Le noir et le bleu

Pendant de très nombreuses décennies, les souliers noirs ont tenu le haut du pavé. Une chaussure de ville, prise comme une icône est noire. Les gentlemen d’Angleterre nous ont légué quelques codes, parmi lesquels l’usage de souliers différents avec une tenue formelle et avec une tenue sport. C’est ainsi que le noir et le sombre est devenues la couleur des tenues de ville, des tenues de cérémonie, bref de tout ce qui est important, et donc peut-être, du travail. Le marron quant à lui demeure une couleur plus naturelle, plus proche de la teinte de la peau d’origine, plus facile à marier avec des tenues décontractées.

De nos jours, les règles sont évidemment brouillées et personne n’est véritablement obligé – sauf par son milieu social, et encore – de respecter à la lettre ces préceptes. D’autant plus que si l’on suivait ceux-ci à la lettre, il ne serait pas possible de porter souvent les souliers marrons, surtout si l’on aime cela. Car de nos jours, et dans de nombreux domaines, la question du goût – personnel et collectif – se surimpose aux règles quelles qu’elles soient. Que je veuille ou non juger ce goût, il est là.

Et le goût du moment (est-ce une trouvaille italienne ?) consiste à associer un costume sombre avec des souliers marrons, y compris et surtout dans le cadre du travail voire même à un mariage ! Soit. Parfois et suivant le bleu, l’accord peut être sympathique. C’est le cas par exemple de l’alliance de flanelle bleu marine avec des souliers en veau-velours foncé. C’est parfois le cas avec des souliers d’un beau marron moyen, grainé, avec un bleu légèrement pétrole.

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Mais je m’arrête là, car l’usage de souliers marron clair est plus qu’hasardeux, avec du bleu marine ou pire, avec du gris… Ceci dit, il est bien vu de manière classique de porter l’ensemble blazer bleu, pantalon gris et souliers marrons. Donc le gris peut aller avec le marron. Une question de règles. Ceci-dit, je n’aime précisément pas tellement cet accord.

Les souliers noirs n’ont donc plus la cote ? Trop fades, trop semblables d’une paire à l’autre, trop classiques ? Classique ! Ah le mot est lâché pour immédiatement vouloir faire l’inverse. Pourtant, quel commun que toutes ces groles Eram, André ou Zara, marron clair, qui rebiquent car elles ne voient jamais d’embauchoirs ! Le métro le matin est un défilé de laideur.

J’avais récemment un client avec sa fiancé qui cherchait une telle alliance. Mon rôle n’est pas d’imposer mon goût, ni même de vouloir entrer dans de longs débats. Je fus très impressionné par leur capacité à trouver des règles pour associer gris et marron. Ils trouvaient que tel gris allait mieux, que tel autre moins. Je trouvais tout simplement que cela n’allait pas ensemble ! Chacun ses goûts.

Et finalement, ce qui me surprit le plus, c’est que le client chaussait des souliers noirs – un derby curieux – avec son jean, forcément…. bleu. Ah, alors ? Avec le costume bleu marine, plusieurs clients m’ont souvent dit que les souliers noirs ne s’harmonisaient absolument pas ! Que le marron était mieux. Mais là, le jean bleu par essence, se marierait-il mieux avec les souliers noirs? Je cherche encore la réponse … On se fait les règles que l’on veut. Cela s’appelle des principes à géométrie variable, un trait commun de l’époque.

Bonne semaine, Julien Scavini

Bonne fête de Pâques

Comme chaque année, un petit portrait de famille, avec pour thème le voyage et la course aux œufs en chocolat ! Quelque part, à la fin des années 20…

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En marge de ce dessin, découvrez également quelques clichés réalisés à l’intérieur de la boutique Charvet de la Place Vendôme. Les photos sont l’œuvre Claude Truong-Ngoc (qui m’a aimablement autorisé à en présenter ici) et publiées sous licence Créative Commons. J’en mets quelques unes en consultation directe ici, les autres sur la page Wikimédia !

Bonne semaine, Julien Scavini.

La couleur verte

Une couleur difficile le vert… Ces quelques mots lâchés par tante Constance dans Gosford Park (Maggie Smith par Robert Altman)résument parfaitement la réaction de chacun, hommes et femmes à l’idée de porter du vert. C’est vrai mais bien dommage.

Rappelons d’abord que le vert est la couleur dont l’œil peut voir le plus de nuances, son spectre étant très large. Il existe une infinité de variantes, vert pomme, vert anis, vert menthe, vert sapin pour les végétaux, vert sinople en héraldique, vert malachite pour les pierres dures, vert du vers de terre et vert de gris, vert ScotchBrite, vert et bleu canard et j’en passe. De plus le vert est considéré comme la couleur relaxante par excellence. Voir de la verdure repose l’esprit.

Seulement quand il s’agit d’en porter sur soi, le débat se corse. La couleur attire, mais repousse aussi, à cause du teint blafard qu’elle peut donner.

J’ai identifié quelques pièces simples, qui proposées en vert, peuvent être très belles : une veste de tweed, une cravate en grenadine, une chemise rayée, un pantalon chino. Voyez l’illustration. Seulement attention au choix du vert.

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Si ces pièces peuvent être superbes, on ne les mariera que peu entre elles. Et là où le vert acquiert un intérêt certain, c’est dans sa capacité à s’associer à d’autres teintes. Je n’en connais pas qui soit aussi versatile. Ainsi le vert s’associe : avec les bruns évidemment, les orangés et autres rouilles, dans un accord très campagne qui convient bien aux roux ; avec les gris et surtout les anthracites osant une harmonie exceptionnelle rappelant un ciel d’orage sur fond de forêt printanière ; avec les bleus enfin, pour des associations à la fois très étudiées et en même temps presque insensées.

Ainsi, une veste en tweed, par exemple un fin donegal, peut être portée alternativement avec un pantalon de moleskine marron, un pantalon de flanelle anthracite et un chino bleu. Avec une chemise dans l’accord général, soit petits carreaux vert ou marron, soit petits carreaux vert ou anthracite, voir une popeline bleu ciel, soit avec une chemise à petits carreaux vert ou bleu ou encore une popeline bleu ciel. Petits carreaux ou rayures du reste, bien que le premier soit plus sport.

La cravate en grenadine verte, je l’ai dessinée dans cet article, en complément de LA chemise bleu ciel qui va bien avec tout. Un accord majeur à l’italienne.

La chemise à rayures bengal vertes est aussi une trouvaille. Avec un costume uni gris souris ou gris foncé, l’effet peut être captivant et peut – c’est assez curieux – passer pour du bleu à une certaine distance. Cela change des habituelles chemises bleues. En plus, vous pourrez utiliser cette chemise y compris avec des tenues sport à dominante marron.

Enfin le pantalon chino vert est presque devenu ces derniers temps un incontournable chez la plupart des revendeurs, H&M et autres Napapijri compris. Cela doit être dû à la capacité de tels pantalons (qui vont du vert amande au vert kaki) de se fondre dans la masse sombre, sans pour autant être du déjà vu. Il y a les pantalons de couleurs, les pantalons gris et bleus et ceux qui sont verts. D’un vert camouflage très à la mode en passant par un vert plus acidulé, ils iront avec tout en restant discret. Assez étonnant n’est-il pas ?

Je vous laisse méditer ces quelques réflexions, je ne doute pas que cela vous travaille longuement !

Bonne semaine, Julien Scavini

Mon expérience en souliers

J’ai longtemps hésité à écrire sur les marques de souliers et notamment celles que je porte. Principalement car je ne suis pas un expert. Ceci dit, ce n’est peut être pas une tare, car quand je lis certains, compter leur nombre de port entre deux crémages, je m’estime heureux ! Bref, je vais vous relater mon expérience en souliers, plutôt humble tant du point de vue que de la critique des marques. Pour avoir été moi même critiqué (gentiment) ça et là sur internet, je vais prendre des pincettes, je suis sûr que vous comprendrez.

Quand j’ai commencé à me vêtir correctement, c’est à dire ‘à la parisienne’ et à abandonner mes sweatshirt Billabong et Quiksilver, j’ai découvert BEXLEY. Leur toute petite boutique de Sèvres-Babylone à deux pas des Beaux-Arts exerçait sur moi un pouvoir d’attraction fort. Des souliers du sol au plafond, dans de beaux rayonnages de bois. Superbe ! Mon goût avait été aiguisé par un professeur qui portait une paire de richelieu à bout droit en veaux-velours, dont j’avais reconnu la provenance (professeur depuis devenu un client, les retournements sont amusants, entre élégants).

J’ai commencé par une première paire identique, mais souffert le martyr au début. Je ne savais pas ce qu’était un soulier en cuir, les baskets rendant les pieds mous. Cependant j’étais particulièrement satisfait de la forme, très équilibrée avec son bout rapporté plutôt court et sa matière très feuille de tabac. Un bonheur dont je prenais grand soin : patin, fer encastré et embauchoir.

Je choisis toujours chez Bexley un richelieu noir, toujours à bout droit, mais d’une ligne plus John Lobb. Superbe là encore. Il complétait mon premier costume, un Hackett bleu marine que j’ai toujours. A l’époque cette vénérable maison proposait encore de la qualité !

La ligne du soulier est quelque chose qui m’obsède. Son balancement, ses proportions. Je suis devenu très difficile à ce sujet.

J’ai continué d’acheter chez Bexley. Toujours un peu trop grand (42 1/2, 43). Les vendeurs ne sont pas bien formés, le choix se fait un peu à la va vite. Mais je n’ai jamais trop souffert. J’ai également eu chez Bexley une paire de one-cut bergeronnette et une paire de tassel loafer en veau velours, dont un client m’a dit qu’elle ressemblait à des Green.

Et puis j’y suis retourné quelques temps plus tard, acheter la même paire que ma première, le richelieu à bout droit en veaux-velours. Disposant d’un peu de sous, j’ai pris la même en cuir marron foncé. Et j’ai bien déchanté. Cinq années se sont écoulées. Les formes ont changées. Légèrement évidemment, si bien que je ne le remarquais pas immédiatement. La forme est devenue plus large, le bout droit s’est allongé, si bien que les plis se forment maintenant sur celui-ci. Hérésie et douleur au gros orteil ! Celle en cuir foncé avait un cuir tellement dur qu’un ami a dû y pulvériser un produit pour les assouplir. Rien n’y fit. Les deux paires partirent à la poubelle bien vite et je fus contraint de garder ma très ancienne paire, qui avait franchement fait son temps, vaillamment.

Je ne suis jamais retourné chez Bexley depuis. Dommage, car le prix et le cousu Goodyear sont intéressants.

Autre expérience, chez BOWEN, un jour que je faisais des emplettes à La Vallée Village, un lieu où les marques écoulent leurs stocks à prix réduit. Je choisis un richelieu à bout droit, en veaux-velours gold. Couleur pas évidente, mais sur le moment j’ai apprécié. Je pris une paire en 9 (43). Elles ont très bien vieilli, en dépit d’une tâche de graisse faite dans la première semaine de port… Seulement j’ai remarqué qu’à l’usage, elles sont trop grandes et cela se ressent sur le confort. Le pied flotte et les orteils buttent à l’avant.

Je suis ensuite allé chez MARKOWSKI. Un ami bloggeur m’y a accompagné pour ce que j’estimais être une première expérience de vrais souliers. J’y croisais d’ailleurs le créateur, avec qui j’ai parlé de chemises non-iron Brooks Brothers. Je choisis une paire assez ronde de richelieu à bout droit noir, avec du fleuri car hélas le plus simple modèle était en rupture. Le vendeur de bon conseil, me vendit une paire de 8,5. Je signalais être un peu serré. A l’époque, je ne savais pas trop quelle était l’aisance nécessaire. Personne ne me l’avait expliqué clairement.

Là encore, j’ai souffert le martyr là encore. Ils ont en effet eu l’idée très saugrenue de placer une couture de doublure juste sur le côté du talon, vers l’intérieur, précisément là où je perce mes doublures, car je marche un peu sur le talon intérieur. J’ai pesté plus d’une fois contre cette couture ! Mais dès lors que sa sensation s’est estompée, ces souliers sont devenus de véritables chaussons. Et je dois dire être très satisfait par la ligne générale, harmonieuse et très anglaise. J’aime les souliers un peu rond, voilà qui est parfait. Seulement, je note que cette chaussure, au bout de deux ans est un peu trop grande. Comme quoi… Pour le prix, c’est merveilleux.

Parce que tout simplement la boutique Markowski est trop loin de chez moi, je suis allé ensuite chez LODING, dont plusieurs amis portent les souliers. J’ai pris un richelieu à bout droit, en cuir lisse gold. Je l’ai trouvé superbe dans le magasin. Le vendeur en jogging n’avait pas l’air de s’y connaitre, aussi ai-je pris une pointure qui me semblait bonne. Je les porte encore, mais sans plus. Oui c’est bon, mais la forme est à peine déséquilibrée, et cela me gêne un peu. Le bout droit est un peu trop long et l’arrondi a quelque chose de pas chic, de pas assez anglais, une forme de méplat maladroit que je ne sais pas caractériser vraiment. Quand je vous dis que je suis difficile. Finalement j’ai aussi une tare 🙂

Je continue toutefois de conseiller à mes jeunes clients et aux clients pour les mariages d’aller chez Loding. Jusqu’à ce qu’un client la semaine dernière me montre son achat, sur mon conseil (un richelieu noir à bout droit). J’ai découvert un cuir très dur et surtout un cousu blake. Non pas que ce soit un défaut, loin de là, mais disons que c’est dommage. Je pense que Loding se développant énormément, ses vendeurs doivent être confrontés en province surtout à des retours négatifs de clients ne comprenant pas qu’il faille en plus poser des patins sur des souliers déjà chers (ah inculture quand tu nous tiens), d’où également l’importance des semelles gommes maintenant.

Bref, l’expérience fut intéressante mais peu concluante.

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Puis, j’essayais 7EME LARGEUR. Tout le monde m’en parlait, il fallait que je teste ! J’y suis donc allé un matin avant d’ouvrir. Je fus agréablement impressionné par les formes. Je fis une folie et en pris deux paires, un richelieu à bout droit noir et un mocassin en cuir grainé marron. Le vendeur m’expliquait que mon pied était plat et que je devais prendre un petit soulier pour éviter les plis d’aisance trop marqués. Je me suis laissé convaincre. Pour une raison que j’ignore, il a absolument voulu me vendre le richelieu en 7 (40,5) et le mocassin en 7 1/2 (41), en me donnant une semelle intérieure pour faire monter le pied en plus. Soit ! Après deux ports des richelieus, j’avais le pied en sang et ce n’était plus possible. Je fis une réclamation pour un échange standard. Refus. Je suis donc allé chez mon cordonnier qui me les a élargies. Erreur. Le cuir sec a craquelé tout au long des pans élargis. Résultat moyen au final, avec des souliers très petits qui certes ne plissent pas, mais iront à la poubelle dès que j’aurais troué les doublures. Car les glissoires (ces pièces de cuir que le cordonnier pose à l’intérieur au talon) sont épais, trop épais en l’occurrence. Quant au mocassin, il n’est pas mal, même si je trouve que finalement cette forme ronde (la 206?) est vraiment trop ronde, pas élégante.

Expérience moyenne à désastreuse, je passe mon chemin. Finalement, j’en venais à être dégoûté des souliers en cuir. Chez Décathlon au rayon Nike et Addidas, c’est beaucoup plus simple et on est toujours très bien dedans ! Alors quoi ?

J’ai laissé passer du temps, sans rien acheter, car j’avais trop peur d’être déçu.

Puis un client est venu, qui est allé sur mon conseil pour son mariage chez BOWEN. Je fus très enthousiasmé par la forme et l’équilibre générale. J’y suis donc allé la semaine dernière, prendre un richelieu à bout droit en veau-velours. Le vendeur sympathique à qui j’ai expliqué tout ce que je viens d’écrire marchait sur des œufs. Il me fit essayer la paire 8 et la 8 1/2. Je découvris avec lui que j’avais un pied fort, évidemment plus serré dans le soulier. C’est un peu la même chose en tailleur. Lorsque le sur-mesure commence à être de qualité, on voit apparaitre les petits défauts, une épaule plus large d’un côté, un bras à peine plus long de l’autre. Je me suis décidé pour la plus petite paire des deux. Un peu serré, mais je compris l’idée : le veau-velours se détend bien. J’ai juste peur le jour où je devrai poser des glissoires. Mais pour l’instant, c’est un bonheur : forme équilibrée, cuir d’une belle couleur. Le mois prochain, je prendrais une paire en noir. Pour 305€, je suis assez conquis.

Bien sûr, quantité de clients me parlent de CROCKETT & JONES. Mais mettre 450€ dans une paire est pour moi encore impensable. On évolue à son rythme. Pour me faire l’écho de mes clients et poursuivre ce commentaire général, j’ai entendu extrêmement de bien de GAZIANO & GIRLING y compris de clients dans mon cas qui ont découvert le bonheur dans une de leur chaussure. Enfin, AUBERCY et LOBB semble tenir une place de choix chez nombre de messieurs classiques pas calcéophiles pour deux sous. Ils ne doivent être ni trop serré, ni trop au large. C’est le secret ! Et chez EDWARD GREEN, un de mes clients qui y a fait une folie ne le regrette pas !

Voici donc pour ce panel très large. D’habitude sur les blogs et magazines, il n’est question que de souliers à 500€ minimum. J’ai voulu contre-balancer cet esprit général élitiste avec mon humble expérience. Je n’ai pas jugé le cuir ou les montages techniques, je ne suis pas expert. Il s’agit juste de donner la parole à mes pieds, après tout, ce sont eux qui ont souffert, ou pas. La ligne et le confort, deux critères finalement hautement subjectifs qui n’engagent donc que moi et ne remettent pas en cause votre propre expérience… à vous d’essayer ces maisons. De toute manière, si ces maisons sont citées ici, c’est qu’elles sont déjà de qualité, je ne vous importunerais pas avec Er*m ou And*é …

Bonne semaine, Julien Scavini