Quelques vidéos pour patienter

Chers amis, je suis en train d’écrire un article assez compliqué sur l’évolution du volume et des dimensions du vêtement masculin à travers les âges et la tâche s’annonce relativement ardue. Les dessins surtout sont longs à réaliser. Toutes mes excuses. Pour vous faire patienter une petite semaine, je vous ai trouvé un ensemble de vidéos extraites de l’émission How It’s Made, une émission canadienne formidable qui détricote les processus industriels. Je regarde cette émission en boucle, et voici quelques vidéos qui vous intéresseront, car elles concernent le vêtement.

Les boutons, en fausse corne aussi vraie que nature :

Le jean, fabrication rapide :

Le costume (thermocollée dans ce reportage):

La laine :

Les belles chaussures en cuir :

En fouillant, vous trouverez également une multitude d’autres vidéos passionnantes sur les sujets connexes.

Bonne semaine, Julien Scavini

L’étoffe du diable

L’article suivant est un condensé du livre de Michel Pastoureau consacré à la rayure, « L’Etoffe du Diable », paru aux éditions du Seuil. Ce résumé nous permettra de mieux comprendre une facette de l’histoire du vêtement que nous étudions en ce début d’année.

L’histoire débute au 13ème siècle époque où le diable commence à apparaître avec des habits rayés. Il existe peu de mention antérieure, surtout de « bonne » rayure. L’historien a plus de prise sur les transgressions et la rayure en est une. L’histoire de la rayure est donc documentée, à la différence de l’uni, très ordinaire.

Michel Pastoureau nous relate que l’une des premières mentions dans la vie réelle, en dehors de représentation, nous provient d’une controverse qui éclata lorsque les moines de l’ordre de Notre Dame du Mont Carmel adoptèrent la rayure pour leur manteau. Ce premier scandale remonte à 1254. Si les descriptions précises manquent, il semblerait que ce vêtement était rayé de brun et de blanc. S’en suivit une longue discussion entre les supérieurs de l’ordre et le Vatican. Il ne fallut pas moins de 8 ou 10 papes pour arriver à faire changer le costume !

Car à l’époque, le tissu rayé était un tissu mauvais.

Le vêtement rayé était destiné à faire remarquer les gens en marge de la société, donc les prostitués, jongleurs, bouffons, bourreaux à qui il était demandé de porter au moins une pièce rayé, marquant par là un écart. Pour ne pas les confondre avec les « honnêtes » gens. Par exemple, dans certaines villes et états d’Allemagne, lépreux, bohémiens, juifs et non-chrétiens étaient contraints d’arborer des rayures.

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Le rayé est une mise en valeur, positive et bien souvent négative. Le rayé s’oppose au au semé médiéval, signe positif (le semé est cette manière de disposer à intervalles réguliers sur un mur ou une étoffe unie des signes, fleurs de lys, trèfles et autres petits symboles stylisés.) Le rayé ou le barré était une visualisation du mal ou de l’en dehors de la société.

Ceci dit, en héraldique, le rayé est plus complexe et permet de créer des familles et des groupes, des structures de parentés subtiles et complexes. Mais les aspects péjoratifs sont aussi repris. Par exemple, les chevaliers félons ou les princes usurpateurs ont des armoiries à rayures.

C’est à l’époque moderne (romantique ancien régime) que la rayure devient bonne et tend à écarter l’aspect péjoratif des vêtements du moyen âge.

Malgré tout, jusqu’au 19ème siècle et encore après, la rayure reste péjorative. Les domestiques en portent, comme par exemple Nestor dans Tintin. Mais c’est un entre deux, plus mauvais mais pas encore bon.

Vers 1500, la mode des rayures connaît un nouvel essor, d’abord en Italie, puis en Allemagne et en France, comme par exemple avec François Ier ou Henri VIII, qui portent des pourpoints rayés. Les Princes les imitent et la rayure verticale devient aristocratique, alors que la rayure horizontale reste mal vue. Cependant, l’Espagne, héritière de la cours de Bourgogne n’aime pas cela et reste à l’écart de cette mode.

La réforme protestante puis la contre réforme catholique favorise le retour à des vêtements plus sombres et la rayure s’éclipse. Le 17ème siècle est un siècle sans rayure.

Elle revient doucement sous la régence en France car le goût oriental alors en vogue aime les rayures. Mais c’est avec la révolution américaine vers 1775 que la rayure devient à la mode et concerne toutes les classes sociales. Porter de la rayure, c’est être pro-américain, donc anti-anglais. Presque un phénomène de société. C’est aussi à ce moment que les encyclopédistes découvrent le zèbre, ce qui joue beaucoup !

sans culotteLa révolution reprend alors à son compte la rayure et l’idéologie républicaine fait usage de la rayure, à travers de la cocarde et du drapeau. Les sans-culottes sont rayés.

Le 1er Empire et le Consulat aime toujours la rayure dans le style retour d’Egypte et le directoire a également continué l’usage de la rayure pour son aspect romantique. De plus la rayure semble agrandir les volumes.

Malgré tout la rayure péjorative reste. Le rayé est valorisant ou dévalorisant, comme pour les prisonniers vêtus de rayures. Ce serait dans les colonies du nouveau monde que ce costume serait apparu, vers 1760, mais des exemples anglais et allemands plus anciens existent. Notons que les bagnes français n’en feront jamais usage et où les forçats étaient vêtus d’un rouge vif.

Durant le 19ème siècle, nombre de sous-vêtements sont rayés. Michel pastoureau estime que le but était de protéger la peau comme une barrière infranchissable. Ainsi matelas, draps et pyjamas seraient des cages contre les intrus, contre les mauvais rêves aussi.

A partir de 1860, d’abord aux Etats-Unis puis au Royaume-Uni et en Europe, la chemise évolue. Vers 1920, elle est plus colorée. Du statut de sous-vêtement à peine visible, elle passe au rang de vêtement honorable. Une belle chemise et des cols propres sont un signe de respectabilité. Et il est amusant de noter que la rayure du sous-vêtement suit le mouvement et se retrouve visible, dans des tons pastel le plus souvent.

Notons au sujet des sous-vêtements que l’habitude sociétale voulait que ceux-ci restent le plus naturel possible, c’est à dire non-teinté. La rayure permettait alors une légère fantaisie, non par teinture mais pas tissage.

bord de mer rayé maillot de bain ancien

Au bord de la mer, la rayure connaît une histoire plus triviale. La vogue balnéaire pense imiter les marins pécheurs. Il s’agit d’une transgression de l’idéal bourgeois, on s’encanaille en rayures marines ! On s’habille de rayures.

C’est par ce biais que les rayures deviennent synonymes d’hygiène. Un snobisme apparaît même et les crémier ou les poissonniers arborent alors un tablier rayé et posent des stores rayés qui sont synonymes de fraicheur. La rayure pour les enfants devient seine, sereine et dynamique, comme le dentifrice Signal !

Michel Pastoureau finit alors son étude en faisant remarquer que dans certains sports, les arbitres sont rayés. Seulement il ne trouve pas la réponse et se demande pourquoi les historiens du sport ne s’y sont pas intéressés.

Seulement, il manque à cet ouvrage une belle partie sur la rayure anglaise, sur la rayure londonienne, bref sur celle du banquier ! Par quel prisme le rayé est-il devenu synonyme de respectabilité dans les années 30 ? Après lecture de ce fascinant petit ouvrage, qui comme beaucoup des écrits de Michel Pastoureau était fascinant et plein de rebondissement, j’aurais tendance à émettre une hypothèse amusante : et si la rayure de banquier années 30 était précisément une rayure de parvenue, de nouveau riche ? Si précisément ce motif si détesté à travers les âges n’avait pas été adopté par toute une population travailleuse et vite enrichie, contre l’uni sombre des Lords et autres représentants de l’Ancien Monde ? Rayure forte et expressive, parfois bouffie d’égo, vite récupérée par les truands et mafieux divers ? Sentiment négatif que finalement nous aurions encore oublié, comme souvent dans l’histoire de la rayure, où les modes se chassent et les raisons de l’appropriation ou de rejet avec.

Une chose est sûre, la rayure reste sujette à discussion et peu nombreux sont mes clients à s’y risquer. Dommage !

Bonne semaine, Julien Scavini.

S’habiller au Moyen-Age

En ce début d’année, nous allons étudier quelques temps l’histoire du vêtement au travers de quelques articles, synthèses de mes lectures récentes. C’est en effet un voyage passionnant que celui dans le temps. Regarder en arrière permet de mieux comprendre les us et coutumes attachées aux vêtements : pourquoi telle forme ou telle couleur, comment nos ancêtres voyaient la mode, et surtout, qu’est-ce qui fait l’élégance. Cette question cruciale renvoie un peu à la place de l’art en occident. Et permet peut-être de mieux comprendre la place de la mode dans les habitudes d’aujourd’hui, de relativiser le combat entre anciens et modernes. Voir dans l’histoire peut aussi donner des pistes sur le futur. Et enfin et surtout, il est amusant de dessiner nos ancêtres. D’autant plus que les ouvrages de modes anciennes traitant du vestiaire homme ne sont pas légions, la femme est plus souvent décrite.

Commençons ce jour par un abrégé de l’ouvrage de Sophie Jolivet consacré à ‘S’Habiller Au Moyen-Age’, édité chez Gisserot en 2013. L’auteur est docteur en histoire, chercheur à l’Université de Bourgogne et travaille spécialement sur le vêtement à la cour des ducs de Bourgogne.

Son petit précis dresse un aperçu des usages vestimentaires du moyen-âge, allant de Clovis à Louis XII, soit de 481 à 1498.

La première idée que j’ai retenue de ma lecture est une variation assez mince de la mode vestimentaire sur la période. C’est le fait le plus étonnant, car sur une période de 1000 ans, les hommes sont restés assez attachés à la forme des vêtements hérités de l’époque Romaine, à savoir une variation de la toge, un long vêtement tunique en forme de T, ça et là accessoirisé.

Mais l’entreprise de recherche a deux limites et sur ce point l’ouvrage est clair et très scientifique (c’est même sa seule lourdeur) : 1-nous n’avons qu’une seule strate sociale d’étude, l’élite noble et/ou argenté à l’exclusion de la paysannerie dont il ne reste que de minces traces ; 2- le moyen de transmission de ces informations, des fresques et tentures dont l’exactitude est plus que sujette à caution. Il est en effet très probable que les artistes de l’époque aient représentés rois, princes, seigneurs ainsi que leurs suites sous des atours d’apparat plus luxueux qu’en réalité ou hérité d’époque antérieures, jugées plus fastes et symboliques.

Le vêtement au cours de cette longue période qui nous apparaît sombre (à raison, car l’éducation historique scolaire s’intéresse plus aux Romains puis à l’Ancien Régime tardif qu’aux début de la période mérovingienne) jouait un rôle prépondérant dans les relations humaines. Plus qu’aujourd’hui, la façon de se vêtir reflétait la personnalité de quelqu’un, sa manière de se situer dans un groupe et/ou par rapport à un groupe.

L’auteur s’appuie sur les trois grandes périodes du moyen-âge pour analyser le vêtement. La première période va de 481, début de la dynastie mérovingienne à 1066 et la conquête de l’Angleterre par Guillaume Le Conquérant. Durant cette période, l’Europe a connu les plus grands bouleversement sociaux depuis son peuplement. Durant cette longue période, des peuples en ont chassé d’autres. Un grand brassage culturel eut lieu, mêlant influences du Nord et du Sud, richesse et pauvreté suivant la région. Les traces historiques sont très minces. Il n’existe que très peu de peintures et encore moins d’écrits sûrs. Les tombes lorsqu’elles sont retrouvées intactes ne donnent pas assez d’informations car trop anciennes.

La seconde période va de la première croisade en 1096 à la dernière croisade en 1270. Durant cette ère de consolidation, le vêtement évolue un peu et plus de traces sûres sont à notre disposition, comme le livre des métiers de Paris, grand registre professionnel à visée cadastrale écrit vers 1268 par Etienne Boileau, prévôt de Paris.

Enfin, la dernière période allant de 1328, le début de la guerre de cent ans à 1498 et l’avènement de Louis XII voit enfin des transformations notables du vêtement, menant aux vêtements plus modernes.

La période mérovingienne est assez méconnue. A cette époque, les structures sociales et commerciales de l’ancienne Rome sont profondément corrigées. Les quelques études disponibles sur des fouilles de tombes ne permettent pas de dire grand chose, le modèle chrétien instituant la mise en terre sans objets de faste pour l’au-delà. Ceci dit, des restes de ceinture sont nombreux, le métal ayant résisté plus que le cuir et le chanvre. Les mérovingiens en France auraient été vêtus d’une tunique drapée à l’encolure par une agrafe, ceinturée à la taille et terminant à mi-mollet, d’une culotte s’estompant sous le genoux et de bandes molletières liant à un chausson de cuir. Un mélange de styles assez lié au brassage gallo-romain, mêlé d’influences germaines (dessin 1).

A4 Portrait _ Master LayoutLa période carolingienne qui s’ouvre en 754 apporte plus d’éléments historiques. Ceci dit, l’époque devenant plus pieuse, la majorité des vêtements décrits sont issus du monde sacré. Le capitulaire de Villis en 789 a été dressé sous Charlemagne et avait pour but d’organiser et de réglementer les ‘villae’, les unités de productions et d’exploitations artisanales. Il donne un nombre important d’élément sur la création des vêtements, mais assez peu sur leur mode.

Ainsi, nous apprenons que la production textile était déjà structurée en deux pôles : animale et végétale (lin, chanvre, grande ortie, etc.). La laine provenait des moutons, mais pas seulement, les poils de lapin, chèvres, bovins ou encore chiens étaient utilisée. Le rouissage (c’est à dire le trempage des fibres végétales), puis le cardage et le filage pour les deux catégories sont encore pratiquées de nos jours.

Trois matières étaient principalement utilisées pour la teinture : la guède, le vermillon et la garance. De la première, on tire péniblement l’indigotine donnant le bleu pastel. De la deuxièmement issue d’un animal, la cochenille parasite du chêne, on extrait un rouge éclatant mais extrêmement couteux, tout comme de la troisième, issue d’une racine. En plus de ces trois teintures, de nombreuses mousses étaient utilisées au quotidien. Mais les paysans n’avaient pas accès à ce luxe.

Le métier à tisser n’est pas encore horizontal. Les femmes qui réalisaient les tissus tendaient des fils à la verticale (l’ourdissage) avant d’y passer la navette. Les fils se tassaient par gravité, mais les armures étaient déjà nombreuses (toile et serge). La fabrication de galons et bordures était aussi importante. Car durant cette période et jusqu’au vêtement moderne, le bord des habits n’était pas à vif, comme en architecture une fenêtre n’était pas qu’un simple trou dans une façade. Au contraire, bordures et extrémités étaient l’objet de nombreuses attentions. Ainsi, les bas de manches et le bas du vêtement ainsi que l’ouverture centrale était rehaussés de galons, pierreries et autres rubans. La richesse d’un vêtement, par ses ornements et couleurs était d’une importance cruciale dans la hiérarchie sociale, tout comme le nombre de couches de vêtements.

L’artisanat du cuir apparaît aussi dans le capitulaire. Le tannage du cuir pouvait se faire de quatre manières différentes dont plusieurs sont encore utilisée de nos jours : le tannage végétal, qui recourait à des essences fortes en tannins (chêne, sapin, châtaignier) et le tannage à l’alun (aujourd’hui au chrome), pour obtenir des peaux plus blanches et plus luxueuses. Les cordonniers produisent aussi nombre de petits lacets très utiles. Le cuir était utilisé pour les souliers et les ceintures. Quelque fois, il servait à réaliser des chapeaux et des parties de manteaux. Car le cuir était principalement destiné à l’usage militaire, comme les boucliers ou des parties d’armures. La fourrure semble utilisée parcimonieusement, du moins durant le haut moyen-age.

Au delà du capitulaire, des exemples illustrés permettent de mieux comprendre le vêtement de l’époque carolingienne, c’est le cas de la tapisserie de Bayeux, qui représente des scènes de la vie de cours et de la vie ordinaire. Les vêtements sont largement d’inspiration antérieure (gallo-romaine). Les drapés sont imposants pour les hommes. Le duc Guillaume est par exemple représenté vêtu d’une longue tunique, recouverte d’un manteau cape. Harold qui lui prête serment est vêtu d’une tunique plus courte, mi-cuisse, ceinturée, mais possède aussi une longue capeline-toge. Les jambes sont fines. Le caleçon long est tenu par des bandes molletières là encore. En revanche, les soldats sont représentés en armure, une évolution notable. Mais les soldats se payaient leur propre équipement. Les soldats pauvres étaient à l’instar des paysans vêtus de simples couches de caleçon longs, haut et bas, près du corps, dont les jambes étaient séparées dès le pubis (dessin 2).

A4 Portrait _ Master LayoutDe cette manière de vêtir découlera l’évolution la plus importante pour le vêtement en occident. Car cette tenue qui tient plus du sous-vêtement et mettant en valeur les formes du corps et la musculature sera plus largement mise en valeur durant la première moitié du XIVème siècle lorsque les jeunes en cours décideront de porter seule cette tenue très évocatrice, en complément d’une tunique raccourcie et ajustée, présentant de nombreuses découpes et coutures qui sera appelée pourpoint (dessin 3). L’art tailleur se développe, car les formes sont plus complexes à produire. Ce travail du modelage du corps, réalisé assez tardivement est le premier pas vers un système de mode. Le corps devient porteur de sens et on le triche par des jeux de rembourrages. Cette habitude va devenir indispensable au vêtement masculin occidental dès ce moment.

A4 Portrait _ Master LayoutCe système de mode se caractérise 1-par une plus grandes diversité des formes de vêtements (dû à des modes de vie différents suivant les catégories sociales), 2- plus d’accessoires (c’est le cas de l’apparition du chaperon, sorte de coiffe drapée) et 3- des formes de vêtements incompatibles avec le travail, notamment pour les femmes ou les robes prennent de l’ampleur. L’évolution du vêtement va aussi suivre l’actualité politique. C’est par exemple le cas de l’appropriation de la couleur noir, diffusée depuis la Bourgogne par Philippe Le Bon, que j’avais décrit ICI.

La semaine prochaine, nous étudierons la découverte de la rayure, grâce au travail de Michel Pastoureau, avant un article difficile qu’il me reste à écrire sur l’évolution du volume et des dimensions de l’habit masculin à travers les âges.

Je vous souhaite une excellente semaine, Julien Scavini.