Attention ! Chef d’œuvre manqué

C’était en octobre je crois bien. Dans le dernier numéro de Monsieur Magazine était annoncée la sortie d’un nouvel opus des aventures de Blake & Mortimer. Oh me dis-je! Intéressant! J’avais décroché depuis un moment, à vrai dire depuis L’Étrange Rendez-vous du grand duo Ted Benoit et Jean Van Hamme. Trop de numéros, tous les ans, c’est beaucoup. Lorsque le corpus nouveau commence à dépasser le corpus originel, on peut s’interroger. Et puis toutes ces histoires de soviets, c’est lassant. Chez E. P. Jacobs, il n’y a pas de soviets. Là toutefois, à la couverture reproduite en miniature, mon esprit s’éveilla. Comme un vieil ordinateur solitaire sur une île déserte, mais qui en réponse à un faible signal distant devient tout à coup effervescent. Ce trait, entre mille, je le reconnaitrais. Moi qui dévorais jeune chez mes parents Blitz ou A la recherche de Sir Malcolm. Moi qui achète monographies et petits livrets du bel illustrateur dandy.

Mais oui, cela était bien vrai. Les personnages de Blake & Mortimer, les voilà confiés aux bons soins du grand Floc’h ! Oh me dis-je encore. Oh… A la librairie Tome 7 juste à côté de ma boutique, je le vis bientôt apparaitre en tête de gondole. Mais chut, interdiction d’y toucher. Non, juste caresser la couverture, sous-peser l’ouvrage. Je le commandais au Père Noël pour le trouver sous le sapin. Voilà qui promettait un matin du 25 décembre mémorable !

Rendez-vous compte ! En 1993, lorsque Dargaud rachète les éditions Blake & Mortimer, est mis en chantier un nouvel opus. Non pas basé sur un crayonné de E. P. Jacobs comme le tome 2 des Trois Formules du Professeur Satô. Mais une histoire nouvelle, originale, basée sur des trames faibles laissées par l’auteur. Jean Van Hamme est très vite pressenti pour ses scénarios au ton classique. Côté dessin, il faut trouver la juste ligne claire. La Nouvelle ligne claire. Ted Benoit et Floc’h en sont – avec d’autres – les maîtres, apparus dans les années 80. Les deux se rencontrent, se parlent, s’amusent avec Francis et Philip. Floc’h est partant. Et puis non, finalement, non. Ted Benoit poursuit la route seul, ce sera dur pour lui. Quatre années de dessin sur le fameux L’Affaire Francis Blake. Quatre ans encore pour L’Étrange Rendez-vous. Il abandonnera ensuite. Point trop lui en fallait, je suis d’accord.

Mais diantre, cela aurait pu être délicieux, le trait mou et indolent, mi-gras de Floc’h, irait si bien à nos deux chics anglais. Quoi de mieux qu’un dandy chic pour cela? A la faveur d’un album hors-série, ils sont finalement « prêtés » à Floc’h en 2022. Alors qu’attendons nous! Plongeons ce matin du 25 décembre 2023 dans Un autre regard sur Blake et Mortimer par Floc’h.

Je feuillète les pages. J’aime le papier. J’aime les grosses cases. J’aime le trait gras de ce « cloisonné » si caractéristique. Mais je tique. La mise en couleur est curieuse. Bizarre. Froide. Je me dis qu’il ne faut pas s’arrêter là, et lire.

Retour au début. Curieux ces ciels rose saumon quand même. C’est joli oui, mais cette mise en couleur, diable… Non. Je me dis qu’il ne faut pas s’arrêter là, et lire mieux. Alors j’avance. Assez vite. Mais assez vite, je m’ennuie… Je laisse de côté l’album et me régale d’un apéritif en famille. Puis j’y reviens et j’avance. Le soir même, l’ouvrage est terminé. Tout ça, pour ça…? Diantre, je suis passé à côté non?

Je me dis que c’est de ma faute. Impossible de ne pas aimer Blake & Mortimer. Impossible de ne pas aimer Floc’h. Je survole internet. Je ne trouve que des éloges dans la presse officielle. Alors c’est ma faute. C’est moi l’âne. Je relis. Oui, les traits sont sublimes. Oui, Francis et Philip se ressemblent plus que jamais. Ils sont même plus Francis et Philip que chez E. P. Jacobs. Oui, les costumes sont beaux. Oui, c’est un déroulé exquis de l’élégance vestimentaire vue chez Hitchcock ou dans n’importe quel film américain des années 1950. Ces voitures et ces avions sont merveilleux qui plus est.

Et oui, le trait de Floc’h est beau. Et oui, il a le droit de prendre la liberté de virer le texte et de dessiner des cases gigantesques. Si ça lui chante. Lorsque Blake & Mortimer ont été prêtés à François Schuiten pour son Le Dernier Pharaon, on accepte. Ou on passe son chemin. Au fond, ce sont deux hors-série appelés « Un autre regard ». L’idée est séduisante. Voir comment un illustrateur se saisit d’un sujet connu et le manipule. D’ailleurs, Le Dernier Pharaon était captivant. Une fois passé le choc graphique, l’histoire est si éclatante et si passionnante qu’on se laisse aller. Le merveilleux de Blake & Mortimer y était, dans cette histoire de science-fiction délirante. De science-fiction, je dis bien. D’un sujet scientifique dont on se demande s’il est vrai, et qui pousse à ouvrir Wikipédia pour en apprendre plus. Quant à ce palais de justice, quelle merveille pharaonique ! L’histoire de François Schuiten, Jaco Van Dormael, Thomas Gunzig et Laurent Durieux était à dormir debout. Mais elle poussait à la lecture. Quelle passionnante aventure. Quel suspens. On n’en sortait pas indemne.

Or, du regard de Floc’h, on sort totalement indemne. Comme dirait Jacques Chirac, cela m’en a touché une sans faire bouger l’autre.

Finalement, je me suis dit. On se moque de moi. Il n’y a pas d’histoire là. Et c’est quoi ce dénouement en une case … d’une aile volante qui évite l’ONU et deux cases plus loin se pose à La Guardia, et fin de l’histoire? C’est quoi l’histoire? Je voulais comprendre. Était-ce moi le problème? Alors j’enquêtais sur les avis de la Fnac et d’Amazon. Et là je compris. Je n’étais pas seul. Qu’on soit d’accord ou pas d’accord avec le parti-pris stylistique de Floc’h n’est pas la question. Mais qu’un éditeur ait laissé passer une trame si inepte est honteux. Je voulu en savoir plus.

En lisant des interviews du grand et génial illustrateur vivant à Biarritz, j’ai trouvé des informations. Floc’h avait posé des conditions. Est-ce étonnant de sa part?

  • Il voulait un huis-clos. Soit.
  • Il ne voulait pas que les bulles encombrent ses cases et gênent les personnages. D’accord.
  • Il voulait une mise en abîme de l’histoire. Il fait toujours ça. Alors ok…
  • Il voulait égratigner les autres dessinateurs, qui « avait avaient tout édulcoré ». Oh.
  • Il ne voulait pas de scène de bagarre. Bon.
  • Il ne voulait pas de suspens trop scandé. Diantre.
  • Il ne voulait pas de science-fiction. Ah.

Cela fait beaucoup trouvais-je. Pauvres scénaristes (Jean-Luc Fromental, José-louis Bocquet). Il en résulte non pas une bande-dessinée – Floc’h n’aime pas le terme – mais un roman graphique très plat, trop plat. Et qui passe à côté. Avec Schuiten on voulait en apprendre plus sur la magnétisme terrestre. Avec Floc’h, on n’a même pas envie d’en savoir plus sur L’Art de la Guerre.

Le trait est sublime. Mais il ne rattrape pas une histoire inepte. Bien au contraire. Il peut même l’enfoncer. Comme disait un commentateur sur la Fnac, « on ne peut pas musarder dans les coins de l’image ». On ne peut pas revenir et se laisser aller à regarder les cases sans but. Car si belles soient-elles, elles sont au final fades. Comme une succession de belles affiches. Mais des affiches ne font pas une histoire. Chaque case est éclatante de vérité graphique. Oui, plus que jamais oui. Mais cela n’est pas tout.

Cette scène fort longue dans le delicatessen est lassante et donne froid. Cette scène dans l’aérodrome abandonnée est graphiquement magnifique. Mais donne froid et n’intéresse pas. Et cette femme, le bis d’Olrik tout droit sortie de Vertigo… est belle, mais inintéressante et froide.

Finalement, l’objet littéraire est froid. Inerte.

Floc’h a oublié une chose, et l’éditeur a honteusement laissé faire. Il a oublié de faire plaisir au lecteur. Ah, pour sûr, Floc’h s’est fait plaisir. Il y a mis toutes ses marottes. La bande-dessinée vue comme une scène de théâtre. La bande-dessinée bourrée de références, comme ces boites de soupes… La bande-dessinée comme un almanach d’architecture moderne. La bande-dessinée, comme un monde totalement léché. La bande-dessinée où les couleurs sont sélectionnées sur une palette très réduite pour faire beau. Pour faire trop beau. Pour n’être que beau. Pour n’être qu’un bel objet. Je le comprends au fond. La vie est si belle enfermée dans un monde beau. Lui qui a tant dessiné Une vie de rêve. Ou Ma Vie 1. Ou Ma Vie 2. Où est le travail de l’éditeur d’exiger non pas seulement du beau. Mais du bon?

J’ai tant de regret finalement. Floc’h, c’était la promesse d’intérieurs sublimes. Anglais. D’extérieurs sublimes. Anglais. Lui, prétend que son Angleterre n’existe plus. Dommage, j’aimerais tant avoir sur ma table de chevet un bon album de Blake & Mortimer par Floc’h. Pour musarder entre les cases. Pour m’évader de ma vie. La seule chose qui me fait rêver dans cet opus, c’est la robe de chambre en flanelle rouge d’Olrik aux revers matelassés. Une autre marotte de Floc’h les robes de chambre depuis ses débuts.

Oh comme je regrette cette occasion manquée, entre mes deux héros et mon illustrateur préféré. Moi qui porte des nœuds papillons car en dernière page de Blake & Mortimer, il y avait une photo de E. P. Jacobs en papillon. Si chic. Mais Floc’h ne voulait pas de cette quatrième de couverture. Encore une exigence. Il aurait pu portraiturer Jacobs.

Cher Floc’h, ne cherchez même pas à faire une histoire avec Blake & Mortimer. Dessinez les visitant une galerie d’Art, dessinez les sortant à l’Opéra, dessinez les au Grand Restaurant, dessinez les à la gare, dessinez les dans la lande galloise, dessinez les chez le chocolatier ou le boucher, et oh surtout dessinez les chez le tailleur. Cher Floc’h, vous savez si bien les dessiner. Dessinez les beaux. Mettez les sous une cloche de naphtaline si vous voulez. Je serais le premier acheteur. Mais non, ne les dessinez pas en train de vivre une aventure, ce n’est pas bon. Et je le regrette drôlement !

Belle semaine, Julien Scavini

Cours d’histoire de la mode masculine

Chers amis, chers lecteurs,

je voulais vous présenter ce soir non pas mon dernier livre – c’est si long à faire – mais ma dernière vidéo pour Artesane, LA plateforme de l’apprentissage de la couture en ligne. Pour Artesane, je me suis prêté au jeu de synthétiser mon savoir sur l’histoire de la mode masculine.

Le résultat est un cours fleuve de 6h11, enregistré d’une traite! Ce cours est découpé en trois partie :

  • De l’Ancien Régime à 1900 environ.
  • De 1900 aux années 50.
  • Des années 50 à aujourd’hui.

Ces trois périodes permettent de présenter successivement : les vêtements à taille (frac, redingote et jaquette), puis la veste courte associée au costume, puis l’apparition de la mode sportwear.

Voici le lien

https://www.artesane.com/arts-du-fil/produit/histoire-de-la-mode-masculine

Manteau à double fentes

Un manteau à double fentes. Voilà une curiosité n’est-ce pas? J’ai toujours eu à l’esprit cette figure de style tailleur grâce à une illustration de Laurence Fellows extraite d’Apparel Arts que voici :

J’ai collectionné ces fichiers numériques lorsque j’étais à l’école des tailleurs, en 2009-2010 environ. Et cette image m’avait marqué. Mais je manquais à l’époque de finesse pour remarquer que ce manteau bleu, superbe au demeurant, n’était pas pourvu de deux fentes, mais de deux soufflets sur les côtés. Une curiosité. Deux plis creux marqués d’une imposante mouche triangulaire à leurs naissances. Cela tout de même m’interrogeait. Curiosité.

Et puis récemment, mon regard a été attiré sur les manteaux de Brunello Cucinelli. Comme ce modèle en cachemire à 6900£. Un client le portait récemment et mon œil s’est posé sur ce détail lorsqu’il quittait ma boutique. Quelques jours plus tard, l’accompagnateur d’un client portait aussi un manteau – vintage sans marque cette fois – avec deux fentes. Décidément me dis-je…

Et comme si cela ne suffisait pas, en regardant vaguement Paramount Channel un soir (activité m’empêchant le plus souvent d’écrire Stiff Collar, on vieillit..!), je suis tombé sur le film Marathon Man de John Schlesinger, sorti en 1976. Lors d’une scène dans le Palais Royal à Paris (une scène haletante de type thriller), le personnage joué par Roy Scheider court et de dos, rapidement, on peut apercevoir un manteau à double fentes. Mais alors ! Diantre, serait-ce si important comme détail?

Toutefois, je note que ce détail est absent des habituelles bibles sartoriales comme Permanent Style ou Gentleman Gazette. Rien sur ce lui.

Mais qu’en penser? J’ai envie de dire, bêtement, que c’est affreux. Notamment sur le manteau court de Cucinelli. Là on ne parle pas de queue-de-pie. Mais de queue de castor. C’est vraiment l’impression que cela me donne. On dirait une veste démesurément allongée. Comme si la photo d’une veste deux fentes avait été étirée sur Photoshop. Dans les faits, ce petit pan de tissu se soulève sans grand intérêt. Au moins, les deux plis creux d’Apparel Arts ont plus de panache. Ils doivent d’ailleurs donner l’illusion d’une taille très serrée en contrepartie d’un bassin voluptueusement élargi.

Et je crois que le point crucial de ces fentes est leur hauteur de départ. Dans le cas de Laurence Fellows, les plis creux naissent là où les fentes de la veste dessous naissent. C’est à dire en haut du fessier. Au début du bassin.

Ce point de départ de la fente dos du manteau est un point important, souvent sujet de dispute avec mon propre atelier. Dans les années 90, les manteaux avaient de longues fentes. Que l’on peut voir sur Patrick Bateman (joué par Christian Bale) dans American Psycho (Mary Harron – 2000). La longue fente dos donne de la prestance et donne du mouvement au tissu. Cela fait riche.

Pour autant, sur le manteau Cucinelli, peut-on imaginer des fentes plus longues? Peut-être au fond. Mais les courants d’air seraient incommodants. Le but d’un manteau est de donner chaud. J’imagine qu’au bureau de style de Corciano, ils ont dû beaucoup réfléchir à la hauteur de ces fentes. Plus courtes, cela aurait la logique des parkas, qui souvent ont deux petites fentes boutonnées sur les côtés, comme chez Barbour.

Quoiqu’il en soit, voilà un détail curieux que j’avais envie de documenter un peu. La double fentes… Je ne suis pas contre, mais je ne suis pas pour !

Bonne semaine, Julien Scavini

Robert Badinter

9 juillet 1981. Robert Badinter a 53 ans sur cette photo. L’homme est grand. Légèrement plus d’un mètre quatre vingt. Ses épaules sont plutôt carrées, un trait que ses vestes ne gommeront pas. Photo sublime de Dominique Faget pour l’AFP.


Quoi y voir?

  • Une longueur de veste d’une grande dignité. Finissant 6cm au moins sous la fourche du pantalon. Je n’ai jamais trouvé qu’une veste courte allongeait un homme. En revanche une veste longue lui donne de la prestance. La distance entre le bas de la veste et les passepoils des poches est impressionnante. Le seul tailleur qui a fait cela jusqu’à sa mort en 2023 était Edward Sexton.
  • Pas de rabat de poches justement. Cela était à la mode dans les années 70…
  • … un minimalisme s’opposant à la coupe des revers de la veste. Gé-né-reux. Je dirais 11,5cm voire 12, avec un cran relativement bas, pas haut comme de nos jours.
  • Trois boutons en bas de manche.
  • Revers large sur la veste, col de chemise raisonnable, de tradition française. Pas de pelle à tarte américain. Cravate du même esprit, 8cm, pas plus.
  • Le pantalon est une sorte d’ode à la souplesse et au confort. Avec un bas pareil, jamais la chaussette n’accrochera. Vous trouvez que cela casse trop? Juste comme il faut je pense. De quoi donner toute son expressivité au tissu. Le drapé est superbe.
  • Souliers marrons. Nous sommes bien en France.

Ces lignes ne seraient pas les miennes. Mais je pourrais les porter. Car elles sont homogènes. Elles disent quelque chose d’une époque. Elles font style. Elles donnent une allure. Et c’est beau.

J’ai toujours pensé qu’un homme acquiert son style lorsqu’il est dans la pleine force de l’âge, au moment où il est à son apogée professionnelle, où plutôt, au moment où il devient quelqu’un. Classiquement entre 35 et 45 ans. Avant, la fougue de la jeunesse fait faire les pires excès. Après…? Une fois un style forgé, il devient une habitude. Rares sont les hommes à changer je pense, là où les femmes évoluent plus facilement. La preuve par l’image, en 2020 :

La veste est toujours aussi longue, et le bouton principal, légèrement surbaissé pour ouvrir loin l’espace de la cravate. Charvet peut-être?

Robert Badinter était-il élégant? Question futile et inutile. Il était de son temps, un temps où les hommes s’habillaient.

Belle et bonne semaine. Julien Scavini

Le Concert du Nouvel-An à Vienne

Aussi longtemps que je m’en souvienne, j’ai toujours vu le Concert du Nouvel-An le 1er janvier. Dans mon enfance, c’était chez ma grand-mère, maintenant c’est chez moi. Un plaisir renouvelé pour bien démarrer l’année, en cuisinant puis en prenant l’apéritif. Les horaires sont bien calés ! Il y a quelques temps, je me trouvais chez des connaissances pour cette occasion, et eux ne connaissaient pas vraiment cet évènement musical. Cela ne les enjouait pas et l’on me força à passer à table sans pouvoir le voir. Autant dire que je n’y remettrai pas les pieds.

Intéressons-nous à la question vestimentaire du Neujahrskonzert der Wiener Philharmoniker. Tout le monde a l’habitude de voir les orchestres vêtus de noir. Noir de la queue-de-pie, ancestrale et très statutaire. Noir du smoking, classique et intemporel. Noir aussi de la simple chemise ou du t-shirt, les mœurs et les orchestres évoluant. Le noir est lié à l’horaire, le soir. Toutes les représentations ne sont pas le soir, mais le noir est devenu synonyme d’habit de la scène musicale, en journée ou en soirée.

A Vienne, le Wiener Philharmoniker est très à cheval sur le respect des traditions. Autant dire que cela me va très bien. L’orchestre va plus loin et plus méticuleusement dans le respect de l’étiquette vestimentaire que bien d’autres. Le soir, l’orchestre joue donc en queue-de-pie, autrement dit « white-tie ». Mais le jour, il est très fin, et adopte le « morning-coat », autrement dit la jaquette, anthracite tendance noire. Le pantalon est de coutil, rayé gris et noir et le gilet gris clair, soit droit soit croisé. Sur de nombreuses photos, l’orchestre troque toutefois la jaquette longue et courbe pour une veste classique de costume, de la même teinte anthracite foncé. Ce faisant, il porte l’alternative plus simple appelé le « stroller » ou « lounge suit », visible sur la photo ci-dessous (avec cravate club ou cravate argent, pas du meilleur goût, mais c’est ainsi).

Cette alternance de tenue est tout à fait délicieuse à observer pour l’amateur de beaux vêtements. Il y a là des gens qui savent porter et savent quoi porter, une peu de finesse en somme, dans un monde bien simplifié. Un sens de la circonstance.

Chaque année pour le concert du Nouvel-An, l’orchestre invite un chef. Le chef lui, est libre de s’habiller comme bon lui semble. Et justement, comment s’habille-t-il ? Cette année, c’était le grand chef allemand, très conservateur, peut-être héritier spirituel de Karajan (mais qui n’arrive pas à prendre le Berliner Philharmoniker), qui était invité pour la seconde fois à diriger. Christian Thielemann était à la baguette. Et Christian Thielemann sait ce qu’est une jaquette. Elle est même superbe la sienne. L’homme porte bien. Voyez plutôt :

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Il avait déjà dirigé l’orchestre pour cet évènement, en 2019. Il portait la même tenue, efficace, parfaitement en accord avec les musiciens. Heureuse fantaisie, cette immense pochette un peu tapageuse. Elle serait plus discrète, et il porterait un bouton de rose ou bel œillet à la boutonnière, ça aurait fait plus d’effet peut-être. Il faudrait lui souffler l’idée.

Remontons dans le temps. Franz Welser-Möst a dirigé en 2023. Lui aussi s’est montré respectueux de l’étiquette du Musikverein. La silhouette longiligne et la coupe de cheveux de kapellmeister finissent de créer une allure indéniablement racée. La cravate bleue toutefois questionne. Est-ce joli d’amener du bleu dans ce monochrome ?

2022. Daniel Barenboim conduit. Il adopte le stroller lui. Mais la veste est coupée de manière avant-gardiste. Un croisé sans revers et à tout petit boutonnage. Quelle curieuse invention. Je ne suis pas sûr de trouver ça joli. Cela dit du point de vue de l’élégance générale, il est en harmonie avec l’orchestre, c’est bien. Et cette veste inédite prouve qu’il va chez un tailleur qui travaille à la main et réalise les moindre désirs. Intéressant donc.

2021. Année avec salle vide cause Covid. Riccardo Muti dirige sans la chaleur de la salle derrière. Horreur. Lui décide de porter le costume croisé et une cravate un peu business. Dommage. On attendrait plus de savoir-faire de la part d’un italien.

2020. Le très réservé letton Andris Nelsons ouvre l’année. On disait qu’il allait dynamiter l’orchestre. Sa prestation fut saluée. Sa veste maoïste me questionna tout le temps du concert. Pourquoi donc avait-il décidé de mettre du cuir sur la face intérieure de la manche..? Cette question m’obséda. Je compris à un moment donné que c’était en fait une veste en velours. Et que par un curieux effet de coupe du poil (sens et contre-sens), celui-ci brillait très singulièrement, comme du cuir. Vraiment pas une idée formidable. Ou un velours médiocre. Sur la pochette du CD, par une habile retouche de Photoshop, ils ont corrigé le tir.

2017. Gustavo Dudamel né en 1981 est connu pour être un chien fou. Mais. Sa jaquette est du meilleur goût. Il adopte même la cravate officielle, argent tissé du logo. On peut être délirant et bien habillé, n’est-ce pas Hubert Bonisseur de La Bath ? J’adore.

2016. Mariss Jansons opte lui pour le smoking. Soit. Mais alors, ce choix d’une cravate argent foncé, quelle affreuseté. Qui lui a conseillé cela? Beurk.

2015. L’indien Zubin Mehta fait le choix d’un stroller simplifié, sans gilet. Mais c’est de bon ton. Avec une œillet rouge plus volumineux, le panache aurait été à son comble. Il a dirigé plusieurs fois le Concert du Nouvel-An, il a toujours porté la même tenue. Une constance honorable.

2014. Daniel Barenboim encore. Il était déjà allé demander quelque chose de nouveau à son tailleur. Une jaquette à col mao. Tiens donc. Pas de cravate, chemise à simple pied-de-col. On peut regretter l’absence de cravate. Mais moi j’aime bien cet effort et ce parti-pris. Il a décidé qu’il voulait être dans le thème jaquette donc il s’y colle, avec la forme de la veste et le pantalon en coutil. En même temps, il cherche la décontraction et une ligne nouvelle, il trouve une réponse intéressante. Il est toujours possible d’inventer des nouveautés. Qui peuvent être moches et ratées. Ou comme là, intéressantes.

2012. Mariss Jansons portait cette année là un costume à veste trois boutons, gansée. La cravate entre gris et beige, façon tricot n’est pas la réponse ultime je dirais humblement. Visiblement, lui, il ne veut pas de jaquette.

2010. Un français dirige. Georges Prêtre. Pas en jaquette. Est-ce étonnant ? Toutefois, son costume est une somptuosité. Une coupe confortable irréprochable, un revers placé pas trop haut, un boutonnage plutôt bas, une cravate sobre et qualitative dont la nuance rappelle sa chevelure… Oui, c’est très beau.

2009. Daniel Barenboim avec sa fameuse jaquette à col mao et pas de cravate.

2006. Mariss Jansons n’est pas un conventionnel. Redingote à quatre boutons, gansée. Redingote donc… Et bien pourquoi pas.

2005. L’américain Lorin Maazel. Dignité de la simple jaquette, avec gilet croisé à huit boutons et sans revers. Bien.

2004. Nikolaus Harnoncourt, comte de La Fontaine et d’Harnoncourt-Unverzagt. En voyant son nom dans la liste, lui le maître de Bach, l’ascète protestant, je me demandais bien ce que j’allais trouver. Je fus étonné. Stroller sans gilet et large nœud façon lavallière. Quel amusement. C’est très intéressant.

2002. Le japonnais Seiji Ozawa. L’homme est très moderne question vêtement. Au moins portait-il une veste pour ce Concert. Il est coutumier de la veste chemise déconstruite. Je ne connais pas son interprétation. Déconstruit-il les œuvres?

L’an 2000. Riccardo Muti est habitué des dates importantes. Pour le passage dans le 3ème millénaire, il portait un costume trois pièces, dont la veste 3 boutons était gansée. La veste ne doit pas avoir de fente dos tant elle emboite le bassin. Elle développe une poitrine généreuse en revanche et les têtes de manches sont l’œuvre d’un tailleur manuel. Il a du adopter la cravate grise de l’orchestre, je doute qu’elle soit beige comme le laisse penser la jaquette du cd.

J’ai eu plus de mal à trouver les archives ensuite de manière fine. Internet a la mémoire courte.

1992. L’allemand Carlos Kleiber choisit le stroller. L’orchestre de Vienne portait à l’époque des cravates club plus élégantes que les actuelles.

1991. Ahhhh. Claudio Abbado, l’homme qui exhuma Mahler des limbes. Exemple très très intéressant. Jaquette avec chemise à haut col cassé et cravate. Façon 1920. Un grand oui !

Roulement de tambour maintenant. Celui que tout le monde attend.

1987. Herbert von Karajan. Il portait une veste (courte, non une jaquette) à cinq ou six boutons, à col cheminée fuyant. Et un nœud papillon façon 1880, placé sous le col de chemise et serti d’un petit anneau métallique. Choix audacieux. L’orchestre jouait en costume avec cravate à carreaux.

En 1986, la veille, année de ma naissance, j’ai l’impression qu’il y eu un Concert du Nouvel-An du soir. L’orchestre jouait en queue-de-pie. Karajan lui portait la même veste. Mais il avait opté pour le col roulé écru (blanc?).

Et pour finir. 1965. L’autrichien Willi Boskovsky porte la jaquette, avec une lavallière perlée. Et surtout, enfin, un magnifique œillet qui est ce qu’il faut avoir un matin en pareille circonstance. Enfin, on l’a trouvé cet œillet. Quand même.

Et pour être désagréable, je suis remonté aux origines. En 1939/1940. A l’époque, le concert avait lieu le soir du 31. Clemens Krauss dirigeait donc un orchestre en queue-de-pie.

Cela faisait un certain temps que je n’avais pas trouvé le temps et la respiration nécessaire pour écrire. Voilà chose faite avec un bel et long article sur un sujet si futile. Mais en ces temps délicats, si utile peut-être ? Une célébration du beau et de l’effort. Un monde de jaquettes et de variantes, quelle diversité dans l’unité. C’est tout à fait captivant. J’aime cela, lorsque dans un univers codifié donné, on trouve son propre chemin et son esthétique personnelle.

Die Wiener Philarmoniker und ich wünschen Ihnen Prosit Neujahr!

En effet, je vous souhaite une excellente année 2024. Julien Scavini

PS : j’ai eu le plaisir de compilater 200 chroniques publiées par le passé dans un joli ouvrage pour les fêtes de fin d’année. Le seul éditeur qui m’a ouvert ses portes est Alterpublishing, qui fait de l’impression à la demande basée sur les moyens techniques d’Amazon. C’est la raison pour laquelle vous ne pourrez trouver ce livre que chez Amazon. Bonne nouvelle pour la planète, pas de gâchis de papier, il est imprimé à la demande, dès l’achat. Vous pouvez l’obtenir en couverture carton (plus chère mais plus belle) ou en couverture souple. Le voici à cette adresse. J’espère sincèrement que ce (gros) recueil vous plaira.

L’hiver en laine

Avec ce temps, sec ou pluvieux, mais tellement froid, je suis gelé jusqu’aux os ! Bien emmitouflé pour tenter de traverser cette horreur hivernale, je ne peux m’empêcher d’avoir encore plus froid en regardant mes contemporains. Hier lors d’une sortie au Muséum d’Histoire Naturelle et à sa ménagerie, je me demandais comment donc les gens faisaient pour résister au froid, avec ces petits pantalons de coton et ces jeans tout fins. Mais ce n’est pas chaud pour un sous ça !

Il y a deux ans, je finis par ressentir ce froid plus qu’auparavant. J’exhumais alors un pantalon de flanelle que je mettais peu. Je le retaillais plus proche de la jambe, pour le transformer plus en chino qu’en pantalon de travail. Bref, je le rendais un peu plus « casual » comme disent les jeunes. Depuis, il ne me quitte pas l’hiver. Velours, et autres cotons ne sont pas assez chauds. Non, je veux de la laine. Avec une chaussette mi-bas évitant de ressentir au bas du mollet trop de froid, je suis ravi de ce pantalon. Que je n’associe plus non plus avec des tennis, trop froides. Mais avec des Paraboots. La semelle épaisse de gomme est ce qu’il faut pour être isolé du sol comme il faut.

J’avais cet après midi envie d’un velours bleu marine, comme commandait alors un client. Et puis non me dis-je finalement. D’abord, ce n’est pas aussi chaud que de la flanelle. Et puis au fond, le coton tombe plus mal que la laine, et avec mes mollets forts, c’est bien plus joli de porter de la laine. La laine drape mieux, tombe mieux. Elle fait moins de paquets sous les genoux. Alors certes, on ne peut nettoyer la laine directement dans sa machine à laver. Ou alors avec moult précautions. Elle est plus délicate du point de vue de l’entretien, mais quel plus joli tombé. Et puis, surtout elle est plus chaude que le coton.

Pour mon fils de cinq ans (dont la plaisante existence rend ma présence sur ce blog de plus en plus occasionnelle), je me suis trouvé tout démuni face à ce problème. Je n’envisage pas tellement de l’habiller moins que moi. Pas comme hier au zoo, ces gosses en bas âge dont les chevilles prenaient l’air… Pour lui j’ai de nombreux petits chinos et surtout joggings. Mais alors pas de laine. Ni une, ni deux. J’ai déniché un bout de flanelle et j’ai demandé à mon retoucheur de me copier un petit pantalon, élastique à la taille et point. Je ne l’ai pas encore, mais je me satisfais à l’idée qu’avec il aura chaud. Trouvera-t-il que la matière gratte ? Je croise les doigts. A cette âge, ils ne se plaignent pas trop.

Finalement, je me disais en fin de journée que la laine, c’est un peu l’alpha et l’oméga. Ce matin, un autre client regardait du lin pour cet été. Et il me prenait l’envie d’un pantalon de lin aussi pour l’été… Quel dur métier que de vouloir à chaque instant comme le client. Et puis finalement me dis-je, la laine super 150’s de Loro Piana qui pèse 220grs est un tel poème de légèreté, que c’est plutôt dedans que je me ferais un ou deux pantalons pour l’été. La légèreté d’une plume, la souplesse d’un voile. Ne rien porter ou porter un tel pantalon, c’est pareil. Ah quelle belle idée. Alors finalement je ne commanderais pas ce lin. Mais cette laine.

Oui, finalement une laine ultra fine l’été pour la souplesse, et une laine épaisse pour la chaleur l’hiver, c’est ce qu’il faut. Un plaisir. Merci le mouton pour ce don époustouflant. De quoi être toujours confortable. Et toujours élégant !

Belle semaine de réflexion. Julien Scavini

Ce soir, un peu de Fauré. Masques & bergamasques. Puis un bout du Requiem.

Un grain

C’est en regardant un documentaire récemment sur La Chaine Parlementaire consacré logiquement à notre histoire politique récente que j’ai été frappé par un point de style. Point de style qui s’est renforcé encore lorsque sur la Paramount Chanel, j’ai entrevu un film des années 1950 tout à fait charmant (Noël Blanc). Dans le documentaire politique, le réalisateur avait alterné des images d’archives avec des prises de positions contemporaines. Edouard Balladur Premier Ministre en archive, Nicolas Sarkozy en commentateur actuel. George Pompidou en archive, Laurent Fabius en commentateur actuel. Robert Badinter en archive, Jean-Louis Debré en commentateur actuel… etc.

La différence fondamentale, outre le grain de l’image versus une image nette, était… le grain des costumes, versus des costumes très lisses. Dans toutes les images anciennes, dont ce fameux film ci-dessous, les tissus des costumes ont de la texture, un grain caractéristique. Les tissus accrochent la lumière, je dis qu’ils grattent la lumière. Cela donne une beauté spirituelle je trouve aux costumes, une richesse élégante.

De nos jours, flanelles et tweeds donnent un peu cela. A l’époque, tous les costumes avaient cette texture légèrement peignée, grattée, chinée. Seules les gabardines avant, avaient cette texture si lisse que nous connaissons aujourd’hui. On les utilisait pour des costumes d’été et des pardessus fluides.

De nos jours, l’écrasante majorité des costumes est totalement lisse. Depuis la révolution lainière des années 1990, les laines sont devenues surfines. Et dès lors, esthétiquement, il est difficile de distinguer une laine d’un polyester à l’œil. Tous les costumes sont plats. Même ceux en fil-à-fil, seul tissu chiné à même de donner un peu de profondeur à l’étoffe. Ce costume d’Edouard Balladur est parfaitement caractéristique de ces nouveaux tissus, lisses, brillants disent certains.

Cette nuance esthétique est très présente dans une série que je trouve nulle, Inspecteur Murdoch sur France 3. Observez les costumes créés pour l’occasion. Tous ultra-lisses car coupés dans des tissus contemporains. Non sens rédhibitoire pour moi. Tous ceux qui portent des vêtements anciens (1970 et avant) le sauront immédiatement. Un tissu ancien, c’est un mélange entre un léger duvet grattant de surface et une certaine raideur. Ci-dessous, le roi de la flanelle, Fred Astaire.

M’est ainsi venu une réflexion que finalement, peut-être, le costume vieux style, ou vieil argent, c’est un peu celui coupé dans un drap qui gratte la lumière. Souvent ce drap, il faut l’avouer, il n’est pas très léger. Je pense à Intercity chez Holland & Sherry par exemple. Et encore, c’est quand même très lisse comme tissu.

Le plus difficile dans cette volonté esthétique que j’exprime, c’est de trouver l’étoffe. Un tissu mat. Pas terne pour autant. Avec une couleur éclatante, mais mate. Un costume ancien, c’est toujours un grain caractéristique qui attrape la lumière. Se donner un genre d’allure classique, intemporelle, qui ne fasse pas moderne et plastique, c’est arriver à trouver ce grain. A l’inverse d’une laine chatoyante qui s’exprime en super 150’s. Avec des lignes un peu opulentes, un costume coupé dans un tissu qui accroche la lumière aurait une grande dignité. J’en rêve.

Belle semaine, Julien Scavini

PS : cette semaine, j’ai écouté Eroica de Beethoven. Herbert von Karajan, Berliner Philharmoniker.

Ce que cela dit d’un client

Lorsque l’on ouvre un vieux livre de coupe des années 1930 ou 1950, il y a souvent au début quelques pages qui expliquent à l’aide de moult photographies comment prendre les mesures et où les relever. Et ces mesures pour la veste, le gilet et le pantalon, sont toujours relevées sur des hommes portant… veste, gilet et pantalon. Pour les érudits tailleurs qui ont rédigé ces ouvrages en leur temps, il allait de soi que la mesure d’un vêtement à faire découlait des mesures d’un vêtement porté, en plus des mesures au corps, c’est-à-dire directement sur la chemise.

En ces temps-là, le tailleur se fiait à ce qu’il voyait. Il se fiait à ce que le client portait en passant le pas de la porte. Le tableau général et les grandes lignes (volume des vêtements, longueur des parties), et les détails (aplomb du vêtement, lignes des épaules, netteté des flancs)… etc…

De nos jours, il est toujours agréable pour un tailleur de voir le client qui entre porter un vêtement tailleur. C’est une forme de logique. Le client vient chercher un costume, on le voit venir en costume… Cela immédiatement imprime une image générale et particulière de là où l’on va. Qui est cette personne ? Que porte-t-elle ? Comment porte-t-elle ? Puisque précisément le costume est un langage, le simple échange visuel en dit déjà long sur le client et son désir. S’il porte élimé, peut-être proposera-t-on des tissus petit budget ? S’il porte un très beau tissu, évident que seuls les beaux tissus seront présentés. S’il porte trop étroit, est-ce par ce qu’il a grossi ou qu’il aime ainsi ? S’il porte un cardigan sous la veste, peut-être faudra-t-il de l’aisance ? Parcequ’il a une difformité physique, voyons comment l’autre tailleur a traité le sujet ?

Surtout qu’à la différence des années 1930 ou 1950 précédemment évoquées, de nos jours, les styles peuvent être très variés pour ne pas dire complètement opposés. Le super slim fit (pantalon taille basse étroit associé à une veste courte) côtoie l’ultra classicisme (pantalon taille haute ajusté et veste intemporelle) ou l’avant-garde (pantalon taille naturelle coupe droite voire large, veste légèrement oversize).

C’est ainsi que le métier s’oriente. Le costume n’est plus une obligation professionnelle depuis quelques décennies. Depuis les années 1970, il est même pour certain chercheurs spécialisés un total plaisir, un objet de désir et d’amusement. Il ne fait plus partie du champ de la nécessité. Dès lors, il est logique que chaque client vienne chercher des lignes de costumes radicalement différentes. Le sénior qui veut s’habiller ultra jeune… ou comme chez Old England. Le jeune qui pense qu’être moderne c’est prendre un slim-fit… et l’autre jeune qui sait que l’oversize va gagner d’ici quelques mois et prend les devants.

Des épaules comme John Wayne ?

Pour le tailleur, la tâche est ardue. Difficile. Certes par la conversation, il est possible de faire émerger le langage du futur costume. Mais qu’il serait plus facile de voir déjà une ébauche ou une approche stylistique déjà portée, plutôt que de palabrer sur la largeur d’une cuisse ou la longueur d’une veste, sans référence connue.

En demi-mesure, il existe ce que l’on appelle des gabarits de mesure dans le jargon. Des vestes et/ou pantalons dans des tailles connues, qui permettent de questionner la silhouette. Voulez-vous plus étroit là ? Plus large ici ? C’est une approximation. Ce n’est pas forcément au premier essai que toutes les pièces de ce puzzle complexe seront alignées. Et il ne faut pas croire que la Grande Mesure sait répondre mieux encore que la demi-mesure. J’avais hier un client étranger qui sortait d’un grand tailleur de la rue Marbeuf et qui venait commander des pantalons légers pour Los Angeles… Il a fallu que je lui fasse passer 5 pantalons différents avant de comprendre qu’il voulait… la coupe d’un jean mais en lin et soie. Et j’espère qu’à l’essayage dans un mois, j’aurais bien tout compris.

Il faut de l’intuition pour comprendre les désidératas. Mais elle ne suffit pas complètement. Qu’il est décevant pour le tailleur lorsque le client à la fin trouve la veste trop courte. A s’arracher les cheveux et à pleurer. Il y a eu conversation. Ce point, il a été évoqué longuement. Mais hélas, le tailleur n’est ni dieu ni devin. Il fait de son mieux et n’a pas de baguette magique pour remettre du tissu là où il n’y en a pas. Si une première veste avait servi de modèle, ce point eut été plus sûrement trouvé.

Ce métier est beaucoup affaire de psychologie. Celle du client. Celle de son image dans le miroir. Elles ne coïncident pas toujours d’ailleurs. Parfois elles ne se verbalisent pas facilement non plus.

C’est ainsi que lorsque le tailleur voit arriver un client, voir ce qu’il porte est très important. Les mots ne suffisent pas toujours. Un bon dessin vaut mieux qu’une longue explication dit-on. Et s’il porte un costume, pour faire un costume, c’est bien. Tous les jours, ce sont des jeans baskets tshirts (sales) qui arrivent. Comment savoir où mettre les pieds ? Que penser ?

Triste aussi sont ces clients, pas si rares, que l’on voit à l’année habillés en Décathlon et consorts, et qui pourtant commandent de forts jolis costumes, en tissus prestigieux et onéreux. Des costumes statutaires. Des merveilles que l’on est heureux de réaliser. Mais qui ne les portent jamais, jamais, jamais en présence de leur tailleur. On sait qu’on leur fait de jolis choses, mais on ne peut pas complètement juger du résultat, car on ne les voit pas vivre dedans, à part cinq minutes devant le miroir au moment de la livraison. C’est si dommage pour le tailleur.

Belle et bonne semaine. Julien Scavini

Ce soir, Concertos pour piano n°1 de Chopin, par Arthur Rubinstein et le New Symphony Orchestra of London sous la direction de Stanislaw Skrowaczewski, 1961. Youtube.

La veste dépareillée doit-elle être plus courte?

Lors de la commande d’une veste seule, par exemple une veste en tweed ou un blazer, il est une question qui revient presque systématiquement. « Faut-il la faire plus courte ? » Par opposition à la veste de costume. C’est une très bonne question.

Pour ma part, je traite mes vestes dépareillées exactement comme mes vestes de costume, à la même longueur, quelque part aux alentours de 75cm. Et je ne vois aucune raison de faire autrement. Car les pantalons que je porte, gris en flanelle ou laine fine, ou même en coton, sont coupés eux aussi comme des pantalons de costume, avec la même aisance et la même hauteur, petite nuance parfois de largeur en bas seulement.

Dès lors, qu’est-ce qui justifierait de marquer une différence ? Et de combien ? J’aime les vestes de longueur classique, donc je pense que 75cm pour 1m80 c’est bien. C’est classique.

La question se poserait donc si le pantalon présente une coupe radicalement différente. Comme le jean peut-être ? Ce n’est pas impossible. Il est vrai que le jean slim taille basse très largement porté demande une veste plus courte que la longueur classique, et cela pour donner une homogénéité à la silhouette.

Je note qu’en général, ces personnes portant la veste avec le jean (c’est presque une caricature du parisien – veste noire, jean slim ), portent le costume de la même manière, slim-fit. Et que donc là encore, ils n’ont pas de raison dans leur schéma de pensée, comme le mien, de marquer une différence de longueur. S’ils aiment les vestes courtes, c’est toujours.

Je serais le premier à proposer une veste un peu courte pour être sûr que l’esthétique soit logique avec un jean slim. C’est le plus important pour moi, qu’un discours soit logique de bout en bout. Pantalon slim et proche de la jambe, veste moderne donc un peu courte. Pantalon classique et taille haute, veste classique donc plus proche de long que de court…

Après, la vraie question n’est pas en réalité : faut-il faire une veste plus courte, mais, faut-il porter de tels pantalons ? Mais à celle-ci, je ne répondrais pas. Aujourd’hui.

Mais essayons toujours de nous questionner sur la différence entre une veste dépareillée et une veste de costume. Elle peut être coupée dans un tissu plus lourd ? Ou plus expressif, comme les grands carreaux ? Cela donc aurait-il une influence ? Certains diront que ça allonge, ou que ça grossit. Je suis trop prosaïque pour ça. Je trouve juste qu’un carreau est un carreau. Et que si on cherche des justifications pour aimer ou ne pas aimer, il vaut mieux arrêter de réfléchir et ne pas verbaliser ce qui est d’instinct. On aime ou on aime pas, inutile de chercher des justifications à tout.

Un peu comme cette question de longueur ? Est-ce d’instinct qu’il faut arrêter telle ou telle valeur ? Prenons un autre exemple. Un homme qui ne porterait que du dépareillé classique, vestes de tweed, en velours, en flanelle etc… Avec toujours des pantalons de coton, moleskine, velours, gros twill, etc… Cet homme pourrait-il décider que même si la coupe est très classique, il choisit une longueur pour ses vestes plus courtes que pour ses vestes de costume ? Ce serait possible si son intuition lui indique cela. Mon intuition m’indique que non.

Car cela reste de l’intuition. La même que la mienne qui me pousse à faire la même longueur. Au moins ai-je l’argument ultime, faire pareil. Parce que, comme disent les enfants.

Qu’en pensez-vous?

Belle semaine, Julien Scavini

La musique fut différente cette semaine. Laurent Petitgirard, bande originale de l’inspecteur Maigret.

La France offrait un diner d’État

Le Roi Charles était donc en France, pour une visite d’État dont le grand moment devait être un diner à Versailles, dans la Galerie des Glaces. Quel plus digne plaisir qu’un État peut offrir à un autre, au-delà des personnes. Quels gages d’amitié et d’union, partagés autour de mets et de vins délicats, expressions du savoir-faire et du savoir-être d’un pays. Il a fallu qu’«on» nous bassine avec le coût du diner. Et qu’«on» s’esclaffe sur le positionnement des assiettes au millimètre. Bref, qu’«on» raille la pompe et la circonstance, en ne voyant que les hommes et non pas les circonstances. En bref, qu’un ridicule petit esprit soit là à juger bêtement.

J’aurais bien voulu admirer de bien plus grandes agapes de mon côté. Imaginez : un apéritif servi au Grand Trianon en présence des généraux et des académiciens, tous en uniforme. Peut-être aussi en présence des hauts prélats parés de précieuses couleurs et des préfets en capes. Et pourquoi pas de quelques hauts magistrats et maires d’importance. Bref, de ce qui fait l’État, nommé et élu. Suivi d’un parcours en calèche des deux couples à travers le parc pour rejoindre la Galerie des Glaces. Et qu’après le diner, un feux d’artifice soit tiré depuis le bassin de Latone en même temps qu’un orchestre jouerait du Lully. Et qu’à peu près tous les fleuristes d’Île-de-France aurait été réquisitionné pour fournir roses et lys embaumant l’espace.

Une telle fête oui, aurait été dispendieuse. Et prestigieuse. Digne de la France.

Au lieu de cela, il y a un eu un diner de traiteur vite expédié pour ne pas faire exploser un agenda chargé. Le temporel a gagné sur l’éternel. Le Roi est arrivé entouré de vans Mercedes, sortez, photographiez, rigolez et circulez.

Et normalement, à un diner d’État, il est d’usage de porter une queue-de-pie. Mais ça, évidemment, notre Président ne devait pas le vouloir. Lui sait à peine ce que c’est, alors imaginez les convives… Et après ça, on nous bassine avec l’élégance à la française. Alors soit, diner en smoking. Observons et notons. Sur cinq. Un point pour chaque catégorie :

  • coupe : belle coupe = 1 point
  • revers de veste : satin = 1 point
  • poches : deux passepoils en satin sans rabat = 1 point
  • à la taille : ceinture cummerbund = 1 point
  • souliers de smoking : bien glacé ou vernis, de forme adaptée = 1 point

Celui qui aura 5 points aura gagné le pompon. C’est parti.

M. Bern. 4/5. Mais une coupe minable. Des longueurs de manches et de pantalon indignes. Je ne veux plus regarder ses programmes. A quoi bon nous parler de demeures de qualités, de meubles finement ouvragés et de tapisseries délicates pour être si mal attifé? Pourquoi faire son commerce du Beau et ne pas poursuivre cela dans sa vie publique?

M. Estanguet. 2/5. Un costume noir ne fait pas un smoking. Et les derbys fabriqués à Jinjiang ne devraient même pas avoir le droit de passer la grille royale. Quand à ce pantalon en lycra si étroit au mollet…

M. Drogba. 4/5. Je ne peux toutefois pas juger de la ceinture. L’ensemble est classe même si un chouillat trop ajusté.

M. Wenger. 4/5. Pas de ceinture, mais un vrai beau tissu et des revers d’une grande dignité. Bref, un vrai smoking. Quoique le pantalon soit un peu long.

M. Vieira. 3/5. Pas de ceinture, et des souliers à boucle. Dommage, le smoking était pas mal sans ça.

M. Arnault, le pape du luxe. 3/5. Peut mieux faire. Ces rabats de poches… L’ensemble n’est vraiment pas exquis, vraiment pas. Et la grosse toquante métallique, on en parle?

M. Niel. 3/5. Peut mieux faire, vraiment. Commencer par une petite paire de bretelles blanches pour tenir ce falsard en place?

M. Bolloré. 2/5. Quand on épouse une fille Bouygues et qu’on est soit même pas tout à fait à plaindre, n’est-il pas possible d’aller chez Camps de Luca se faire couper un smoking classe? Plutôt que, pardon, cette mer**.

M. Rothschild. 4/5. Manque la ceinture. Et des manchettes trop longues. Mais il est possible de sentir un smoking Brioni ou quelque chose de belle qualité.

M. Grant. 2/5. Bon comment dire… Pas vraiment un smoking. Pas de ceinture. Mocassins aux pieds. Je pense qu’il partait en vacances et qu’il a vu de la lumière.

M. Gallienne. 2/5. Et encore, je veux être gentil. Il y’a au moins les souliers vernis. Ce col de chemise. Ou cette absence de col presque, c’est indigent. Il devait avoir peur d’avoir froid aux mains sinon.

M. Darmanin. 2/5. Quelque chose comme ça… Que dire. Derby aux pieds, rabats aux poches, coupe un peu minable. Diantre, on s’enfonce dans le médiocre. Et ce col de chemise…

M. Lang. Privilège de l’âge. Ou de l’heure pour moi. Je ne note plus arrivé là…

Je ne sais pas qui sont ces messieurs. Je ne vois pas les souliers. A droite et au centre, ce n’est pas si mal, mais je suis encore très aimable…

Bon bref, passons au plat de résistance, il se fait tard …

Les smokings étaient-ils bleus? J’en doute. Je crois que les deux images ci-dessus sont trompeuses. Car le soir même en direct à la télévision, j’ai bien vu du noir, ce que confirme ce dernier cliché.

Je ne noterai pas notre cher Président ni le Roi Charles. Toutefois, c’est bien et la note serait bonne.

Je ne peux m’empêcher de trouver ce col cassé loufoque sur M. Macron. Pourquoi vouloir faire de l’ancien? Alors que le smoking châle, c’est plutôt années 60. Plutôt James Bond qu’Hercule Poirot. Pourquoi vouloir associer le smoking châle moderne avec un col cassé très vieux style? Mais pourquoi? Je ne comprendrais jamais cela.

Et je le redis. Qu’il eut été élégant Monsieur Macron en queue-de-pie, avec le grand cordon de la Légion d’Honneur. Qu’il eut été élégant… Mais il préfère le slim-fit.

Le Roi Charles a pris un peu, ses vêtements se sont étoffés. Je remarque qu’il ne portait pas son traditionnel smoking croisé. Peut-être pensait-il que ce serait trop par rapport aux français?

Eux quatre, tout de même, avaient un peu de tenue. C’était beau.

Mais le reste, mais le reste… Aucun 5/5 avec mention. Rien. Que du médiocre ou presque… Je voulais vous faire rêver un peu au début, en vous parlant de ce qu’aurait pu être une belle et grande soirée. Une digne soirée française… Mais quel résultat. J’avais même envie d’arrêter de commenter tant ces smokings étaient médiocres. Une piètre esthétique.

Je ne sais plus qui a écrit que l’exemple de la vertu ne peut ruisseler que des élites. Quand les gouttes sont acides toutefois, il vaut mieux sortir le parapluie.

Vous me direz, quelles sont les élites que l’on vient de voir… Où étaient les médaillés Fields et les académiciens? J’ai vu un Capuçon, le violoniste des deux, mais sans photo en pied, je n’ai pu juger. Où étaient les très hauts arts & lettres? Cela me sidère assez de voir qui était là… Et qu’en plus, ce sont des footeux qui étaient presque les mieux sapés. Je préfère me coucher.

Belle et bonne semaine. Julien Scavini

PS : heureusement, j’écoutais la symphonie n°9 de Beethoven en écrivant cet article. J’avais du beau dans les oreilles à défaut de l’avoir sous les yeux.

Café Coton

Lors des essayages de costumes, j’aime toujours demander aux clients d’où viennent leurs chemises. Pour me forger une sorte de panorama du marché. N’ayant pas un goût toujours très arrêté sur les choses, j’aime voir différents goûts à l’œuvre, voir comment s’habillent les hommes, et où est leur budget. Il y a un peu de tout, du beau au moins bon.

Une chose m’a surpris dernièrement, et même marqué quand j’y ai repensé. Lorsque le client porte une chemise anglaise abordable, comme T.M.Lewin ou Charles Tyrwhitt, la réponse m’est toujours formulée très clairement. Le fait de dire que la chemise est peu onéreuse est fait sans frilosité aucune vis à vis de moi. C’est presque une revendication. Mais exactement à l’inverse, quand il s’agit d’une Café Coton, alors là, il y a beaucoup plus de pincettes, et presque immédiatement un complément de phrase du style « oh vous savez, cette petite qualité », comme pour dissimuler la bassesse de l’achat.

Cela à la fois m’amuse – je ne suis en aucun cas juge de quoi ce que soit – et m’attriste. Car mince, voilà bien une jolie réussite entrepreneuriale française. Mais parceque française, alors honteuse ? Ce serait dommage de penser ainsi.

Les chemises de grande qualité sont rares, mais pas impossibles à trouver. Elles valent un certain prix il est vrai, et de nombreux blogs et articles en font la réclame. Citons Howard’s, Hilditch & Key, Emanuel Berg entre autres. Citons en mesure Courtot, Swan, Daniel Levy, entre autres. Citons un peu moins onéreux le travail du Comptoir des Chemises et Accessoires à Madeleine. Bref, il y a de quoi faire. Mais de ces belles enseignes recueillant les suffrages, je ne vais pas parler là. Je vais parler de Café Coton.

Que mon profond mépris envers tous les snobismes et dénigrements me fait aimer. Au cours de ces dernières années, plus l’on m’a parlé en mal de Café Coton, plus mon estime grandissait.

Ma seule expérience avec l’enseigne remonte à fort longtemps, et encore, via une chemise achetée aux puces, que j’ai appréciée. Je ne suis donc qu’un humble spectateur de ce que je peux voir. Et ce que je peux voir, n’est en rien honteux. Les boutiques sont simples et élégantes, les chemises bien rangées. Les modèles nombreux. Très nombreux. La vente se fait sans chichi. On est là pour un produit, et un prix chez Café Coton.

Le produit n’est certainement pas honteux, car à chaque fois qu’un client a déballé une chemise Café Coton pour son essayage, je l’ai trouvé belle. Avec toujours un coton un peu lourd, de bon poids. Certes, il y a toujours cette gorge américaine devant que je n’aime pas trop. Mais c’est une question de goût personnel. Pour le reste, les coupes sont bonnes et les coloris sympathiques. Cet été, leurs lins pastels étaient de toute beauté. En bref, une jolie chemise. Et je peux vous dire qu’à côté des chemises honteuses sans surpiqures au col et coupées dans des popelines transparentes comme de l’étamine, vendues fort chères par l’autre grand nom français de la chemise que je ne nommerai certainement pas, les Café Coton n’ont pas à rougir. Certainement pas. Alors arrêtons le bashing.

L’autre grand point qui fait mon admiration, c’est la politique tarifaire pratiquée par Café Coton. Là, c’est ma toute petite fibre affairiste qui va parler. Vous avez tous remarqué que chez CC, il y a toujours une offre? Genre 3 chemises achetées, 2 offertes. Genre 4 chemises pour 100 euros. Genre tout à -60%. Genre etc…

En fait chez Café Coton, le prix facial de la chemise, autour de 140 euros, il n’est jamais respecté, soyons clair. Toutefois, à ce prix, il y a des gens qui achètent, je le vois très régulièrement à la boutique de Paris Beaugrenelle que je visite parfois. Tout le génie de l’enseigne, et ça, c’est vraiment du grand art, consiste à moduler le prix en permanence, suivant le volume des ventes, les périodes et fêtes et la météo. On sent le cash-management précis. Une horloge suisse. Les stocks sont hauts? Pas de problème, une offre promotionnelle. Les ventes ne sont pas encore assez bonnes, une offre plus forte. Le stock se vide et l’argent rentre, fin de la promotion. Et comme à la bourse, le prix de la chemise fluctue suivant l’offre et la demande. Avec autant de boutiques, de personnel et de stock, j’aime autant vous dire que la gestion de la trésorerie doit être diaboliquement âpre. Et apparemment, tout le monde y trouve son compte. Autour d’un produit relativement simple, ancestral même – rendez-vous compte, on trouve encore des rayures bâtons chez Café Coton !

Là où je trouve ce modèle économique lumineux, c’est que sur ce créneau du « pas cher », c’est beaucoup plus durable comme procédé que de chercher à imposer dans la tête du client un prix psychologique pas cher et permanent ; mais intenable sur le long terme. Ainsi, l’inflation des prix passera relativement inaperçue chez Café Coton. Quand les autres marques se bâtant sur le « pas cher » vont devoir expliquer leurs hausses de prix et leur passage de facto en segment premium.

Enfin bref, je vais arrêter ma petite analyse éco là. Quoiqu’il en soit, loin de snobismes, il faut se féliciter des réussites françaises. Et Café Coton, avec sa centaine de boutiques, est une réussite remarquable. On est pas obligé d’être client. On peut simplement applaudir le travail bien fait. Et reconnaitre que leurs chemises valent bien celles des nos amis anglais si connus.

Belle et bonne semaine. Julien Scavini

L’uniforme à l’école ?

Sur le plan sociétal et politique, cette question du retour de l’uniforme à l’école me plait beaucoup. Je rajouterais même qu’en tant que père d’un petit de cinq ans, elle me simplifierait la gestion quotidienne. Finie la question du soir, il met quoi demain ? Et au moins, plus de pression sociale du copain qui est habillé en Ralph Lauren et moi pas. Question économique lissée.

Mais alors, je sens qu’avant de voir le moindre uniforme dans nos cours de récréation, les débats sur la forme vestimentaire à adopter vont être sans fin. Cette question de l’uniforme est le nouvel avatar d’une vieille querelle bien française et bien classique, celle des Anciens et des Modernes. Querelle jamais éteinte et chaque fois envenimée, avec une égale délectation, par l’État comme par les citoyens. Et cette fois les choses vont atteindre à une sorte de perfection. Question du genre et de son expression ou non-expression. Possibilité d’un habit non-binaire. Débat sur la couleur. Matières naturelles contre artificielles. Tolérance à la fabrication à l’étranger. Achat par l’État ou par les parents. Et quid de l’entretien. Un feu d’artifice comme rarement vu.

Lorsque j’étais au collège à Bayonne, nous avions un uniforme. Seulement pour le sport. Un maillot vert à col V bordé de jaune. Bermuda à discrétion. Ce maillot fournit chez Peytavin était charmant. Le fruit d’un accord sans marché public, j’étais dans le privé. Il était trop grand et je pense que ma mère il y a peu le portait encore au jardin. C’est dire qu’il aura servi. Sur les photos du cross annuel, il est charmant de voir tout ces garnements habillés pareils. Filles, comme garçons.

Lorsqu’Aéroport de Paris m’avait demandé de participer à leur vidéo interne de promotion du nouvel uniforme, le journaliste m’avait questionné avec insistance sur l’importance de l’uniforme. Pas évident d’y répondre.  Je ne suis pas sociologue. Toutefois j’avais pu argumenter que cela renforce l’esprit de corps dans une entreprise, et cela donne une visibilité également, dans un environnement chamarré. Enfin, cela donne aussi un lustre et un prestige. Il peut y avoir attachement à l’uniforme. Trois arguments qui au fond, pourraient s’appliquer à l’École, au Collège, et au Lycée.

En uniforme, on pourrait reconnaitre un élève instantanément. Se dire qu’il s’y rend, ou la quitte, bref qu’il est dans le temps scolaire.

En uniforme, on pourrait reconnaitre aussi, et peut-être, le niveau scolaire. Ici un primaire, là un collège.

En uniforme, on pourrait gommer les différences culturelles et financières… je vous laisse disserter vous-même sur cet axe de réflexion.

Allons plus loin pour rigoler. Et si chaque région, ou département choisissait son uniforme ? Ne pourrait-on pas s’amuser de voir les collégiens de Bretagne avec des couleurs différentes de celles du Var ? Les Français rêvent de référendums locaux. En voilà un d’excellent niveau. Autrement, ne pourrait-on pas mettre un galon spécial ou une babiole sur la poitrine du chef de classe ? Mais là, je m’éloigne terriblement.

Soyons terriblement terre à terre. Cet uniforme, il en faudra quatre, été et hiver, garçon et fille. Ces dernières seront-elles astreintes à la jupe et au collant blanc ? J’en doute un peu. Les filles ont le droit au pantalon. Au moins, c’est plus simple. Tout le monde en pantalon et bermuda l’été ? Et le haut ? Je ne suis pas sûr que la chemise à repasser remporte les suffrages des parents. Un t-shirt pour tout le monde associé à un pull l’hiver ? Un polo toute l’année, déclinée en manches longues et en manches courtes ? Voilà une idée intéressante. Le pull serait-il col V ou col rond ?

Puis, les couleurs ? Je crois que le bleu va être dans tous les esprits. En France, nous avons un bleu nuit tellement profond qu’on dirait du noir, il est utilisé pour l’uniforme de l’Académie Française. Il s’agit du bleu national. Il aurait toute sa logique. Les anglais associent volontiers un bas gris et un haut bleu. Ferait-on pareil ? Ou alors, nous, on pourrait avoir un bas bleu horizon et un haut bleu national. Camaïeu de bleus intéressant.

Si on osait un peu… si on osait être français. On pourrait avoir un bas bleu, un polo blanc et un pull rouge vermillon… Ah voilà qui aurait une franche allure. Un panache avec force dignité. Mais alors je rêve à cent miles et qui est d’ailleurs l’uniforme à Monaco. Car quand je vois l’uniforme blafard qu’a sélectionné la SNCF, je me dis que c’est pas demain la veille qu’on aura quelque chose d’élégant ici pour habiller nos bambins. Je pense même qu’on serait capable de choisir un uniforme noir…

L’émission par l’État d’une norme de couleur permettrait aux fabricants de caler leurs productions et de décliner les matières, c’est certain. Mettons que le drap bleu national soit sélectionné, avec le Pantone associé. Les parents pourraient sélectionner chez Décathlon, Carrefour, Petit Bateau, Saint James ou Les Galeries Lafayette les pantalons de leur choix. Encore faudrait-il édicter une norme de coupe, pour ne pas se retrouver à faire de la police du vêtement comme dernièrement. Mais disons que les filles au collège et au lycée pourraient choisir trois styles de pantalons : legging, coupe droite, coupe ample ? A minima pour éviter les histoires. Les garçons se contenteraient-ils d’une coupe eux ?

En haut, l’avantage d’avoir des mailles (polo et pull) est la relative élasticité des jerseys, qui très facilement peuvent être unisexes, d’où une économie d’échelle. Reste à savoir s’il sera possible d’acheter là le modèle en matière naturelle ou ici en matière artificielle. Il y a fort à parier que ces dernières, de nettoyage et de séchage plus simples, remporteront les faveurs. Sans parler de coûts d’achats plus faibles.

En allant au bout de la réflexion, il est probable que la netteté du style BCBG que je décline soit rejetée, pour un style franchement sport, jogging en bas, sweat en haut. Les français aiment ce qui fait moderne. Le pantalon à pli et le polo repassé, ça va effrayer.

Une question serait intéressante à poser également. L’uniforme à l’école ferait-il baisser les ventes de vêtements pour enfants ? A part week-end et vacances, il n’y aura plus de besoin de vêtement de tous les jours, remplacés par un uniforme, certes qu’il faudrait avoir en plusieurs exemplaires, mais loin du volume que l’on peut entasser. L’uniforme serait-il alors écologique ?

Au pays de la Mode, il sera difficile de trouver l’unanimité et le consensus sur ce sujet. Chacun y mettra son grain de sel, et Jean-Charles de Castelbajac ou Ines de la Fressange seront ravis de dessiner des uniformes, que certains jugeront géniaux ou ringards. Pour les quelques fabricants français encore survivants, cela serait aussi l’occasion d’une formidable mise en avant de leurs compétences. Un made-in-France infinitésimale mais logiquement preneur d’un tel mouvement.

A l’heure où les anglais posent la question de la fin de l’uniforme, nous posons ici la question inverse. Et plus le temps passe, plus cette question apparait tranchante. Une question de survie de l’esprit républicain et de son école ? Les hussards noirs ont fait l’école de la République, avec pour mission de donner une instruction obligatoire, gratuite et laïque, l’uniforme aiderait-il à en pérenniser l’esprit?

Belle semaine, Julien Scavini

Ce qu’ils ne voient pas

Il y a fort longtemps, sans toutefois que j’ai connu cette époque, un client qui venait chez un tailleur faisait confiance à celui-ci pour les mesures. Le tailleur, en tant que professionnel, savait calculer l’aisance juste, au niveau du ventre, et surtout de la poitrine et des épaules. Et cette aisance était… avec de l’aisance justement. Une veste des années 50 ou 80 n’était pas démesurément près du corps. Elle avait une vraie aisance.

Il est probable toutefois que des clients devaient ergoter sur cette notion. Mais le débat devait être vite clôturé par un simple fait. En mesure traditionnelle (aussi appelée Grande Mesure), les essayages nombreux et la veste se construisant petit à petit forcent le respect. Le client perçoit le labeur et la difficulté du tailleur. Il est un partenaire. Certes silencieux, mais il est « dans le même bateau », passez moi l’expression. Au cours des essayages de Grande Mesure qui se sont déroulés dans mes locaux, j’ai pu apercevoir cela. Il y a des discussions parfois sur la largeur des épaules ou la justesse d’une longueur. Mais presque jamais sur l’aisance.

Le monde moderne ayant inventé le concept de petite-mesure, ou demi-mesure, soit un vêtement fabriqué intégralement et à distance, ces essayages intermédiaires n’existent plus. Dès lors, le client découvre le vêtement à la fin. Toutefois, et pour éviter tout débat, un gabarit est essayé sur le client à la commande. Cela pour percevoir les pentes d’épaules, attitudes et particularités physiques. Et aussi pointer du doigt la forme générale et l’aisance particulière. Le client peut réagir et parler. « L’aisance me va. Ou elle ne me va pas. »

Et c’est précisément là que le tailleur contemporain en perd son latin. Car il n’y a plus beaucoup de notion d’aisance normale. Il existe une courte majorité qui est dans l’intemporel, ni trop ni pas assez. Une petite minorité qui aime plus d’aisance, façon années 90 (les messieurs âgés, ou les jeunes qui voient que la mode actuelle est super ample). Et enfin une foule qui aime que le costume soit une combinaison de plongée. Comme Jordan Bardella ou Christophe Castaner.

Et c’est justement eux… qui ne voient pas. 

Cas récent. Mesure du tour de poitrine 104cm. Le jeune homme était fort athlétique. Donc 104 divisé par 2, cela donne la talle française 52. Voilà une vérité sans débat. Mais il a détesté la 52, qui pourtant n’était pas si mal, à la poitrine, bien qu’un peu large au ventre et un peu longue. Mais cela se travail. Ce qui compte, c’est que la veste soit belle à la poitrine.

Il m’a répondu, « moi je prends du 48 d’habitude. » Dont acte, je lui passe. Le résultat était épouvantable, car la poitrine explosait de partout. Je refuse ce gabarit et passe sur la 50. Qui était un peu serrée, et dont on voyait que c’était sujet à problèmes, les épaules n’arrivant pas à trouver leur place, entre autres (plis de col derrière, cassure au niveau des revers sur la poitrine, etc.). Mais le client aimait.

C’est toute l’idée de mon titre. En prêt-à-porter, ce client aurait pris la 48, avec ces défauts. Pour se sentir à l’aise, c’est à dire… sans aisance. Avec une veste étriquée. Sans voir les monstrueuses complications que cela provoque. Moi en tant que professionnel, je ne peux pas livrer un tel travail. Je suis obligé de tabler sur quelque chose qui tombe bien. C’est le plus important. Et pourtant, cela ne semble pas toujours être un paradigme.

Dit-on au boulanger comment faire sa patte ou cuire son pain? Il y a débat, palabre, bref perte de temps sur un sujet que moi seul devrait trancher. Mais je ne le peux pas, je ne le dois pas. Je dois faire plaisir, et d’ailleurs c’est bien mon plaisir.

Vous allez me dire, pourquoi ne pas faire une veste qui tombe mal en étant serrée. Le client serait ravi. Et bien pas si facile à dire. Car le prix entraine une exigence. Et alors que l’œil parait peu affuté pour percevoir les défauts de la veste de prêt-à-porter, il devient alors suspicieux envers le tailleur. Le tailleur marche sur des oeufs. Il doit proposer la même aisance « sans aisance » que dans un certain prêt-à-porter sous-taillé. Mais il doit comme par magie faire une merveille. Délicat.

Autre anecdote amusante. Cet été un jeune homme essayait son costume de mariage. Il révéla à la dernière minute être profondément « choqué » (il a utilisé ce verbe oui, rien que ça), par la largeur du bas de ses manches… Bas de manche qui sont maintenant si étroit qu’il est impossible d’avoir des poignets de chemise à boutons de manchette sans que cela coince. Il faut bien le dire, une veste des années 90, c’était tellement le largeur en bas de manche. Un super confort. Maintenant, les manches sont plus effilées. Ce jeune homme n’avait jamais du voir une veste en fait de sa vie, et pensait probablement que le bas de manche devait serrer comme… un pull. Au fond, cela a une logique. Sauf que le comportement du tissu n’est pas le même. Plus on serre, plus on crée des problèmes. Nous lui avons serré ses bas de manche…

Un grand homme du textile maintenant à la retraite me l’avait dit au détour d’une visite d’usine… « Tous les problèmes sont apparus depuis que l’on a fait du slim. » Les pantalons ne cessent de faire des plis, derrières les cuisses quand c’est pas devant ou au niveau des genoux. Les vestes ne cessent de tirailler ou bien de bailler. Car le tissu ne trouve pas sa place, il a du mal à bien tomber. D’autant que la finesse des étoffes n’arrange rien… Enfin bref.

Le tailleur au XXIème siècle doit faire des merveilles. Il doit comprendre par mille méthodes quelle est l’aisance imaginaire du client. Et changer sa méthode de travail pour chacun. L’individualisation à l’œuvre en quelque sorte. Là où auparavant, le tailleur essayait d’appliquer la même méthode malgré des physiques différents.

Belle bonne semaine, bonne reprise. Julien Scavini

PS : ce soir, j’ai écoute le poème symphonique… pardon la symphonie n°7 de Sibelius, par Paavo Järvi. Il faut que je prenne mes places pour la Maison de la Radio. Intégrale Sibelius en trois soirs en avril prochain je crois… avis aux amateurs !

Monsieur le Ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

Lorsque j’avais eu le malheur de moquer très succinctement François Hollande sur ses costumes, je m’étais fait tomber dessus dans les commentaires. Cela m’avait appris. Au fond, il est plus intéressant d’évoquer ce qui est bien fait. Et comme je sais les lecteurs de cet humble blog passionnés par les biographies sartoriales, je vais consacrer le billet de ce soir à un homme politique qui s’habille bien. Avec précision et délicatesse. Monsieur Bruno Le Maire.

C’est au cours de mes études, quelque part vers 2006, que j’ai entendu parler pour la première fois de l’homme, à l’époque dans l’équipe de Dominique de Villepin. Il fait ses armes à la fin d’un ère, celle de Chirac. La mode, car c’est ce qui nous intéresse ici, est encore marquée de cette petite touche années 90. Les cycles sont lents. Les coupes sont encore confortables, un peu de largesse à la poitrine et aux épaules. La veste se porte encore trois boutons et un peu longue. Les tissus ne sont pas toujours agréables à observer. Quand à la cravate club, elle est partout, mais pas souvent très belle. A partir de quelques clichés trouvés ça et là, et comparativement au personnel politique de l’époque, il n’y a pas grand chose à relever. Du moins, aucune horreur. De bon ton :

De bon ton d’ailleurs est cet ensemble sport des débuts en politique. Veste en tweed discret et léger, chino beige, souliers marron, chemise bleu ciel. Il n’y a rien à redire :

Si le personnel diplomatique (son corps d’origine) et les sortants de l’ENA cultivent un certain conformisme vestimentaire, il n’est pas toujours élégant. De ma petite expérience, il est parfois même pataud. Comme cet ancien ambassadeur souvent sur LCI, associant veste en gros tweed et chemise blanche à col cut-away, cravate en grenadine à gros pois. Il y a probablement par le diplôme et les fonctions une qualité d’interprétation de l’élégance « à la française », mais elle ne me convainc pas toujours. Au moins ce que nous voyons ci-dessous est sobre mais parfaitement exécuté. Un style qui ne cherche pas à faire trop. Ou à se donner du genre, la pire des possibilités.

S’il fallait d’ailleurs conseiller à un débutant quelle veste acheter, celle-ci pourrait être conseillée.

Après avoir été secrétaire d’État aux Affaires européennes, c’est en devenant Ministre en 2009 qu’il apparait au grand jour. A l’agriculture. Si ce portefeuille, ultra technique, demandait bien un technocrate affuté et connaisseur des rouages européens (en plus il parle allemand!), je n’étais pas tout à fait sûr à l’époque de le voir là. A tâter le cul des vaches. Lui, le natif de Neuilly-sur-Seine, ayant passé son bac dans le 16ème arrondissement. Qu’importe, je m’amuse… Revenons à nos moutons. L’ère Chirac est bien terminée maintenant. C’est Nicolas Sarkozy qui est au commande. Le Maire pensait un peu avant que les Français [allaient] oublier Sarkozy, « comme une ancienne maîtresse ». Il est tombé à côté. Je m’amuse encore décidément.

Bruno Le Maire fait doucement évoluer son style. Exit les cravates à motif. L’uni sobre arrive, à la suite d’un Nicolas Sarkozy qui va faire une marque de fabrique du costume bleu marine et cravate ton sur ton. Monsieur Le Maire hésite un peu sur la voie à prendre. Non, la cravate bleutée n’est pas terrible :

Remarquons Monsieur Barnier qui ose encore la cravate colorée. En 2010, en tant que Ministre, Monsieur Le Maire accompagne l’ancien Président au salon de la Porte de Versailles. Et non, la cravate argent, c’est encore moins bien :

Doucement, le monochrome s’installe dans le vestiaire politique français. Le costume passe au bleu marine exclusif et la cravate suit le mouvement. L’année d’après, en 2011, au même salon, Bruno Le Maire sait mieux faire. Même Jacques Chirac s’est un peu relooké. Mais regardez l’extraordinaire cravate du Président. Nœud très pincé, goutte d’eau, opulence du tombant. Mais quelle merveille :

Sur la photo ci-dessous, une chose doit être remarquée concernant Bruno Le Maire. La netteté du costume et le chatoyant de la laine. Là, il y a un sujet. Il y a LE sujet.

A savoir que Bruno Le Maire sait ce qu’est un bon costume. C’est peut-être le seul actuellement au gouvernement. Costume italien. C’est sûr. Netteté de l’épaule. Bombé maitrisé de la tête de manche. Perfection et symétrie de l’encoche des revers. Souplesse du montage, qui se « sent ». Légère vibrance des surpiqure induisant une veste entoilée et un tissu au moins super 150’s. Admirons :

Une rayure moderne somptueuse et finement cousue.

Et comme vous pouvez le voir, toujours ce monochrome assez élégant. Assez français aussi. Le personnel politique américain, anglais et allemand ne sait pas faire ainsi. Il y aurait peut-être à creuser pour un prochain article ici. Ci-dessous, ce portrait en pied est très fin. S’il n’était pas Ministre, il pourrait se permettre une pochette blanche. Lorsqu’il sera vieux et au Conseil Constitutionnel, peut-être l’osera-t-il? Ses souliers savent ce qu’est un embauchoir.

Qui est son fournisseur? Il y en a peut-être deux, observant de légères variances entre les costumes. Je dirais qu’il y a Corneliani. Mais il y a peut être du fait-main plus délicat encore, que je sens parfois à observer les boutonnières. Comme Brioni. Ou Zegna?

Mais il va falloir s’arrêter là. Car nous sommes en France. Et un Ministre qui s’habille, c’est très suspect. Le simple fait d’éveiller l’attention sur ce fait pourrait coûter cher à Bruno Le Maire. Si cela se savait… Je me souviendrais toujours de cet ancien client, qui me racontait qu’en route vers sa circonscription, il faisait arrêter son chauffeur sur le bord de la route, pour troquer John Lobb et pardessus de cachemire contre godasses usées et parka moyenne. Attention à ne pas faire trop beau, trop fin, cela rend jaloux.

Bruno Le Maire l’a très bien compris. Il s’habille de la plus exquise des manières, avec les plus beaux costumes, mais fait bien attention à les choisir, dans un répertoire des plus discrets. Invisible à l’œil non averti. Comme disait Yves Saint Laurent, un bon vêtement est un passeport pour le bonheur. Un bonheur feutré en ce qui le concerne.

Belle semaine, Julien Scavini

Cette semaine, j’ai écouté pour écrire cet article, Une Symphonie alpestre, op. 64, de Richard Strauss, par Bernard Haitink. Une luxuriante hauteur !

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Pour remonter dans le temps, deux articles intéressants à sortir de l’oubli :

http://lechouandesvilles.over-blog.com/article-renaud-camus-versus-madame-pappalardo-75196953.html

http://lechouandesvilles.over-blog.com/article-villepinistes-et-sarkozystes-47514403.html

L’invention du revers en bas du pantalon

Si les gaulois ont inventé les braies, il fallut tout de même attendre longtemps avant que le pantalon ne fasse vraiment son apparition dans la garde-robe masculine. C’est aux alentours de 1800 que celui-ci fait son entrée. Mais il faut encore attendre un peu pour qu’il devienne un habit élégant et reconnu. En France, c’est sous Napoléon III (Président puis Empereur de 1848 à 1870) que la culotte et les bas de soie cèdent la place au pantalon sur les portraits officiels. J’avais remarqué qu’aux Etats-Unis, c’est sous l’ère de James Monroe (Président entre 1817 et 1825) que le même mouvement intervient. Pays aimant la praticité, il est normal que la pantalon y trouva un écho rapide et favorable.

Sous l’ère victorienne, le pantalon connait diverses formes, étroit puis large, plié par les côtés puis pliés sur l’avant comme aujourd’hui. C’est à son fils, le roi Édouard VII (entre 1901 et 1910) que l’on doit l’invention du revers. Si les vêtements trouvent souvent leurs origines dans des fables diverses, le fait est ici attesté. L’historien Farid Chenoune dans son livre Des Modes Et Des Hommes estime que c’est en 1909 au derby d’Epsom que le royal personnage, précurseur des modes, se présenta avec un retroussis en bas de son pantalon. Le sol était boueux et c’était ainsi une manière de s’en prémunir. Comme on peut l’apercevoir sur cette gravure reproduite en première page d’une gazette. Voilà assurément un document d’une immense valeur sartoriale :

L’idée fit florès et la bonne société adopta pour les pantalons de campagne cet usage. Naquit alors chez les Anglais cette dichotomie : pantalon de ville avec un ourlet simple et pantalon de campagne avec un revers. Preuve en est : son fil, alors le roi George V (entre 1910 et 1936), très rigoriste en tout, fit un jour à Buckingham la réflexion suivante à un visiteur : « mon palais est-il si humide que vous deviez porter des revers ? » C’est pour cela par exemple que les pantalons des tenues habillées n’ont jamais de revers, comme le smoking, la queue-de-pie ou la jaquette.

Il faut toutefois remarquer que sur le continent, l’usage est presque inverse. Il est en effet considéré que le revers sied bien aux pantalons de ville, qu’il fait habillé, qu’il termine élégamment un beau costume et tombe bien sur le soulier. C’est une question de philosophie presque. Pour les Italiens, il est inconcevable qu’un beau pantalon n’ait pas de revers!

Avec le temps cependant, il est difficile de tirer une règle claire. Chacun fait comme il l’entend, suivant l’humeur du jour et l’âge du capitaine. Par exemple, Barack Obama ou Donald Trump alternaient pantalons à revers ou sans. Emmanuel Macron n’en a jamais, ce qui est probablement mieux, car ses coupes de pantalons sont étroites. Ci-dessous un élégant portrait d’un élégant, Enoch Powell :

Les messieurs d’un certain âge en général aiment les revers. J’ai tendance à croire que les très classiques ayant toujours fréquentés le tailleur font 4cm. Que ceux ayant apprécié la mode des années 80 penchent plutôt pour 3cm de haut, un brin chiche. Mais lorsqu’ils veulent faire jeune, souvent poussés par madame, ils veulent un ourlet simple. A l’inverse chez les jeunes, le revers de 4 à 5cm de haut, associé à un pantalon très étroit et plutôt court plait énormément. L’influence bénéfique d’Instagram et de l’humeur transalpine! J’ai occasionnellement fait 6cm. C’est beaucoup. Je note par ailleurs depuis quelques temps une envie chez les jeunes clients pour les pantalons plus larges. L’ère du slim touche bientôt à sa fin. Enfin, le chino de coton qui normalement se porte simplement avec un ourlet, est très apprécié ces temps-ci, non avec un revers bien construit, mais avec un retroussis qui dévoile à la fois les chevilles et l’envers coloré des coutures.

Je note enfin qu’une quantité astronomique de clients, lors de l’essayage, à la question  » ourlet invisible ou revers?  » ne savent pas quoi répondre, car ils n’ont jamais entendu parler d’un revers… Ils ne voient tout simplement pas de quoi il s’agit. Les cheveux se dressent sur ma tête !

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

PS : ce soir, j’ai écouté le concerto pour violon de Tchaikovsky par Yehydi Menuhin et Ferenc Fricsay. Sans grande passion toutefois. Le concerto pour piano est plus enthousiasmant.

Il y a polo, et polo.

L’été est arrivé. Après de longs mois de fraicheurs, enfin un soleil chaleureux. Les manches courtes peuvent ressortir du placard. Le vêtement phare de cette saison, du moins dans les instants de décontraction, c’est le polo. Ce petit haut inventé pour la pratique du tennis et réalisé dans un piqué de coton est depuis longtemps passé au rang d’icône du style masculin. Il est même un signifiant social depuis que les marques y ont collé un logo, à la fois petit et discret, mais fort voyant et reconnaissable.

Question amusante : qui brode ce mouton de la toison d’or sur ses polos ? :

Il existe deux manières de confectionner un polo. Le coupé-cousu. Le tricoté. Parlons-en rapidement.

La première méthode est celle qui est la plus répandue. Le coupé-cousu. Nous avons presque tous un polo ainsi réalisé, par Lacoste ou Ralph Lauren, Gant ou Jules, La Martina ou Hugo Boss. Pour réaliser ces polos bien connus, il faut d’abord acheter du tissu au mètre, se présentant en rouleaux. Ce jersey petit piqué est coupé à plat, avec des ciseaux ou un banc numérique, puis ensuite, les parties sont cousues ensemble par un opérateur derrière une machine à coudre. Les opérations sont très similaires à celles d’une chemise. Un corps avec sa patte boutonnée, deux manches, un petit col en bord côté, généralement tricoté à part, avec le même fil que le tissu principal. D’où le terme coupé-cousu. (Ci-dessus ).

La seconde méthode est moins répandue. Le tricoté. Dans cette technique, les pelotes de fils font entrer en tricotage et le vêtement va être créé en forme, comme une grand-mère tricoterait un pull. Aussi appelé « fully-fashionned », cette technique va donner naissance à un tricot en forme de polo. Si le fil était épais et moelleux, on aurait une surchemise presque. Mais avec un fil de jauge fine, on obtient un vêtement léger, un polo de grande finesse. Les opérations de tricotages donnent un vêtement nativement en trois dimensions. (Ci-dessous):

Il me semble que le polo historique est plutôt réalisé en coupé-cousu, du moins sur les photos que j’ai pu voir de M. Lacoste. Je ne saurais le jurer.

La première méthode s’apparente à l’art de la chemise. La seconde méthode s’apparente à l’art du tricotage.

La première méthode est plus rapide et plus économique. C’est pourquoi elle est plus répandue. La seconde méthode est plus complexe et fait appel à des machines de haute technologie. C’est pourquoi elle est plus rare.

La première méthode donne des polos robustes et endurants. Capables de supporter la pratique des sports et des lavages intensifs. (Tout en se délavant et en perdant de la netteté). La seconde méthode donne des polos légers, souples comme une caresse sur la peau. Capables d’être soyeux et redoutablement élégants. Chez Bompard, ils appellent cela le polo ultra-fin. (Tout en étant moins soumis à des cycles de lavages rudes).

De fait, comme évoqué dans mon titre, il y a polo & polo. Les deux sont assez semblables en forme. Mais dans la réalité, ce n’est pas la même chose. Le polo en jersey coupé et cousu est bien plus répandu. Il a pour lui un aspect décontracté, d’autant plus que son col généralement sans grande forme fait un peu ce qu’il veut. Le polo en maille tricotée est peu répandu. Il a pour lui un aspect bien plus habillé, plus urbain, avec un tomber plus fluide, plus gracieux, renforcé par un col qui généralement place bien autour du cou.

Généralement, le polo tricoté n’a pas de logo. Son élégance sobre se suffit à elle-même. C’est pourquoi il est sélectionné par les marques haut de gamme, comme Dunhill ou Smedley. Il est plus élégant sous une veste d’ailleurs, car il y a une relation esthétique entre les deux je dirais. Simon Crompton semble ne jurer que par le polo en maille l’été :

L’idée du blog de ce soir n’était pas de trancher forcément. Il n’y en a pas un mieux que l’autre. Il y a juste deux approches, qu’il est intéressant d’avoir en tête. Pour mieux choisir. Reste que le polo en maille est généralement proposé autour de 200 euros. Cela en fait donc un luxe.

Belle semaine et bonne soirée. Julien Scavini

Ce soir, j’ai écouté (plusieurs fois) pour écrire ce billet, la symphonie numéro de 7 de Sibelius, mon compositeur préféré peut-être. D’une poésie à couper le souffle.

Monsieur Erdoğan

Les turcs sont appelés aux urnes pour élire leur Président. Le résultat n’est pas tombé hier, un second tour aura lieu. L’occasion de se pencher sur le sortant. Recep Tayyip Erdoğan est un homme élégant. Voilà bien un angle rare pour parler du Président de la République de Turquie. Il est plus souvent question dans nos médias de son discours conservateur, teinté de religiosité, et parfois anti-occident. Mais mon blog n’est pas là pour parler politique. Je m’amuserais que cet article soit perçu comme du poil à gratter.

On peut parler vêtement. Et c’est mon angle. L’homme de 69 ans est un équilibriste au goût esthétique plutôt très sûr. Rien que sa moustache le prouve. Qui a déjà tenté l’expérience sait qu’il faut de la patience pour entretenir cette petite subtilité capillaire.

Monsieur Erdoğan sait bien s’habiller, ce qui est fort rare chez les politiques, dans le monde. De prime abord, on pourrait peut-être penser à une garde robe un peu orientale. Que les iraniens savent manier, à mi chemin entre tradition européenne et formes à l’indienne. Mais le Président turc s’habille à l’occidentale. Résolument.

En 1994, il est élu maire d’Istanbul sur la base d’un programme de lutte contre la corruption. Il est acclamé pour ses efforts visant à remédier aux pénuries d’eau, à la pollution et au chaos de la circulation. Il porte alors fièrement les vestes croisées et le blazer croisé à boutons dorés. Quant à cette chemise à carreaux, très sport, portée avec le blazer, elle est intéressante et dénote déjà, un grand sens de l’esthétique anglaise.

Il préfère maintenant la veste deux boutons, permettant de mieux mettre en valeur ses cravates, qui sont forts nombreuses, et forts bien choisies malgré quelques curiosités parfois ! Souvent à micro-motifs, parfois club ou paisley, de couleurs froides ou chaudes, voilà une variété à faire pâlir. Un florilège trouvé en quelques instants sur google, dont le seul bémol serait peut-être les nœuds, souvent un peu gros :

Lorsqu’il porte un manteau, il est long et l’écharpe est parfaitement placée. La photo avec Donald Trump pouvant, j’en ai bien conscience, faire bouillir l’eau bénite, je mets également une photo avec le Président ukrainien, pour rééquilibrer mon karma :

En veste sport à carreaux et chemise à col boutonné, il montre par ailleurs un savoir-faire même dans ce registre moins facile. Il en fait même une marque de fabrique. Ses vestes à carreaux sont même copiés par des édiles turques avides de faire du genre, comme le Président. Voir cet article. Ou cet autre article. Ses vestes sont élégantes. Un peu vieux style, mais c’est un style. Depuis Jacques Chirac, je crois qu’aucun Président ici n’a montré savoir ce qu’est une veste sport. Une variété tout à fait singulière dans le monde stylistique moderne.

Mention spéciale pour cet accord, correct du point de vue des canons masculins, mais osé :

Côté costume, il ose les rayures, parfois franches, mais jamais criardes. Il ne se contente pas du col classique, ses vestes ont parfois de généreux revers en pointe. Il n’hésite pas à porter le gilet. Sélectionne des tissus chatoyants et parfois de la flanelle. Quelques vestes, jamais trop près du corps, présentent aussi une poche ticket. Un inventaire de (très) bon ton que le tailleur applaudit. Quelle variété n’est-ce pas ?

Alors évidemment, je crains d’ici, non des représailles, mais des railleries. Sur un blog repère de je ne sais quoi… Vais-je oser écrire sur Kim Jong-un et Bachar el-Assad ? Je ne suis pas là pour faire l’apologie d’un homme, d’un mouvement politique ou même d’un pays. Simplement pour faire remarquer. En l’occurrence, qu’il y a chez monsieur Erdoğan un sens de l’esthétique. Et qui plus est, un traditionalisme totalement en phase avec ce qu’ici, nous appelons le style anglais. Un traditionalisme que d’ailleurs ici nous tâchons de faire disparaitre. Une culture vestimentaire, la nôtre, qui est maintenant moquée, vilipendée. Dès lors, j’apprécie ce panorama général et particulier d’une penderie bien élégante et variée.

Mais d’ailleurs, les turcs en ont connu un autre qui fut (très) très élégant. C’était Atatürk :

Là dessus, je vous souhaite une belle semaine !

Julien Scavini

La tête de manche ronde et fuyante

La semaine dernière nous avons évoqué la manche montée avec une cigarette, donnant une tête de manche légèrement bombée et rembourrée. Un montage est une technique tailleur ancestrale, dont les variations ont pu être constatées à travers les époques, et suivant les lieux. Cette tête de manche bombée que les italiens appellent « con rollino » n’est pas plus italienne que française. Elle est transnationale.

Toutefois, il est intéressant de constater aussi qu’à travers les époques, ce « roulé bombé » n’a pas toujours été recherché. J’ai évoqué la semaine dernière le XIXème siècle comme instant d’apparition de cette légère structure. Sous l’Ancien Régime, les habits n’étaient pas encore coupés avec l’aisance que les anglais vont codifier ensuite.

L’habit de tradition aristocratique, qu’il soit taillé à Paris par des tailleurs français ou d’origine italienne, est un justaucorps étriqué. Un collant qui moule l’homme. Pour trouver l’aisance dans les mouvements, les patronages adoptent des coupes tout à fait baroques, comme des manches très coudées ou des emmanchures cisaillant le dessous de bras. Le corps de l’homme est littéralement ventousé dans un habit d’Ancien Régime. On se demande comment y rentrer, mais une fois dedans, c’est comme une combinaison.

Cet habit ne présente absolument aucun relief à l’épaule. L’épaule n’est pas rembourrée d’ailleurs. Et la manche file avec rondeur, comme vous pouvez l’observer sur ce portrait de Louis le XVIème.

Et pour prolonger un peu cette plongée picturale et historique dans les épaules plongeantes, observons ces tableaux de Thomas Gainsborough. Oh merveilles !

Observons aussi cet habit passé en vente aux enchères. Splendeur du montage à épaules emboitées, étroites et rondes :

J’ai eu la chance il y a quelques années de voir un habit qu’un client m’avait demandé de restaurer, d’époque Charles X. L’épaule était montée en couture ouverte. Autrement appelée épaule ronde. La laine était tissée très densément à l’époque. Elle était peu élastique. Alors, pour laisser un peu d’aisance au bras, il ne fallait pas trop lisser les lignes. Il fallait ménager un peu d’aisance. C’est ce que l’on voit sur cette redingote de Napoléon exposée à Malmaison. Il y a présence de fronces :

Au XIXème siècle, on n’aimait plus ces fronces. On pensait qu’elles étaient le signe des mauvais tailleurs certainement. C’est pourquoi la cigarette fut inventée. Pour venir, par l’intérieur, pousser l’étoffe et la tendre.

Ces fronces, les tailleurs vont par tous les moyens essayer de les éradiquer au XIXème siècle. Observons ce portrait du Prince Consort du Royaume-Uni, Albert mari de la Reine Victoria. L’épaule est à peine bombée. Et la tête de manche est maintenant un peu plus nette, plus contemporaine.

Nous sommes encore dans une époque qui n’aime pas les fronces en tête de manche. Pour la plupart de mes clients, les dames en particulier qui observent tout, une fronce sur une manche, c’est signe de mauvais montage. Cela ne fut pas toujours le cas. Et puis en Italie, la fronce est même devenue une caractéristique de goût.

Quelle différence maintenant entre une tête de manche ronde, à couture ouverte, modèle ancestral, et une tête de manche dite napolitaine ? On devrait plutôt l’appeler « spalla camicia », car au fond, pourquoi napolitaine ? Les italiens de diverses villes s’enorgueillissent de faire cette épaule, avec ou sans fronce. Comme une chemise donc.

Dans ce montage, la couture de tête de manche n’est plus ouverte. Elle est carrément renversée vers l’épaule, couchée vers l’intérieur. Parceque c’est assez technique et difficile à faire, elle ne se répand pas plus que ça. Il faut trouver des moyens techniques pour faire tenir ce montage en place. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais là où l’épaule ronde est maitrisable, l’épaule napolitaine demande un petit savoir faire.

Ensuite, ce montage est permis par la relative finesse des tissus d’aujourd’hui. Allez essayer de coucher un lainage lourd et raide, ce n’est pas facile. Lorsque le tissu est un peu épais comme du Harris Tweed, la couture napolitaine crée de l’épaisseur. Une épaisseur qu’il faut écraser durement pour garder l’épaule bien nette. Cette épaisseur, si on l’inverse pour créer une manche à cigarette, c’est tellement plus logique.

Enfin bref, c’est un peu compliqué comme laïus. Retenons une chose. Historiquement, c’est plutôt l’épaule ronde, à couture ouverte, qui a les faveurs des élégants et des tailleurs. C’est le XIXème siècle, perfectionniste, qui a cherché à donner du galbe et de la netteté aux lignes, par la création de la cigarette, qui elle-même, suivant les époques, a pu être plus ou moins marquée. Enfin, à l’orée du XXIème siècle, ce montage si baroque à fronces, passage obligé d’un habit d’Ancien Régime refait surface. Et plait… La mode, éternel recommencement ?

Voici pour finir un petit comparatif trouvé sur google : épaule à cigarette (bombée), épaule ronde à couture ouverte (plate), épaule napolitaine à couture couchée (en creux). Faite votre choix :

Belle et bonne semaine, Julien Scavini.

Cette semaine, c’était Radu Lupu que j’écoutais, dans le Concerto pour piano no 1 de Brahms…

La tête de manche bombée, à cigarette

Grâce à (ou à cause de) la profusion d’informations disponible principalement sur internet, le passionné se perd parfois un peu. Youtube, instragram, les blogs, les forums, autant de sources, autant d’auteurs, autant de points de vue qui peuvent faire perdre le sens profond d’une information et même la transformer. Pour qui n’est pas très précis et super informé, il est parfois difficile de s’y retrouver dans le monde de l’information sartoriale en particulier. Combien de clients m’ont parlé d’une « émanchure » quand ils faisaient référence à une « emmanchure ».

Le point le plus notable concerne les épaules. S’il est normal que chaque tailleur manuel (dit de grande mesure) ait sa façon de monter une manche, il est anormal d’en tirer une règle ou une conclusion de portée générale. Vous n’imaginez pas les fables que l’on me présente lorsque, lors d’une prise de mesure, je questionne ce point de la veste.

Lorsque certains clients voient la tête de manche légèrement bombée, dit montage avec cigarette, ils reconnaissent cela en me disant, « c’est bien ce montage romain ? » D’autres, dans une confusion absolue croient qu’il s’agit de l’épaule napolitaine. D’autres me demandent si c’est plus italien comme façon de monter les manches. Ou est-ce que c’est français ainsi ? Je fais toujours un peu les yeux ronds.

Et puis il y a le padding. J’ai horreur de ce mot qui a été balancé à tord et à travers sur internet et qui ne veut plus rien dire du tout ! Le padding est une partie du sujet de l’épaule et de la manche, qui ne dissocie pas hélas l’épaulette, l’entoilage et la cigarette. Nous y reviendrons ultérieurement.

Donc, je crois important de repositionner les bases et de donner une (la?) référence. Commençons par les manches, et leur montage.

La seule méthode pour monter une manche, depuis au moins un siècle et demi, c’est le montage bombé avec un petit rembourrage. Ce rembourrage est appelé en France la cigarette. C’est ainsi que font tous les tailleurs, en Angleterre, en France, en Italie ou en Espagne. C’est ainsi que l’on monte une manche. On la coud sur le corps au niveau de l’emmanchure. Et pour que ce montage soit joli et pas gondolé ou froncé, on met un petit peu de feutre et de crin sous forme de la cigarette. Ce petit rembourrage rend la tête de manche net.

Pourquoi fait-on ce petit bombé me direz-vous? Je viens de l’écrire. Pour rendre net le montage de la manche. Mais aussi pour donner un peu d’aisance. Car ce petit bombé, c’est en fait une réserve de tissu pour le cas où vous tendez le bras, où vous bougez. Le bombé donne un peu de « mou ». Toutefois, je tiens à nuancer immédiatement : c’était vrai lorsque les tissus étaient raides et denses. C’est bien moins vrai avec les tissus actuels, forts souples et tendres.

Ensuite, ce montage bombé peut présenter des spécificités locales ou historiques.

L’idée de structurer un peu la tête de manche pour la démarquer un peu de l’épaule apparait probablement vers 1800. C’est la découverte peu à peu du vêtement moderne d’essence britannique. Un vêtement mieux patronner, mieux régler sur le corps, qui suit des règles précises patronage.

La première itération spectaculaire de cette manche qui trouve un peu son autonomie sur le buste apparait juste après la Révolution Française. Un courant de mode spécial dandy dirons-nous. D’une extravagance forte. Ces « incroyables » font rembourrer leurs têtes de manches. Ils se donnent des airs avec leurs cols hauts et leurs manches en gigot. Cette esthétique va fortement influencer la mode masculine, et cela tout au long du XIXème siècle, qui voit des épaules grosses ça et là. Voyez cette gravure. Quelle décadence des épaules !

Toutefois, la norme reste une tête de manche raisonnable. Comme vous pouvez le voir ci-dessous à l’aide de photos de la fin du XIXème siècle. On voit bien ces manches à cigarette. Premier clichés, les frères Caillebotte, avec de jolies épaules tombantes (très peu épaulées) mais une tête de manche gentillement bombée :

On pourrait aussi voir le manteau (ou le paletot ?) d’Eugène Delacroix :

Spécificités historiques donc.

Et locales ensuite. C’est là que la magie contemporaine opère. Où des tailleurs italiens se targuent d’utiliser comme cigarette une feuille de cuir de chèvre, pour faire une tête de manche molle. A Paris, spécificité locale importante, les deux grands tailleurs indépendant de la place, Cifonelli et Camps de Luca forcent un peu cette cigarette, en modifiant le tracé de la tête de manche. Sur cette photo de Lorenzo Cifonelli, on retrouve presque ces épaules des « incroyables ». Est-ce une sorte de tradition française de forcer un peu ce trait ? Voilà une bonne question de thèse de recherche.

Fondamentalement, c’est toujours une épaule cigarette. Mais c’est un savoir poussé à l’extrême, presque une démonstration de « know-how » comme disent les anglais. Voyons par exemple chez Henry Poole à Londres. La cigarette est là. Moins marquée, plus classique :

Et chez Liverano & Liverano ? Voyons sur Simon Crompton. Elle est présente aussi cette petit cigarette :

A la fin de ce court exposé, une chose à retenir, monter une manche avec une petite bosse, c’est normal, c’est ainsi que l’on fait chez les tailleurs. Et ce n’est pas parce que certains blogueurs ont appelé ça « rollino » que ça veut forcément dire que c’est italien… !

La semaine prochaine, on voit ensemble la tête de manche sans cigarette. (Ou presque.)

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Pour écrire cet article, j’ai écouté de Rimsky Korsakov, son Scheherazade par Leopold Stokowski avec le LSO.

Mon avis sur (De) Fursac

On me demande fréquemment ce que je pense de la marque De Fursac, qui il faut le reconnaitre, est depuis bien longtemps ancrée dans le paysage stylistique français. La marque est ancienne. Les anciens l’appellent encore « Monsieur de Fursac ». Le nom de la marque est tiré du nom d’une ville en fait, Saint-Etienne-de-Fursac, où furent installés les ateliers.

Je n’ai jamais su trop quoi penser de cette enseigne et je n’en disais donc rien. Je notais juste que beaucoup de clients se plaignaient de tissus trop fragiles aux pantalons. De mon côté, je leur rétorquais que précisément, les costumes se vendaient bien car ils étaient légers, souples. Et que cette réflexion au fond était un peu schizophrène. Déplorer les conséquences d’une cause appréciée, c’est un classique.

Je n’étais pas très sûr de savoir où positionner De Fursac. Style proche de celui de Dior, mais moins cher. Esthétique pas très loin de A.P.C. mais plus orientée costume et ville que cette dernière. Esprit relativement parisien. Prédominance du noir. Moi qui étais plus proche de l’élégance d’une maison comme Hackett, vantant la countrylife anglaise, je n’étais pas clients. Mais nombre d’amis dans les tours de La Défence aimaient De Fursac. Et surtout ses soldes, qui furent longtemps très attractives.

Un jour, je demandais à un grand industriel français du textile son avis sur De Fursac. Devant ma moue interrogative, il fut très clair et très net. « De Fursac, c’est LA référence du costume en France. C’est eux qui définissent le cahier des charges de référence, et créent le rapport produit-prix. C’est l’étalon du costume sur le marché national. Un costume De Fursac sortie des usines de France, c’était la Rolls de ce qui se faisait, en France, avant que la marque ne décide d’aller produire à l’Est de l’Europe ». Dont acte. Ci-dessous, visuels récents, au petit esprit Attrape moi si tu peux avec Léonardo DiCaprio :

Dès lors, je me mis à regarder avec plus de sérieux les vitrines de De Fursac, ainsi que ses campagnes de publicité. Quelqu’un de sérieux m’avait dit que c’était la référence. Alors soit, je le prenais au sérieux, et ne trouvais rien à redire à mes amis en De Fursac. Quand aux clients cités plus hauts, je continuais le même discours qu’avant. On aime ce qu’on achète et inversement.

Et puis voilà, la marque a été rachetée par SMCP, un gros groupe textile. Un nouveau directeur artistique est arrivé, Gauthier Borsarello jadis commentateur de mes humbles articles ici. Je ne pouvais que me dire, espérons qu’ils fassent bien les choses, ce n’est vraiment pas une industrie facile le textile. Même dans un secteur en croissance comme l’habillement masculin, ce n’est vraiment pas simple. Il faut tirer son épingle du jeu sur un marché national aux prix serrés, face à des acteurs internationaux très lourds (Hugo Boss, Suit Supply, Boggi éventuellement, etc…).Il faut avoir les bons codes, les bons réflexes de style.

Le fait est que les silhouettes proposées sont très élégantes  maintenant, et bien moins fades que par le passé. La maison surfe sur un léger revival des années 80 et 90 très à la mode et porté par un créateur jeune quadragénaire. Le catalogue présente des vêtements bien choisis (manteau long cet hiver, blouson dans de belles matières, col roulé à l’italienne, etc… Un petit mixte entre les parisiens A.P.C. , Husbands, Beige Habilleur, Dior, et les mastotodontes Ralph Lauren ou Gant. Les deux manteaux ci-dessus sont très beaux. Et ci-dessous : certes le mannequin au sourire froid d’humanoïde ne m’inspire pas. Mais les tenues sont très belles. Beaux mocassins, belles chemises aux cols généreux, cravates amusantes. Un peu esprit Wall Street 1990.

Surtout, ce que j’apprécie par-dessus tout, c’est le nouveau positionnement tarifaire. J’ai vu au CNIT jeudi dernier une vitrine présentant un pantalon en coton blanc, net, au prix de 255 euros, avec des petits ajusteurs sur le côté. Voilà un produit avec une bonne marge. Donc, une marge permettant de vivre et de se développer, une marge rémunérant un groupe et ses travailleurs, en particulier les vendeurs dans les boutiques. Sur un marché national qui s’éteint de sa propre recherche du prix toujours plus bas, c’est un signe salutaire. Un produit vaut quelque chose.

Les jeunes marques digitales ayant érigé comme un dogme l’annihilation des intermédiaires, pour vendre au prix le plus « honnête » en direct d’usine, ont renchéri sur ce phénomène franco-français. Loro Piana avait fait une étude sur ses marchés tissus, et avait découvert qu’en France, c’était le pays où il était possible d’acheter un costume en tissu Loro Piana le moins cher au monde. C’est ahurissant.

Cette politique prix de Fursac (la marque a perdu son DE, à tord ou à raison… ?) m’est apparue heureuse. On ne crée pas une envie de marque, une image, un désir en donnant ses produits. Au contraire. « Qui trop embrasse mal étreint » ai-je lu quelque part. C’est assez vrai. En même temps, le consommateur n’a pas un portefeuille extensible et donc il y a une friction de marché. Je ne sais pas du tout où en est la maison Fursac. Elle a ouvert à Londres. Va ouvrir à New-York.

On peut lui souhaiter bonne chance je crois. Voilà une jolie enseigne qui propose de jolis produits. Dessinés à Paris. Soyons orgueilleux de notre patrimoine économique. Voilà mon avis en fait.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

J’ai écouté ce soir pour rédiger cet article, Les Nocturnes de Claude Debussy, par Pierre Boulez.

D’où vient le cran parisien         

C’est une question que l’on me pose assez souvent. Mais d’où vient le cran parisien? Pourquoi l’est-il d’ailleurs ? La première chose à faire est de caractériser cette forme de revers de veste.

Le cran parisien désigne la forme particulière que prend l’encoche séparant – ou liant – le revers de la veste et le col. Posons d’abord le référentiel, soit le cran normal, que les anglais appellent « notch lapel », formant une sorte de coin à presque 90°. Dans ce cran, la ligne d’anglaise (la couture liant revers et col, en rouge) est rectiligne et descendante. Le col lui épouse l’anglaise, puis s’en éloigne d’un coup, formant le cran ouvert. C’est la contre-anglaise, en vert.

Dans le cran pointu, une autre forme traditionnelle issue de l’École anglaise, la ligne d’anglaise se brise en deux. Elle est d’abord descendante, puis montante. Et le col épouse cette anglaise. Par couture d’abord, par simple jonction ensuite. Voyez ces schémas :

Le cran parisien se caractérise par une ligne d’anglaise brisée, descendante d’abord. Et moins descendante ensuite. Elle vient « taper » le bord du revers en formant un angle à 90° environ. Le col épouse l’anglaise, puis à l’instar du col normal, s’en éloigne. Mais s’en éloigne relativement peu.

De fait, l’ouverture du cran est légèrement plus fermée. Il existe quelques variantes, suivant les tailleurs, ou suivant que la veste est 2 ou 3 boutons. L’équilibre y est très subtil, entre dessin pur et lignes moches. La symétrie est très importante aussi. Et ce cran présente mieux s’il est un peu plus bas. Sur mon petit schéma ci-dessous, on pourrait penser que le canonique, à la Camps de Luca est ne n°2 et le Smalto, quelque chose entre les deux derniers :

Globalement, le cran parisien se caractérise donc par une ligne d’anglaise brisée et un cran peu ouvert, que les italiens appellent « bouche de loup » ou les anglais « bouche de grenouille ». Et je crois avoir entendu bien d’autres termes que j’ai oublié. D’une certaine manière, le col du polo-coat est une forme de cran parisien.

Toutefois, est-ce à Paris que l’on a inventé ce cran ? Certainement pas. Mais c’est à Paris qu’il est resté une forme de tradition, remise au goût du jour dans les années 60/70 par un certain Joseph Camps, qui eut un élève, Francesco Smalto. D’une certaine manière, tous les deux ont creusé le sillon de ce revers élégant. Qui n’était pas le revers des autres tailleurs avant et après. Evzeline, Cardin, Cifonelli n’utilisaient pas cette forme. Que vous n’avez pas vu sur Jean Gabin, ni Alain Delon, ni Philippe Noiret.

Les frères Grimbert chez Arnys avaient mis ce revers à l’honneur, mais cela uniquement sur la fin, après l’an 2000. Car avant, les vestes Arnys n’étaient pas ainsi coupées. Mais en revers anglais normal. La tradition infusait un peu et devenait distinctive. Marc Guyot est de ceux qui ont vu l’intérêt de cette ligne de revers et en ont fait un argument esthétique. Le tailleur japonnais Kenjiro Suzuki a aussi compris l’intérêt de cette ligne.

Quelques Présidents africains, le Roi du Maroc, et d’érudits industriels ont vu aussi là une griffe caractéristique, qui ne fait pas costume anglais. Admirez ci-dessous, Omar Bongo. Félix Tshisekedi. Macky Sall. Paul Biya. Patrick Drahi. Globalement, les états d’Afrique francophone sont plus enclins à aimer le cran parisien. Al Sissi en Egypte s’en fiche bien. Que de beaux costumes finement coupés n’est-ce pas :

Ce cran parisien est une marotte des tailleurs de la capitale française depuis les années 70 disons. Toutefois, on en trouve des traces auparavant. Et pas qu’en France. Aux États-Unis, il était une forme assez répandue en fait. Admirez ce portrait officiel de Richard Nixon :

De mon côté, j’en avais vu un dans Columbo, très ostentatoire, très opulent. En fait pour les tailleurs, il semble que cette forme est / était une sorte d’étude technique et esthétique, entre le cran classique et le cran en pointe. Une variante du cran en pointe en fait. Et encore avant les années 70, dans les années 1920, cette forme de revers était utilisée. Même assez caractéristique des années 20. Voyez Charly Chaplin et deux fois Rudolf Valentino :

Lorsque la télévision diffuse des images d’archives des années 20, je me mets à scruter très attentivement l’image, les personnages et les arrières plans. Non pas que j’y cherche un copain perdu de vu. Mais ces formes de revers justement. Ou de poches. Ou les épaules. Pour voir comment on faisait, quelle était l’esthétique exacte. Ainsi, je peux le dire à force d’expérience, le cran parisien ne l’est pas vraiment. Toutefois, reconnaissons qu’il est actuellement un trait distinctif des tailleurs de la capitale.

Je vous souhaite une belle et bonne semaine. Julien Scavini.

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Quelle musique ai-je écouté pour écrire cet article? L’Introduction et Allegro op 47 d’Elgar. Et plusieurs fois le Sospiro op 70, par Sir John Barbirolli.

Petit rajout suite à un commentaire avisé :

Grain de poudre

Le smoking s’attire toujours les faveurs des élégants. Il y a ceux qui sautent le pas pour le plaisir d’être parfaitement vêtu lors des soirées « black tie ». Et il y a ceux qui à l’occasion de leur mariage veulent une tenue remarquable et qui sort de l’ordinaire.

Les très rigoristes bien sûr vont ergoter sur l’ineptie du smoking porté en journée. Je ne peux pas leur donner tort. En même temps, de nos jours où tout est si moche, un beau smoking s’applaudit toujours. Même le jour. D’autant plus que beaucoup de mariés chez moi optent pour le smoking d’été, à veste écrue. Quelle merveille. L’allure de James Bond quand c’est bien fait.

Le tissu ancestral du smoking est logiquement le tissu de la queue-de-pie, son ancêtre. Pour rappel, la tenue composée de cette veste aux basques longues dans le dos, associée avec une chemise à col cassé, un pantalon du même tissu, un gilet en coton nid d’abeille et un papillon du même coton, cette tenue donc s’appelle un frac.

Pour couper queue-de-pie ou smoking, le tailleur propose à son client un tissu particulier que l’on appelle en France un grain de poudre. Définition :

GRAIN DE POUDRE, locution masculine. Tissu proche d’un granité alterné (natté irrégulier 2 à 1) fabriqué en laine peignée très fine ou en soie, d’aspect sec au grain poudreux.

Pour la faire plus compréhensible, le grain de poudre ne fait pas apparaitre le dessin habituel des twill (ou serge = légère trame diagonale) ou des toiles (légère trame de fils qui s’entrecroise orthogonalement). Le grain de poudre a une surface légèrement piquée, un petit peu comme le tissu qui recouvre des enceintes audio on pourrait dire. Voyez ces diverses images à échelles différentes :

Le grain de poudre, c’est le nom français. Dans les pays de langue anglaise, on dit barathea. Mais en France aussi on peut dire une barathea, ou un barathea. Seulement, quelques drapiers interrogés font une distinction entre grain de poudre et barathea. Pour eux, le grain de poudre c’est le fin du fin, une trame dense et serrée. D’où l’impression de poudre. Alors que le barathea, c’est beaucoup plus grossier. Et de conclure, de toute manière, le grain de poudre ça n’existe plus, y’a plus que du barathea. Cette manche au dessus, c’est du barathea. On le voit sur les boutons. C’est trop granuleux pour être du grain de poudre.

Pour avoir assez souvent observé des habits du siècle précédent, je peux confirmer que les grains de poudre que j’ai vu était d’une densité incroyable. Il faut tirer l’aiguille avec une pince pour arriver à coudre un bouton dedans. (Presque).

Le grain de poudre, ou la barathea, peuvent être noir, ou écru. Ou bleu. Ou rouge même, pour des uniformes de la garde royale anglaise. Bref, comme on veut.

Mais ce n’est pas non plus obligé. Un autre tissu adapté à un smoking, surtout un smoking d’été est la toile. Qui lorsqu’elle est un peu grosse, disons composée de fils un peu épais, peut prendre le nom d’hopsack. Souvent, ces toiles ou hopsack ne sont pas 100% laine, mais laine et mohair. Le mohair apportant un brillant et une raideur bienvenus. Cette toile un peu forte type hopsack, elle est en photo ci-dessous :

Et puis il y a aussi la faille. Ahaha voilà une armure rare. La faille, définition :

FAILLE, nom féminin. Tissu, toile de soie ou de fibre artificielle, moins brillante que le taffetas, à grains très marqués. Des côtes transversales se dessinent à la surface du tissu. Elles résultent de l’utilisation de filés de soie organsins en chaîne et de gros fils de soie ou de coton glacé en trame, ou encore de l’introduction simultanée de plusieurs duites dans le même pas. Le tombé de la faille est raide mais élégant. Autrefois, la chaine était en soie cuite.

Voilà pour cette définition qui est un bonheur de langue française, mais bien difficile à saisir. Ce que l’on peut rajouter est que la faille se fait aussi en laine. Et qu’une faille de laine peut très bien être utilisée pour couper un smoking. Il aura une tendance entre mat et brillant. C’est difficile à décrire, mais c’est très beau. La faille, c’est plus brillant qu’un twill tout bête. Mais moins brillant que du satin, comme le montre peu clairement la photo ci-dessous :

D’ailleurs, en parlant de cela, évoquons les revers du smoking noir. Le tissu qui les recouvre n’est pas du satin comme les clients me disent souvent. Mais de la faille justement. Faille de soie lorsque l’on a (énormément) d’argent, faille en matière artificielle dans tous les autres cas. La faille est un tissu luisant, mais pas brillant. Elle fait un contraste très subtil avec le tissu du corps, sans pour autant être brillante. En fait, la différence entre le lainage du corps et la matière du revers doit à peine s’apercevoir. C’est justement là que l’on remarque un smoking acheté chez Tati. Ses revers sont brillants, en satin (ou taffetas). Erreur, les revers brillants, c’est pour les vestes de fumoir en velours. Que les anglais appellent « smoking jacket ». Mince, on va se perdre… !

Enfin dernière option, des revers recouverts en cannelé, aussi appelé ottoman, aussi appelé reps suivant les matières. L’ottoman c’est en laine ou en coton ou en matière artificielle, le reps, c’est en soie. Ces cannelés sont striés horizontalement, pas verticalement. Du plus bel effet :

Voilà de quoi alimenter les débats sartoriaux les plus érudits! Ou simplement enrichir son vocabulaire de mots nouveaux. Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Une devinette doublée d’une drôlerie [réponse]

Au fil d’heures de ratissage des bases de données de wikimedia commons, je trouve et j’enregistre moult images. Dont celle-ci, Churchill pendant la guerre. Je ne crois pas trop me tromper en disant que les trois armes y sont réunies. Croisé de Marine à 4 rangs de boutons et teinte profondément navy à droite. Veston de l’Air à gauche en teinte logiquement… air force blue… ou RAF blue, (en prononçant longtemps le Raaaffff) et teinte terreuse pour la Terre. C’est si élégant.

En plus, il y a dans cette photo une drôlerie je pense. Une invention. Je vous laisse observer cette photo et mettre en commentaire quelle peut bien être cette drôlerie. Et demain ou après-demain, je donne la réponse 🙂

A demain, et bon début de semaine, Julien Scavini

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Et en effet, vous étiez nombreux à l’avoir vu… la fermeture à glissière, autrement appelée fermeture éclair, autrement appelée zip… sur les richelieus noirs de Winston Churchill! Plus simple que les lacets. Plus simple que la fermeture à boucle. Et avant le scratch. Quelle idée ergonomique. Jamais vu cela ailleurs ! On osera pas poser la question du bon goût, Churchill par ses origines et ce qu’il fit de sa vie avait tous les droits en la matière !

Je ne l’avais pas fait remarquer hier de peur de mettre la puce à l’oreille, mais l’accord entre le cuir des souliers et des uniformes est implacable. Souliers noirs pour l’Air Force et la Royal Navy, et encore mieux, des richelieus! Souliers marron pour l’Armée de Terre, et encore mieux, un derby. Voilà un bel exemple de dignité vestimentaire.

Quant à la pochette sur le croisé militaire, quelle merveille. J’espère que ce petit exercice d’observation vous fut d’un agrément des plus plaisants!

A bientôt

Le croisé, une question au carré

Sur la photo du Prince Michael de Kent (pour ceux qui ne le savent pas, un cousin germain d’Élisabeth II) publiée la semaine dernière, Monsieur A. à la boutique m’a fait remarquer le positionnement très bas des boutons. Il est vrai que les passepoils des poches côtés se retrouvent placés comme au milieu du carré de bouton.

C’est qu’à la fois les poches sont assez hautes en fait (pour ma part je les aurais placé un peu plus bas), et qu’à la fois le carré de boutons est assez bas. Cette position, je la trouve pour ma part assez bonne. Si l’on cache les poches, on remarque un placement des boutons un peu bas certes, mais cela permet de donner un V assez marqué pour placer de généreuses et opulentes cravates.

Soit le tailleur aurait pu descendre un peu les poches. Soit il aurait pu remonter un peu les boutons. Ce que cela nous montre, c’est qu’il n’y a jamais une seule bonne réponse en art tailleur.

Ce qu’il faut avoir à l’esprit, c’est qu’à cause de sa croisure double, le V de la veste croisée se trouve rogné un petit peu. Un boutonnage haut sur une veste croisée donne un V court, similaire à une veste droite à 3 boutons. Un boutonnage placé plus bas, comme sur le Prince permet de dégager un V digne d’une veste droite à 2 boutons, à peu près. Voyez plutôt ce dessin :

Mais aujourd’hui, j’ai envie de vous parler un peu de ce carré de boutons devant. Sur le Prince Michael de Kent, les boutons sont disposés devant en formant un carré fort scrupuleux.  C’est tout à fait satisfaisant pour l’esprit. Une sorte de quadrature.

Cela dit, est-ce que le carré est digne des proportions de l’Homme ? Pourquoi un rectangle aux proportions d’or ne serait-il pas mieux ? Un rectangle posé à la verticale, plus haut que large. Après tout, lorsque les drapiers dessinent des prince-de-galles et autres carreaux-fenêtres, ils ne dessinent jamais des carrés. Mais des rectangles verticaux. Car le rectangle vertical sied mieux à la verticalité du corps humain.

C’est avec cette logique que bien des tailleurs et stylistes composent le croisé. Et ce faisant, ils définissent plutôt un rectangle devant, vertical. Deux paramètres donnent ce rectangle un peu vertical : d’abord une croisure moindre, ensuite un corps relativement mince.

Car c’est le grand défi du croisé. Lorsque le porteur est mince, fluet, élancé, on manque un peu de tissu devant pour bien réaliser le carré de bouton. On ne peut pas trop forcer la croisure, car alors le bord du devant viendrait embrasser la poche. Et on ne peut pas non plus repousser la poche vers le dos, car alors celle-ci irait chatouiller la fente dos. Il y a un équilibre subtil à trouver et placer les quatre boutons un peu en forme rectangulaire vertical est obligatoire.

De là à dire que le croisé est plus facile à caler sur quelqu’un de corpulent, il n’y a qu’un pas que je peux bien franchir.

D’ailleurs, à l’inverse exactement, lorsque le client a un peu de « surface », il est aussi possible dans certaines circonstances d’obtenir un croisé avec des boutons disposés en rectangle… horizontal. C’est encore bien autre chose. Les stylistes de chez Ralph Lauren sont assez tentés par cela, comme une disposition un peu forcée du croisé, un stéréotype un peu outré. C’est ainsi que l’on forge des images.  

Ci-dessous : le carré, le rectangle vertical, le rectangle horizontal :

Pour finir, revenons au carré. Au bon carré bien régulier. Ses dimensions peuvent varier. Les tailleurs un peu « tradi » ont tendance à faire des petits carrés devant. Moi je trouve cela trop chiche. Le Roi Charles porte un peu comme ça. Petit croisé. J’aime mieux lorsque le carré prend une belle dimension, disons 12cm de côté. Au lieu de 10cm comme chez Charles. C’est subtil vous me direz.

Il est vrai. Le croisé, c’est fort subtil à bien dessiner et à bien calibrer. Et il dépend un peu de chaque client, de sa corpulence et de son rapport hauteur largeur. Quel art… ! Interprété avec diversité aussi bien par les tailleurs que par les clients ! & bloggeurs…

Ci-dessous, une image d’un croisé Ralph Lauren et une autre du Roi Charles, avec son petit croisé de boutons… et sa rustine en bas à gauche de la veste :

Bonne semaine, Julien Scavini

Les boutons du croisé

Si le croisé 6 en 1 façon années 90 revient un peu sur le devant de la scène sartoriale (à cause ou grâce à Lorenzo Cifonelli?), le modèle classique reste toutefois le 6 en 2. Soit pour celles et ceux qui ne suivraient pas, 6 boutons visibles sur le devant, dont 2 se boutonnent du côté droit.

Ce faisant, s’il y a 2 boutonnant à droite, il y a en retour 2 décoratifs à gauche, question de symétrie. Certains stylistes se sont essayés à l’asymétrie. Ainsi qu’un client une fois qui m’avait demandé de ne pas disposer les boutons ne « servant à rien ». C’est un style…

Le croisé classique 6 en 2 présente sur le devant 4 boutons disposés en carré. Plus deux boutons un peu plus haut, sur les poitrines. Pourquoi? Allez savoir. Probablement une question de silhouette et de forme en V. Le carré seul devant fait un peu pataud, comme ci-dessous à gauche. Ajouter ces deux boutons de manière un peu excentré, ça redonne une ligne à la veste en évasant son dessin vers les épaules. Une veste croisé avec un carré devant, mais sans les deux boutons aux poitrines, c’est tout à fait singulier. Ça fait pauvre. Voyez plutôt :

Sauf si la poche poitrine est plaquée. Alors dans ce cas, on ne met pas le bouton. Cela donne un vieux style de Lord en goguette. Car on ne le coud pas sur la poche. Comme je l’ai vu dans une publicité une fois. Ou une autre fois j’ai vu une médiocre fabrication chinoise qui se voulait sartoriale. Ne sachant pas quoi faire des deux boutons du haut, ils les avaient placés plus bas, en les rapprochant du carré. Quelle curiosité comme sur mon dessin ci-dessous à droite :

A titre informatif, je pense que les deux boutons décoratifs se placent au même espacement que les boutons du bas. Si 12cm, alors, 12cm. La diagonale fera un peu plus logiquement. Voir flèches en orange.

Anglais et italiens n’ont je crois pas la même approche de ce positionnement. Les anglais ont tendances à placer ces boutons proches du centre, donnant un V peu marqué, ci-dessous à gauche. A l’inverse les italiens placent les boutons de manière plus excentrés ci-dessous à droite, accentuant le V. Ralph Lauren est le maître en la matière, avec des boutons de poitrine placés sur les pinces devant. Je fais ainsi presque. J’aime bien. C’est selon les goûts.

Il y a aussi la hauteur de positionnement des boutons du croisé. J’ai tendance à penser que sur un croisé, il faut franchement abaisser ce niveau de boutonnage. Placer les deux boutons fonctionnels plus bas que si c’était une veste droite. En descendant le rang du bas sous la poche. C’est aussi une vision, que ne partagent pas toujours les ateliers.

La semaine prochaine si tout va bien on parlera du carré devant.

Reste enfin une dernière touche de symétrie sur le croisé. Avec une ou deux milanaises au revers… ? Pour moi, c’est deux comme la photo ci-dessous du cousin d’Elizabeth II, Mickael de Kent. Une de chaque côté. Autant aller sur la symétrie jusqu’au bout ! Mais ça aussi, c’est une question de goût !

Amusante photo enfin, autour du Président Truman, l’homme en papillon et croisé clair. A sa droite, un croisé à poche plaquée de poitrine, avec une bouton subtilement cousu au bord de la poche de poitrine… Et vers la gauche, un homme déboutonnant son croisé façon 4 en 1, sans les boutons de poitrine. Tout se fait, tout s’est fait !

Belle et bonne semaine. Julien Scavini

Trois manteaux d’hiver

Petit avertissement en préambule. Cet article totalement ringard illustré par le Roi Charles n’est destiné qu’aux anglomanes avertis. Les amateurs de manteaux modernes, slim et courts peuvent aller voir ailleurs.

J’aurais pu titrer ce billet « trois manteaux d’hiver qu’il faut avoir ». Mais, nous n’avons pas tous les moyens de crésus, et nous ne sommes pas tous né chez les Windsor. Et j’ai bien conscience que l’époque actuelle ne nécessite pas une telle débauche sartoriale. J’ai déjà écrit ça et là sur le manteau sans forcément ressentir le besoin de donner une réponse définitive. Mais le temps passant, je me fais une idée plus sûr des choses.

Je vous présente ce soir trois modèles de pardessus. J’aurais pu n’en proposer que deux ou au contraire quatre. Toutefois, à force de regarder des films en noir et blanc, des séries anglaises des années 90 mais dépeignant les années 50 ou 30, à force aussi de passer en revue des photos anciennes, je suis arrivé à ces trois modèles. Que par ailleurs le Roi Charles corrobore presque.

Ces trois modèles sont d’hiver. Chauds et lourds, coupés dans des molletons de laine. La gabardine un peu mi-saison, comme le manteau en whipcord, le fameux covert-coat, ne font pas partie de cette sélection permettant de lutter contre le froid.

Le premier manteau, l’absolue nécessaire, est je pense un grand croisé. Un pardessus statutaire et résolument urbain. Celui que Michael Douglas portait dans les années 80. Long, généreux, ample. Celui que l’on peut mettre pour aller au travail ou à un enterrement. Celui qui pose un personnage et donne une allure à nulle autre pareille. Je l’ai dessiné en bleu marine, car je pense que cette teinte est plus heureuse que le gris. Et plus moderne, remarquable petite concession à la modernité. Un modèle « charcoal » serait toutefois du meilleur goût aussi. Dans les deux cas, marine ou anthracite, il est possible d’opter pour un col recouvert de velours, marine ou noir. Bien que ce col donne un petit aspect… je ne sais pas, moins habillé peut-être? Plus fantaisiste? En même temps, le col de velours sur un grand croisé, c’est sublime. Premier dessin donc :

Le deuxième modèle est droit, plus simple et moins guindé. Pour être légèrement plus décontracté, je propose la couleur camel. Pour cette teinte, il y a deux choix. Soit fort clair à la manière de Loro Piana qui propose un poil de chameau lumineux et naturel, soit légèrement plus caramel à la manière des anglais, avec un mélange de laine et de cachemire. Cette teinte camel est aussi à l’aise en association avec un costume de ville gris ou bleu qu’avec une tenue de week-end plus décontractée. Elle est polyvalente. Les boutons cachés sont une option. Et le col en velours ton sur ton est une seconde option. Sachez que le velours beige, c’est presque impossible à trouver !

Enfin, dernière proposition d’hiver, dans un crescendo de décontraction, le manteau parfait pour sauter dans un train et dans une automobile rapide, un croisé à col enveloppant, type polo-coat. Réalisé dans un gros chevrons de tweed marronné, il est d’une souplesse parfaite. Ses détails nombreux, parements en bas de manche, poches boite-aux-lettres, martingale au dos, surpiqures voyantes en font un modèle sport.

Comme vous pouvez le constater, je reviens aux origines de Stiff Collar. De la rigueur anglaise et un esprit suranné affirmé. J’ai bien conscience que pour beaucoup et moi bien souvent, la doudoune est la réponse universelle. Mais, ne sommes-nous pas ici pour rêver un peu à de beaux vêtements d’un ancien temps. J’imagine que vous ne serez pas tous d’accord avec ces trois propositions, et c’est bien normal. Il existe tant d’autres manteaux tout aussi légitimes ! Et beaux.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

La doublure du pantalon

Tous les pantalons ont une doublure au niveau de la ceinture. A part les jeans. Une petite cotonnade en plusieurs morceau qui s’appelle la hausse de ceinture et qui double celle-ci, tout en camouflant le haut des sacs de poches. Le terme hausse est curieux. Il vient probablement du verbe hausser. Le dictionnaire donne : « Technique :Objet ou dispositif qui sert à hausser. » On l’aurait deviner.

Rentrons dans la technique. Chez un tailleur, la ceinture d’un pantalon est réalisée en triple épaisseur. A l’extérieur le tissu proprement dit. A l’intérieur contre la chemise, un tissu de coton, de la percaline exactement, faisant doublure. Entre les deux, en sandwich, une toile de lin fort rigide, donnant la structure verticale et le maintien de la bande de ceinture.

En industrie, il n’y a que deux couches. A l’extérieur le tissu proprement dit, légèrement thermocollé. Mais peu rigide. En revanche, la doublure intérieure (généralement en plusieurs bandes) incorpore elle une sorte de toile, un mesh, rigide. C’est le complexe de doublure, préfabriquée par une autre usine que celle qui coud les pantalons, qui incorpore cette sorte de toile qui fait la rigidité de la ceinture. De fait, ce composé, on ne l’appelle plus simplement une doublure de ceinture, mais une hausse. Car c’est lui qui tient la ceinture « debout », verticale et rigide.

Voilà pour cette première information.

Ensuite, parlons un peu de cette doublure qui est présente sur le devant de la cuisse, s’arrêtant sous le genoux. Elle n’est pas en coton elle. Mais en viscose sur les beaux pantalons. En polyester sur les mauvais. Et en soie sur les pantalons cousus à la main, si le client a apporté un bout de soie, à la fois pour faire son intéressant et pour embêter le tailleur avec des fadaises. Cette doublure rend tous les pantalons qui en ont des selvedges…. ahaha. Car cette doublure est coupée perpendiculairement au sens du tissu, et sa lisière (en anglais selvedge) un peu fileuse sert de bord non cousu.

Cette doublure est toujours présente sur les beaux pantalons, de laine. Si le pantalon est en coton ou en lin, cette doublure n’a aucun intérêt. C’est mon avis. Un chino n’a pas besoin de doublure. A priori… En mesure, j’ai l’opportunité de choisir avec mon atelier la présence ou non de cette doublure. Une fois que j’avais choisi de ne pas la mettre dans deux modèles en lin, le client a fait des histoires et j’ai du la coudre à la main… Je ne vous explique pas la galère pour rajouter une doublure dans un pantalon déjà cousu. Dès lors, j’ai tendance par défaut à laisser la doublure cuisse pour ne pas avoir d’histoires.

Cette doublure date de l’époque où la laine grattait. Car avant, oui, la laine grattait. Pourquoi dans les années 70 cette matière a perdu les faveurs du grand public et que le WoolMark a dû lancer d’immenses campagnes marketing pour ne pas faire oublier la laine… Car les anciens petits enfant se souvenaient – avec horreur – de leurs cuisses rougies par la laine qui grattait. Cette doublure cuisse devant est là où le pantalon applique le plus. Pour les laines les plus grattantes, il est aussi possible de doubler la cuisse dos.

Mais alors, de nos jours, alors que les laines ne grattent plus, ou peu, est-il utile de garder cette doublure? Pas forcément. Je me souviens que lors d’un stage chez Camps De Luca, j’avais ouï-dire que les pantalons n’étaient pas doublés. Et bien pourquoi pas. Je me suis fait cette double réflexion l’année dernière. L’été, je portais un pantalon de lin un jour de forte chaleur. La doublure de viscose me plaquait la cuisse et collait. Tout l’inverse des qualités du lin. J’ai fini par défaire le pantalon et araser la doublure en deux coups de ciseaux. Ah, le pantalon gagnait en fraicheur. Et en décembre, alors qu’il faisait bien froid, je sentais l’air froid remonter dans la jambe. La flanelle était agréable. Mais ce bout de viscose sur la cuisse était alors glacé. Désagréable. Dès, je me suis dit, peut-être qu’il est temps de se passer de cette doublure.

D’autant que cette doublure n’est pas simple à gérer avec les tissus fins. Il est obligatoire de lui donner du mou à cette doublure. En bref, d’en mettre plus que la laine elle-même. Avec comme objectif que la doublure jamais ne fasse tirer le tissu extérieur. Il y a un petit tour de main en couture à faire, pour avoir plus de doublure que de tissu. Un problème parfois ressort… le pli de la doublure n’est plus aligné avec le pli du tissu. Et le pli de la doublure se voit à travers le tissu. Et le client n’est pas content. En bref encore, la doublure fait du bazar et le tailleur est fautif.

Alors quant la doublure descend jusqu’à la chaussure, devant et derrière, je ne vous raconte pas le stress si jamais la doublure a un comportement inapproprié. Oui, car dans les tweeds bien grattant, une doublure devant et derrière, intégrale, peut être agréable. Elle peut aussi aider les chaussettes mi-bas à glisser mieux et à ne pas agripper le mollet. Je ne l’ai pas testé moi-même. Parce que l’idée de mettre une matière artificielle pour gainer entièrement un beau pantalon de laine me parait baroque. Je préfère être en contact d’une matière naturelle plutôt que d’une viscose. Mais chacun ses goûts et ses petits trucs !

Alors, avec ou sans doublure cuisse ? Faîtes vos jeux.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Le british-warm

Ce n’est pas tellement aux îles britanniques que l’on pense lorsque cherche la chaleur… (signification du mot warm). Pourtant, on peut accoler ces deux mots, pour former un nom. Et j’ai toujours pensé que c’était un nom curieux pour un manteau. Car c’est bien le nom d’un manteau : le british-warm. En fait, il s’agirait surtout d’un surnom à visée commercial donné par le créateur et pourvoyeur aux armées de ce modèle : Crombie. Un nom publicitaire en fait. Avec ce manteau, c’est la certitude d’avoir chaud.

Décrivons le. C’est un manteau qui s’arrête au genoux, à peine au dessus. Il est croisé. Il est toujours de teinte caramel, ou mastic. Parfois grisâtre. La matière est un lainage fort lourd. Le boutonnage se fait sur six boutons rangés en 2×3, et aucun bouton décoratif sur les poitrines. Les manches sont classiques, montées, et terminées par deux ou trois boutons. Il n’y a pas nécessairement de poche de poitrine. Mais toujours deux poches à rabats, simples, sur les côtés. Le revers est en pointe, comme le croisé classique ou, de forme tombante comme le polo-coat. Des surpiqures faites à la machine à coudre à 2cm du bord égayent et soulignent le modèle.

Jusque là, j’ai décrit un manteau relativement simple, presque un classique. Là où ce modèle se remarque, c’est à deux détails très caractéristiques : d’abord des boutons en cuir tressé, et enfin des épaulettes. Ce sont ses spécificités !

Le british-warm d’après wikipédia apparait durant la première guerre mondiale et sert à habiller chaudement – et élégamment – les officiers de l’armée britannique. D’où ses épaulettes. Quant aux boutons de cuir, je pense qu’ils ont du remplacer des boutons de laiton armoriés, tout en conservant la forme dîtes « en boule ».

C’est un modèle de manteau que l’on repère très souvent dans les images des années 50 et encore plus dans les séries télévisées ou les films, dont l’action se déroule dans les années 50. (Type Hercule Poirot ou Miss Marple).

En général, c’est le personnage du major ou du capitaine retraité, en bref du militaire, retraité ou en tenue « de ville ». On comprendra aisément qu’il s’agissait d’une tenue réglementaire portable en ville plus facilement qu’un manteau galonné et orné, et disponible surtout en surplus de l’armée ou auprès du fabricant, Crombie. Même si les façonniers ont dû être légion à s’emparer du modèle.

Il s’agit donc d’une icône du style britannique ! Un manteau au style affirmé. Qui occasionnellement sert à des costumiers pour illustrer un stéréotype. Celui du vieux militaire. Comme dans ce délicieux film aperçu la semaine dernière sur Arte, Tueur de dames. Une délicieuse drôlerie dans laquelle Cecil Parker joue le major Claude Courtney… et est donc habillé d’un british-warm. Voyez plutôt ces images que j’ai attrapé de ma télévision :

Finissons sur une autre photo d’illustration. Un british-warm porté par quelqu’un qui sait ce qu’est un bon vêtement, le Prince Charles :

Belle et bonne semaine à vous. Julien Scavini

Le derby, une passion française?

J’ai longtemps regardé la chaussure de forme derby avec la plus grande circonspection. Ce n’était pas, pour moi, une forme valable. Mon anglo-manie probablement. Non, moi, je préférais les « oxford », enfin en français, les richelieus. Voilà une vraie chaussure, statutaire, qui pose bien et présente avec une dignité incomparable. Ces morceaux plaqués sur les flancs pour porter les lacets, ces découpes et surpiqures, non, décidément, c’était trop. D’autant que dans mon petit esprit, les derbys, c’était ces chaussures à 29,99 des galeries commerciales. Voyez, dans ce genre là :

Cette écrase-merde, passez-moi l’expression, on la voit partout. En général au bout d’un chino skinny qui n’a pas été beaucoup repassé. Façon casual-chic d’entrée d’agglomération. Je ne voulais pas de derby, car pour moi le derby, c’était cette chaussure.

Avec le temps, j’ai appris toutefois à voir de beaux derbys, avec bout demi-chasse ou cambrure racée façon Corthay. J’ai fini par sauter le pas, comme on trempe un orteil dans le lac d’Annecy l’été pour dire qu’on s’y est baigné. J’ai acheté en sortie de Covid, pour soutenir notre industrie, une jolie paire de Paraboot. Mais, non, je n’ai pas pris une Michael ou une Chambord. J’ai pris une Azay Griff II. Cette simplicité des lignes, ce bout droit rapporté devant, je me sentais là presque avec un richelieu.

Et je dois confesser qu’avec le temps, cette chaussure est un bonheur. Que je peux même partir en vacances avec et les garder quelques jours au pieds sans avoir mal, ce qui n’est pas le cas de mes Alden.

Mais si je vois le derby à travers son prisme contemporain, d’affreuses choses collées made-in-China, je sais aussi le voir à travers l’histoire. Et c’est depuis longtemps que j’ai remarqué dans la presse mode-masculine des années 50 le derby. Un derby même très présent. Très iconique d’ailleurs. A côté de la belle anglaise, ce richelieu riche et puissant vendu par Weston sur les Champs Elysées, il y avait foule de jolis derbys, coupés en courbes merveilleuses.

Et ce derby deux œillets (ou trois), si épuré que l’on fini par croire qu’il fut inventé par Xavier Corthay, on le retrouve à longueur de publicités dans les années 50. Une forme si limpide que Bata met à l’honneur. Une apothéose des courbes :

Une marque en particulier ressort très souvent dans la presse, UNIC, marque de la maison Fenestrier à Romans dans la Drôme. (Qu’est-elle devenue cette marque?) Avec le temps également et à force de réfléchir à la spécificité d’un vestiaire français, façon Arnys, j’ai associé mentalement cette si jolie chaussure, ronde et épurée, avec un goût français. Opposé à la rigueur et à la lourdeur de « l’oxford » anglais. Le derby fait français. Et le derby deux œillets fait très français. Admirez et étudiez ces quelques planches de la marque UNIC. Anteuil et Armor, quelle finesse :

Quelles beautés ces derbys vous avouerez quand même. Et impossible à trouver je pense dans le commerce actuellement. Sauf chez Corthay justement, mais là, les lignes sont plus affutées et sculpturales, là où les UNIC sont juste ce qu’il faut de rustique et de gentil.

Il n’y avait pas qu’UNIC. Nous avons vu Bata. Voyons aussi Bali et quelques autres :

Si dans les années 50 il y avait une sorte de mise en avant nationale du derby par rapport à l’oxford plus britannique, il me semble que cette spécificité continue. Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron portent des derbys noirs il me semble. Sans probablement faire la différence. Et si votre banquier porte des souliers de cuir, il y a fort à parier que ce soit des derbys noirs aussi.

Évidemment, maintenant au milieu du flot de sneakers et autres baskets, ce débat sur la ligne d’un derby et sa spécificité nationale est bien peu de chose. Mais au moins ce soir, nous aurons vu de belles formes !

Bonne semaine, Julien Scavini

Bonne année 2023

Chers amis lecteurs et lectrices. Comme j’aimerais avoir du temps pour écrire quelques lignes chaque lundi ou mardi soir. Mais hélas, quelle fatigue. Je suis exténué le soir et je manque de temps.

Je vous adresse tous mes vœux pour 2023. Joie, santé et prospérité ! A bientôt.

Les différents velours et leur fabrication

Il existe trois types de velours :

  • le velours lisse, où la surface douce et duveteuse est unie et continue. On appelle ce velours chez les tailleurs de la palatine. Et chez les anglais, on dit « velvet ».  Ce velours est idéal pour couper des habits du soir, des vêtements formels. Et habiller des fauteuils ou des coussins.
  • Le velours à côtes, où la surface douce et duveteuse est discontinue, seulement présente le long de lignes, les côtes, de largeur et de densité variables. Chez les anglais, on dit « corduroy » quand il est gros, « needle cord » quand il est petit. Les côtes se comptent par pouce. Un gros velours, c’est 8 côtes par pouces. Un velours fin, c’est 16 côtes par pouces, presque du mille-raies. Ce velours est idéal pour couper de robustes habits d’esprit campagnard.
  • Le velours façonné, mélange des deux précédents, où des dessins et arabesques sont créés par des surfaces douces et duveteuses, en relief, s’opposant à la trame de fond. En ameublement, je crois que l’on parle de velours de Gênes ou de velours Damassé.

Tous ces velours présentent des fils dressés et accrochés dans une trame de fond. Ce sont des fils dressés comme du gazon sur de la terre qui donnent la douceur et l’aspect brillant et luisant au velours.

C’est probablement le tissu le plus onéreux qu’il était possible de trouver avant la révolution industrielle. Car en plus d’une trame de fond lisse, il faut une énorme quantité de fils pour créer toute cette surface poilue. Et le fil a toujours été fastidieux à obtenir. C’est le plus long dans l’élaboration d’un tissu.

Il est bon ici de faire une remarque. Le velours est donc une manière de tisser. Qui ne préfigure en rien la matière utilisée. Pour faire du velours, on peut utiliser :

  • de la soie. La matière la plus ancienne, et la plus onéreuse, encore aujourd’hui. Le velours de soie, c’est la Rolls des tissus, impraticable ou presque pour un tailleur, apprécié pour habiller fauteuils et intérieurs de châteaux.
  • du mohair, solide et endurant. Les bancs de l’Assemblée Nationale sont en velours de mohair. Une composition exclusive de l’ameublement de luxe. 
  • du coton. C’est le plus simple de nos jours.
  • du polyester ou de la viscose. Et plein d’autres merveilles de la chimie moderne qu’il serait préférable d’oublier.
  • des mélanges. Par exemple, pour un beau velours d’habillement à côtes, mélanger coton et laine, ou coton et cachemire est un plaisir pour le porteur. Une touche d’élasthanne est aussi possible. Chez Dormeuil, j’avais le souvenir d’un velours palatine de coton et soie, une beauté.
  • de la laine. Je n’en ai jamais vu. Mais je sais que cela existe.

La création du velours lisse et du velours côtelé est une merveille d’ingéniosité. Pour faire du velours, il faut déjà créer un tissu composant le fond du velours. Ou plutôt, il faut créer deux tissus, car ce métier à tisser spécial va créer deux velours en même temps. Ces deux tissus sont fabriqués dans le métier, avec quelques millimètres de séparations. Il y a de l’air entre ces deux tissus. Chaque tissu haut et bas possède sa chaine et sa trame. En même temps, une troisième chaine (c’est à dire les fils dans les longueur) est insérée, avec détente, reliant les deux couches. Des milliers de fils, pour relier ces deux tissus, comme pour les coller. Comme un gros sandwich, lisse au dessus, lisse en dessous, et plein de milliers de fils (perpendiculaires) au milieu, comme une éponge.

En sortie de métier, une imposante lame de rasoir attend. Cette lame est située pile entre les deux tissus initiaux. Se faisant, en avançant, le rasoir coupe les milliers de fils constituant le milieu du sandwich. Il en résulte quoi ? Deux tissus de nouveau séparés, mais présentant maintenant des fils coupés et dressés, les scories de la troisième chaine. Malin n’est-ce pas ! Un bon schéma :

Légende : les tissus de fond sont composées chacune d’une trame (en orange) ainsi que d’une chaine qui zigzag entre la trame (rouge et violet). Il y a donc deux trames et deux chaines. Puis une troisième chaine est insérée (en bleu canard) qui relie et fusionne les deux étoffes. A la fin, une lame (en grise) coupe cette troisième trame, dont les bouts deviennent des poils dressés.

Précisons que les tissus de fond ne sont pas obligées d’avoir la même composition que les fibres « poilues » du velours. Généralement en habillement, c’est le cas, sauf l’élasthanne qui n’est présente par exemple quand dans les trames et non dans les « poils ». En ameublement, la trame peut être différente pour soucis d’économie, le beau du velours étant le « poil » et non le fond.

Lors du processus de fabrication de ce velours, une certaine orientation des « poils » apparait. Un velours, lorsque vous le caressez, a toujours un sens. Dans le bon sens, il est doux. A contre-sens, ou devrais-je dire à rebrousse-poil, il est plus rugueux.

Mais il y a la douceur. Et il y a la prise de la lumière. Deux choses différentes.

Car à contrario de la douceur, un velours prend mieux la lumière à rebrousse-poil. Sa couleur est plus profonde, plus vibrante, en particulier pour le velours palatine. Dans le bon sens, le même velours sera terne, presque blanchi.

Lorsqu’un tailleur coupe un vêtement en velours, il doit donc s’interroger sur le sens de la coupe. Coupe-t-il la veste dans le sens du poil pour la douceur ? Ou la coupe-t-il à contre sens, pour l’éclat de la couleur ?

Pour ma part, j’ai le plus souvent fait couper à rebrousse-poil les vestes en palatine, pour une plus grande expressivité de la teinte. Et j’alterne pour les pantalons, les côtes ayant un peu moins ce problème.

Cela dit, tous les tailleurs ne sont pas d’accord. « Un velours coupé à contre-sens s’abime plus » m’avait dit Monsieur Guilson. Pourtant, un vêtement du soir n’est pas si utilisé que cela. Et les grandes maisons italiennes, et Ralph Lauren, coupent à contre-sens ai-je souvent remarqué. Donc…

C’est un petit débat de tailleur, je le concède.

Belle et bonne semaine. Julien Scavini

L’entretien d’un costume

Des costumes me reviennent pour des réparations ou des corrections. Certains vêtements, même des années après sont comme neufs, impeccables comme au premier jour. Et puis à l’inverse, il y en a qui reviennent dans des états… Cela m’amuse parfois, comme cette belle veste coupée en laine, lin et soie « summertime » de Loro Piana, entoilée intégralement, et pas si vieille, qui était transportée dans un tote bag, en boule. Mon adorable client trouvait que le bouton se décousait. Pas de problème. Lui voyait la partie émergée de l’iceberg. Moi la partie immergée. Et quelle partie. Un chiffon, mais chiffon !! Intérieurement  je rigolais jaune. Comment est-ce possible d’être chagriné par le bouton mais pas par l’aspect général ? Diantre ! Enfin, j’ai repassé la veste au mieux après avoir recousu le bouton.

Certes ce n’est qu’un vêtement. Mais un beau vêtement, il faut y faire attention, en prendre soin, être délicat avec. C’est même la caractéristique du beau. D’être fragile, presque fugace. Voici quelques petites informations de bon sens :

  • Entreposer sa veste

La veste d’abord, il faut chaque soir la replacer sur un cintre en forme. Ce faisant, l’épaule va conserver son galbe. Et puis, il faut vider les poches. Que seul le poids du tissu repose sur le cintre. Les rabats de poches doivent être sortis et nets, la veste en position optimale sans pliure ou écrasement. Idem pour le manteau.

  • Entreposer le pantalon

Le pantalon a deux types de cintres adaptés. Le premier à pince, avec le pantalon suspendu par les pieds. Ce faisant, le poids du haut (ceinture, braguette, fonds de poches, etc) permet de tendre les lignes. L’autre à barre horizontale, impose un placement minutieux du pantalon, replié vers le genou, avec plis avants et plis arrières superposés et bien à plat. Dans les deux cas, le fermoir du pantalon doit être « ouvert ». On ne boutonne pas un pantalon qui est sur un cintre. Cela corne le fermoir et la ceinture !

Et puis il y a le valet de chambre, avec ses deux planches écrasant le pantalon. Why not. J’ai tendance à y oublier six mois le pantalon qui s’y trouve. Pour le coup il est impeccable. Le valet chauffant est une possibilité (de personne fortunée ?).

  • La question de la housse de costume & le sujet des mites.

Doit-on entreposer le costume ou tout autre vêtement dans une housse ? Je n’en suis pas complètement sûr. Si oui, il faut impérativement jeter dans le fond de la housse de l’antimite régulièrement renouvelé. Car il n’y a rien de mieux qu’un espace fermé et sombre pour que les mites arrivent. Elles adorent les placards où rien ne bouge, ou il n’y a pas de lumière et d’air frais. Bref, les intérieurs de housse. Pour ma part, j’entrepose mes costumes dans l’armoire, qui est ouverte plus ou moins tout le temps, où l’air circule, où il y a du mouvement et de la lumière. Bref, ce que les mites n’aiment pas. Ce qui ne m’empêche pas de traiter avec de l’antimite.

  • L’antimite précisément

Il existe sous deux formes en supermarché. En plaquette cartonné, par paire, sous forme de gel. Très efficace et odoriférant. L’efficacité est de trois mois, jusqu’à ce que le gel s’assèche. J’adore ce produit avec la découpe dans le carton permettant d’accrocher l’objet à la tringle de l’armoire. Vu le prix ne pas hésiter à en acheter une dizaine d’avance et à bien en mettre. Sinon, il y a les palets blancs (parfois emballés individuellement) moins odorants mais tout aussi efficaces. Ils sont vendus par sacs. A la boutique, j’en jette un peu partout sous les placards le long des plinthes. Sinon, je les dispose dans des gobelets jetables (en plastique ou en carton) ou des verres tout bêtement. En gobelet ou en verre, c’est très facile à vider tous les trois mois et à re-remplir. Enfin, il existe pour nous les professionnels des bombes aérosols, que l’on vide entièrement les veilles de week-end pour étouffer entièrement la pièce.

  • Repasser veste et costume

Pour lutter ensuite contre les marques d’usage, il y a le repassage. Peut-on le faire soi-même ? Je n’en suis pas si sûr. Le pantalon, pourquoi pas, c’est le plus facile en le plaçant bien à plat. Attention en arrivant en haut, attention aux plis des pinces. La veste, c’est déjà bien moins évident. Pour bien faire au niveau des manches, il faut investir dans une jeannette.

Conseil pour le fer, mettre à forte chaleur (presque au niveau de repassage du lin) et 100% de vapeur. Beaucoup de vapeur. Sur mon fer Calor, j’ouvre même l’entrée d’eau pour que l’air passe bien et que le dégagement de vapeur soit maximum. Ainsi je me passe de la patte mouille, et j’y vais directement avec le fer. La forte présence de la vapeur me préserve de bruler le tissu ou de lustrer la laine. Il ne faut pas s’appesantir toutefois et aller vite. La vapeur rend les lignes nettes.

ATTENTION néanmoins. Lorsque l’on repasse à la vapeur, il faut attendre un complet refroidissement du vêtement (ou de la zone repassée) pour bouger le dit vêtement. Car à chaud, vous aurez un résultat inverse à celui escompté, la laine gonflera et vous n’aurez aucune ligne nette. Vous ruinerez votre veste ou votre pantalon. Non, il faut repasser à la vapeur vive et laisser refroidir. Ainsi, les lignes se fixeront ! C’est pour ça que les pressings ont des tables aspirantes. Ils chauffent en repassant, puis refroidissent immédiatement par dépression du vêtement.

La patte mouille, c’est magnifique, mais il faut avoir un temps infini. Placer le torchon sec, l’humecter, presser le fer sec, attendre que l’eau parte, laisser refroidir, passer à la zone suivante, etc… Un travail fin il est vrai.

ATTENTION au repassage d’une veste en semi-entoilée. Vous pourriez décoller les toiles sous l’action de la vapeur. Une veste entièrement entoilée ne craint en aucun cas cela. Dans le cadre de toiles intérieures collées, il faut impérativement attendre le point « froid » pour bouger le vêtement.

  • Le coup de la salle de bain

On dit qu’il est intéressant de placer son costume dans la sdb lors d’un bain ou d’une douche très chaude. Pour que la vapeur ouvre les fibres de la laine et la détende. Ça marche, un peu. Surtout sur les manches de la veste et surtout sur le pantalon s’il est suspendu par les pieds (effet de poids de la ceinture, de la braguette et fonds de poches). Peu sur le corps de la veste elle-même. Méfiance que cela ne fasse pas gonfler les coutures non plus, effet inverse de celui recherché. En se détendant, les coutures de la laine peuvent avoir tendance à ne plus rester plates, mais à se tendre, bref à gonfler.

  • Mettre son costume au pressing

Évidement, on n’est pas obligé de s’occuper de son vêtement soi-même. On peut le confier à un professionnel. Ils sont rares les bons. Vous n’êtes pas obligés de demander un nettoyage. Un simple repassage peut suffire. Pourquoi vouloir laver tout le temps ? S’il y a nettoyage, je n’ai pas une grande amitié pour les pressings écologiques à base d’eau. Des clients y ont constaté des curiosités. Je préfère les nettoyages basés sur les solvants hydrocarbures comme le KWL. Net et sans effet sur la laine, les entoilages et les doublures.

Il faut dont faire la différence entre nettoyage complet et repassage seulement.

ATTENTION, les pressings généralement abiment les vêtements lors du repassage, en allant trop vite. Ils décollent les toiles collantes, créant des cloques ainsi, ou lustrent la laine sous trop de chaleur (action de faire briller la laine). Ce n’est pas le nettoyage qui est gênant, c’est le repassage. Privilégiez un endroit où l’on prend le temps.

  • Tous les combien ?

Des clients m’ont souvent rapporté mettre leur costume au pressing à chaque fois qu’il le mettait. Horreur et damnation. Dissocions veste et pantalon.

Le pantalon peut aller se faire nettoyer (cycle complet) tous les 8 à 12 ports. Soit, si vous mettez un costume deux fois par semaine, entre un mois et un mois et demi à deux mois.

La veste peut attendre. Deux fois par an ? Une fois par an ? Cela me semble bien suffisant. Une veste encaisse assez peu. Son allié le cintre tous les soirs et c’est bon.

Le manteau lui sera heureux au printemps de trouver le chemin du pressing.

Ne craignez pas une couleur différente entre la veste et le pantalon si vous dépareillez l’ensemble lors de l’étape pressing.

Peut-être allez-vous trouver cela peu ? Franchement, cela dépend de tout un chacun. Au niveau du pantalon, deux facteurs entrent en jeu. La transpiration et les odeurs corporelles associées, puis là où on s’assoie (transports en commun, mobiliers partagés dans les bureaux, etc.) Donc, suivant les usages et les lieux, oui, vous pourrez laver plus votre pantalon. Mais point trop n’en faut.

  • Les odeurs ?

Après une soirée ou être passé sous un orage, il est assez courant de trouver que la veste a une odeur, de tabac ou de chien mouillé. Pas d’inquiétude. Le mieux est de laisser l’ensemble sur un bon cintre, une nuit entière dehors à la belle étoile (mais abrité de la pluie quand même). L’air frais est souverain.

Un bon brossage de la veste pourra faire disparaitre quelques scories supplémentaires. Secouez votre veste. Vous pouvez même la retourner comme une peau de lapin pour exposer et aérer les doublures plutôt que l’extérieur.

Information : une veste entoilée intégralement perd plus facilement ses odeurs, n’étant composée que de matière naturelle. La toile collante incorporée dans les vestes semi-entoilées étant artificielle, elle perd plus difficilement les odeurs.

La variété et le nombre est une arme.

Voici un argument tout bête. Le volume fait la force d’une certaine manière. Une garde robe assez étendue permet d’entretenir moins. Les vêtements s’usent moins s’ils sont nombreux et qu’ils tournent souvent. Un costume ne peut pas être mis tous les jours. Surtout pas le pantalon. Quatre costumes semble idéal pour faire bien. Cela coûte un peu. Peut-être se rattrape-t-on ensuite sur le moindre entretien ?

Toutefois, l’exemple actuel l’illustre bien. Une bataille ne se gagne pas avec la plus grosse armée. Mais avec celle qui s’organise bien. Une penderie logique est bien ordonnée, si elle bien entretenue, est une vision de long terme !

Bonne semaine, Julien Scavini

Choisir une ou deux fentes dos ?

Lorsque j’ai commencé à réaliser des costumes, j’ai fait un choix, celui de proposer exclusivement deux fentes dans le dos des vestes. Une de chaque côté. Cette allure du dos des vestes, je l’avais acquise en fréquentant la maison Hackett, où les costumes coupés à l’anglaise, présentaient cette double fente. Je n’aimais pas du tout le genre une fente milieu dos, à la mode à l’époque et encore chez Dior par exemple ou d’autres maisons de tradition française.

Non, j’aimais cette double fente, permettant au fessier d’avoir de la place, et permettant aussi à la veste d’avoir de la mobilité autour du bassin. Cette double découpe dans les pans de la veste permet à celle-ci d’être très libre, plus libre. Moins empesée.

Et j’aimais cette tendance de la veste à double fente à créer comme un panneau en bas du dos, se décollant du fessier, et projetant ses coins aiguisés un peu loin du bassin. Une sorte d’allure racée, une forme d’allant en fait.

C’est un bon argument celui là d’ailleurs. Ce panneau rectangulaire se décollant en bas du dos donne du dynamisme, oui, à une veste. Nonobstant les récriminations, de la gent féminine en particulier, sur cet effet, examiné comme un défaut de couture. Parfois, on me demande si je ne mets pas des poids dans les coins. Je sais que cela se fait. J’ai tendance à penser que jamais le tissu n’aura la force de rester en suspension ainsi, et qu’avec le temps et l’usage, ce panneau sera moins strict et tendu, et qu’il s’avachira un peu. Et que donc les plombs dans les coins, c’est un peu du chiqué commercial.

Je continue de prôner la double fente. Je pense qu’elle est la plus à même de gérer les fessiers. Car avec une fente, il n’y a pas le droit à l’erreur. Une simple question de mathématique :

  • si le bassin manque de 3cm par exemple, la fente unique ouvrira de… 3cm. Autant dire qu’elle ouvrira complètement et de manière disgracieuse,
  • avec une double fente, si le bassin manque toujours de 3cm, cela fait 1,5cm par fente, ce qui est invisible,
  • étant entendu que la valeur de recouvrement d’une fente est de 4cm.

Il y a donc, c’est impossible de prétendre le contraire, une tendance de la double fente à plus pardonner le corps et à être plus généreuse pour les fessiers.

Si je reste convaincu de la double fente, il m’a bien fallu de temps à autre accepter d’en réaliser une seule. Je ne suis pas là pour contrecarrer (tous) les plans des visiteurs de l’atelier. Et j’ai pris grand plaisir à réaliser la fente milieu dos. En pensant bien à « donner » du bassin, c’est-à-dire à le faire généreux de dimensions. Pour que jamais la fente ouvre. Cela demande une certaine réflexion sur les valeurs de mesure.

Et j’étais convaincu du résultat. Car la fente unique porte en elle une esthétique des années 1920 que j’approuve. La fente unique, en donnant du bassin, donne de la hanche. Elle crée une silhouette particulière de dos, et même partiellement de face. La veste parait plus ronde, moins angulaire. Elle suit les courbes du corps et dessine des hanches presque féminines, un esprit recherché vers 1920. Chez les tailleurs, on dit que la veste « emboite » le corps. Mais il ne faut pas être chiche et donner du bassin, être généreux sur les cotes des flancs. Voilà deux bons exemples des années 1920 :

D’ailleurs, une fente et sans fente partagent les mêmes caractéristiques de mesures et d’esthétique. Il ne faut pas être chiche et en retour la veste dessine comme une silhouette de sablier, comme le montre la photo ci-dessus, même si, je le reconnais c’est le dos d’une veste de femme. Mais l’idée est bonne.

Vous l’aurez compris, faire une fente ou deux fentes pour un tailleur ne présente pas tellement de difficulté. Seulement, ne faire que l’une des deux options permet de s’appuyer sur la force de l’habitude. Moins il y a de réflexion, moins il y a de risque d’erreur. Plus l’on multiplie les paramètres, plus il faut creuser chaque sujet, avec un risque à la clef. Quoiqu’il en soit, du strict point de vue du sur-mesure, les deux options sont très valables. Et esthétiquement différentes.

En revanche, le prêt-à-porter qui doit par essence s’adapter au plus de monde, ne peut faire dans la finesse et le cas par cas. Le risque de ne faire qu’une fente en prêt-à-porter est principalement de très mal habiller l’homme qui a des grosses fesses. La fente va ouvrir en bas du dos. Désastreux pour la ligne générale. Cela fait comme une veste chiche et mal coupée. Pourtant, bien des marques qui ont pignon sur rue continuent de vanter cette ligne.

Pourquoi ? Car dans leur esprit, la fente milieu dos fait plus habillée, plus raffinée, plus digne. Là où la double fente fait plus décontractée. C’est précisément pourquoi les anglais l’ont inventé cette double fente, pour faire moins guinder. Pour donner de la fluidité à la veste et renouveler en souplesse le bon vieux costume de Savile Row. Un costume taillée à la serpette, habillement entre conservatisme, longueur de temps et spontanéité moderne. Là où la simple fente rend le bas de veste plus rigide et moins mobile. Plus précieuse ? C’est donc surtout une vision qui se joue sur cette question de fente. Intéressant n’est-il pas ?

Bonne semaine, Julien Scavini

Soufflet dans le dos

Les soufflets dans le dos des vestes sont assez mythiques. Ils sont rêvés pour l’esprit chasse, safari, ou old-school qu’ils apportent. Et puis, plus prosaïquement, ils intéressent pour le supplément d’âme qu’ils donnent à un dos de veste, ou de manteau. Car il faut bien l’avouer, le dos des vêtements, c’est un peu comme le dos des meubles. Simple et sans fioriture. Pas un grand sujet d’intérêt. Il existe la martingale, cousue ou suspendue à boutons pour donner déjà un peu de plaisir. Mais le soufflet, c’est encore mieux, plus prestigieux.

Il existe deux types de soufflets pour vestes. Le soufflet milieu dos, souvent fini avec des mouches triangulaires. Et les soufflets côtés, formant des arcs sur le flanc des omoplates.

Simon Crompton avec un manteau à soufflet milieu dos.

J’ai testé les deux dans mon exercice professionnel. Et je suis arrivé à la conclusion que dans les deux cas, les soufflets ne servent à rien et n’apportent que des problèmes. Tout simplement, car une fois le grand mouvement réalisé, le ou les soufflet(s) reste(nt) généralement ouvert(s). Eventré(s) même je dirais. Et c’est très laid. D’autant plus dans les tissus contemporains qui sont fins. Un des nœuds est là. J’avais vu il y a longtemps sur internet une illustration d’un tailleur anglais réalisant un laçage élastique (faisant des X comme sur un corset) dans la doublure pour permettre au dos de se rétracter… quel montage baroque… !

Parka en coton lourd. Notez en plus du soufflet côté la présence d’un gousset sous l’aisselle à l’articulation de la manche. Double effet.

Je pourrais émettre deux conditions à la réalisation de plis.

D’abord il faut impérativement un tissu lourd, dense et structuré pour tenir les soufflets convenablement. De ce fait, deux types de vêtements remplissent parfaitement cette condition, avec deux formes de soufflets différents. 1-Les manteaux longs de forme tailleur, réalisés en tissus épais tolèrent bien le soufflet milieu dos. 2-Les parkas courtes en coton épais genre Marlboro Classics tolèrent bien les soufflets côtés. (Ou blouson en cuir de motard).

Seconde condition, que le vêtement soit impérativement généreux dans ses dimensions. Et c’est précisément le cas des deux vêtements cités. Ils sont faits pour être généreux, permettant vestes ou gros pull-overs dessous. Il faut du volume pour permettre aux soufflets de ne pas être mis beaucoup en jeu. Tout est là. Le ou les soufflets doivent servir en dernier recours, pour les gestes de vraiment grande ampleur. Dans le cadre d’un vêtement ajusté parfaitement, le soufflet se met immédiatement en jeu, et alors, il va rester ouvert tout le temps. Disgracieux.

Je ne cite donc pas de veste. Car oui, la veste étant un vêtement ajustée, le soufflet crée des problèmes. Il ouvre et après, reste ouvert et c’est moche. Ou alors, il faudrait faire une veste vraiment très large pour être sûr que ça marche. D’ailleurs, je constate que les clients qui m’apportent des modèles ne se rendent généralement pas compte à quel point la veste modèle est large. Et que c’est un désir vain de reproduire trop de largeur.

Il faudrait sinon… de la grande mesure. Quelque chose de fait main, avec essayages multiples et moult précautions. On trouve de très belles photos sur StyleForum de vestes avec des soufflets. Ce sont des pièces de collection à chaque fois !

Si l’on veut vraiment une veste permettant de tirer au fusil ou de faire des grands et généreux mouvements, inutile de faire des soufflets. Il suffit juste de faire une veste trop large, point. Et même mieux pour les chasseurs, une manche à gousset sous l’aisselle, permettant un total mouvement. Je ne sais absolument pas la patronner toutefois.

Dessous de manche à soufflet

Après, pour la veste, il existe la solution des années 1920/1930 consistant à couper un dos extrêmement généreux, qu’une martingale plaquée ramène à de plus justes proportions à la taille. Cela donne un effet blousant, une troisième forme de soufflets. Les plis divers partant des omoplates sont fixés par la martingale. Et l’aisance dans le haut du dos et formidable. Une manière détournée de créer de l’aisance, une forme de soufflet.

Dos avec volume façon 1920.

Bonne réflexion. Et bonne semaine. Julien Scavini

Relever le col d’une veste ou d’un manteau

Le revers d’une veste, ou d’un manteau, présente toujours à l’endroit de son raccord avec le col, une découpe particulière. S’il n’y a aucune démarcation, il s’agit du col châle, qui fusionne revers et col dans un seul et même mouvement continu. Mais ce revers est bien rare. Non, dans une majorité de cas, c’est une encoche en forme de coin ouvert qui délimite revers et col.

Ce revers, à la fin du XIXème siècle, on ne savait pas vraiment comment l’appeler. Il prenait le nom alors de « bavaroise ». On disait, une veste avec des bavaroises. Soit une veste avec deux retombées de tissus sur les poitrines. Ces deux bavaroises (une de chaque côté) avaient la possibilité de se boutonner sur le côté opposé. Pour en fait enfermer bien au chaud le porteur, au ras du cou.

Certaines vestes autrichiennes présentent encore ces bavaroises un peu généreuses, qui souvent sont boutonnés rabattues sur l’épaule par un bouton de corne de cerf. Sur la photo bien médiocre que j’ai trouvé ci-dessous (une veste de femme avec boutons en métal), ces revers un peu curieux sont bien présents.

J’ai déjà par le passé vu des photos du début du siècle avec de telles vestes. Je me souviens en particulier d’un modèle très similaire sur un homme, au Pays-Basque avant la première guerre mondiale (vu au Musée Basque de Bayonne.) Ce qui me laisse à penser que peut-être, cette forme de veste n’est pas exclusivement autrichienne. Mais peut-être une forme ancestrale de veste ordinaire pan-européenne, par opposition aux fracs et autres redingotes plus élégantes. Il y aurait une étude à faire.

Mais revenons à cette veste ci-dessus et ses bavaroises. On sent bien, et très logiquement, que si l’on cherche à déboutonner le bouton du haut, et que l’on cherche un peu à dégager le cou qui est très protégé là, on va repousser du tissu. Ces bavaroises vont donc s’élargir un peu et le pied de col (dit officier maintenant) va suivre le mouvement et s’épancher un peu. Dès lors que se passe-t-il ?

Le col officier se retourne sur lui-même et s’aligne sur la cassure de la bavaroise, pardon, du revers. Et alors cette sorte d’encoche qui forme le revers maintenant apparait (flèche rouge). Il est très probable que le revers à encoche que nous connaissons bien maintenant soit une forme esthétisée et travaillée de ce qui était à l’origine le bord du pied de col. J’ai essayé un petit croquis, sans triche de dessin aucune. La brisure du revers (le repli) est l’axe de symétrie par lequel les traits du dessin de gauche sont basculés pour devenir revers.

Ainsi donc, notre cran de revers actuel correspond plus ou moins à l’emplacement de la pomme d’adam. La veste arrive en ras de cou, et le col (dit officier) ménage un petit espace.

Ca c’est pour l’origine historique. Alors logiquement, l’hiver lorsque l’on a froid, il serait fort possible de basculer ses revers de vestes pour se protéger du froid. On pourrait même idéalement boutonner le revers gauche sur le pan droit pour vraiment avoir chaud et re-former le col ancien (dit officier).

Sauf qu’avec le temps, nos crans de revers se sont dissociés de cet usage, et même sont remontés encore, dans une vie esthétique autonome. Le cran de revers est aujourd’hui sur la clavicule. Il est trop haut. Si le revers gauche est rabattu à droite, le cran de revers tombe dans le menton. C’est plutôt inconfortable à moins qu’il fasse moins vingt degrés. Et le dessin du cran de revers s’est fait au long d’une ligne droite. Sur cet autre petit croquis, je confronte un revers actuel, et sa version à droite plus ancienne, courbée comme l’encolure :

Certaines maisons de prêt-à-porter pour retrouver un peu cet usage ont eu l’idée d’une patte sous le col comme Hackett, ou d’un col avec patte prolongée à gauche. Mais là encore, c’est plus de l’esthétique que du très pratique !

Il y a l’option sinon de baisser le cran de revers, pour obtenir quelque chose de moins moderne, mais ayant la possibilité de se boutonner. C’est rare. Sur une veste, peu utile d’ailleurs peut-être. Sur un manteau, c’est intéressant. C’est par exemple le cas de mon atelier en Italie, Sartena, qui depuis toujours réalise son manteau droit avec un col plutôt bas. Permettant absolument un boutonnage opposé par temps froid.

En revanche, inutile d’essayer de rabattre un revers en pointe. Les pointes tombent sur le menton voir devant la bouche. Les pointes sont purement de l’esthétique. Rien de fonctionnel. Il ne faut pas chercher à rendre chaleureux un manteau à col pointe. Sa stricte utilité est d’être d’une opulence ostentatoire. Pas pratique !

Bonne semaine, Julien Scavini

La position des boutons sur le devant d’une veste

Un admirable client me reprochait hier matin de ne jamais avoir parlé sur Stiff Collar de la position des boutons devant une veste. Que voilà une faille, même si comme le montre cet article j’avais bavardé sur cela quand même. Intéressons nous prioritairement à la veste deux boutons (voire un), qui pose plus de questionnement que la veste à trois boutons.

J’avais écrit ici et dans Monsieur il y a une dizaine d’année, au sortir de l’école des tailleurs, que la position du bouton principal (que l’on appellera bouton actif par opposition au bouton du bas non actif) était 2cm au dessus du nombril. Avec l’expérience, je dirais que cette valeur est déraisonnablement trop petite.

Le bouton actif sur une veste est probablement plutôt 4 à 6cm au dessus du nombril, et c’est plutôt le bouton du bas qui est 2 à 3cm sous le nombril. Cela est pour poser le débat. Une sorte de 2 tiers / 1 tiers.

Mais il y a deux variables évidentes. D’abord, le nombril n’est pas toujours au même endroit. Et ensuite, la mode fait jouer ce dimensionnement. De deux manières. Il y a la hauteur des boutons. Et il y a l’écartement entre les boutons. Deux notions qui varient avec les modes.

De nos jours, admettons que l’écartement entre les deux boutons est de 10cm pour une taille 48/50 et que pour quelqu’un de grand, en taille 58, cet écart sera de 12cm. 13 peut-être. 9cm pour les petites tailles. C’est un fait.

Cela étant posé, il y a une deux autres variables qui entrent en jeu. La longueur de la veste, évidement, et la hauteur des poches côtés par rapport au bas de la veste.

Je dirais que de nos jours, une veste en taille 48 de 74cm de long est classique. Et que la norme est plutôt à une veste moderne de taille 48 mesurant 71cm de long dans le dos. Plus courte. De ce fait, les boutons devant, s’ils respectent 10cm d’écartement, ne peuvent pas être à la même hauteur. Sur la veste courte, les boutons seront plus hauts.

Sur cette même veste, en 48 classique, la poche sera à 25cm du bas de la veste. En 48 moderne, la poche sera à 23cm. Et généralement, là est un point crucial de l’exposé, le bouton du bas est aligné sur les passepoils de la poche, autrement dit, le haut du rabat de poche.

Généralement aussi, une veste un peu courte est mariée avec un pantalon un peu taille haute. Dès lors, la ceinture du pantalon et le bouton actif sont plutôt écarté. Il est alors inévitable de voir un triangle de chemise entre cette ceinture de pantalon et le bouton. Je dirais même plus que ce triangle de chemise visible est devenu l’emblème du costume de ce début de siècle. Si vous voulez au cinéma ou dans une série faire comprendre que le costume est actuel, il faut montrer ce triangle de tissu. Comme l’illustre ce schéma :

A l’inverse, avec une veste longue, généralement le pantalon monte un peu. Dès lors, l’écart se resserre et la ceinture du pantalon s’approche du bouton inactif, voir du nombril…

Ainsi nait un théorème d’élégance : un pantalon taille naturelle, arrivant au nombril ou juste en dessus, permet à la ceinture d’être pile poil entre les deux boutons de la veste, disons au tiers bas.

J’aimerais maintenant faire une petite digression. On place le bouton bas du devant au niveau des passepoils de la veste. Et on calcule donc 10cm environ plus haut pour caler le bouton actif. Mais il est tout à fait possible de descendre un peu ce bouton bas, en donc le bouton du haut par la même occasion. J’ai tendance à considérer qu’un bouton placé au milieu du rabat, donc en gros 2,5cm plus bas est tout à fait acceptable. Et cela, je considère que c’est de la finesse. On peut positionner le bouton en haut du rabat ou au milieu suivant le client, suivant l’œil en fait. Et pourquoi pas en bas du rabat ? Cela se peut totalement oui. Voir ce schéma donc :

Sur cette photo de deux célèbres américains, on peut se rendre compte que subtilement, les boutons sont alignés sur les passepoils, mais que dans le cadre du costume marron, l’espacement est plus petit, alors que sur le costume gris rayé, l’espacement est bien plus contemporain :

16 juillet 1981 – Official portrait of President Reagan and Vice President Bush

En particulier pour le croisé. Je pense qu’un beau croisé, le carré s’aligne sur le bas du rabat de poche, ou 5cm en dessous des passepoils dans le cas d’une poche sans rabat. C’est ainsi que le croisé est le plus beau. Un carré de bouton aligné très bas permet de garder un V un peu correct et permet à ce carré d’avoir justement une belle ampleur, de n’être pas tout minuscule. D’avoir 11 à 12cm de côté en fait. Cela encore demande un peu de finesse. Si l’on fait confiance aux industriels du costume, leurs règles trop rigides donnent toujours le même résultat, sans relief. Voir le schéma ci-dessous & la photo du Prince Charles.

Sur le croisé, j’ai même tendance à penser que les poches doivent être un peu plus bas, sans en faire religion.

Cela dit, si sur un croisé le positionnement bas est idéal, sur une veste droite, le résultat peut être curieux, car le bouton du bas se retrouve fort dans la courbure de la basque.

The Prince of Wales, Charles, meeting the Vice President, Shri Mohd. Hamid Ansari, in New Delhi on November 08, 2013.

Mais revenons à l’étude initiale d’une veste deux boutons. J’ai donc dit qu’actuellement, on aligne le bouton bas sur les passepoils, et que l’on rajoute 10 à 12 au dessus pour le bouton actif.

Si l’on allonge la veste façon année 80, les boutons vont logiquement descendre, un peu. Mais à l’époque, les boutons étaient bien plus bas. Pour deux raisons. D’abord les poches étaient placées un peu plus basses. Descendant encore la ligne visuelle. Et surtout, l’écart entre les boutons était fortement réduit. Sur les vestes de François Mitterrand, on peut découvrir que 7cm environ séparent les boutons. Un extrême rapprochement qui choque l’œil actuel mais caractérise le style de cette époque, comme le triangle de chemise d’aujourd’hui. Pour autant, sur la veste de François Mitterrand, les poches ne sont pas si basses.

19 octobre 1981 – President Reagan & president Francois Mitterrand at the Battle of Yorktown Bicentennial celebration in Virginia

Pour avoir déjà mis la main sur quelques vestes typiques de l’époque, dont une formidable Lanvin de 1991, le bouton principal tombait pile… sur ma ceinture de pantalon, soit un peu en dessous du nombril. Un V superbe se dégageait. Le corolaire est une veste bien longue, mais aussi ample de partout, sans que cette ampleur soit de trop. C’est tout un équilibre savant. Ce schéma reprend cette idée de boutonnage surbaissé et rapproché.

Donc concrètement, avec votre tailleur, vous pouvez jouer sur la hauteur du pantalon, et sur la hauteur des boutons devant. Ainsi que sur l’écartement. En revanche, il est en général difficile de modifier la hauteur de la poche en demi-mesure. Mais pas impossible. Essayer de faire descendre la ligne de boutonnage doit aussi être en rapport avec une longueur de veste suffisante. Inutile de chercher à boutonner bas sur une veste de longueur moderne.

De nos jours, les vestes étant un peu courte, par effet de style, les boutons se trouvent assez haut généralement. Parfois même, les vestes sont si courtes, que le bouton actif se trouve peu ou prou à la hauteur du premier bouton d’une veste trois boutons… Je vois parfois sur des clients des vestes que je qualifie de « chinoise » vue la qualité médiocre de fabrication. Très courtes avec des tout petits revers. Le boutonnage est si haut qu’il m’évoque alors le boutonnage « paddock » des années 30 et 60 (voir photo ci-dessous). Or, on aurait pu penser qu’un styliste un peu avisé aurait rapproché les boutons et descendu ceux-ci pour donner à la veste courte et moderne un V un peu plus avenant. Ce n’est pas le cas.

Une fois cet exposé très complexe mis par écrit, je vois poindre la question ultime : mais qu’est-ce qui est le plus avantageux ? Le plus joli ? Je ne saurais vraiment pas le dire, tout est une question de mode et d’époque. D’habitude de l’œil. C’est tout le relativisme de la couture. Ce qui se fait aujourd’hui pourra être jugé comme démodé plus tard. Il est certain que les deux boutons doivent encadrer un peu le nombril. Actuellement, cet écart est d’un tiers sous le nombril et deux tiers au dessus. Il peut être de moitié moitié. Et dans les années 80, il tendait à l’inverse. Les deux sont élégants.

Le nombril correspond plus ou moins à la partie la plus cintrée du buste. Lorsque l’on est mince. En revanche, en prenant un peu de poids, cette ligne de cintrage remonte un peu, et le cintrage peut s’appliquer plus fortement sur le côté des côtes. Est-ce à dire qu’il faut monter le boutonnage ? Pas sûr. Il n’y a pas un rapport forcément évident entre position du bouton et place du cintrage peut-être.

Questionnons le 1 bouton aussi. Généralement, je considère pour ma part qu’il est au même niveau que le bouton actif. Et que simplement, c’est l’absence de bouton du bas qui crée la forme  1 bouton. Mais je ne suis pas prophète en ce domaine, et beaucoup estiment bon de descendre ce bouton actif de quelques centimètres. Doit-il alors se placer sur le nombril ? Je dirais que c’est un peu bas pour ma part, mais c’est faisable.

Enfin, le 3 boutons. L’écart n’est plus de 10cm, mais plutôt de 9cm je dirais pour une taille 48. Cela dit, j’ai déjà fait pour un client très grand 13cm d’écart. Tout est une question de proportion. .

J’espère que vous m’avez suivi !

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

En majesté

Aujourd’hui avaient donc lieu les obsèques que la Reine Élisabeth II. Un évènement particulièrement intéressant qui a clos une grosse semaine d’évènements forts intéressants également. Et télévisés.

Une pause au milieu de la guerre. Une pause au milieu de la réforme des retraites. Une pause entre Sandrine Rousseau et Jordan Bardella. Une pause au milieu du Covid. En bref, un instant de détente mentale alors même qu’une mort en est à l’origine.

Dans un monde où tout va trop vite et où le temps file sans que de moins en moins nous puissions le retenir, une telle durée de réflexion et d’introspection est rare. Et précieux. Dix jours à l’échelle d’une nation et de son histoire, vous me direz, qu’est-ce que cela représente ! Mais à l’échelle humaine, c’est long. Permettant ainsi de passer d’un état immédiat de stupeur à un état de peine raisonné et intériorisé.

Tout l’inverse de l’hystérie dans laquelle nous vivons aujourd’hui, où les évènements se repoussent les uns les autres à l’écran, et où même nos politiques nous entrainent dans un délire d’injonctions parfois contradictoires. En bref, nous avions là un moment de relative quiétude. Et pour cela, nous pouvons dire merci à Sa Majesté.

Mais nous pouvons aussi la remercier pour autre chose. Yves Saint Laurent disait qu’il faut vivre en beauté. Dans les deux sens du terme. En beauté dans un sens mêlé de panache et de dignité, question d’état d’esprit. Et en beauté dans un sens plus matériel, celui de vivre entouré de jolies choses.

Et bien dans sa mort, Sa Majesté des anglais nous prouve que cela va même au-delà de la vie. Nous n’avions pas seulement à l’écran de relatifs instants de détente sans actualité. Nous avions une apothéose du Beau. Du bien fait. Du bien ordonné. Une apothéose de la Qualité. Dans les silences même résidait la qualité lorsque dimanche soir, dans les aérogares d’Heathrow le silence s’est fait comme partout au Royaume-Uni.

Ces longs épisodes d’obsèques nationales furent l’occasion pour les yeux de voir se concrétiser l’alliance du magnifique et de l’érudition. D’abord il y avait cette organisation millimétrée qui avait comme vertu première de montrer, que dans une société de l’individualisme, il peut exister un esprit de corps très fort qui permet de mettre en scène, et de faire, des choses hors-du-commun. Et cela pendant une longue période. Il y avait la célébration du corps de la Reine. Il y avait aussi, et cela crevait l’écran, une célébration de la société dans le sens d’une communauté, des militaires à monsieur tout-le-monde en passant par les corps intermédiaires.

Il y avait ensuite la manière matérielle de voir le Beau. Les lieux, en commençant par ce survol merveilleux des lochs d’Écosse. Les villes. Les églises. Les palais. Tout cela respirant une histoire bien vivante. Et puis il y avait les berlines, pas récentes, avec leur robe « maroon » et leurs étendards, accompagnés de chevaux ou de motos. Sans parler des fleurs, si rafraichissantes.

Et puis, bien sûr, les vêtements. Les anglais nous en ont mis plein la vue. Du tissu de qualité, et des coupes proportionnées. Mention spéciale pour ce drap de flanelle rouge rehaussé de galons dorés. Une explosion visuelle. Je ne parle même pas des hérauts portant des tabards brodés, probablement les plus beaux et précieux vêtements qui existent encore en ce monde. Quant aux ecclésiastiques, ils étaient tout simplement épatants. Les habits de Vatican II peuvent retourner à la sacristie… Les militaires n’étaient pas en reste, quelle variété.

A chaque instant une tenue, à cet adage le Roi Charles III nous avait habitué. Aux divers habits militaires, il a associé la jaquette noire, celle de son mariage et un gilet avec bordure blanche, le slip. Le costume noir impeccablement coupé parachevait un dégradé hiérarchique savant, que des pochettes un peu fantaisie égayaient sobrement.

Les jaquettes étaient de plein droit de sortie et elles étaient incontournables dans les premiers cercles. Lors du Conseil d’accession à Londres, d’anciens premiers ministres étaient là pour la signature du Roi Charles. De Tony Blair à Boris Johnson, aucun ne la portait portant. Sauf un, âgé maintenant, seul à pouvoir se revendiquer Conservateur pour de vrai, John Major. Cela dit, à Westminster, Tony Blair et David Cameron la portaient très bien. Pas Boris Johnson, mais est-ce étonnant ?

Je me demandais si Emmanuel Macron serait en jaquette. Un ami me répondit « mais ce n’est pas notre culture ». Pourtant René Coty la portait très bien en présence de Sa Très Gracieuse Majesté, ce qui prouve bien qu’en France, on avait aussi le talent de faire les choses bien. Il est probable qu’une consigné ait été donnée pour que les hommes politiques du monde soient en costume noir. Sans baskets. En revanche, du côté des « Royals », uniformes militaires et jaquettes étaient bien là.  

J’ai une pensée en particulier pour David Beckham, ce footballeur tatoué dont je pensais depuis toujours que ses efforts d’habillement cachaient quelque chose d’artificiel et un peu surjoué. Qui s’installa dans la longue file d’attente vers 1h du matin, sans chichi, vêtu d’un manteau marine et d’une casquette, pour dit-il, être habillé comme son grand-père, monarchiste, aurait été habillé. Matérialisation d’une forme là encore de dignité.

Comme – il faut le dire très haut – les toilettes de ces dames. La collection de chapeaux que l’on a vu pendant dix jours est une consécration de cette mode vieux style. Quelle classe.

Chaque jour de ce long périple menant au tombeau fut l’occasion de combler quelques instants un important désir de Beau, de le respirer à plein poumon. Pour se convaincre qu’on ne vit pas que dans un monde ordinaire. Que l’érudition peut s’associer au magnifique. Que la première n’est pas obligée d’être seule, supérieure et hautaine et un fait lointain. Et que le magnifique n’est pas seulement réservé aux musées et aux intérieurs privés, ou un fait de Walt Disney. Que oui, l’érudition peut se mêler au magnifique, pour donner du Beau, sans toutefois entacher la dignité, bien au contraire.

Les anglais ont perdu une Reine. Mais ils n’ont ni perdu leur élégance, ni leur dignité. Pouvons-nous en dire autant de ce côté de la Manche ?

Bonne semaine, Julien Scavini

Ce que nous aimons n’est pas nécessairement bon pour nous

Chers lecteurs, toutes mes excuses pour cette longue pause estivale. Le travail et l’activité ne manquent pas et il n’est pas toujours aisé de trouver le temps et le courage de rédiger ces quelques lignes.

Je me félicite de constater qu’années après années, le plaisir pour la question sartoriale se maintient. Et que nombreux sont les messieurs à venir pour des costumes, pour le simple fait d’avoir un beau costume. Je me félicite que le plaisir l’emporte sur l’obligation, dans une société où par ailleurs, le costume est certainement en perte de vitesse. D’autant plus depuis l’épidémie de Covid. Il y a encore et toujours une envie. Liée ou non au travail d’ailleurs.

Et les jeunes je le vois bien sont un moteur essentiel de ce mouvement. Au fil de rendez-vous riches en questionnements et en souhaits, je prends plaisir aussi à répondre à ce désir de Beau. A vouloir bien faire.

Je suis toutefois et parfois décontenancé par les demandes. Le but est souvent le même, construire une jolie garde-robe bien étayée. Complétée par quelques pièces bien cousues de chez Drake’s, Asphalte ou Pini Parma.  J’écoute et fais en sorte de présenter ce qu’il faut avoir, quelques tissus classiques et simples.

Pour de nombreux jeunes, ce costume sera unique. Un vêtement parmi d’autres. Et très vite je constate que pour ce beau costume, la recherche ne porte pas sur un essentiel, mais bien au contraire, sur quelque chose de bien plus fort, prince-de-galles très marqué avec un carreaux rouge, ou rayure craie fortement dessinée sur un fond très clair.

Grâce à la magie d’internet, les photos d’inspiration arrivent vite, façon Suit Supply. J’acquiesce et cherche alors les bons tissus, ceux qui correspondent à cette empreinte visuelle exubérante.

Au fond de moi, je ne peux m’empêcher systématiquement de penser que cette envie, n’est pas nécessairement bonne pour le client. Que peut-être quelque chose de plus simple pour commencer, de plus facile à mettre et à remettre serait mieux. Qu’un bon costume marine avec deux pantalons ferait bien le job. Mais bon, je ne peux forcer la main. Alors je l’accompagne au mieux, le but final étant de donner le sourire.

Je continue toujours toutefois de me poser cette question. Ce que nous aimons n’est pas nécessairement bon pour nous ? Faut-il toujours suivre son envie, à quel point doit-on l’aiguiller et la rendre rationnelle ? D’autant que nous parlons d’un peu d’argent là, donc de la valeur d’un investissement.

Dans le cadre de la construction rationnelle d’une penderie élégante et fonctionnelle, peut-être qu’avoir un bon costume bleu avec deux pantalons serait préférable à l’achat directement d’un costume expressif. Qui seraient plutôt le sujet suivant.

Et ce raisonnement peut bien évidemment tenir pour beaucoup de facettes de la vie.

Il y a avec internet et surtout Instagram une dualité qui s’installe et qui s’exacerbe. A la fois l’acte d’achat peut se réfléchir en amont et se nourrir d’une réflexion dans un temps long. Ce beau costume, on peut le réfléchir patiemment, lire et étayer un raisonnement d’achat. Et à la fois, l’acte d’achat est orienté vers ce qui est frappant, marquant, qui permet une image distinctive immédiate. Un « Beau » un peu féroce, celui que l’on voit sur « l’influenceur ».

Il existe toujours une balance entre le fonctionnel et le plaisir. Le temps long et le temps court. Et le costume d’une certaine manière actuellement, lorsqu’il est un achat plaisir plus qu’un achat d’uniforme, s’inscrit dans ce schéma. Où est le curseur ?

Dans le même temps, je ne fus pas moi-même un exemple de rationalité. Lorsqu’encore étudiant je faisais acheter à ma mère une veste d’été en lin marine à forte rayure tennis et revers en pointe. Pas franchement une veste utile dans une penderie. Un simple modèle beige eut été plus rationnel. Et pourtant, je me souviens de cette veste avec un grand plaisir. Je l’aimais beaucoup.

Alors ce que nous aimons n’est pas nécessairement bon pour nous ? Tout dépend quel bout de notre cervelet nous cherchons à contenter. Aucune dépense finalement n’est utile une fois le strict nécessaire satisfait. Mais il y a toujours une petite part de vanité à satisfaire, de légère extravagance. A chacun de placer le curseur où bon lui semble. Ce que j’aime est-il bon pour moi ?

Costume bleu ciel

Cette année, le costume bleu ciel fait une petite percée. Ce sont les mariés bien évidemment qui mettent cette teinte azur sur le devant de la scène. A côté des costumes verts et bleu marine. Cette couleur est d’une certaine manière si différenciante qu’elle ne passe pas inaperçue dans l’atelier. On voit bien ces costumes au milieu des autres. Je n’en avais jamais fait auparavant, sauf pour quelques sapeurs élégants. Je pensais que cette teinte faisait peur. Et je n’en ai jamais vraiment vendu…

Pourtant, force est de constater que le bleu ciel est bien présent dans les liasses des drapiers, et depuis longtemps. Surtout les drapiers anglais à vrai dire. Regardez par exemple ces tissus de chez Holland & Sherry. Une photo est extraite de Drapers, à Bologne. Mais pourquoi tant de bleu ciel dans toutes les liasses?

Chez Holland & Sherry, à peu près chaque liasse contient un de ces bleus. Que l’on ne peut pas vraiment qualifier de « ciel » en fait. D’ailleurs, le drapier ne dit pas « sky blue » sur son site internet. Mais plutôt « grey blue » ou « pearl blue ». « Pale blue » aussi. Parfois « airforce blue », ce qui est un peu exagéré, car la nuance air force est pour moi bien plus foncée et grise.

Ces bleus ont la qualité une fois coupés en costume ou en veste, d’être il est vrai assez pâles, proche du gris en réalité. Il ne sont pas agressifs, ni ostentatoires, ni très marqués. Ce sont des teintes de bleus douces. Et passées.

Mais pourquoi diantre les anglais en produisent-ils? Ces bleus ne sont pas légion dans la rue. Et puis j’ai repensé à Hercule Poirot. Dans la série de iTV des années 1990, la costumière avait opté pour habiller le célèbre détective belge ainsi lors des épisodes se déroulant l’été ou au soleil. Superbe mise d’ailleurs avec ce gilet plus sombre :

Sur la photo ci-dessous, on retrouve cette nuance de bleue, très effacée, pouvant d’ailleurs presque faire croire à du gris. D’ailleurs, dans l’image animée ci-dessous ( le retour du fichier GIF !), on ne saurait pas tout à fait dire s’il s’agit d’un costume gris perle ou bleu nacré.

La marque Hackett je crois me souvenir avait il y a longtemps réalisé des photos de collection à Nice, avec une vieille Rolls et l’univers aristo bien mis en valeur, et un costume justement de cette teinte, était au catalogue. C’est en fait une nuance d’été, qui je pense d’ailleurs était assez commune. Je n’ai pas retrouvé d’images de Louis de Funès, ou de Bourvil, mais à mon avis, il faudrait bien observer des films des années 50 à 70 et je suis sûr que l’on trouverait une foule d’exemples.

Il y avait chez nos aïeux d’une certaine manière moins de frilosité avec les couleurs de costumes. Les nuances étaient plus nombreuses et plus variées. Et je crois que l’été, à côté du costume sable ou gris clair, le costume bleu pâle avait toute sa place.

Un homme en particulier portait toujours du bleu ciel sur scène, un de mes humoristes préférés. Avec le verbe si léger, si élégant, si poétique et raffiné, Raymond Devos !

Je vous souhaite une belle semaine.

Je ne suis pas sûr d’être parfaitement au rendez-vous dans les semaines qui viennent, car je dois finir un très beau livre, écrit pendant le confinement, qu’Hugo Jacomet me fait l’honneur d’éditer. J’ai donc, du pain sur la planche ! A bientôt. Julien Scavini

La chemise à poches !

Par le passé, il m’est arrivé de faire un éloge discret de la poche de poitrine sur la chemise. Non pour y ranger le stylo quatre couleurs, mais parcequ’en vacance, le week-end, ou en voiture, ce logement est fort pratique pour une paire de lunettes de soleil ou une carte bancaire. Et qu’évidemment sur une chemise blanche habillée, ce n’est pas le plus élégant.

Mais la poche de poitrine a ses détracteurs. Elle est même honnie, un peu dans les mêmes proportions que les manches courtes d’ailleurs. Je suis intéressé de voir toutefois que depuis quelques années, la fameuse chemise à col button-down devient plus logique avec sa poche. Ringarde, la poche de poitrine regagne quelques lettres de noblesses. Ce n’est pas Hal qui nous dira le contraire :

Un client avec qui je parlais des poches de poitrine sur les chemises il y a quelques mois m’avait rapporté qu’elles étaient forts commodes dans le cadre de chemises légères, pour l’été. Car ce morceau de tissu cache les mamelons. (J’ai appris à l’instant que c’était le mot châtié pour téton). J’ai trouvé cette idée fort baroque sur l’instant. Mais alors il faut deux poches ai-je demandé. Mais oui. Sur un lin aéré ou un zéphyr de coton, tissus aux trames très transparentes, l’effet est tout à fait certain. Et sur une chemise de week-end, avec deux boutons, cela donne un aspect très « american countrywear ». N’est-ce pas Hal ?

En regardant par ailleurs un vieux Columbo, je m’étais intéressé à la tenue d’un « cop », un policier. Je crois que c’est toujours la tenue en vigueur d’ailleurs chez l’Oncle Sam. La chemise marine est coupée dans un drap bleu, du même bleu que le pantalon. D’où une harmonie visuelle très intéressante, comme un costume, mais sans la veste :

Ces chemises de policier ont tout en commun avec les chemises de militaire d’ailleurs, là-bas et ici y compris. Avec deux poches de poitrines. Les formes des rabats peuvent varier, en couronne inversée chez Columbo comme on peut l’apercevoir.

En fait, ces poches sur la chemise reprennent très exactement formes et emplacements des mêmes poches sur une veste, type militaire comme on peut le voir.

Ce faisant, pour l’été, alors que la veste devient encombrante, ces poches présentent un intérêt double. La praticité d’abord, même si le but est pas absolument de les encombrer. Esthétique ensuite, en apportant à la chemise un surplus de style, c’est le cas de le dire. Un petit plus que renforce l’impact visuel du vêtement. Un peu comme les poignets napolitains qui m’avaient questionné il y a quelques mois.

L’été, les vêtements sont sobres et très simples, les matières pures et les effets de style raisonnables. Il n’y a pas l’opulence hivernale. Aussi, la chemise à poches, au pluriel, est un vêtement à considérer avec grand intérêt. Drake’s l’a fait.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Remonter son bénard

Les messieurs qui ont un petit rond de ventre sont souvent très interrogatifs envers le tailleur. Va-t-il les sauver ? Que peut faire le tailleur pour aider ? Deux solutions existent. La première consiste à faire descendre le pantalon sous l’estomac, donc à s’approcher d’un taille basse. Le mot est presque grossier et n’a pas souvent un bon écho.

A l’inverse, la solution est de ne rien faire du tout, de tailler le pantalon à la hauteur normale. Sur le ventre. Ah oui, mais alors, le pantalon tombe et surtout il a une cuisse large. Le pantalon est taillé comme un entonnoir, mais il est difficile de faire autrement à vrai dire et d’être très généreux au ventre et aux fessiers puis très mince à la cuisse.

Si l’homme accepte parfois cette cuisse généreuse, ce n’est pas toujours le cas de madame qui aimerait un peu de modernité. Ou de jeunesse. Reste la question de cette hauteur. Le pantalon, « il tombe tout le temps » j’entends dire. Alors il y a les bretelles, mais là aussi, rares sont les aficionados.

Et bien alors, il faut remettre le bénard en place ! Vulgairement. C’est-à-dire, sans cesse le remonter. Cela devient d’ailleurs avec le temps une sorte de réflexe conditionné, et presque une attitude en fait. En se relevant d’un fauteuil, remonter le pantalon. Après quelques pas, remonter le pantalon. Bref, faire en sorte que le pantalon retrouve sa position optimum et qu’il ait l’air beau. Presque une habitude de vieux lascars pour reprendre cet argot de titi parisien.

Je suis un grand fan de la série les « Soprano » et je prête beaucoup d’attention à Tony Soprano, en photo ci-dessus, un homme plutôt corpulent. Il porte probablement des coupes italiennes, genre Cerruti ou Armani des années 90. Des coupes généreuses, à trois pinces d’ailleurs là. Et cela m’a amusé de constater, qu’en permanence, il passe ses pouces sous la ceinture pour remettre le pantalon en place. Comme un réflexe conditionné, pour avoir l’air propre sur lui et un pantalon digne de ce nom.

Et de fait, la ligne est impeccable. Sans bretelles. Le pantalon il tombe bien, ceci probablement grâce à une coupe très étudiée appelée « big & tall » aux USA. Ça c’est du falzar de compétition pourrait-on rajouter.

Évidemment, la facilité habituelle, c’est de placer le pantalon en haut des hanches, un peu taille basse comme on l’a dit, mais cela fait ressortir le ventre encore plus. Avec un pantalon qui enveloppe bien comme ici, il faut faire un effort, celui de remonter la ceinture.

Cela dit quoi tout simplement ? Que l’élégance est un travail de chaque instant et qu’elle n’est pas une facilité. Le corps oblige.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Les revers (trop) larges

La mode est aux revers de vestes très larges. Enfin, une mode pas universelle, ça c’est sûr. A côté des grandes marques mondialisées, Boss ou Dior, Hackett ou Zegna distillant l’image de costumes plutôt sobres, aux lignes relativement sages – et donc aux revers délicatement proportionnés, entre 5 et 7cm – une autre esthétique, bien différente se développe. Elle est issue du milieu des tailleurs, des petits ateliers et de l’artisanat. Elle est plutôt une mode d’origine transalpine. Une mode qui a décidé de doubler non par la gauche, par la grande voie dégagée, mais au contraire par la droite, sur la bande d’arrêt d’urgence, et en klaxonnant qui plus est !

Quand j’ai commencé le blog en 2009, personne ne parlait des revers larges. C’est-à-dire de revers au-delà de 10 voire 11cm. Personne à l’école des Tailleurs n’évoquait cela, ni sur les forums prospères à l’époque. Il y avait une sorte de consensus classique hérité des années 90, auquel je me suis toujours référé. A force de trunk show divers et variés, et surtout grâce à cette révolution de l’image instantanée qu’est Instagram, le revers de veste généreux, opulent, voire délirant est arrivé sur le devant de la scène. Une sorte de revival des années 1970 que Pitti Uomo a démultiplié.

Mais de tels revers étaient difficiles à trouver. Les échoppes de demi-mesure n’étaient pas toutes en capacité de sortie de tels revers. Et tous ne pouvaient pas s’offrir un tailleur fait-main italien. Ou Cifonelli, un autre artisan avec Hugo Jacomet comme ambassadeur de ce style débridé. Et puis Suit Supply est arrivé. D’abord ailleurs, puis en France. Alors, même ceux qui sagement achetaient dans les grandes marques précédemment citées, se sont mis à apprécier les revers larges.

Le mouvement a pris de l’ampleur. Si j’ose dire.

J’ai suivi le mouvement en proposant de nouveaux revers plus généreux dans mon petit établissement. Avec amusement. Bien qu’à titre personnel, j’ai eu tendance parfois à passer de 9cm à 8cm sur certains de mes costumes, ce qui me semblait mieux proportionné aux nœuds papillons. On en a fait des costumes avec de généreux revers, 10, 11, parfois 12cm. 13cm fut un maximum réalisé plusieurs fois sur des vestes croisées.

C’est toujours mon avant-dernière question dans le déroulé de la prise de mesure. Avec la longueur de la veste. Le but, après plus d’une heure de rendez-vous, et de faire émerger le désir profond sur ce sujet, de faire parler l’envie, spontanée mais aussi après tant d’autres questions, réfléchie. Ces deux points, longueur de veste & largeur de revers, c’est comme une sorte d’apothéose, de point final, la déclinaison ultime du style du costume, ou de la veste.

Et souvent, je m’amuse. En particulier avec les petits jeunes, qui ont envie. Qui ont bien envie d’un revers large. Mais fidèle à ma sobriété presque protestante, je tente toujours de modérer cette envie. J’aime que les gens fassent des choix qu’ils ne regrettent pas. Avec le défaut de brider peut-être la trop spontanée envie. L’équilibre de cette balance pour un commerçant n’est jamais simple, à quel point piloter le choix du client, aiguiller son désir, en le jugeant délirant ou raisonnable.

Si l’envie d’un revers de 11cm ou 12cm est forte et clairement énoncée, je m’incline et enregistre l’idée. A d’autres moment je fais tant hésiter qu’une modération apparait. Récemment j’eus l’idée de cet article. Un client hésitait précisément pour son premier beau costume, marine, tout simple. Je lui dis alors « écoutez, là, restez raisonnable, faisons 9,5cm, c’est déjà pas mal. Si vous voulez tenter 11cm, pas de problème, faites le sur une petite veste d’été, en lin. Tentez la chose sur un article un peu moins onéreux, et d’un usage plus amusant, plus distrayant. Avec en plus un avantage, grâce à la saisonnalité, vous ne vous lasserez pas de cela. »

Car il me semble, il est là l’écueil. Et je le vois avec d’autres clients. Qui avant de venir chez moi sont allés chez Suit Supply ou dans d’autres établissements de petite-mesure. Et se sont « lachés » comme ils disent sur des revers ultra larges. A eux, lorsque je pose la question de la largeur du revers, je reçois en échange un petit rire. Jaune. « Oui bon j’avais peut-être eu la main trop lourde » avec un petit sourire en coin. Et alors nous mettons d’accord sur quelque chose de plus raisonnable, mais opulent quand même, vers 9cm. Pour ne pas se lasser de cet effet démonstratif.

C’est comme ça. Il faut bien tester pour se faire un avis. Le beau costume bien coupé est en partie à l’homme ce qu’est le jouet à l’enfant, un plaisir divertissant. Dont il faut tester les rouages pour trouver le bon calibrage. Aucune erreur n’est grave en la matière, elle est une expérience acquise.

Bonne semaine, Julien Scavini

Dimanche, c’est jour d’élection

Ils sont douze, mais dimanche soir, il n’en restera plus que deux. Nous sommes déjà au premier tour de l’élection présidentielle 2022. Quatre femmes pour huit hommes sont en lice. Et le costume reste toujours l’habit incontournable des politiques, comme on peut le constater sur les affiches placardées devant les bureaux de vote.

Incontournable je dis, à l’inverse de toutes les incantations que l’on entend ça et là sur la décontraction à l’œuvre et l’abandon du vénérable costume et encore mieux, de la cravate. Oui, mais, il y a des instants plus importants que d’autres. Et le costume, ou le tailleur s’il est féminin, est un marqueur de ces instants. Amusons nous à regarder ces affiches justement, dont le montage est ci-dessous.

Honneur aux dames. Valérie Pécresse, Anne Hidalgo et Marine Le Pen ont fait un choix d’une similarité amusante, t-shirt blanc col en V et veste bleu foncé. Dans le cas de Marine Le Pen, probablement est-ce un chemisier en soie mais l’effet est le même. On nous a toujours dit que la mode féminine était plus libre et plus inventive. On nous aurait menti !

Elles ont toutes trois poussés la similarité jusqu’aux pendentifs. C’en est presque confondant finalement. Je note principalement que l’étoffe du veston de Marine Le Pen parait plus belle, d’un bleu plus profond et riche. Avec un prénom pareil, c’est encore heureux ! Valérie Pécresse a fait le choix d’un modèle croisé de son côté. Quant à Anne Hidaldo, elle a choisi le minimalisme, avec une veste au bord sans revers. Et surtout au fond, une qualité de photo digne d’un photomaton à deux euros, sans relief aucun. Elle pourra présenter son affiche pour refaire sa carte d’identité au moins, ça lui aura servi à quelque chose.

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Reste Nathalie Artaud, sans bijou et sans tailleur, simplement une chemise en popeline imprimée. Et des lunettes rouges, bien rouges. Comme le fond d’affiche de Philippe Poutou, qui partage avec sa camarade ce goût pour le vêtement décontracté et sans chichi. Amusante similarité là encore des chemises imprimées ! C’est ce qu’on appelle une tendance. Sur l’affiche de Poutou, on arrive presque à lire la marque sur le bouton. Cela m’aurait amusé de savoir. Mais je n’aurais pas voulu la même tout de même.

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Les sept autres messieurs sont en costumes. Bleus, sauf deux, le premier étant Fabien Roussel. Je l’ai souvent remarqué à la télévision, il s’habille pas mal et là, je suis content de ce costume, un fil à fil gris anthracite de fort bonne tenue, avec une petite surpiqure qualitative. Avec une chemise délicate en popeline. Cet homme a de l’allure et sur l’ensemble des photos google, je suis assez convaincu, avec de la variété, revers classiques ou en pointes, bleus indigo ou ardoises, gris cette-fois. Ça se tient !

A l’inverse, il y a Monsieur Jean Lassalle. Je tique sur l’état du costume, qui en a probablement vu d’autres avec des épaules incertaines et un aspect général un peu ternis. Qui me fait dire que non… peut-être est-ce un costume bleu marine et non pas gris ? Mince alors ! C’est dommage, car cette cravate club est intéressante, au milieu de politiques qui n’osent rien d’autre que l’uni. Elle est jolie sa cravate, même si le nœud est un peu large pour ce petit col. Chemise est bleue, choix unique.

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Cravate aussi marquée chez Jean-Luc Mélanchon. Un bon rouge synonyme d’Internationale triomphante. Remarquez que l’affiche ci-dessous n’est pas la même que sur le montage en haut. Allez-voir. Et oui, il me semble que cette même pose est réutilisée avec des fonds différents et que la colorimétrie du costume est plus ou moins ajustée. Elle est franchement bleue sur le montage général. Les soviétiques déjà faisaient des montages savants. Ils pouvaient même retirer des gens sur les portraits. Je m’interroge sur le flou au niveau du col de chemise. Qu’ont-ils trafiqués ? Auraient-ils rajoutés sa tête sur le costume d’un autre ? Pas celui de Georges Marchais toujours, il était plus beau. Ou lui ont-ils gommé des rides ? Y’a quelque chose de trafiqué là.

Le plus étonnant est l’absence de la veste de charpentier, ou veste de peintre, ou veste d’ouvrier dont il nous avait habitué. La veste classique, anglaise et bourgeoise est revenue, mais avec des revers bien chiches me semble-t-il, et un tissu peu enthousiasmant. Comme la République, c’est lui, je le mets seul dans ce paragraphe.

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Restons à gauche une dernière fois. Yannick Jadot n’a jamais l’air d’un écolo. Cheveux bien peignés, chaussures qui ne montrent pas les doigts de pieds et cravates. Souvent la cravate, et le col roulé parfois. Et comme Monsieur Roussel, il y a un peu de variété dans ses costumes. Sur son affiche, on voit très peu de chose. Mais suffisantes pour juger que l’étoffe est de qualité, de la laine fil  à fil bleue, avec une délicate surpiqure du bord du col, signe d’un bon costume. La cravate enfin, qui pointe à l’angle est une grenadine. Ça c’est bien. Chic et sobre.

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Pas chic en revanche la veste de M. Nicolas Dupont-Aignan. Ah ces revers, c’est indigne. Rien à dire de plus. Si. Qu’il pourrait oser une cravate avec plus de relief. Je lui proposerai bien un modèle bleu à pois rouges. Mais il est interdit aux candidats de mettre du bleu, du blanc et du rouge dans l’affiche…

Passons à Eric Zemmour. Quelle déception ce petit col encore, de veste et de chemise, double peine !  Une veste indigne qui le fait retomber sur son style d’avant campagne, lorsqu’il était à la télévision. Je trouve cela d’autant plus dommage que pendant la campagne, il s’était refait un look plus précis, avec de nouvelles lunettes et des costumes marines forts bien coupés, aux épaules nettes et aux cols cravatant bien. Costumes qui, je m’étais laissé dire, venaient de chez Arthur & Fox. C’était bien. Là, on retombe dans le chiche.

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Et puis, il y a Emmanuel Macron, le Président. Choix unique, celui d’un pardessus droit à collet. Est-ce une photo réutilisée sans prédestination pour la campagne ? Que penser de ce choix du manteau ? Qu’il ne craint pas la pluie, et ce faisant est-ce une allusion qu’il est préparé et résistant ? C’est remarquable au sens premier du terme en tout cas. Peu à dire par ailleurs. Je note la même cravate que Yannick Jadot, une discrète grenadine. Et un regard de Joconde.

Paradoxalement, à l’issue de ce petit tour d’horizon, ce sont Yannick Jadot et Fabien Roussel qui portent les plus beaux costumes. Certes pas de la très grande qualité italienne, mais des vestes honnêtes coupées dans de beaux tissus. Je ne l’aurais pas prétendu initialement. Qui l’eût cru. Voici un petit amusement sartorial qui ne vaut en aucun cas profession de foi. C’est dimanche que l’on vote, n’oubliez pas.

Bonne semaine, Julien Scavini

Au dos d’un pantalon, petites découpes spécifiques

Petit sujet ce soir pour répondre à la demande d’un lecteur concernant les petites découpes présentes au dos d’un pantalon. Les avez-vous déjà remarqués? Juste au dessus de la poche arrière, il y a une petite découpe qui remonte vers la ceinture. Il s’agit d’une pince réalisée dans le tissu :

Elle permet de diminuer le volume du pantalon, qui est obligatoirement plus large au bassin qu’à la taille. Normalement, la plupart des pantalons disposent d’une petite pince au dessus de chaque poche. Elles aident à gérer le volume du fessier et à faire en sorte que le pantalon « emboite » le porteur, comme on dit. Sur ce vieux patronage, remarquez l’encoche profonde en haut du panneau du dos, en forme de coin, dont la « soudure » permet de serrer la taille :

Il existe quelques coupes qui présentent deux pinces sur chaque dos. Soit quatre pour un pantalon. Ce faisant, le volume au fessier est plus important et le modèle plus confortable. Les modélistes se méfient toutefois généralement de donner trop de bassin. Ces petites pinces, lorsque doublées, donnent beaucoup de volume ce qui peut aussi nuire à l’allure générale. C’est un choix.

Généralement ces petites pinces finissent précisément dans les passepoils de la poche comme on peut le voir sur les photos précédentes. La pointe est prise dans la couture de cette poche. C’est fait exprès. Car la tête de la pince, cousue à la machine, peut avoir le défaut de se défaire avec le temps, et la pince se délite. Au moins, lorsque la poche tombe pile à cet endroit, la pince ne se défera pas.

Et encore. Il m’est arrivé de voir des pantalons portés si serrés que même ces petites pinces avaient éclatées.

Au devant en revanche, jamais de petites pinces cousues ainsi. Jamais. Des plis pincés, qui se développent et apportent de l’aisance et du style oui. Mais pas de petites pinces cousues, sauf sur quelques modèles féminins par choix du styliste.

Le jean lui a opté pour une coupe radicalement différente. Le jean est un vêtement robuste, de travail, qui ne peut se permettre de tels raffinements. Comme je l’ai dit, ces petites pinces peuvent se défaire. De surcroit, à la fabrication, elles prennent un peu de temps pour être bien cousues. Pour le jean donc, les tailleurs de l’époque ont décidé de supprimer ces petites découpes et de mettre à la place un gros panneau, coupé en forme, c’est à dire galbant le vêtement lorsque cousu. La couture n’est pas une petite encoche verticale en forme de coin, mais une grande balafre horizontale, comme ci-dessous :

Voilà donc pour ce petit sujet. Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Le pantalon grande-mesure, un poème

Depuis quelques années que je collabore avec un tailleur pour la réalisation de costumes en grande mesure, je me félicite de constater le plaisir qu’ont les clients lors de l’essayage, en particulier, du pantalon. Le pantalon en grande-mesure, un plaisir à nul autre pareil.

Certes la veste est une œuvre d’art complexe qui demande beaucoup de travail et d’ajustements. Mais le pantalon, cette pièce si souvent vue comme inférieure, ne démérite pas. La veste, comme pièce de résistance est la plupart du temps attendue au tournant. Les clients attendent de voir l’épaule, le volume de la manche, la longueur du corps, la largeur du revers, le bon positionnement du bouton. Autant de détails qui ont été pensé et dont l’assemblage global donne le ton, l’esthétique et le plaisir du costume terminé.

Le pantalon lui, il est essayé en premier, comme ça, presque comme une formalité. Et une impatience apparait, alors que les ajustements sont faits ça et là pour caler la culotte, le rond de hanche ou la longueur.

Et puis, l’humeur se détend et le pantalon est observé. Le temps passe et le pantalon devient, en amont de l’essayage de la veste, un objet à regarder. Il devient un sujet. Le client s’assoit, teste son confort.

Souvent, pour ne pas dire invariablement, une sorte d’aise apparait, un sourire. Finalement ce pantalon qui n’était pas un gros sujet d’attente devient… une surprise. Celle d’une coupe élégante et précise, qui en même temps donne un grand confort.

Je ne compte plus les clients qui en fait, m’ont félicité (même si je n’y suis pour rien ne réalisant pas les grandes-mesures moi-même) pour le pantalon. Parfois certains recommandent quelques autres modèles, en coton ou en flanelle.

A quoi est-ce dû ? Il y a la coupe pour une part, je ne puis le nier. La coupe d’un pantalon se joue presque entièrement sur deux coutures, celle de l’intérieur de la cuisse se poursuivant depuis la fourche vers le milieu dos. De la conjonction de ces deux lignes nait le pantalon, un « siège » où résident le confort et le séant de Monsieur. Et ces deux lignes ne sont pas facile à caler, j’en sais quelque chose en petite-mesure. On fait « au mieux ». Mais en grande mesure, l’ajustement est évidemment plus simple, plus efficace, plus direct.

Je ne peux nier donc une part de la coupe. Mais ce n’est qu’une part je pense. Et pas tout à fait majoritaire. Car pour moi, tout le secret d’un bon pantalon en grande-mesure est dans le montage des intérieurs, les hausses et sacs de poches, en percaline (un coton fin) la plupart du temps. Et dans l’entoilage de la ceinture, à la toile de lin, à la fois souple et rigide. « All natural ».

Tout cela est monté à la main. Une spécificité de la grande-mesure parisienne ou italienne, où tout est fait main. Peu ou pas de machine à coudre. Mais des doublures appliquées à la main, où l’on voit l’enchainement des petits points de rabattement. Ces intérieurs si particuliers sont tels que le commun des mortels le trouve passable, mal exécuté voire grossier. C’est si différent des intérieurs normalisés et cousus machine que l’on connait. Lorsque j’ai donné des cours de couture (enregistrés par Artesane), j’ai vu l’étonnement de couturiers(ères), dont l’apothéose logique était de réaliser les intérieurs les plus impeccables possibles, orthogonaux et parfaitement bien cousus à la machine. D’une netteté d’usine. A l’inverse de la couture main qui fait irrégulier, curieux et ancien.

Mais tout est là. Et pourtant, tout est là ! Tout en souplesse. Un poème d’harmonie et de douceur contre le corps. Il vaut l’avoir essayé pour le croire. De cette pure simplicité de rabattements curieux et ancestraux, presque de rustines et de patch parfois, nait un confort inénarrable. Hélas, tout le monde ne peut l’essayer vu le coût. (Sauf à trouver quelques modèles en seconde main.) Il faut alors me croire, sur parole !

Bonne semaine, Julien Scavini

La belle laine, une niche             

Se plonger dans l’univers du tailleur est un plaisir, tant les savoirs-faire sont érudits et les matières premières choyées. Toutefois, il est utile de remettre en perspective sa place ainsi que celle des drapiers, au milieu d’un « monde » textile beaucoup plus vaste.

L’Union des Industries Textile avait publié une intéressante statistique portant sur la répartition des volumes mondiaux pour trois matières : la laine, le coton, et les fibres synthétiques. En 1994, la répartition dans l’ordre était la suivante : 4%, 45% et 51%. En 2014, elle avait évolué à : 1%, 28% et 71%.

L’usage du coton a baissé au profit des fibres synthétiques. Mais, et surtout, la laine est devenue une niche, sans parler des autres belles matières précieuses, comme le lin, le cachemire ou la soie. La laine est devenue plus que rare, elle est une goutte d’eau dans l’océan textile donc.

Et encore… cette laine, il est possible de la trouver sous deux formes de production pour l’habillement : le secteur de la maille (le tricotage), et le secteur du coupé-cousu (le tissu). Le premier secteur est je pense majoritaire maintenant. Il se vend tant de pulls à travers le monde que je suis prêt à croire, sans en avoir la statistique, que ce secteur est supérieur à celui du tissu de laine. Ce tissu pourtant, où se retrouve-t-il ? Dans des costumes, des vestes et de pantalons.

Or, le marché mondial du costume baisse. Dans un article très récent, Bloomberg nous apprenait que l’office statistique britannique venait de retirer le costume masculin (2pcs et 3pcs confondus) des 700 articles répertoriés dans le calcul de l’inflation. Il y était inclus depuis 1947. Kantar de son côté avait remarqué que le volume de costume vendu au Royaume-Uni était passé de 5 à 2 millions d’unités annuelles, sur les 10 années précédent la pandémie. Austin Reed, spécialiste du costume au R-U avait bien mis la clef sous la porte avec fracas en 2016, fermant une centaine de boutiques d’un coup. Et depuis, cela ne s’est pas  arrangé avec le télétravail. Sans avoir de chiffre en France, je peux subodorer un état similaire.  

Or le costume reste un consommateur de laine important. Donc encore une fois, que reste à la laine : la maille, un secteur par ailleurs assez porteur.

Pour autant, on voit que la laine sait encore se faire une belle place, comme le beau costume, avec le succès de Suit Supply entre autres. J’aimerais voir des chiffres précis toutefois sur cette « institution », les dernières infos que j’avais eu pré-pandémie faisaient état de fonds propres négatifs et d’un endettement record.

Mais disons que oui, les amateurs de beaux produits aiment encore la laine. Pour son tomber, pour sa netteté, pour sa fluidité. Pour ses qualités naturels indépassables ! La laine est raffinée.

Qui la porte toutefois. Non en pull, mais en pièces cousues, comme un pantalon ou une veste ? Regardons autour de nous.

Je m’étais interrogé il y a quelques mois dans Le Figaro pour savoir si la laine était un signifiant social. Chère à produire (longue chaine de production faisant intervenir l’animal), complexe à vendre (produit de haute technicité nécessitant une force de vente qualifiée), précieuse à entretenir (nettoyage à sec), la laine est capricieuse, comme tous les beaux produits. Elle se fait désirer.

Mon postulat était donc : mais est-ce que laine ne serait pas réservée aux riches ? Et donc dès lors, qu’elle serait un signe extérieur de richesse. Qui porte des pantalons en laine par exemple ? A côté du chino ou du jean, peu de monde.

Toutefois, je ne suis pas sûr qu’elle soit vraiment un signe de richesse. Mark Zuckerberg et d’autres riches modernes ont beau être plein de moyens, ils n’ont pas pour autant de la laine sur eux. Et allez dans un palace faire un tour, vous ne verrez pas une tonne de laine passer. Certes les plus grands tailleurs mondiaux travaillent la laine, mais dans des qualités infinitésimales.

Il n’y a peut-être pas un rapport immédiat entre richesse personnelle et laine. Mais une thèse statistique sur le sujet serait très intéressante toutefois à monter. Qui porte de la laine ? On peut en revanche dire qu’il y a une adhésion des porteurs de laine à son idéal. On ne porte pas la laine comme n’importe qu’elle autre matière. Il faut la vouloir et la chercher. La laine n’est pas anodine. Et elle n’est pas forcément que pour les riches. En revanche, une chose est sûre, c’est un marché de passion et la laine est un plaisir. Et ça, j’en suis ravi !

Bonne semaine, Julien Scavini

Les soufflets en haut du dos des chemises

J’évoquais la semaine dernière les pinces dos sur une chemise, permettant de galber celle-ci tout en gardant un peu de marge au cas où il faudrait élargir la taille du modèle. Parlons maintenant du haut du dos, des replis d’aisance. Attention, dans cet article, je vais me contredire à chaque paragraphe !

Ces sortes de petits soufflets sont disposées à la base de l’empiècement haut du dos, cette grande plaque de tissus spécifique de la chemise. Les vestes n’ont pas cet empiècement coupé horizontalement, créant un jeu géométrique lorsque le tissu est rayé. D’ailleurs, puisque je suis en train d’évoquer cet empiècement, notons qu’il peut être en une seule pièce. Ou en deux, avec une couture au milieu.

Pourquoi l’empiècement haut peut-il être unique ou en deux parties ? Bonne question pour laquelle je n’ai jamais eu de réponse satisfaisante. Bernhard Roetzel dans L’Éternel Masculin note que s’il est en deux parties, c’est pour permettre au chemisier de mieux régler les pentes d’épaules asymétriques. Balivernes je pense, car ces pentes peuvent être différentes même avec une pièce unique.

Je rajouterais même que les grands chemisiers font en une pièce, comme Charvet. Sans aucun rapport et a contrario, je trouve personnellement qu’une chemise avec cette couture verticale et un empiècement en deux est plus élégant, plus digne d’intérêt. Ne serait-ce parcequ’il y a là un raccord de rayures ou de carreaux à faire, plus technique. Donc plus chic, comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessus, d’une chemise Turnball & Asser. A l’inverse encore, en deux, cela consomme moins de tissu qu’en un. Les industriels seraient plus tentés de le faire en deux parties. Allez donc savoir. Et vous, y aviez-vous déjà pensé ?

Ensuite donc, ces petits soufflets. Ils sont disposés de deux manières très différentes. 1- sur les côtés, généralement sur une chemise habillée. 2- au milieu, rassemblés en plus plat, généralement sur une chemise sport, à l’américaine comme on entend dire parfois.

Sont-ils obligatoires, je ne le pense pas personnellement. D’ailleurs, il me semble que les grands chemisiers réalisant du sur-mesure s’en dispensent. Il y a plus de netteté sans ces replis. Et cela permet d’aller plus près du corps.

Et pour rebondir sur les pinces dos, je pense qu’il est totalement ridicule de mettre des pinces milieu dos et des plis d’aisance en haut. Les deux ne vont pas ensemble. Les plis apportent du bouffant  aux omoplates, que les pinces reprennent de manière brutale.

Sauf dans le cas d’omoplates très développées et musclées, et/ou lorsqu’il faut avoir beaucoup d’aisance. Comme c’était le cas pour James Bond, alias Sean Connery, pour répondre au commentaire de « Eric B ». Il m’est arrivé de le faire, mais le moins possible, car cela crée un volume fort impressionnant aux omoplates. Disgracieux même.

Le but avoué de ces replis est de donner de l’aisance aux bras, aux muscles « grand rond » et « trapèze » lors des mouvements. De manière d’ailleurs plus importante lorsqu’ils sont placés sur les côtés. En soufflet rassemblé au milieu, c’est beaucoup plus une question d’esthétique il me semble que de véritable aisance. En soufflet milieu, c’est assez esthétique, je le reconnais bien volontiers. Superbe travail de raccord à l’empiècement haut vous noterez ci-dessous :

Si l’on regarde l’histoire de la chemise, on note avec quel impressionnant volume les chemisiers travaillaient. La chemise a toujours été très très opulente, généreuse. Normal, elle était un sous-vêtement caché sous un gilet et une veste. Jusqu’aux années 90, la chemise était une œuvre de grandeur. Les plis en haut du dos peuvent être vus comme une nécessité pour gérer cette ampleur. Parfois même, j’en ai vu quatre, deux de chaque côté. Un peu comme les plis en bas des manches, au poignet. Brooks Brothers en dispose 7 petits. D’autres 3 à 4. Les chemisiers contemporains sont plus chiches avec cela (2 par exemple), pour éviter de donner trop de volume à l’avant bras de la chemise.

Je crois que les plis côtés en haut du dos sont un peu un reliquat d’une époque où les chemises étaient très amples. Très généreuses. Et que maintenant, c’est plutôt le paradigme inverse. Donc exit les replis en haut et donc, bonjour les pinces en bas, pour galber.

Mais une dernière fois, je vais me contredire. Car dans le cadre d’une chemise bien près du corps, ces petits plis sont intéressants, pour converser une certaine aisance.

Si conclusion il y a, disons que dans le cadre d’une chemise très ample ou inversement, très ajustée sur un corps musculeux, les petits replis côtés apportent de l’aisance. Dans la majorité des cas, ils ne sont pas nécessaires. Quant aux replis centrés et disposés en soufflets, ils sont eux surtout très décoratifs ! A vous de choisir !

Belle et bonne semaine, malgré cette actualité totalement déprimante !

Level expert ?

Lors d’une prise de mesure par le tailleur, beaucoup de questions sont posées. Quelles sont les formes de poches, la largeur du revers appréciée, le niveau d’aisance général, et plus encore. Le novice est totalement enseveli sous cette myriade d’interrogations, et pour chaque point, il faut fournir une réponse visuelle et indiquer ce qui se fait, ne se fait pas, où est la mode, etc.  Une vraie exégèse. Qui généralement tend au normatif. Le tailleur fait alors ce qui est dans l’air du temps. Veste courte, petits revers, pantalon fuselé, tel est le quotidien du tailleur qui veut faire plaisir, sans brusquer les habitudes.

Et puis il y a les clients plus experts. Eux savent répondre précisément sur toutes ces questions. De style d’abord. Poches. Fentes dos. Épaule classique et montée, ou napolitaine. Ajusteurs latéraux ou passants de ceinture. Etc. Une promenade élégante, même si bien sûr, toutes les réponses ne sortent pas spontanément. Cela dépend de chacun.

Ces éléments de style sont facilement appréciables et de nombreux clients, novices ou plus confirmés ont les réponses, avec plus ou moins de célérité. Parce qu’ils sont visuels. Et confrontables à des exemples en vrai, que ce soit une photo sur un téléphone : « ah oui Sylvain avait des poches comme ça aussi sur son costume », ou parcequ’une veste présente cette caractéristique dans l’atelier du tailleur.

Et puis au-delà de la notion de style, il y a les mesures. Alors là, il faut être de niveau plus expert pour avoir des notions. Les mesures sont la partie du tailleur penserez-vous. C’est vrai. Sauf pour trois en particulier, facilement saisissables par le client, car renvoyant directement à un style.

Première question : quelle ouverture du bas de pantalon ?

Deuxième question : quelle largeur de revers de la veste ?

Troisième question : quelle longueur de veste ?

Avec le temps, je remarque que les clients avec un niveaux « senior » ou « confirmé » comme on dit en entreprise, ont souvent des réponses assez précises sur ces points.

  1. 19cm
  2. 8,5cm pour un col classique, 11cm pour un col de croisé
  3. 74cm

Évidemment, ces trois réponses sont données purement à titre indicatif. Il n’est pas si facile de retenir des chiffres, là où des notions de formes sont plus assimilables.

Cela dit, bien sûr que tous les passionnés n’ont pas ces notions en tête. Ils s’en remettent au professionnel et font confiance. Et n’occupent pas leur esprit avec de telles balivernes inutiles. Quelques uns toutefois s’amusent à distiller ces trois mesures au tailleur. Ils sont chef d’orchestre, et conduisent la partition. Le tailleur note et acquiesce, satisfait le plus souvent de lire la même musique !

Bonne semaine, Julien Scavini