte plus les petits jeunes qui sur une année me posent cette énigme, comme à la recherche d’un graal. L’un des derniers, Marcel, est tombé au juste moment où je cherchais quelqu’un pour faire de la vente. Il fut embauché presque sur le champ.

Avant de s’intéresser aux formations, il faut d’abord s’intéresser aux débouchés. Il me semble que c’est le point primordial ; même si en France, on aime mettre les formations avant, quitte à ce qu’il n’y ait pas de débouché… Question philosophique me direz-vous. Je pense qu’il ne sert pas à grand-chose d’apprendre quelque chose si l’on ne peut transformer cette expérience en commerce. Question encore plus philosophique !

Les débouchés à Paris, et en France, sont quasiment inexistants. Il faut se le dire immédiatement. J’ai fait l’AFT (Association de Formation Tailleur). Cette structure a pendant quinze ans environ proposé à des personnes, avec ou sans formation initiale, de devenir tailleur. De fait, le vivier de « sachant » qui était au plus bas a été rechargé, d’une certaine manière. Ces garçons et ces filles ont intégré les quelques rares ateliers de Grande Mesure, qui assez vite au fond, sont arrivés à saturation. Ils ont eu assez de stagiaires puis de salariés. Ainsi, vers les derniers temps, Camps De Luca, Lanvin, Smalto entre autres, avaient suffisamment de main d’œuvre qualifié et ne recherchaient plus de petits jeunes.

D’autant que ces ateliers pouvaient aussi recourir à une main d’œuvre plus âgée et bien plus qualifiée, en provenance d’Italie, mais aussi et surtout de Turquie ou du Maroc, voire d’Afrique noire. De ces pays arrivent des messieurs, parfois aussi des dames, souvent forts adroits et très rapides, qui sont plus rapidement au niveau des volumes imposés par la vie de l’atelier. Surtout que dans ces pays, les formations commençant parfois dès 10ans, on a affaire à des athlètes de l’aiguille avec lesquels nous ne pouvons pas rivaliser.

De plus et ces derniers temps, avec la Covid, les voyages étant stoppés, la Grande-Mesure ne se porte pas au mieux de sa forme. Cela reviendra vous me direz.

Certains pourraient avoir l’idée de s’installer à leur compte pour faire du « bespoke » comme m’a demandé un lecteur récemment.

Alors là, autant le dire, je ne crois pas du tout à l’installation de jeunes pour faire de la Grande-Mesure directement après une formation. Je n’y crois pas un seul instant. Je rajouterai même plus que c’est une forme de vol ou d’arnaque. Pour être un bon tailleur en grande-mesure, une formation de dix ans en atelier me semble incontournable et nécessaire. Quelques exemples très réussis de ce genre de parcours existent. Kenjiro Suzuki a passé de longues années chez Smalto et sa femme chez Camps De Luca avant de fonder son atelier. Emanuel Vischer fut de longues années aussi le dernier apprenti du très grand tailleur Gabriel Gonzalez, carte de visite des plus respectables ! Aïdée et Florian Sirven enfin venaient je crois de chez Smalto où ils avaient fait leurs armes. Ils se lancèrent vaillamment avant de fermer boutique pour intégrer Berluti. Ce sont de beaux exemples. Ils sont rares.

Car avant de vendre une grande-mesure, logiquement vendue plus de 4000€, il faut un peu de bouteille. Le client doit être en confiance. Ce n’est certainement pas en deux ans de formation tailleur à l’AFT que l’on peut raisonnablement se dire tailleur. Remarquez, qui ne tente rien n’a rien.

C’est pour cela qu’à mon niveau, je m’en suis toujours bien gardé. Et j’ai préféré faire de la demi-mesure. Je ne pensais pas, et je ne pense toujours pas être le plus qualifié pour faire de la grande-mesure. Si j’en propose, c’est qu’un tailleur de plus de 80 ans m’a proposé ses services, pour son propre plaisir.

Donc soyons sérieux, ce n’est pas en quelques mois de formation que l’on peut acquérir la dextérité et l’œil nécessaires à l’exécution dans les règles de l’art d’un costume fait-main.

Par contre, c’est une excellente base pour de la demi-mesure. Pour savoir de quoi l’on parle.

Ce débouché justement, de devenir boutiquier en demi-mesure, est accessible en revanche. Pour qui est un peu dégourdi et malin, c’est un eldorado. La preuve en est que des zozos totalement dépourvus de toutes connaissances « sartoriales » y arrivent très bien et font pas mal d’argent. Même si dans le cadre des ateliers NA, cela s’est mal fini. Si quelqu’un veut se lancer dans la demi-mesure, nul besoin d’une longue formation. Car les usines de demi-mesure dispensent toutes les informations qu’il faut. Entre une demi-journée et trois jours, et hop, c’est assez pour ouvrir une échoppe et servir ces premiers-clients.

Mais enfin, revenons aux formations. Puisque je concède que la grande-mesure, ce graal, puisse être un rêve. Quelles sont-elles ?

Et bien très peu choses. L’AFT a fermé depuis que M. Guilson est décédé. Combien d’anciens élèves ai-je entendu lui casser du sucre sur le dos, « que cette école était du vol » « trop chère » « qu’ils s’engraissaient sur les élèves » etc. etc. etc. J’ai toujours été estomaqué de l’incroyable méchanceté à l’encontre des Guilson et de leur fille la directrice. Maintenant, formidable, il n’y a plus rien.

Une photo du tailleur André Guilson, piquée à gentlemanchemistry.com

A une époque, il me semblait que le GRETA à Paris dispensait une formation. Je crois que David Diagne la dispensait la, mais c’est terminé je crois.

En quelques rares lycées professionnels, il existe des formations de couture. Mais c’est un niveau pré-bac.

Le mieux que je conseille est de se lancer dans un DMA costumier réalisateur (Diplôme des Métiers d’Arts, en trois ans). Cette formation, très large, destine les élèves aux métiers du spectacle et de la scène. L’enseignement y est super large, tailleur mais aussi flou et chemiserie, vêtements historiques. C’est une formation généraliste et pratique, appliquée au vêtement de spectacle.

Vous me direz, cela n’est pas le tailleur. Oui mais c’est l’une des bases les plus solides qu’il soit possible de trouver ! Avoir un gros bagage généraliste ne peut pas faire de mal. Et sachez que les costumiers que j’ai rencontré avaient bien souvent des doigts d’or, aussi capable de coudre une robe Dior qu’un pourpoint renaissance, ou encore… une veste tailleur. A l’époque de l’AFT, lorsque j’allais visiter l’atelier d’Arnys, je me souviens de conversation intéressée avec la seconde de Karim, le maître tailleur des lieus. Elle avait fait un DMA costumier réalisateur avant d’intégrer cet atelier. Où elle complétait et spécialisait son apprentissage.

Sinon, à l’issue la troisième, il est possible de rechercher un CAP Métiers de la Mode-Vêtement Tailleur (en 2 ans). Je sais qu’il existe aussi des Brevet de Technicien option vêtement création et Mesure (en 3 ans), ou des BTS Métiers de la Mode (en 2 ans). Une voie intéressante est dispensée par la Chambre syndicale de la haute Couture parisienne, le Diplôme de modélisme, en alternance (en 2 ans). Je vois souvent des jeunes qui cherchent cette alternance. Il faut savoir coudre de base pour la trouver. Et comme il y a peu d’atelier… encore une fois, peu d’alternants. Les places sont chères.

Quant à l’idée de partir pour l’étranger, Italie ou Grande-Bretagne, inutile d’en rêver. Un des meilleurs élèves de l’AFT, un certain Victor avait essayé l’Italie avant de je crois, de revenir devant la dureté des Italiens. Et d’Angleterre, je n’ai pas eu d’échos plus chaleureux. Sans parler du coût de la vie londonienne.

Voilà pour cet aperçu loin d’être rose. Ce n’est pas un métier facile. La formation n’est pas simple. L’éclosion des talents y est ardue.

Je finirais sur le meilleur conseil que je pourrais donner, fruit de mon expérience : méfiez-vous des passions. Les passions sont géniales le soir, après le travail, comme une distraction de l’esprit ou des mains. Les passions font avancer et détendent l’intellect en lui procurant des renforcements heureux. Mais attention, il y a un écueil à transformer une passion en métier. Si les choses se complexifient, la passion se transforme alors en cauchemar. La déception est alors proche et peut être immense, souvenez-vous du sympathique Paul Grassart. Rassurez-vous pour moi, j’en suis très heureux.

Si vous voulez vous amusez avec le tailleur, en dehors de toute considération de commerce, d’argent et d’ennuis, au fond de la manière la plus détachée qui soit, pour votre plus simple plaisir, suivez l’exemple d’Eric, que vous pouvez écouter là sur le podcast de Cravate Club : https://soundcloud.com/jessica-de-hody-253917269/eric

  Bonne semaine, Julien Scavini

Vitale Barberis Canonico

Je voudrais évoquer ce soir, en quelques lignes, ce qu’est la maison Vitale Barberis Canonico. Ce nom est maintenant très connu des élégants de part le monde. Et à raison, tant cette vénérable maison est synonyme de qualité et de durabilité. C’est aussi et surtout l’occasion de faire comprendre pourquoi, jamais, vous ne verrez une liasse Vitale Barberis chez un tailleur.

Le plus ancien drapier italien porte un nom à rallonge, Vitale Barberis Canonico. Un bon de livraison au duc de Savoie datant de 1663 atteste de l’activité lainière d’Ajmo Barberis. Peu d’entreprises peuvent s’enorgueillir d’exister depuis plus de 350ans ! La maison installée à Pratrivero, à une douzaine de kilomètres au nord de Biella est depuis l’origine dirigée par la famille Barberis Canonico. La treizième génération est aujourd’hui à sa tête, sous la forme d’un trio composé d’Alessandro, de Lucia et de Franscesco, figure bien connue du milieu « sartorial ».

Vitale Barberis Canonico est un drapier qui part du mouton. Il possède d’ailleurs trois fermes en Australie, mais découvre comme un sourcier des laines et des fibres de qualité partout ailleurs. Tout est rapporté, filé et travaillé sur place, à Pratrivero et à Pray, dans ce que les Italiens appellent la vallée de la laine. Deux « mills » parmi les plus silencieux au monde emploient 450 employés. Le cycle complet est conduit en Italie. Vitale Barberis Canonico traite cinq mille tonnes de laine brute par an, pour produire environ dix millions de mètres de drap de laine fine. Soit environ 3,5 millions de costumes ou vestes.

S’il est souvent possible d’apercevoir une étiquette Vitale Barberis Canonico dans un beau vêtement de prêt-à-porter, ou dans une belle mesure, vous ne trouverez en revanche pas de liasse (ces sortes de classeurs de tissus) à l’effigie directe de V.B.C. Car la maison se contente encore pour le moment de son métier de base, à savoir la production de laine, du mouton à la pièce de tissu.

Or, il faut savoir que la distribution auprès des tailleurs est un métier à part entière. En France, on met tout sous l’appellation « drapier ». Pour une fois, l’anglais a plus de vocabulaire et différencie le « mill« , ou fabricant, du « merchant« , le marchand. La plus plupart des grands drapiers sont un peu les deux. Mais Holland & Sherry par exemple est plus « merchant » que « mill« .

Vitale Barberis Canonico par contre, est « simplement » un « mill ». Pas de vente au détail, pas de vente à la coupe. C’est pourquoi, vous ne pourrez pas trouver de liasse chez un tailleur. En revanche, c’est un secret de polichinelle, Vitale Barberis Canonico fabrique discrètement pour ses concurrents directs. En mettant alors sur la lisière le nom du dit drapier. Et ainsi, dans des liasses H&S, Scabal ou Caccioppoli, vous trouverez sans le savoir un certain nombre de références V.B.C. Mais c’est le jeu, ce sont des « merchants » dont c’est le but de revendre à la coupe ce que des « mills » fabriquent.

Vitale Barberis Canonico a fait un choix, celui de vendre en gros. Dans le milieu, on dit plus élégamment, aux « grands comptes ». Ces grands comptes peuvent être Hermès, Dior, SuitSupply, Boggi, Hackett, ou encore BonneGueule, Asphalte ou les Pantalons Scavini. C’est l’étonnante et unique agilité de ce groupe textile, que de pouvoir se confronter à d’immenses donneurs d’ordres. Ou à des plus petits, comme moi.

Pour se faire, Vitale Barberis Canonico ne travaille que la laine. Et que la laine dans certaines qualités choisies. Sur les photos ci-dessous, j’ai pris en photo quatre liasses. Alors, je vous parle de liasse finalement?! Oui, Car V.B.C. en édite. Mais attention, les échantillons qui s’y trouvent ne sont disponibles que par 50m minimum, avec un délais de production de 3 à 6 mois. Ce n’est dont pas pour tout le monde. Pour un costume, il faut 3m30 environ à titre d’info. Ces quatre collections semi-permanentes sont renouvelées tous les deux à trois ans. Ces liasses sont pour les « grands comptes ». Il y a :
– la « sunny season« , rassemblant laines et laine-mohair en tissages d’été, aux alentours de 230grs
– la « perennial« , rassemblant des bons classiques, tous en 260/280grs à la jauge raisonnable de super 110’s. Cette qualité « perennial » est vendu partout à travers le monde, de Zara à Anthony Garçon en passant par mes propres propositions d’atelier.
– la « revenge« , rassemblant des bons classiques là encore, aux alentours de 250grs à la jauge de super 150’s. Cette qualité, plus fine, est utilisée pour des costumes de belle confection chez Ralph Lauren par exemple.
– les « flannels« , rassemblant les merveilleuses « Original Woollen Flannel » qui à 340grs font le plaisir des élégants, et dans lesquelles je trouve toujours des pantalons à couper. Mais aussi quelques flanelles légères en 280grs super 120’s et quelques whipcord pour manteaux légers ou pantalons solides.

Il vous faut ainsi comprendre, que si au détour d’un site internet quelconque, vous trouvez une référence du genre 486.801/12, cela correspond bien à une référence de tissu Vitale Barberis. Mais elle n’est pas disponible auprès d’un drapier, à moins que j’aille chez V.B.C. demander 50m, que j’aurais trois mois plus tard environ.

Vous me direz alors, il n’y a que cela chez V.B.C.? Et bien non, rassurez-vous. Cela n’est que la partie émergée de l’iceberg. Cette minuscule partie des tissus, disponibles sur commande en trois mois environ, se double d’une encore plus petite sélection de ceux-ci, disponibles 24h/24, 7 jours sur 7. Cette ultra-sélection, bleus et gris souvent unis, se retrouvent dans les liasses des différentes usines de mesure à travers le monde. Car cette réactivité permet de soutenir le flux tendu des services sur-mesure comme le mien.

Cette collection semi-permanente est étoffée de manière annuelle de références variées. Même qualité, mais coloris différents en plus :

Et par ailleurs et surtout, Vitale Barberis Canonico propose tous les six mois, une collection « preview » de 2500 étoffes environ, un an à l’avance . Ainsi, en ce moment précis, chez l’agent V.B.C., il est possible d’observer des échantillons des tissus pour l’hiver 2021-2022, voire des « previews » pour le printemps-été 2022. C’est que le travail de collection se fait très en amont. A titre indicatif, j’ai terminé il y a un mois la collection de Pantalons Scavini de l’hiver prochain. Et je suis pas le plus en avance ! A cette occasion, je me suis fais envoyé des échantillons de la part de V.B.C. Ils tiennent dans ce carton, imaginez la quantité à trier et à juger !

A l’intérieur, les différentes qualités me sont proposées dans des étuis fermés à l’ancienne. A l’intérieur, toutes les cartonnettes d’échantillons. Là des tweed, ici des draps à manteaux. Là des whipcord, ici des flanelles particulières. Là des laines froides, ici des « 4 ply » rustiques. Il y en a pour tous les goûts comme vous voyez sur cet aperçu des « shetland tweed » de l’année dernière, pas reproduits cette année hélas. Chaque petit carré de tissu a une référence. Il est possible de commander 50m de chaque 3 à 6 mois, souvent 1 an à l’avance. Car en général, les usines doivent stocker les tissus 4 à 6 mois avant la mise en production.

Par exemple, pour ma collection de Pantalons printemps-été 2021, qui va arriver chez moi fin janvier, pour être mise en ligne fin février, les tissus commandés en février 2020, fabriqués par V.B.C. cet été, sont maintenant tous en stock chez mon faiseur en attente de production fin décembre.

Il faut faire un choix parmi ces collections. Et c’est un travail long, tant il y a à boire et à manger. Voyez plutôt encore ce minuscule aperçu des cartonnettes à ma disposition. Ce n’est pas toujours facile de se rendre compte sur des coupons si petits. Sachez que chez Loro Piana, les aperçus sont moitié moins grand encore.

Pour réaliser le tour de force de produire des milliers de références, Vitale Barberis s’appuient sur plusieurs éléments. Le premier, le marché de l’homme. Il est très stable et fait peu place à la fantaisie. C’est un marché moins difficile que celui de l’habillement féminin, beaucoup plus volatil. Le deuxième, ce sont des qualités de fils connues et largement stockées, fils super 110’s, fils super 150’s, fils cardés, etc. Moins les fils sont variés, plus les tissus sont vite réalisables. Enfin, le troisième point est un petit panel de teinture. Gris, bleu, vert, quelques rouille et ocre, des pointes de marron. Ainsi, d’une qualité à l’autre, des flanelles aux super 150’s, ce sont les mêmes teintes qui reviennent.

Les très très « grands comptes » comme Hermès ou Inditex (Zara), arrivent eux avec leurs propres cahiers-des-charges, leurs propres dessins « maison » pour faire faire des tissus autres. C’est pour cela qu’il est très difficile à un tailleur de trouver LE tissu parfait pour refaire un pantalon de costume craqué par exemple.

Enfin, ces dernières années, Vitale Barberis a fini d’absorber un drapier indépendant, Drapers à Bologne. Ce faisait, le « mill » devient un peu « merchant » à travers de Drapers. L’évolution d’ailleurs se fait ressentir, les nouvelles liasses Drapers adoptant l’élégante présentation V.B.C. La liasse « Lady Sanfelice » est par exemple une sorte de copie de la liasse « Flannels » présentée plus haut. Regardez sur ma photo plus haut, un tartan rouge, qui se retrouve dans la liasse. Elle est aussi agrémentée de dessins exclusifs à Drapers.

Voilà, j’espère que maintenant, vous comprendrez mieux comment fonctionne Vitale Barberis Canonico, et pourquoi, chez les tailleurs vous ne pouvez en acheter directement alors que dans le prêt-à-porter, si !

Bonne semaine, Julien Scavini

La forme de la parementure autour de la poche portefeuille

Si les femmes ont leur sac à main, les hommes ont leur veste. Une véritable besace où ranger, parfois enfouir, tout un bric-à-brac. Téléphone, parfois second téléphone, portefeuille, stylo, peigne, cigare, lunettes, agenda, tout y trouve une place. Les poches extérieures servent un peu. Mais les poches intérieures servent surtout plus. Il existe plusieurs manières de les disposer le long de la parementure. La parementure, c’est ce morceau de tissu qui borde le devant d’une veste, et se retourne pour devenir la face visible du revers.

Le fin du fin chez les tailleurs parisiens consiste à couper cette parementure généreusement, avec un long appendice fuyant vers l’emmanchure. C’est la technique qui consomme le plus de tissu au moment de la coupe, car cette excroissance trouve difficilement sa place au milieu des autres morceaux. Il y a une petite perte de tissu, c’est donc un luxe.

La poche portefeuille est réalisée dans cet appendice. Ce faisant, elle se retrouve fortement en biais et plutôt haut. Surtout si les emmanchures sont hautes, ce qui est à la mode. Le fait de « fuir » en biais vers l’emmanchure est idéal pour terminer cet appendice dans « quelque chose ». Et non dans le panneau de doublure suivant. Voyez ce dessin, présentant la manière classique parisienne de couper la parementure. Et une version édulcorée par la confection, un peu fade je trouve.

Un client l’année dernière m’avait fait refaire l’intérieur d’une grande mesure, car il trouvait la poche initiale trop en biais et surtout trop haut placée. Il est vrai qu’il était habitué au prêt-à-porter italien haut-de-gamme qui n’a jamais proposé ce genre de parementure et positionne les poches portefeuilles plus basses.

Le processus le plus rationnel en confection, et même pour les tailleurs du reste, est de couper une parementure la plus étroite et rectiligne possible. Cette parementure peut-être :

Cas numéro 1, par simplicité, cousue à la doublure tout du long. C’est la méthode du prêt-à-porter pas cher. Mais aussi des tailleurs londoniens qui ne s’embêtent plus guère avec la finesse de l’artisanat. Dans cette méthode, la poche portefeuille est réalisée à cheval sur le tissu et la doublure. Les passepoils de la poche sont pris directement dans la doublure.

Ce cas de figure de montage rend la poche plus fragile. Car la doublure est délicate et supportera peu les poids dans la poche. Pour en avoir discuté avec un tailleur une fois, il m’avait rétorqué que, d’abord la clientèle très haut de gamme a de nombreuses vestes, donc abime peu ses poches, et que surtout, si la poche craquait, c’était le signe indéniable que probablement, la doublure entière est à changer. Pourquoi pas…

Cas numéro 2, la parementure est toujours cousue à la doublure tout du long. Mais dans cette variante érudite, de petits empiècements de tissus sont rapportés pour placer les poches. Cet arrangement s’appelle le « piano facing » en industrie. De plus en plus d’usines l’adoptent car c’est un signe de plus grande qualité par rapport au cas numéro 1. La poche, réalisée dans cet empiècement de tissu, est plus solide et plus durable.
Parfois, les poches basses (anciennement appelée poches cigarette) sont aussi positionnés dans ces empiècements de tissus. C’est plus rare et seulement les bonnes fabriques surtout italiennes proposent cette option qui consomme un peu plus de ressource en couture. Ce sont mes deux dessins :

Si à l’époque de mon entrée à l’École des Tailleurs j’appréciais particulièrement la variante tailleur avec sa signature en biais très caractéristique (et qui me faisait penser à des pièces de peaux animales avec cette géométrie presque organique), je préfère maintenant la simplicité du cas numéro 2, avec ces discrets entourages de tissus autour des passepoils. Je trouve cela plus discret, d’autant plus qu’industriellement, ils sont souvent mieux maîtrisés.

L’empiècement tailleur en biais, est lui en revanche assez souvent mal patronné par les ateliers et alors, il manque d’allure comme je l’ai dessiné en haut à droite. Car pour être chic, il doit – à mon sens – être taillé comme à la serpe, avec netteté et un sens aiguisé de l’oblique. Que la main maîtrise mieux. Mais enfin, tout cela n’est que peu de choses !

Une chose est sûre, si vous soyez des poches portefeuilles sans entourage de tissus, alors fuyez. En cherchant autre chose, Google m’a donné l’image ci-dessous. Et bien franchement, avoir un tel nom pour proposer une finition si bas-de-gamme, c’est se ficher du monde. Ne pas faire l’empiècement, c’est probablement économiser 2 à 3€ à la fabrication… S’ils en sont là ! Il est probable aussi que cette veste n’ait pas de surpiqure au bord. Pour économiser encore quelques sous.

Bonne réflexion sur le sujet. Je repars manger du chocolat ! Julien Scavini

NB : pourquoi la poche à cheval sur la doublure est une fadaise simpliste en grande mesure.

Car normalement, la poche portefeuille s’exécute sur la parementure en amont. Cette poche prend place sur la parementure ou à cheval sur la parementure et une langue de tissu. Puis la parementure est cousue et révèle le bord de la veste. Puis enfin et seulement, la doublure est amenée à la main.

Lorsque la poche est réalisée à cheval sur la doublure, cela veut tout simplement dire que la parementure est préalablement cousue à sa doublure, pour pouvoir y faire la poche. C’est moins fin. Et beaucoup plus rapide. Car lorsque la parementure est cousue et révèle le bord de la veste, alors tout le devant, d’un coup est terminé. Gain de temps évident.

La profondeur d’emmanchure

Lors d’une prise de mesure, vers la fin, je prête si possible une petite attention à l’allure de la manche et à sa position par rapport au corps, notamment sa manière d’épouser le galbe du devant. Je passe généralement quelques doigts le long du flanc du client pour aller jauger l’écart qu’il existe entre l’aisselle de la chemise et le fond de l’emmanchure. Je m’intéresse là à la profondeur d’emmanchure, un concept souvent discuté ça et là sur internet.

Petit rappel pour commencer. Une manche est raccordée au corps de la veste par une couture dite d’emmanchure. C’est un trou tout bête. C’est par là que le bras passe. Cette emmanchure se calcule de manière assez standard, par un ratio du tour de poitrine. C’est donc une donnée proportionnelle. Suivant la méthode calcul, ce tour d’emmanchure, ce trou, sera plus ou moins grand.

Les fabricants qualitatifs ont tendance à adopter une méthode de calcul donnant une emmanchure raisonnable, c’est dire à peine au large de l’emmanchure de la chemise mais pas trop non plus.

Quelle incidence cela peut-il avoir ?

Si l’on se plonge dans l’histoire du vêtement, sous l’Ancien Régime et jusqu’à la Première Guerre mondiale environ, les emmanchures étaient très hautes, trop hautes. Par haute, j’entends que le trou était véritablement petit, très étroit. L’aisselle est véritablement comprimée. J’ai déjà essayé un habit d’époque Charles X, et je peux vous dire que je le sentais « passer ». Mon aisselle était cisaillée. Cela avait un effet, d’ailleurs recherché, tenir le bonhomme. Ainsi oppressé par le vêtement, on a tendance à se redresser, à se tenir plus droit avec le buste bombé. Toute l’allure du frac.

Dans les livres de coupe de l’époque, les maîtres coupeurs faisaient d’ailleurs mention de ne pas trop couper l’emmanchure haute, de donner de l’espace au client. Il a fallu attendre longtemps pour découvrir le confort véritable dans le vêtement. En fait les années 30. Les costumes des années 20, souvent pincés avec une allure de minet avaient encore les emmanchures très hautes et les manches très étroites.

Mais avec les années 30 puis 50, les manches gagnent en volume, comme les pantalons d’ailleurs. Dans une manche de Jean Gabin, il est possible de mettre deux bras au moins ! Comme les manches gagnent en volume, les emmanchures s’élargissent, et se creusent comme on dit. L’aisselle est dégagée. Une véritable notion de confort naît. La veste devient du Cadillac, généreuse et opulente.

Car il faut le dire, une emmanchure profonde et large est très aisée à passer. Pour celui qui met la veste, le mouvement est plus simple, il faut moins lever le bras.

Toutefois, dans les années 70 et surtout 80, le prêt-à-porter a exagéré l’affaire et les emmanchures sont devenues de plus en plus profondes. Les manches raccordaient le buste sous le poitrail, une béance certes confortable mais qui commençait un peu à altérer la ligne.

Car plus l’emmanchure descend bas, moins le cintrage peut être appuyé. Emmanchure profonde est synonyme de veste large. Une mode. Indiscutable lorsqu’elle sévit.

Les bons tailleurs eux ont toujours étaient modérés. Quelques un se sont probablement laissés aller aux emmanchures profondes. Au fond elles sont une facilité.

Quelques grands tailleurs et je pense en particulier les italiens ont remis à la mode (tout ça n’est qu’effets de mode au fond) les emmanchures hautes. C’est même devenu une figure de style imposée pour les grands tailleurs en vue, concept distillé dans les bonnes feuilles comme The Rake.

L’emmanchure haute prend le bras très près, en dessous. Et va de paire avec un buste particulièrement près du corps. Il suffit pour s’en convaincre d’observer une veste de Lorenzo Cifonelli. Le buste est moulé et la manche apparait finement rapportée. Les volumes tailleurs sont ciselés et les emboitements savamment mis en valeur. La manche apparait comme très articulée sur le buste.

Théorème : une emmanchure haute ne s’envisage qu’avec une veste très appuyée. Une emmanchure profonde ne s’envisage qu’avec une veste très ample.

Contre exemple : j’ai déjà vu de médiocres prêt-à-porter ou même demi-mesures, d’une enseigne que je ne citerais pas, super-slim MAIS avec des emmanchures très profondes. C’était hideux. Une sorte de Dior raté. Cela clochait et faisait vraiment « chinois », passez moi l’expression. C’est qu’il y a tant d’usines sans talent là-bas.

A noter par ailleurs que l’emmanchure haute doit s’accompagner soit d’un embu important de la tête de manche (chose impossible en demi-mesure) soit d’un peu de générosité sur la largeur de l’épaule. Pour garde de l’aisance et ne pas être bloqué comme dans une armure. Deux points que cochent aisément Lorenzo Cifonelli, avec ses épaules plutôt larges et des têtes de manches volumineuses.

A4 Portrait _ Mise en page type

Toutefois, faire des emmanchures généreuses est plus facile. J’ai longtemps essayé de suivre cette tendance pour l’emmanchure haute. En butant souvent, c’est le cas de le dire, sur des clients, plutôt âgés, rétorquant se sentir serré, trop tenu sous la manche. Il me fallait alors creuser l’emmanchure, tâche fastidieuse dont je me serrais bien passé. Dès lors je me suis méfié et je reste prudent. D’autant qu’un client un jour m’a fait remarquer ce point essentiel : lorsque l’emmanchure est haute, l’effort sur le tissu sous l’effet de la transpiration est intense. La doublure s’use vite et surtout le tissu s’abrase juste sous la manche, il feutre.

Une emmanchure peut toujours se creuser, s’approfondir pour le confort. Mais jamais monter. Vous ne pouvez rajouter de tissu là où il n’y en a plus.

Dès lors, rester dans une sorte de norme m’a paru la plus sage des attitudes. Je présente ainsi ce point de mesure au client : « une emmanchure plus haute, vous la sentez un peu au début, les premières heures. Elle peut faire transpirer les sujets sensibles. Mais elle apporte un petit gain esthétique et aussi un confort différent dans les mouvements, lorsque vous lèverez les bras. »

Car le point essentiel de l’emmanchure haute, en dehors de l’articulation élégante des éléments de la veste, est le confort en mouvement. Lorsqu’elle est haute, l’emmanchure permet aux bras de bouger sans tirer le corps de la veste. Il est possible de faire quelques moulinets sans être gêné.

Toutefois, il me faut bien présenter aussi l’inverse. Dans une veste de conception généreuse et aux emmanchures un peu trop profondes, il est tout à fait possible aussi de faire quelques moulinets sans gêne. Au fond, tout cela n’est que partis-pris et lutte de chapelles. L’aisance est similaire dans une veste aux emmanchures profondes ou étroites. Le résultat stylistique en revanche, n’est pas le même.

Tant que la veste est belle et que le client aime la porter ! J’aime autant voir un vieux nager d’aise dans sa veste qu’un jeune minet faire le cador dans sa veste taillée à la serpe. Ce sont deux conceptions. Cela vaut toujours mieux que le sweat-shirt ou la veste étroites aux emmanchures béantes et mal calculées.

Bonne semaine, Julien Scavini

Messieurs les passepoils

Retournons ce soir aux sources du blog avec un article d’explication du tailleur sur le passepoil. Et non le « poussepoil » comme un client m’a dit récemment, ce qui m’a donné l’idée de cet article. Ce mot revient le plus souvent concernant les poches. Tour d’horizon. Le Larousse de 1901 donne la définition suivante :

 « PASSEPOIL (de passer, et poil), n. m. Militaire. Sorte d’ourlet en drap dont on borde diverses parties de l’uniforme ou qu’on applique sur certaines de ses coutures ; ENCYCL. La nuance des passepoils tranche le plus souvent sur le fond, et ils constituent ainsi un attribut distinctif. Originairement, les passepoils ont été imaginés pour permettre de remplacer aisément la partie des effets sujette à se salir et à s’user. »

La première définition donc, à mon plus grand étonnement, renvoie le passepoil à un ornement militaire et même à une sous-tâche, qui chez les tailleurs, est un travail inférieur à la grande structure du vêtement. Dans cette définition, le passepoil est similaire au sens moderne de ganse. Quoique la ganse est une pièce de tissu ramené par-dessus un bord, et non inséré dans le bord comme le passepoil. Sur la photo ci-dessous d’origine inconnue, le bord du devant est souligné par un passepoil rouge :

passepoil rouge

En effet, sur les vêtements militaires anciens, la couleur majoritaire du corps se voyait opposer aux bords une couleur secondaire, par l’intermédiaire des passepoils. Les vestes autrichiennes, un petit peu les forestières d’Arnys aussi, recourent à cet artifice permettant d’apporter subtilement une heureuse couleur secondaire, ce que la veste classique ne fait jamais. Sur la photo ci-dessous, une veste autrichienne présente un passepoil au bord en suède marron, comme du cuir, rappelant le col. Col qui lui-même présente un passepoil rouge.

passepoil veste autrichienne

Ceci dit, une définition plus moderne du mot est utile pour avancer. Le Larousse actuel donne la définition suivante :

« Bande de tissu, de cuir prise dans une couture pour former un liseré et servant de garniture. Ou. Ourlet en drap dont on bordait diverses parties de l’uniforme militaire ou qu’on appliquait sur certaines de ses coutures. Ou. Lanière prise en couture dans le rapprochement de deux pièces d’un sac, d’une tige de chaussure, etc. Ou. Tresse ronde servant à souligner l’arête d’un siège, d’un couvre-lit ou le bord d’un coussin. »

Cette définition est précise et large, c’est intéressant. Pour faire simple, un passepoil est une petite pièce d’étoffe (ou de cuir) prise entre deux coutures et qui forme un petit un bourrelet. Ce bourrelet peut-être plat (dans le cas d’une poche) ou rond s’il est rembourré d’un cordon (c’est le cas en tapisserie pour les fauteuils). D’ailleurs les anglais pour désigner des passepoils disent « piping », un vocable de tuyauterie. Imagé!

De nos jours, en textile, le passepoil est plus une manière de faire les poches que de rehausser d’une couleur. Quelques confectionneurs utilisent encore le passepoil coloré pour border la doublure, comme sur cette photo :

passepoil doublure

Il y a quelques années, j’avais fait un petit explicatif de couture pour montrer comment réaliser des passepoils convenablement, à l’occasion de la fabrication d’un gilet.

Les passepoils, c’est un peu l’alpha et l’oméga d’une veste voire d’un pantalon. C’est là que le tailleur prend du temps, car il y en a beaucoup à faire. Et c’est une opération plutôt longue et délicate. D’autant que les passepoils sont généralement situés là où la veste va endurer de l’effort : l’entrée des poches. Ci-dessous, la poche d’un smoking, deux passepoils brillants, simples :

passepoil smoking

Parce que le passepoil est un ouvrage précieux et délicat, James Darwen dans Le Chic Anglais dit page 67, que « les poches sont taillées dans le vêtement, et non plaquées. » Je comprends cette affirmation péremptoire dans le sens que les poches plaquées, c’est bon pour les paysans, la facilité même à fabriquer. Et la facilité d’ailleurs à remplacer si elles craquent. A l’inverse, les poches passepoilées, par leur longueur d’exécution, par la finesse de l’ouvrage et par leur fragilité intrinsèque, c’est une poche d’élite !

C’est pour cela aussi que les vestes dîtes de « workwear » sont dépourvues de poches passepoilées, trop raffinées, trop coûteuses, trop fragiles. Trois carrés plaquées à la machine à coudre sont plus économiques et endurants.

Le passepoil donc, sert aux poches. Ces poches sont aussi appelées poches crantés. Cranter le tissu, c’est le transpercer au ciseau. Ce que l’on fait pour ouvrir la crevée dans laquelle passera la main.

Si vous prenez une pièce de tissu, percer celle-ci pour y ouvrir une poche est simple. Mais protéger les bords du tissu de l’effilochure n’est pas simple.

Ainsi a-t-on recourt aux passepoils, deux minces bandes qui encadrent et protègent l’ouverture. Sur une veste, il y a deux poches sur le côté à l’extérieur et parfois une poche ticket. A l’extérieur toujours, la poche poitrine n’est pas passepoilée, c’est une autre technique. A l’intérieur ensuite, il y a généralement trois à quatre poches passepoilées.

Pour chaque poche, on peut compter un passepoil en bas, un passepoil en haut. Entre ces passepoils, il est possible de disposer une patte, aussi appelée rabat (comme à l’extérieur) ou une patte triangulaire (comme à l’intérieur). Sur la photo ci-dessous, le rabat s’intercale entre les deux passepoils. De fait, celui du bas est caché.

passepoils poches

Normalement, les passepoils se coupent à 90° du tissu général, pour être dans le sens résistant. Il n’est donc pas possible de raccorder les passepoils au motif de la veste. Sauf chez Anderson & Sheppard à Londres, qui les coupe avec raccord, comme sur la veste ci-dessus…!

Le pantalon compte généralement deux poches passepoilées à l’arrière. Les poches de côté du pantalon sont généralement réalisées dans un biais par une technique simple. Mais les tailleurs grande mesure adorent montrer leur savoir-faire en réaliser les poches de biais, et passepoilées. Il faut l’aisance d’un pantalon à pinces pour cela. Disposée un peu plus en avant sur la cuisse, la poche côté passepoilée est la simple démonstration d’une fine qualité et d’un certain tapage de la technicité. Car à vrai dire, c’est assez laid. Sur la photo ci-dessous, le tailleur Edward Sexton a essayé de réinterpréter son héritage tailleur pour proposer une poche avant de pantalon, passepoilée, à un seul passepoil épais :

pantalon poche passepoilée coté

A l’arrière du pantalon, les poches présentent parfois un seul gros passepoil. En réalité, celui du haut descend (sans s’enrouler sur lui-même) et celui du bas monte un peu plus pour recouvrir celui du haut. Me suivez-vous ? Il en résulte un passepoil unique et un peu large appelé… passepoil paysan. Une manière des tailleurs pour dissocier au cœur de leur corporation ceux qui font comme les grands, et les autres… Les règles de l’art des guildes ne se discutent pas. La petite poche gousset à l’avant des pantalons est parfois présentée sous la forme d’un petit passepoil paysan comme sur la photo ci-dessous :

passepoil paysan

Là encore, le passepoil paysan ne doit pas être confondu avec la poche poitrine, qui est une autre technique.

Double ou simple, vestes et pantalons sont à ma connaissance les seuls endroits où les tailleurs réalisent des passepoils. Et pour contredire la première définition, il est impossible de modifier, de remplacer des passepoils usés, car ils sont la poche même. Impossible de trifouiller quelque chose à cet endroit. Un passepoil craqué à l’angle est foutu. Les coins des passepoils sont leur talon d’Achille.

C’est pourquoi pour les rudes vestes d’extérieures et pour les blousons de cuir, les bouts des passepoils sont renforcés de mouches brodées ou plus sûrement de triangles de tissus cousus. Ou en tailleur fin, par des demi-lune comme sur la photo ci-dessous :

demi-lune

Les passepoils des poches sont donc de petits bourrelets aplatis de tissus qui garnissent l’ouverture. Jusqu’aux années 1920, lorsque le coût des ouvriers et ouvrières était ridicule, et lorsqu’il était de mise de piquer à la machine avec des points super serrés (qui abimaient la vue des ouvriers et ouvrières, mais qu’importe), les passepoils étaient ridiculement minuscules. Les ouvertures des poches faisaient à peine deux fois 1 millimètre. Une apothéose de miniaturisation textile permise par les ouvriers comme je viens de le dire, mais aussi des tissus à la densité exceptionnelle, inconnus aujourd’hui. Sur la photo ci-dessous, l’exemple des boutonnières est frappant. Les passepoils de celles-ci sont minuscules :

passepoils anciens

De manière standardisée, un passepoil sur une veste fait plutôt 5mm de nos jours, bien que les belles confections italiennes essayent de conserver 4mm. L’ouverture d’une poche est donc d’environ 1cm.

Petite rareté, les passepoils sont parfois utilisés pour réaliser des boutonnières. Sous l’ancien régime, les boutonnières passepoilées étaient aussi répandues que les boutonnières brodées. Avec le temps, les civils ont plus recourus aux boutonnières brodées. Les habits militaires ou de corps civils, comme les Académiciens, ont conservé jusqu’à nos jours les boutonnières passepoilées. Comme d’ailleurs encore les vestes autrichiennes et les forestières. L’occasion d’apporter de petites touches de couleurs. Sur la photo ci-dessous d’un forestière Arnys, les boutonnières passepoilées sont en vert. Comme l’intérieur du col. Et comme le passepoil inséré en bordure de la poche.

forestière

Une idée formidable et raffinée que j’ai réutilisée pour mes propres Maubourg. Les boutonnières passepoilées coûtent fort chères à réaliser, mais sont très élégantes. Toutefois lorsqu’elles sont d’une couleur contrastée, les clients sont effarouchés devant tant d’audace. Alors je me contente de proposer des boutonnières ton sur ton. Dommage toutefois.

Voilà pour le tour d’horizon de ce pinacle de l’élégance masculine. Un mot porteur d’histoire. Un ouvrage technique et savant. Le passepoil permet ainsi de transformer la veste en un vrai sac à main. Elle devient un couteau-suisse aux multiples rangements !

Bonne semaine, Julien Scavini