Sur la photo du Prince Michael de Kent (pour ceux qui ne le savent pas, un cousin germain d’Élisabeth II) publiée la semaine dernière, Monsieur A. à la boutique m’a fait remarquer le positionnement très bas des boutons. Il est vrai que les passepoils des poches côtés se retrouvent placés comme au milieu du carré de bouton.
C’est qu’à la fois les poches sont assez hautes en fait (pour ma part je les aurais placé un peu plus bas), et qu’à la fois le carré de boutons est assez bas. Cette position, je la trouve pour ma part assez bonne. Si l’on cache les poches, on remarque un placement des boutons un peu bas certes, mais cela permet de donner un V assez marqué pour placer de généreuses et opulentes cravates.
Soit le tailleur aurait pu descendre un peu les poches. Soit il aurait pu remonter un peu les boutons. Ce que cela nous montre, c’est qu’il n’y a jamais une seule bonne réponse en art tailleur.
Ce qu’il faut avoir à l’esprit, c’est qu’à cause de sa croisure double, le V de la veste croisée se trouve rogné un petit peu. Un boutonnage haut sur une veste croisée donne un V court, similaire à une veste droite à 3 boutons. Un boutonnage placé plus bas, comme sur le Prince permet de dégager un V digne d’une veste droite à 2 boutons, à peu près. Voyez plutôt ce dessin :
Mais aujourd’hui, j’ai envie de vous parler un peu de ce carré de boutons devant. Sur le Prince Michael de Kent, les boutons sont disposés devant en formant un carré fort scrupuleux. C’est tout à fait satisfaisant pour l’esprit. Une sorte de quadrature.
Cela dit, est-ce que le carré est digne des proportions de l’Homme ? Pourquoi un rectangle aux proportions d’or ne serait-il pas mieux ? Un rectangle posé à la verticale, plus haut que large. Après tout, lorsque les drapiers dessinent des prince-de-galles et autres carreaux-fenêtres, ils ne dessinent jamais des carrés. Mais des rectangles verticaux. Car le rectangle vertical sied mieux à la verticalité du corps humain.
C’est avec cette logique que bien des tailleurs et stylistes composent le croisé. Et ce faisant, ils définissent plutôt un rectangle devant, vertical. Deux paramètres donnent ce rectangle un peu vertical : d’abord une croisure moindre, ensuite un corps relativement mince.
Car c’est le grand défi du croisé. Lorsque le porteur est mince, fluet, élancé, on manque un peu de tissu devant pour bien réaliser le carré de bouton. On ne peut pas trop forcer la croisure, car alors le bord du devant viendrait embrasser la poche. Et on ne peut pas non plus repousser la poche vers le dos, car alors celle-ci irait chatouiller la fente dos. Il y a un équilibre subtil à trouver et placer les quatre boutons un peu en forme rectangulaire vertical est obligatoire.
De là à dire que le croisé est plus facile à caler sur quelqu’un de corpulent, il n’y a qu’un pas que je peux bien franchir.
D’ailleurs, à l’inverse exactement, lorsque le client a un peu de « surface », il est aussi possible dans certaines circonstances d’obtenir un croisé avec des boutons disposés en rectangle… horizontal. C’est encore bien autre chose. Les stylistes de chez Ralph Lauren sont assez tentés par cela, comme une disposition un peu forcée du croisé, un stéréotype un peu outré. C’est ainsi que l’on forge des images.
Ci-dessous : le carré, le rectangle vertical, le rectangle horizontal :
Pour finir, revenons au carré. Au bon carré bien régulier. Ses dimensions peuvent varier. Les tailleurs un peu « tradi » ont tendance à faire des petits carrés devant. Moi je trouve cela trop chiche. Le Roi Charles porte un peu comme ça. Petit croisé. J’aime mieux lorsque le carré prend une belle dimension, disons 12cm de côté. Au lieu de 10cm comme chez Charles. C’est subtil vous me direz.
Il est vrai. Le croisé, c’est fort subtil à bien dessiner et à bien calibrer. Et il dépend un peu de chaque client, de sa corpulence et de son rapport hauteur largeur. Quel art… ! Interprété avec diversité aussi bien par les tailleurs que par les clients ! & bloggeurs…
Ci-dessous, une image d’un croisé Ralph Lauren et une autre du Roi Charles, avec son petit croisé de boutons… et sa rustine en bas à gauche de la veste :


Bonne semaine, Julien Scavini
Bonjour Julien,
Sujet intéressant que le placement des boutons, car on est en train de me faire mon tout premier croisé et je vois le placement particulier des poches qui sont très proches des boutons !
En parlant de bouton. (je digresse un peu…)
Sauf erreur de ma part, vous n’avez jamais écrit un papier sur la provenance des boutons. Une maison de grande-mesure me dit qu’elle achète ses boutons en Angleterre et en Italie. Et les chemisiers parisiens achètent bien sûr des boutons en nacre je ne sais où. J’imagine que c’est un vaste sujet, car je ne trouve pas grand-chose là-dessus !
Ma préférence va nettement au rectangle vertical, mais ayant une prédilection pour un boutonnage à la taille naturelle, donc assez bas, cela le rend peut-être impraticable.
Essayer le rectangle horizontal c’est l’adopter ! Avec de large revers on nage littéralement dans l’opulence, enrobé de tissu, le ventre au chaud et la poitrine exagérément gonflée par des boutons 5 et 6 très écartés. Le V du col en pâtit malheureusement et le port d’une cravate généreuse devient obligatoire. À moins de porter des chemises à col français assez hauts, baleinés de métal ou amidonnés au ciment.
Bonjour Julien,
Pour une fois, je ne suis pas tellement d’accord avec vous. Il me semble que le plus important est que le bouton fonctionnel soit à la bonne hauteur. On peut un peu jouer sur celle-ci mais si peu… après, si on respecte les proportions, la marge de manoeuvre est faible. Pour moi il est impératif que les boutons du bas soient alignés sur les poches. Qu’on obtienne à la fin un rectangle ou un carré, peu importe, c’est le résultat du respect des autres mesures.
Cela dit, si on s’arrête à cet aspect uniquement, je dois dire que comme vous je trouve le carré en effet un peu bizarre. Et en regardant vos exemples, j’aime bien le rectangle horizontal : ça met l’accent sur l’alignement vertical des deux lignes de 3 boutons.
Et pour moi, il est presque « impératif que les boutons du bas soient alignés sur » le bas du rabat de poche 🙂
Bonjour Julien,
Pour un croisé avec un rectangle bien plus haut que large, voyez les vestes croisées de Roger Moore taillées par Cyril Castle dans « Amicalement Vôtre » et ses deux premiers James Bond. A l’inverse un blazer de « Rien que pour vos yeux » signé Doug Hayward en 1981 a un boutonnage très bas et un rectangle très aplati.
Cordialement,
Pas de commentaires sur le rapiéçage ? Compte tenu du rang du personnage, il envoie un message d’actualité : « si même le Roi d’Angleterre juge bon de réparer ses vêtements de qualité, pourquoi ne le faites vous pas? »
En ses temps de fin d’abondance ce type de comportement est à saluer.