Depuis quelques années que je collabore avec un tailleur pour la réalisation de costumes en grande mesure, je me félicite de constater le plaisir qu’ont les clients lors de l’essayage, en particulier, du pantalon. Le pantalon en grande-mesure, un plaisir à nul autre pareil.
Certes la veste est une œuvre d’art complexe qui demande beaucoup de travail et d’ajustements. Mais le pantalon, cette pièce si souvent vue comme inférieure, ne démérite pas. La veste, comme pièce de résistance est la plupart du temps attendue au tournant. Les clients attendent de voir l’épaule, le volume de la manche, la longueur du corps, la largeur du revers, le bon positionnement du bouton. Autant de détails qui ont été pensé et dont l’assemblage global donne le ton, l’esthétique et le plaisir du costume terminé.
Le pantalon lui, il est essayé en premier, comme ça, presque comme une formalité. Et une impatience apparait, alors que les ajustements sont faits ça et là pour caler la culotte, le rond de hanche ou la longueur.
Et puis, l’humeur se détend et le pantalon est observé. Le temps passe et le pantalon devient, en amont de l’essayage de la veste, un objet à regarder. Il devient un sujet. Le client s’assoit, teste son confort.
Souvent, pour ne pas dire invariablement, une sorte d’aise apparait, un sourire. Finalement ce pantalon qui n’était pas un gros sujet d’attente devient… une surprise. Celle d’une coupe élégante et précise, qui en même temps donne un grand confort.
Je ne compte plus les clients qui en fait, m’ont félicité (même si je n’y suis pour rien ne réalisant pas les grandes-mesures moi-même) pour le pantalon. Parfois certains recommandent quelques autres modèles, en coton ou en flanelle.
A quoi est-ce dû ? Il y a la coupe pour une part, je ne puis le nier. La coupe d’un pantalon se joue presque entièrement sur deux coutures, celle de l’intérieur de la cuisse se poursuivant depuis la fourche vers le milieu dos. De la conjonction de ces deux lignes nait le pantalon, un « siège » où résident le confort et le séant de Monsieur. Et ces deux lignes ne sont pas facile à caler, j’en sais quelque chose en petite-mesure. On fait « au mieux ». Mais en grande mesure, l’ajustement est évidemment plus simple, plus efficace, plus direct.





Je ne peux nier donc une part de la coupe. Mais ce n’est qu’une part je pense. Et pas tout à fait majoritaire. Car pour moi, tout le secret d’un bon pantalon en grande-mesure est dans le montage des intérieurs, les hausses et sacs de poches, en percaline (un coton fin) la plupart du temps. Et dans l’entoilage de la ceinture, à la toile de lin, à la fois souple et rigide. « All natural ».
Tout cela est monté à la main. Une spécificité de la grande-mesure parisienne ou italienne, où tout est fait main. Peu ou pas de machine à coudre. Mais des doublures appliquées à la main, où l’on voit l’enchainement des petits points de rabattement. Ces intérieurs si particuliers sont tels que le commun des mortels le trouve passable, mal exécuté voire grossier. C’est si différent des intérieurs normalisés et cousus machine que l’on connait. Lorsque j’ai donné des cours de couture (enregistrés par Artesane), j’ai vu l’étonnement de couturiers(ères), dont l’apothéose logique était de réaliser les intérieurs les plus impeccables possibles, orthogonaux et parfaitement bien cousus à la machine. D’une netteté d’usine. A l’inverse de la couture main qui fait irrégulier, curieux et ancien.
Mais tout est là. Et pourtant, tout est là ! Tout en souplesse. Un poème d’harmonie et de douceur contre le corps. Il vaut l’avoir essayé pour le croire. De cette pure simplicité de rabattements curieux et ancestraux, presque de rustines et de patch parfois, nait un confort inénarrable. Hélas, tout le monde ne peut l’essayer vu le coût. (Sauf à trouver quelques modèles en seconde main.) Il faut alors me croire, sur parole !
Bonne semaine, Julien Scavini
Quel plaisir de lire cette description, on dirait du Balzac. Mais que dire de ce qui se porte actuellement ou tout est jeans et chinois éculés !
Merci à vous, quel gentil commentaire. Cela me touche.
J’adore vos commentaires sur l’impeccable coutures a l’intérieur au lieu du travail à la main qui donne ce confort parfait. La trace de la main donne toujours une identité unique à chaque vêtement.
L’architecture interne d’un pantalon est complexe et fascinante… Mais on trouve vraiment peu de choses sur le sujet. Avez-vous des références sur le sujet ?
Hélas non !
Cher Julien,
Encore un bel article. Qu’entendez-vous par « la coupe d’un pantalon se joue presque entièrement sur deux coutures, celle de l’intérieur de la cuisse se poursuivant depuis la fourche vers le milieu dos » ? Faut-il comprendre que le point crucial pour le confort du pantalon se joue sur la jonction cuisse / pointe / montant arrière ? Empiriquement, je sens bien, en observant mes propres pantalons et leurs mesures, que la demi-fourche arrière, et la manière dont se répartissent les longueurs de la pointe et du montant arrière, jouent pour beaucoup dans le confort, tant debout qu’assis. J’ai cependant un peu de mal à saisir le pourquoi du comment, et comment traduire en mesures et en patron ce sentiment de confort ou d’inconfort.
Bonjour Julien,
Faite vous monter les pantalons et veste de grande mesure par la même personne ?
Bonsoir,
non, lorsque l’on me demande de la grande mesure, le tailleur s’occupe de couper les pantalons en plus des vestes, que lui réalise. Mais les pantalons partent chez un culottier !