Relever le col d’une veste ou d’un manteau

Le revers d’une veste, ou d’un manteau, présente toujours à l’endroit de son raccord avec le col, une découpe particulière. S’il n’y a aucune démarcation, il s’agit du col châle, qui fusionne revers et col dans un seul et même mouvement continu. Mais ce revers est bien rare. Non, dans une majorité de cas, c’est une encoche en forme de coin ouvert qui délimite revers et col.

Ce revers, à la fin du XIXème siècle, on ne savait pas vraiment comment l’appeler. Il prenait le nom alors de « bavaroise ». On disait, une veste avec des bavaroises. Soit une veste avec deux retombées de tissus sur les poitrines. Ces deux bavaroises (une de chaque côté) avaient la possibilité de se boutonner sur le côté opposé. Pour en fait enfermer bien au chaud le porteur, au ras du cou.

Certaines vestes autrichiennes présentent encore ces bavaroises un peu généreuses, qui souvent sont boutonnés rabattues sur l’épaule par un bouton de corne de cerf. Sur la photo bien médiocre que j’ai trouvé ci-dessous (une veste de femme avec boutons en métal), ces revers un peu curieux sont bien présents.

J’ai déjà par le passé vu des photos du début du siècle avec de telles vestes. Je me souviens en particulier d’un modèle très similaire sur un homme, au Pays-Basque avant la première guerre mondiale (vu au Musée Basque de Bayonne.) Ce qui me laisse à penser que peut-être, cette forme de veste n’est pas exclusivement autrichienne. Mais peut-être une forme ancestrale de veste ordinaire pan-européenne, par opposition aux fracs et autres redingotes plus élégantes. Il y aurait une étude à faire.

Mais revenons à cette veste ci-dessus et ses bavaroises. On sent bien, et très logiquement, que si l’on cherche à déboutonner le bouton du haut, et que l’on cherche un peu à dégager le cou qui est très protégé là, on va repousser du tissu. Ces bavaroises vont donc s’élargir un peu et le pied de col (dit officier maintenant) va suivre le mouvement et s’épancher un peu. Dès lors que se passe-t-il ?

Le col officier se retourne sur lui-même et s’aligne sur la cassure de la bavaroise, pardon, du revers. Et alors cette sorte d’encoche qui forme le revers maintenant apparait (flèche rouge). Il est très probable que le revers à encoche que nous connaissons bien maintenant soit une forme esthétisée et travaillée de ce qui était à l’origine le bord du pied de col. J’ai essayé un petit croquis, sans triche de dessin aucune. La brisure du revers (le repli) est l’axe de symétrie par lequel les traits du dessin de gauche sont basculés pour devenir revers.

Ainsi donc, notre cran de revers actuel correspond plus ou moins à l’emplacement de la pomme d’adam. La veste arrive en ras de cou, et le col (dit officier) ménage un petit espace.

Ca c’est pour l’origine historique. Alors logiquement, l’hiver lorsque l’on a froid, il serait fort possible de basculer ses revers de vestes pour se protéger du froid. On pourrait même idéalement boutonner le revers gauche sur le pan droit pour vraiment avoir chaud et re-former le col ancien (dit officier).

Sauf qu’avec le temps, nos crans de revers se sont dissociés de cet usage, et même sont remontés encore, dans une vie esthétique autonome. Le cran de revers est aujourd’hui sur la clavicule. Il est trop haut. Si le revers gauche est rabattu à droite, le cran de revers tombe dans le menton. C’est plutôt inconfortable à moins qu’il fasse moins vingt degrés. Et le dessin du cran de revers s’est fait au long d’une ligne droite. Sur cet autre petit croquis, je confronte un revers actuel, et sa version à droite plus ancienne, courbée comme l’encolure :

Certaines maisons de prêt-à-porter pour retrouver un peu cet usage ont eu l’idée d’une patte sous le col comme Hackett, ou d’un col avec patte prolongée à gauche. Mais là encore, c’est plus de l’esthétique que du très pratique !

Il y a l’option sinon de baisser le cran de revers, pour obtenir quelque chose de moins moderne, mais ayant la possibilité de se boutonner. C’est rare. Sur une veste, peu utile d’ailleurs peut-être. Sur un manteau, c’est intéressant. C’est par exemple le cas de mon atelier en Italie, Sartena, qui depuis toujours réalise son manteau droit avec un col plutôt bas. Permettant absolument un boutonnage opposé par temps froid.

En revanche, inutile d’essayer de rabattre un revers en pointe. Les pointes tombent sur le menton voir devant la bouche. Les pointes sont purement de l’esthétique. Rien de fonctionnel. Il ne faut pas chercher à rendre chaleureux un manteau à col pointe. Sa stricte utilité est d’être d’une opulence ostentatoire. Pas pratique !

Bonne semaine, Julien Scavini

La forme des basques

Quel titre bien mystérieux. Les basques désignent bien sûr les pans bas de la veste. Cela dit, cette définition était véritablement valable à l’époque des jaquettes et autres queues-de-pie descendant au genou. Les basques étaient alors longues. Et quelques mendiants pouvaient s’y accrocher dans la rue pour réclamer un obole. D’où l’expression « lâchez-moi les basques. » Sur une veste contemporaine, les basques sont plus réduites, disons la partie située entre le nombril et le bas de la veste. L’appellation « quartiers » existe aussi, probablement issue de l’univers bottier.

Quoiqu’il en soit, une veste sur le devant en bas présente généralement un arrondi. Cet arrondi s’évase pour dégager les jambes et terminer la veste avec délicatesse et raffinement. La veste courte au court de son développement à la fin du XIXème siècle a immédiatement vu cette courbe apparaitre. Etait-ce pour faire comme la jaquette? Ou simplement par commodité de mobilité? Les jambes bougeant, elles sont besoin d’être dégagées de toute emprise du vêtement de dessus. Sur ces quelques vues ci-dessous, cet arrondi est bien présent. Vers 1860, la veste encore un peu longue s’approche un peu de la jaquette tout en prenant au paletot, une sorte de veste / manteau ample. Et vers 1890, elle trouve sa longueur presque moderne, avec un boutonnage toutefois très haut. L’arrondi est bien là pour faire de la place aux jambes.

Voici une gravure tout à fait parlante par ailleurs de cette transition entre la jaquette (tout à gauche) et la redingote (tout à droite) et les vestes plus modernes. L’arrondi est bien présent.

Autre exemple ci-dessous. La jaquette (tout à droite) est coupée de telle manière qu’elle permet même boutonnée de laisser les jambes s’articuler aisément au buste. A la différence de la redingote croisée portée par Churchill (non ce ne sont pas des manteaux) qui est plus agréable ouverte, pour ne pas gêner le mouvement. Voici la parfaite démonstration de la logique de coupe de la jaquette. Puis de la veste courte qui en dérive.

Car il faut bien l’avouer, une coupe à angle droit du bas de la veste engonce un peu l’homme et rend le mouvement mal-aisé. Toutefois, pour être couvert au mieux, et avec l’entrejambe protégée de la pluie, rien de mieux. C’est pourquoi dès cette époque, les tuniques et vareuses militaires et de chasse sont découpées en angle droit. Ci-dessous un soldat anglais en tenue de l’époque Guerre des Boers (1899) et à côté un garde chasse en 1911 avec une veste genre norfolk. Avec l’angle droit, le statut ambivalent de veste d’apparat et/ou de lourd vêtement utilitaire est consacré.

Notons tout de même que les militaires coupaient les vestes plutôt courtes, cela étant probablement lié à la pratique du cheval. Les basques anguleuses ne gênent alors pas le va et vient des jambes.

Autre photo passionnante ci-dessous, un petit groupe de soldats français en 1914. Les officiers présentent des tuniques impeccables, à pans rigoureusement carrés. Juste derrière, les soldats sont en manteaux. Les pans sont accrochés sur les côtés. Cela s’appelle le retroussis. Le but est clair : ne pas obliger les genoux à pousser le tissu à chaque pas, en bref, faciliter la marche. Le principe est assez similaire avec la veste. Et plus celle-ci est longue, plus l’arrondi se justifie.

Si la norfolk ou la vareuse militaire ont des bas carrés, la volonté d’adoucir les lignes et de rendre plus poétique la coupe reste bien présente. Comme sur cette norfolk de 1920. L’angle droit est à peine adouci :

Après avoir dit cela, force est de constater que cet arrondi peut varier suivant les époques. Dans les années 1920, on l’aime très peu marqué, presque martial, avec un boutonnage très haut placé, donnant des basques très longues comme sur cette photo très typée d’une veste 1 bouton aux pans gigantesques. Toute une allure avec des épaules naturelles sans padding! Déjà à l’époque.

Toutefois, cette mode très typée si elle remplie les magazines de mode (avec des pantalons très étroits et courts, typiques des dessins de JC Leyendecker), la majorité des tailleurs utilisent la même courbe, celle du perroquet d’architecte comme on peut le voir sur cet autre groupe de messieurs en 1920, il y a cent ans donc ! Des vestes aux courbes classiques et sans variation sur le siècle écoulé.

A côté de cette élégante courbe, la veste croisée commence à faire parler d’elle et à devenir une icône du style. Avec des basques carrés, sans exception. Une esthétique formelle et quelque peu martiale pour cette nouvelle forme de veste dont on a jamais réussi à savoir si elle était plus ou moins habillée que la veste à basque arrondie. Que curieusement on appelle en français veste …. droite malgré son élégante courbe terminale.

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

à la mode anglaise.

La mode masculine classique est anglaise! Tout élégant le sait, même si les temps modernes brouillent quelque peu les règles. C’est à Londres que cette élégance fit ses premiers balbutiements lorsqu’un certain Beau Brummell décida et entraina une partie de la cour du Prince, futur George IV (1762-1830), à abandonner les lourds habits de soie rehaussés d’or, de perles et de galons. Brummell affectionnait la simplicité du drap de laine, dans des coloris simples, bleu marine ou camel. Ainsi naquit ce qui fut appelée la mode de garçon d’écurie.

Cela dit, il est difficile de parler de révolution, tant cette habitude vestimentaire avait en Angleterre une logique. C’est plus un aboutissement dont Brummell est le révélateur. Outre-manche, l’aristocratie n’était pas seulement de cours comme à Versailles, mais au contraire bien enracinée dans ses terres, et souvent au travail pour les faire « tourner ». La figure du gentleman-farmer est ancienne là-haut, si bien peinte par Gainsborough et Reynolds. Et comme le relate plus tard avec amusement Oscar Wilde dans l’Importance d’Etre Constant. En France, il existait une dichotomie plus importante entre l’aristocratie de cour et celle des provinces. Le va et vient était très restreint. Cela entraina donc une moindre évolution vestimentaire.

La France resta longtemps à l’écart de ce mouvement de mode. Juste avant la révolution française, certains comme le régent Philippe d’Orléans manifestèrent leur penchant pour le goût anglais. Son fils, Philippe Égalité pour s’opposer à son cousin Louis XVI marqua justement ce goût pour les mœurs anglaises en arborant des fracs de drap ou des culottes de peau.

La Révolution Française et la Terreur n’apportèrent pas forcément de vision construite ou du moins partagée d’un vestiaire type. Et l’Empire ensuite retourna à l’habit d’apparat de l’Ancien Régime, de manière anachronique pour les chroniqueurs de l’époque. Il fallut véritablement attendre le Second Empire pour voir éclore ce que les historiens appellent l’anglomanie. Il marqua l’avènement d’une société bourgeoise en mal de stabilité. Alors que les allemands grondaient déjà et ne pouvaient servir de modèle, les anglais eux en avaient développé un. Cette monarchie parlementaire à la pointe du libéralisme économique était enviable ! Ainsi triompha perfide Albion et le personnage du gentleman fit son entrée en chassant le mythe du gentilhomme.

La mode anglaise déferla en France sous le Second Empire, sous l’effet d’une évolution libérale majeure pour notre pays. A l’époque, la bourgeoisie triomphante se fait une certaine idée de l’art de vivre britannique. Au niveau vestimentaire, c’est l’avènement d’une mode pour tout le monde. Terminé les longs palabres avec son tailleur pour savoir quelle soie marier avec tel ou tel galon. Les façonniers de New Bond Street avaient normés les usages et les formes. Et le noir gagna du terrain au grand désespoir de Balzac ou de Baudelaire.

Les vêtements étaient alors très ajustés. Le frac échancré à la taille et la redingote droite ou croisée sculptaient la silhouette des hommes. L’envie de souplesse toutefois se fit jour et l’on vit apparaitre vers 1850, au grand dam des tailleurs, le paletot. Originellement porté par les artistes de la plume ou du pinceau – dont Baudelaire -, il fut rapidement utilisé par une bonne partie de la population. Sa vocation ‘démocratique’ s’inscrit dans ses lignes généreuses et ses quelques gros fermoirs. C’est à cette époque que le tweed fut importée et dont la prononciation était encore incertaine ‘twine’? ‘twouid’?.

Il fallut attendre le début du XXème siècle pour voir apparaitre les premiers ensembles ‘tout de même’, c’est à dire du même tissu, autrement dit ‘complet’, avec un veston court. Encore un anglais, le Prince de Galles, futur Édouard VII fils de Victoria fut l’un des premiers à arborer des vestons sports lors de ses séjours à Balmoral. Le vêtement n’était pas encore synonyme de confort, mais l’idée faisait son chemin.

Aux alentours de la première guerre mondiale se figea alors l’idée de vêtements plus usuels, y compris dans la bonne société. Et la dichotomie toujours en vigueur Ville/Campagne se fit jour. Apparurent alors les vêtements de la ville constitués de complets sombres et ceux plus ordinaires, de tweed bruns ou de flanelle pour les bords de mer et parties de campagne. Cette mode s’égraina tout au long du XXème siècle, pour être presque inchangée dans l’usage encore aujourd’hui ! Bien que les derniers mois chamboulent bien les habitudes !

Julien Scavini

Philip Mountbatten, duc d’Édimbourg

A une journaliste qui se hasardait à commenter la tenue du Prince Philippe, Karl Lagerfeld avait répondu qu’il n’y avait rien à redire et qu’il s’agissait d’un des hommes les mieux habillés au monde. Je suis tout à fait d’accord. Si j’ai écrit sur l’Empereur du Japon, le Prince Charles ou son grand oncle David Windsor, il ne m’était jamais venu à l’idée d’écrire sur le duc d’Édimbourg. Pour un livre que j’ai terminé (à l’état de manuscrit non édité), je m’étais dit qu’il serait formidable de trouver de nombreuses images de cet illustre élégant. Pour sa sobriété et son classicisme tout britannique. Une apothéose de style… digne ! Pas de tapage. Pas de ringardise. Pas d’excès. Pas d’ostentation. Juste des bons vêtements, bien coupés dans la plus pure tradition des tailleurs. La seule chose précieuse chez Philip était sa petite épingle à cravate avec la jaquette. Voire la fleur à la boutonnière. Cette petite pochette en liseré, toujours bien disposée dans la poche de poitrine résume à elle seule sa penderie. Stricte et raffinée. Une garde-robe assez idéale. Voici par thème un pèle-mêle de photos glanées sur internet. Une sorte de petit guide illustré du vestiaire masculin classique. D’une dignité hors du commun.

Les blazers

Je ne suis pas sûr de trouver son blazer croisé 2 x 8 particulièrement élégant. Celui au milieu, en flanelle bleu air-force est en revanche très sympathique. Remarquez deux fois ce pantalon greige, en gabardine unie. Peut-être un fin whicord sur la photo 2. Il en porte souvent avec ses tweeds.

Les costumes croisés

J’ai eu un peu de mal à trouver beaucoup de photos en croisé. S’il semble en porter pas mal dans les années 50 et 60, et en dehors des uniformes de la Navy, il semble avoir vite abandonné cette forme un peu classique et conformiste. Dans un esprit de modernité dynamique, même la veste trois boutons fut abandonnée au profit de modèles deux boutons, plus conformes à son esprit.

Les costumes droits

Passé 90 ans, il est évident que ses costumes devenaient un peu amples. Mais quel bonheur qu’il ait pu porter de si dignes habits jusqu’au bout. Le positionnement volontairement bas de son bouton accentuait sa grandeur et lui donnait beaucoup d’allure. Les clichés des années 60 et 70 sont particulièrement admirables. La photo en noir & blanc, saluant à la sortie d’une vieille demeure, est particulièrement élégante ! Une grande adéquation du physique et de l’habit.

Les jaquettes (morning-coat)

Passons aux jaquettes. Cette digne pièce-à-taille de jour, je ne crois pas qu’il existe au monde un homme qui la portait si bien, et un tailleur si doué. Car celui qui lui a coupé les gilets est un génie du genre. C’est bien simple, ils ont l’air serti comme l’est une pierre sur un monture. Implacable placement de la ligne de taille et de boutonnage. Quelle beauté, en gris ou en noir, c’est selon.

LEs queues-de-pie (white-tie ou tailcoat)

Évidemment, après la jaquette de jour, il y a la queue-de-pie du soir. Là encore, aucun faux-pas. Le gilet ne dépasse pas d’un centimètre de l’habit. C’est impeccable. Les derniers en France a avoir fait ça bien, dans un cadre officiel étaient René Coty & Jacques Chaban-Delmas. Les pointes très aplaties du gilet sont rares et très agréables visuellement. Son spencer blanc d’officier à col châle est une merveille du genre. Quant à la dernière photo, elle permet d’admirer un vrai col cassé, haut et bien glacé.

Les manteaux

Question manteaux, là encore, c’est du très très bon. Il y a un peu de tout, du simple Barbour au croisé Ulster en passant par le loden et la gabardine beige. Je vous l’ai dit, une garde robe idéale ! Et la pochette blanche en liseré toujours de sortie. Et ce sourire. Souvent le sourire est aux lèvres !

Les vestes sport

Reste enfin son répertoire de prédilection, la veste sport, façon gentleman à la campagne. Je n’oserais dire « farmer » bien qu’il s’intéressait beaucoup à ce sujet. Remarquez la photo sur la Range Rover, ce fameux pantalon de gabardine grège associé à une veste presque du même ton, mais à la texture opposée. J’ai vu de nombreuses photos où il portait ainsi une tenue dépareillée presque ton sur ton. C’est assez charmant en fait. Observez aussi sa veste norfolk, un modèle du genre. Je note aussi que le Prince Philip aimait portait des bonnes vieilles Clark’s, souples et décontractées.

Et pour rigoler, finissions avec cette merveilleuse chemise à manches courtes, qui si elle était édité demain par Drake’s, serait un best-seller immanquablement !

J’espère que ce petit diaporama vous a plu. Et que vous pourrez y trouver une importance source d’inspiration. Et surtout, le plus important, soyons heureux et soulagé. La Reine déjà bien attristée ne sera pas obligée de saluer l’horrible californienne. Ouf !

Bonne semaine, Julien Scavini

Le dos du gilet

Le dos du gilet est toujours en doublure. C’est un fait qui ne se discute pas. Cette petite pièce de matière luisante fait partie intégrante de l’esprit du gilet, bi-matière et bi-face. Et pour tous les clients, c’est l’occasion de se demander si cette doublure va être ton sur ton du gilet lui-même, ou en décalage, et quel va être le degré de fantaisie. Lorsque la veste tombe, elle-même pouvant être doublée avec ou sans fantaisie, le dos du gilet apparait au grand jour. Et il peut être un « statement » comme disent les anglais, une déclaration de style, haute en couleur, comme sur la photo ci-dessous. Mais ça, c’est au choix du porteur.

Alors lorsque samedi j’évoquais cela à un jeune marié, il m’a coupé au bout de quelques instants en me demandant : « mais pourquoi le dos est-il toujours en doublure ? » Bonne question je dois dire, que je ne m’étais jamais vraiment posé.

La réponse est toute bête, le prix.

Lorsque le gilet est apparu, sous l’ancien régime, époque Louis XIV, il était très long, jusqu’à mi-cuisse. Et on l’appelait d’ailleurs « veste », et la veste dans le sens de vêtement du dessus était appelée « justaucorps ». Ce gilet recouvrant allègrement le haut des jambes avait une doublure plus courte dans le dos. Les pans avant du gilet apparaissaient comme des décors couvrant le haut de la culotte. Avec le temps, le gilet s’est raccourci pour arriver au modèle que nous connaissons aujourd’hui, s’arrêtant un peu en dessous de la taille naturelle. Et le dos a fini par se caler à la même longueur.

Ce gilet daté de 1750 fait parti des collections du Palais Galliera à Paris. Une somptuosité. On aperçoit discrètement le dos d’une autre matière :

Sous l’ancien régime, le tissu coûtait très cher. Et le tissu de luxe (les reps et ottomans, les velours lisses ou gaufrés, en laine, en mohair ou en soie) coûtait encore plus cher. Une petite fortune même. Ils étaient bien évidemment fabriqués sur des métiers manuels, avec des matières premières rares. Sans parler du fait que les vêtements étaient rehaussés d’or et d’argent. Imaginez qu’un de ces beaux vêtements valait plus que la solde annuelle d’un soldat. Et probablement plus que le revenu d’un foyer de paysans. Le tissu était une matière précieuse. Chaque centimètre carré avait une valeur. On ne perdait rien et les tailleurs faisaient au plus près. Il a fallu attendre le début du XIXème siècle pour voir le prix du tissu décroitre formidablement grâce au coton et à la mécanisation.

Si bien que pour ces gilets dont au fond seul le devant comptait vraiment à la vue des autres, le dos était méprisé. Et les tailleurs recouraient à de la simple toile végétale (lin, chanvre peut-être). Comme pour l’intérieur des habits. La belle doublure, c’est une invention du XXème siècle là encore, avec la découverte de la rayonne notamment. Au XIXème siècle, on utilisait du satin de coton. Et la soie trop précieuse n’a jamais vraiment été utilisée.

Ces gilets de l’ancien régime avaient parfois la qualité d’être noués dans le dos, au milieu, comme un corset. Voyez ces différents modèles sortis de Google image :

Donc cette tradition d’un dos de gilet en une autre matière, moins précieuse que le devant vient de là. Et elle s’est perpétuée. Dans les années 50, l’invention des fibres élastiques permet aux tailleurs de proposer des gilets moulés sur le corps, mais le laissant libre de ses mouvements. Une bonne idée, qui n’a pas eu de suite toutefois. Et jusqu’à nos jours, le dos du gilet est en doublure.

Toutefois, le coût du tissu diminuant toujours et encore, il n’est pas beaucoup plus cher maintenant de proposer le dos du gilet dans le même tissu que le devant. (Notons toutefois qu’en moyenne, la doublure vaut dix fois moins chère que le lainage principal. Tout de même !) C’est une question intéressante de style. Surtout si le gilet est vu comme une petite pièce pouvant être portée seule, sans veste parfois.   

  Bonne semaine, Julien Scavini

Le bouton, partie seconde

Après les formes, voici la question des matières enfin. La plupart des boutons sont réalisés en plastique maintenant. Les plus élégants, ceux des tailleurs et du bon prêt-à-porter sont plutôt en acétate de cellulose, comme la fausse écaille des lunettes. Cette matière imite élégamment la corne. Elle a l’avantage d’être stable, à l’usage et au nettoyage. Évidement, les plus beaux boutons pour homme sont en corne. La célébration des matières naturelles est toujours un plaisir. Ils ont le défaut toutefois d’être plus friables, donc plus cassants. J’ai tendance dans mon travail quotidien à préférer l’acétate, pour ne pas avoir de problème de SAV à ce niveau. Mais si l’on me demande, je peux proposer de la corne, bien sûr. Voici différentes plaques d’acétate de cellulose, prêtes à être débitées en boutons. De ce que j’ai compris sur le site du fabricant, une plaque vaut… 0,0011€. C’est pas cher !

Plus élégante donc, la corne. Je me suis pendant longtemps demandé d’où venait cette corne. Impossible de savoir auprès des fournisseurs… Et puis un jour sur un salon professionnel, je demandais son avis à l’agent commercial de Vitale Barberis, qui appela au pays un vieil italien spécialisé dans le bouton. La réponse me laissa coi. Et bien d’Inde pardi, le pays des vaches sacrées. Oui tout à fait. Les vaches y sont sacrées, mais une fois mortes, entre les peaux qui sont vendues à l’étranger pour le tannage, et les sabots et cornes qui sont transformés en boutons élégants, elles sont d’un commerce profitable ! Sur le site exportindia.com j’ai trouvé cette jolie image des différents produits en corne de vache qu’il est possible de trouver en Inde. Fascinant.

Autre matière « cornée », le bois de cerf. Sa surface est généralement laissée telle quelle, pour apporter un brin de naturel, façon « chasse, pêche, nature et traditions ». On en trouve un peu sur les vestes autrichiennes. A part le corne et l’acétate, il existe aussi des boutons en corozo. Si j’ai bien compris, c’est une pulpe solidifiée du fruit d’un palmier particulier. Cette matière est parfois appelée ivoire végétale. Elle est d’un usage ancien en Amérique centrale. Les allemands importèrent le goût des boutons en corozo sur le vieux continent au siècle dernier. L’avantage est que le corozo peut se teindre. Son apparence est assez unie.

Or du corozo, de l’acétate et de la corne, il y a aussi le bête plastique, et les polyesters dérivés. La réserve de possibilité est infinie alors. La mélamine en poudre pressée est aussi utilisée. Dans cette petite vidéo de 10min, toutes les possibilités sont présentées! Édifiant et amusant :

Le bon bouton de cuir tressé, façon Ralph Lauren n’est plus très à la mode. Trop 70’s ? Les vieilles dames aiment en coudre à leurs vieux maris, car ils sont faciles à coudre pour elles, et facile à manipuler pour eux. Cet argumentaire est aussi valable pour les mamans envers leurs enfants. James Darween dans Le Chic Anglais dit que jamais les anglais n’ont utilisé ce bouton, qui est une invention des américains de la côte Est pour se donner un air d’aristocratie anglaise.

Sur les chemises, la nacre se fait rare. Car elle est encore plus friable que la corne. Je n’ai jamais transigé sur ce point dans mon échoppe. Je les vends sur mesure pour 100€, et je reste fidèle à la nacre. Toutefois, j’ai déjà vu des clients revenir après le pressing, et me présenter des boutons tout dépolis. Complètement ruinés… Je le constate un peu sur mes chemises aussi. Les boutons perdent de leur superbe. Les détergeant sont trop forts à mon avis. La nacre provient de très gros coquillages, et parait-il que la « mother of pearl » australienne est la meilleure ! Voici ci-dessous l’imposant coquillage dans lequel sont débités nos jolis petits boutons.

Reste enfin les boutons métalliques. Mais même sur un blazer les hommes de plus en plus s’en lassent. Holland & Sherry en présente toujours une collection, en or 9 carats et émail grand feu, s’il vous plait ! Ils ne sont pas donnés mais assurément très sympas. Le plus simple est le bouton lisse, à moins de présenter le bouton de votre club ou de votre famille. Toutefois, toutes les fantaisies en la matière seront pardonnées. Un peu d’excentricité ne tuera pas l’élégance. Au contraire. Pourquoi pas une petite ancre de marine ou un chardon ? Ou les armes de la reine d’Angleterre ? Elle le vaut bien. Or, argent, cuivre, ce choix est laissé à votre discrétion. Pour mon propre blazer, j’ai choisi des boutons cuivrés, à trois petites couronnes. Ils sont discrets, ce que je voulais.

Retrouvez la partie 1 de l’article ici.

  Bonne semaine, Julien Scavini

Petite histoire du prince-de-galles

Superbe prince-de-galles qui continue années après années d’enthousiasmer les élégants et d’animer la surface de leurs costumes. Ce motif sied aussi bien aux costumes qu’aux vestes seules, gage de durabilité et de longévité vis-à-vis des rayures par exemple, toujours un peu curieuses sur une veste seule il faut le reconnaitre. Le prince-de-galles sait par ailleurs se faire discret, passant avec certains caviars et chevrons dans la catégorie des faux-unis. On ne le voit que de près, et au loin, le costume parait uni. Ce qui plait encore plus. Mais d’où vient ce motif ?

Il fut popularisé dans les années 1920, il y a un siècle donc, par le Prince de Galles d’alors, David d’un de ses prénoms, fils de George V. C’est lui qui abdiqua rapidement pour suivre son grand amour, l’américaine Wallis Simpson. C’est aussi lui qui avait quelques sympathies nazies. Bref, quoiqu’il en soit, dans ses jeunes années, ce fringant jeune homme toujours à la pointe du style aimait faire de l’effet par ses vêtements. Certains diront qu’il avait un goût très sûr, d’autres qu’il savait être grotesque. Quoiqu’il en soit, il mit ce tissu écossais sur le devant de la scène, et en particulier aux États-Unis d’Amérique, ce motif fit florès. Ci-dessous, le Prince de Galles porte costume et casquette en prince-de-galles. J’imagine que l’attrait venait de l’aspect ambivalent de l’étoffe, faite pour la campagne écossaise, et portée à la ville. Une sorte de dissidence vestimentaire comme d’autres font aujourd’hui. Mais il l’avait bien trouvé quelque part ce tissu ?


Précisément en Écosse. Patrie des tartans, ces grands carreaux colorés, le prince-de-galles en est un lointain dérivé. Ces tartans au XIXème siècle se figent dans leurs dessins. Chaque famille, chaque clan, chaque région adoptent le leurs. Mais pour ceux qui n’en n’ont pas, comme les riches industriels ou les aristocrates anglais en villégiature écossaise, il faut bien créer des tissus reconnaissables. C’est ainsi qu’apparurent les « shepherd’s check » et autres « gun tweed » reconnaissables à leurs lignes colorées s’entrecroisant plus ou moins en pieds-de-poule. Ci-dessous, un tweed façon « shepherd’s check » de chez Moon :


Ce serait précisément une de ces histoires qui serait à l’origine de tissu, pour habiller des gardes-chasse attachés au château d’Urquhart en Ecosse au bord du Loch Ness. On prononce « Eurqeut ». Mais au lieu de se contenter des dessins habituels en lignes colorés proposés plus haut, il eut l’idée de prendre un bête pied-de-poule noir et blanc, et d’en écraser les proportions alternativement. Ce faisant, cela crée des blocs de pieds-de-poule, reliés les uns aux autres par des harpes. Une sorte de carroyage irisé apparait. Quelle idée ! Ainsi naquit le « glen urquhart check » ou « glen urquhart plaid ». Vous reconnaitrez ci-dessous très clairement les croisures en pied-de-poules :

Historiquement, le prince-de-galles est donc très monochrome et plutôt fort dans son dessin. Ralph Lauren adore présenter de telles vestes. Si elles m’ont toujours séduites, je les trouve néanmoins assez fortes et tapageuses. Mais c’est beau. Très vite, des lignes bleue-vertes plus fortes apparaissent et encadrent les harpes, donnant plus de relief avec la superposition d’un double carreau-fenêtre. C’est ce tissu que choisit un autre Prince de Galles, grand père de ce lui évoqué. Là nous parlons du fils de Victoria, le futur Edouard VII. Il aimait l’Écosse et la vie au grand air. Il fit sien ce motif de lainage. Ci-dessous, un exemple contemporain de ce que devait-être ce premier prince-de-galles à sur-carreaux doubles :

Il y eut encore quelques perfectionnements, avant d’arriver aux prince-de-galles que nous connaissons aujourd’hui et dont nous parlerons peut-être prochainement ?

Belle et bonne semaine, Julien Scavini

Zéro, une ou deux fentes dos? Partie 2

La semaine dernière, nous sommes donc arrivés aux années 90 / 2000. Les couturiers italiens, Armani, Cerutti et d’autres, mettaient en avant de belles vestes, un peu larges et généreuses aux épaules, et en même temps très prises au bassin, glorifiant d’une certaine manière l’homme taillé en V. Ce bassin étroit reposait sur une absence de fente. Et comme je l’ai dit, les belles vestes se caractérisaient ainsi. En opposition aux maisons anglaises proposant deux profondes fentes. Ci-dessous, un costume Armani de 1990 :

Qu’en est-il aujourd’hui ?

D’abord, l’absence de fente a totalement disparu, ou presque, de la circulation. Toutes les vestes sont revenues sur ce paradigme d’un instant. Les marques italiennes ont massivement reproposé la double fente, dans une sorte de consensus, à vrai dire, assez international.

A l’inverse, la fente simple milieu dos reste la préférence des marques dîtes « couture » ou qui se croient ainsi. Pourquoi, je ne l’explique pas particulièrement. C’est un fait.

La double fente

Celles-ci permettent de mieux gérer d’une certaine manière le cintrage de la taille. Dans le cadre d’un fessier un peu rebondi, le manque de bassin de la veste ( comprenez le diamètre de la veste au niveau des fesses ) est réparti sur les deux fentes. Si le bassin du client est de 106cm et que le bassin de la veste est conçu pour 102cm, les 4cm manquant sont répartis, 2cm à chaque fente. Cela permet à celles-ci de s’ouvrir peu, de moins s’évaser. C’est donc une simplicité de conception, et une souplesse de vente. Les doubles fentes pardonnent.

Dans le cadre d’un fessier plat par ailleurs, les doubles fentes tombent en plaquant le tissu contre le bassin, et alors, R.A.S. comme on dit chez les espions. Que le bassin soit plat, normal, ou rebondi, les doubles fentes s’adaptent. C’est ce que l’on cherche en prêt-à-porter.

La simple fente

Celle-ci impose en revanche au porteur, d’avoir le bassin idéalement proportionné, donc, d’être à l’instar d’une gravure de mode, dans le « canon ». Revenons à l’exemple, si le client a 106cm de bassin, et que la veste est conçue avec 102cm de bassin, les 4cm manquant se retrouvent sur la fente, qui ouvre inéluctablement. 4cm, c’est en effet la valeur moyenne de chevauchement des pans.

Donc, dans le cadre d’une simple fente, avec un fessier fort, il y a fort à parier que la fente ouvre… car les hommes ont souvent un peu de fesse.Vous me direz alors, mais pourquoi les bureaux de style créent-ils des bassins étroits ? Ils n’ont qu’à dessiner des bassins un peu larges.

La première réponse est : excellente idée. Car un bassin large donnera toujours l’impression d’une veste bien cintrée. C’est le paradigme des années 1920, avec des vestes très dodues de l’arrière train.
La deuxième réponse va nuancer ce propos. Car les hommes actuellement, sauf une rare majorité, n’aiment pas que la veste paraisse grosse au fessier. Ils veulent que le pantalon, pour une majorité moule le fessier, mais pas la veste.
Enfin, troisième réponse : une veste qui aurait un bassin large adapté aux forts popotins n’irait pas à une autre portion d’hommes avec un bassin plat. Pourquoi ? Car la veste alors fera des vagues comme une jupe autour des hanches.

La simple fente est plus spécifique du sur-mesure, où un calcul très fin du tour de bassin peut être effectué. La simple fente oblige à un moulage plus précis du corps. Là où les doubles fentes sont plus imprécises. Chose particulièrement curieuse, dans les derniers James Bond, Daniel Craig ci-dessous a été habillé de vestes à une seule fente. Cette forme emboitantante n’est pas la plus adaptée pour avoir de l’ampleur dans les mouvements. Et d’ailleurs en position statique, elle ouvre un peu. Je le pardonne au tailleur !

Le sans fente

Quant aux vestes tonneaux, totalement serrées au bassin et ne présentant aucune fente, il semble bien, même pour les smokings, qu’elles aient disparues. Pour ma part, deux de mes vestes sports, de week-end, des modèles simples et sans fioritures, ne présentent aucune fente. Pourquoi ?

Car d’abord, sans fente, une veste est plus solide, plus endurante. Surtout que l’une est non doublée. Cela évite plein de petits points délicats en haut des fentes. Ensuite, j’exprime par cette allure l’envie de rapprocher un peu la veste du blouson. Ou de ces formes modernes de work-jacket qui n’ont pas de fente. Il y a une sorte de simplicité charmante dans ce style.

Évidemment, le patronage ne fut pas si simple, pour donner suffisamment de hanche à mon bassin. Mon idée était aussi de se rapprocher de ces images très élégantes des années 1920, avec des vestes bien pincées mais très « hanchées », rondes, à la manière du Prince de Galles de l’époque, ci-dessous. J’ai disposé une martingale sur le dos de l’une des deux. Cela renforce ce petit esprit années 20.

Quid des manteaux

Les manteaux, par leur longueur, ont toujours eu besoin d’une fente, pour donner de l’aisance. La fente milieu dos permet aux pans de trouver une certaine souplesse et latitude pour s’écarter au contact des jambes qui bougent, du corps qui avance. Cette fente est normalement plutôt haute et longue, c’est plus élégant. Surtout si le manteau est long.

Quelques rares essais de doubles fentes furent tentés. Évidemment, cela n’a pas de logique, car les pans doivent s’ouvrir et voler bêtement, et ainsi donner froid. L’inverse de ce qui est recherché ! Cette illustration de Laurence Fellows évite sagement cet écueil : les deux fentes sont en fait des replis de tissus, des soufflets. Quelle débauche de matière !

 Bonne semaine, Julien Scavini

Mémoire radiophonique, Pauline de Pange

Petit billet pour vous recommander chaudement l’écoute de cette archive radiophonique, une conférence de la comtesse Pauline de Pange née Broglie. « Comment j’ai vu 1900« . Un plaisir immense et rare, une projection mentale dans un autre Paris, et aussi, dans un autre monde. 25 petites minutes seulement, on aimerait que ça dure plus.

pauline de pange

 

Bonne écoute, vous ne le regretterez pas ! Julien Scavini

Le livre ‘Fred Astaire Style’ de G. Bruce Boyer

Fin janvier, pour conclure sa fiche de lecture de ‘Rebel Style‘, Raphaël évoquait l’envie d’un livre sur l’allure classique, comme résistance aux modes. Et bien en rangeant la bibliothèque de la boutique, j’ai trouvé par hasard ce livre. Fred Astaire Style, dans la même série chez Assouline que le livre précédent. En voici donc les grandes lignes, toujours écrites par Raphaël :

Qui est LE représentant de l’élégance masculine au cinéma ? Attention, pas un homme grand et beau, à la Cary Grant, qui ferait toujours tourner les têtes! Pas plus qu’un homme dont le regard a fait la carrière, comme Clark Gable ! Alors, James Dean ou Gary Cooper ? Non plus ! Eux, c’est le sex-appeal qui domine, pas l’élégance.

Cherchez plutôt un acteur dont le visage s’oublie pour ne regarder que le corps ou plutôt, le mouvement. Ce corps qui virevolte. Précis et distingué, ni raide ni apprêté. Un acteur qui ferait douter de la gravité terrestre : Fred Astaire. Il détonne à une époque où le canon de beauté d’Hollywood se définit par des acteurs qui sont « Tall, Dark and Handsome », lui qui était petit, maigre et vaguement chauve, comme il aimait le rappeler. Pourtant, armé de son charme, Astaire marque profondément son époque.

Quand on pense à cet acteur, on pense à l’âge d’or d’Hollywood, aux décors somptueux et à la belle Rita Hayworth. Fred Astaire incarne le beau vestimentaire. Pour certains, c’est le séducteur de Top Hat (1935), digne en queue-de-pie. Pour d’autres, c’est un virtuose en smoking dansant sur un bar, dans The Sky’s the limit (1943). Et pour d’autres encore c’est le dandy, chapeau haut de forme, jaquette et guêtres de Blue Skies (1946). En somme : un Fred Astaire vêtu de tenues très formelles.

Des légendes renforcent cette idée d’un Fred Astaire à l’élégance repassée : l’acteur aurait fait couper un gilet aux pointes arrondies, dont le tailleur Anderson & Sheppard garderait jalousement le secret, refusant de le copier pour d’autres clients… Plus troublant encore, Astaire aurait eu des habits à l’emmanchure si haute qu’il en aurait eu mal aux aisselles ! Quelle ironie ! Nous ne nous souvenons que d’une infime partie de ses tenues : celles qu’il aimait le moins, les ensembles formels et codifiés. C’est tout le propos du livre de Bruce Boyer : Fred Astaire n’est pas un héros victorien à l’élégance affectée.

Au contraire, Fred Astaire est un représentant du cool, du décontracté américain, par ses tenues colorées et souvent dépareillées, loin du costume business. Ce cool, c’est celui d’un danseur accompli, qui possède une technique de danse parfaite et qui travaille ses chorégraphies avec acharnement. Astaire s’habille pour laisser son corps libre de danser : c’est pour ça qu’il y a un style Fred Astaire. Ainsi : adieu les cols amidonnés, des épingles tiennent en place ses cols de chemises. La cravate ou le foulard sont fourrés entre deux boutons. Une autre cravate se noue comme une ceinture : elle maintient le pantalon haut, au creux de la taille. Pourquoi ? La soie est plus souple que le cuir. Enfin, détail important: les chaussures. Quand Astaire danse, ses chaussures sont moulées sur ses pieds. Sa jambe est nerveuse, allongée. Son pied : petit et souple.

Le style Fred Astaire est un ensemble de variations de modes et de coupes décontractées. Il incarne la souplesse et le mouvement. Oui, il y a un  immense travail de coupe chez le tailleur, qui répond à l’immense travail de répétition du danseur. Tout cela pour avoir l’air nonchalant. Les tailleurs de Fred Astaire suivent la mode, presque à contrecœur. L’ampleur augmente ou diminue imperceptiblement, pour être d’actualité sans être la caricature d’une mode. Par exemple, lors de la remise des oscars en 1970, Astaire est habillé à la mode : un smoking bleu, grand nœud papillon de velours, une chemise non amidonnée et un pantalon étroit !

C’est la différence vis-à-vis des acteurs. Un acteur s’habille pour dessiner à gros traits un personnage. Fred Astaire est avant tout un danseur. Il s’habille comme il danse : avec nonchalance. Voyez :

ou encore :

 

Quelques photos du livre de G. Bruce Boyer pour conclure:

Bonne semaine, Julien Scavini