Pour fermer vestes, manteaux et pantalons, il faut des boutons. Si la fermeture à glissière a bien révolutionné l’industrie textile, le bon vieux bouton, dispositif millénaire, a encore de beaux jours devant lui. Archi simple à mettre en œuvre et très facile à réparer, ce petit dispositif rond est plein de poésie.
Commençons par le décrire. Généralement, un bouton d’homme a quatre trous. Deux est plus fragile et un peu plus féminin mais à Savile Row, c’est un classique. Je n’en ai jamais vu à trois, ce serait pourtant une riche et élégante idée, la couture en triangle ! Pour être élégant, ce bouton n’est pas plat, mais dispose d’une lèvre à son pourtour, plus ou moins bombée. A Savile Row toujours, les tailleurs utilisent un bouton spécial, incurvé vers l’intérieur, en forme de ménisque. C’est une élégante spécificité, comme vous le voyez ci-dessous :
Pour les vestes, le diamètre habituel du bouton devant est 18/19mm et aux manches 14/15mm. Dans les années 50, ces mêmes boutons étaient 2mm plus larges environ, surtout devant. C’est dire qu’avec le temps, les boutons ont légèrement diminué de taille.
Pour un manteau, le bouton est plutôt de 25mm devant, et 16/17mm aux manches. Mais la tendance actuelle pour les manteaux est de mettre aux manches, les mêmes boutons qu’aux manches d’une veste, soit 14/15mm. C’est un peu dommage, mais cela réduit les coûts probablement.
Dans ma boutique, je présente les boutons sur cette petite planche. A gauche, le 25mm à manteau, au centre, le 19mm à veste, à droite le 15mm pour manches de veste. Manque donc le modèle manche de manteau. Le gilet se contente du plus petit modèle à droite, comme le pantalon :
Pour une chemise, le bouton principal est de 11mm et celui de la gorge de poignet de 9mm. L’épaisseur est d’environ un millimètre et demi en nacre, deux millimètres en plastique, et parfois 5mm pour des nacres italiennes. Ces boutons sont plus ostentatoires. Sur la photo ci-dessous, voyez la présence d’un cercle gravé en creux au pourtour du bouton, signe d’excellence par rapport à des boutons plus simples :
Comment coudre un bouton maintenant ? En tailleur, les deux écoles se battent continuellement. Certains prétendent que le X est mieux que le = . En industrie, le X prédomine et je crois me souvenir que quand j’étais stagiaire chez Camps de Luca, on faisait des = . Donc, je ne crois pas du tout à une supériorité de l’un sur l’autre. En chemiserie, depuis quelques années, les italiens ont donné le goût de la couture en patte d’oie (zampa di gallina en italien), ou en fleur de lys comme on dit en France, comme ça : \|/ . Je dois dire qu’il est possible de coudre les boutons de cette manière, même sur un costume. Je n’y vois pas d’inconvénient en tout cas. Regardez sur une chemise ce que cela donne :
Normalement, le bouton présente une petite queue à sa base. Elle est réalisée en laissant du « mou » lors de la couture du bouton, puis ce « mou » est entouré de fil, comme un ressort, ce qui donne comme un pied. Le bouton est plus facile ainsi à passer dans les boutonnières. Y compris sur les belles chemises. Les machines à coudre bas de gamme des industriels bas de gamme cousent les boutons sans queue. Le coup de l’allumette pour être sûr de laisser le bon « mou » est super, mais il prendre beaucoup trop de temps!
La semaine prochaine, nous regarderons de plus près les matières à notre disposition ! Bonne semaine, Julien Scavini
Telle est la question que l’on me pose assez souvent à propos des manteaux. La réponse la plus simple et directe est de dire non. Sur le principe, la laine n’est pas imperméable.
D’autant plus que de nos jours les draps ne sont pas tissés de manière très serrée, ni de manière trop lourde. Il est en revanche vrai qu’au XIXème siècle, les draps étaient si denses, les fils si rapprochés, qu’ils devaient d’une certaine manière empêcher l’eau de pénétrer. Dans le passé, j’ai eu à restaurer plusieurs habits de cette époque. Ces tissus sont si impénétrables que même l’aiguille n’y rentre pas facilement. Je me souviens en particulier d’une cape qui me donna bien du fil à retordre. Le tissu était si serré d’ailleurs, qu’en fait, les tailleurs ne s’étaient pas embêtés à faire un ourlet tout autour, le tissu était tout simplement laissé à vif. Bord franc comme on dit. Aucune trace d’effilochure après un siècle tant les fils étaient entrecroisés solidement.
Chez les drapiers anglais en particulier, les draps contemporains frisent parfois les 1000grs au mètre. Chez Holland & Sherry ou Dugdale Bros’, leurs sélections 860 ou 780grs doivent être assez résistantes à l’eau je crois. Une telle épaisseur, il faudrait vraiment des litres d’eau pour les détremper.
Tout le sujet est là. A priori, un manteau de ville n’est pas fait pour être détrempé. Car un parapluie doit être là pour le protéger. Ce n’est pas un manteau de marin-pêcheur ! Eux ont ce qu’il faut. Le manteau d’un tailleur, coupé dans un drap lourd, résiste un peu à l’eau, oui. Il ne va pas se transformer en éponge. D’autant que la laine par son tissage ou son apprêt peut devenir légèrement hydrophobe. Les draps à loden par exemple sont un peu étanchéifiés. Pour une usage raisonné et raisonnable encore une fois !
Si vous commandez un beau manteau chez un tailleur, c’est la chaleur et la prestance qui comptent.
Parfois, quelques clients se demandent si le cachemire en particulier craint l’eau. En aucun cas une matière naturelle ne craint l’eau. Ce qui est certain, c’est que la matière luxueuse n’est pas hermétique et qu’elle prendra plus facilement l’eau qu’un drap de laine robuste. Si le cachemire sèche convenablement, un petit coup de brosse et tout rentrera dans l’ordre. Il ne va pas friser comme de l’astrakan !
Reste que les drapiers, tout de même, se sont intéressés à rendre la laine plus résistante. Il n’y avait aucune raison qu’ils se laissent distancer par les industriels de la pétrochimie.
La première recherche permit de rendre les fibres hydrophobes et déperlantes. Cette recherche fut aidée par l’arrivée des fibres longues de laine mérinos. Plus les fibres sont longues, plus l’eau naturellement a du mal à pénétrer le tissu. C’est pourquoi d’ailleurs certains drapiers proposent des laines à costumes naturellement déperlantes. Si la laine rejette l’eau, sous une grosse ondée toutefois, elle ne pourra pas résister à ce que l’eau passe entre les fibres.
La seconde recherche fut plus orientée donc vers l’étanchage du drap. Le but, que l’eau ne pénètre pas. Et encore mieux, que le vent n’entre pas. Les k-ways et autres coupes-vents furent très à la mode dans les années 90. Les gens adoraient leur légèreté. Mais pour les drapiers, cet aspect plastique n’était pas de bon augure.
Loro Piana présenta dès la première moitié des années 90 son procédé « Storm System ». Une membrane collé au dos du tissu de laine apporte deux bénéfices : elle est coupe vent et étanche. Ce fut une révolution, où comment avoir le bénéfice, l’allure souple et moelleuse de la laine, tout en étant aidé par une membrane invisible. Avec le temps, cette couche s’est vue ajouter une autre qualité, celle de la respirabilité, pour laisser sortir la vapeur d’eau dégagée par le corps. Le rêve, parfois y compris en cachemire et alpaga ! Ou en Vigogne, je suis sûr qu’il le font…!
Il est probable que Zegna ait aussi son procédé. Et chez Vitale Barberis Canonico, ce procédé a aussi été implanté. Nom officiel « Earth, Wind & Fire ». La membrane polyuréthane a la qualité d’être teinté pour pouvoir réaliser des vêtements non-doublés, où l’intérieur tranche avec l’extérieur. Fantaisie amusante. Tous les tissus V.B.C. peuvent être ainsi traité, y compris des laines fines, pour la confection d’anorak très souples. La division vente au détail de V.B.C., Drapers, vend seulement une petite sélection de ces draps, soit de la flanelle, soit des whipcords
Seuls les grands-comptes pendant longtemps avaient accès à ces procédés complexes, qui nécessitent des commandes volumineuses, pour le prêt-à-porter. Les doudounes et autres parkas techniques en flanelle ont fleuri. Depuis quelques temps, les drapiers commencent à distiller ces tissus, assez coûteux d’ailleurs, chez les tailleurs, qui dès lors peuvent aussi les vendre. De quoi relancer le marché du pardessus, de plus en plus faible en mesure ?
C’est souvent que l’on m’écrit, ou que l’on vient me voir en boutique pour me poser cette « ultime » question comme dirait Asphalte : « comment devient-on tailleur » ? Je ne compte plus les petits jeunes qui sur une année me posent cette énigme, comme à la recherche d’un graal. L’un des derniers, Marcel, est tombé au juste moment où je cherchais quelqu’un pour faire de la vente. Il fut embauché presque sur le champ.
Avant de s’intéresser aux formations, il faut d’abord s’intéresser aux débouchés. Il me semble que c’est le point primordial ; même si en France, on aime mettre les formations avant, quitte à ce qu’il n’y ait pas de débouché… Question philosophique me direz-vous. Je pense qu’il ne sert pas à grand-chose d’apprendre quelque chose si l’on ne peut transformer cette expérience en commerce. Question encore plus philosophique !
Les débouchés à Paris, et en France, sont quasiment inexistants. Il faut se le dire immédiatement. J’ai fait l’AFT (Association de Formation Tailleur). Cette structure a pendant quinze ans environ proposé à des personnes, avec ou sans formation initiale, de devenir tailleur. De fait, le vivier de « sachant » qui était au plus bas a été rechargé, d’une certaine manière. Ces garçons et ces filles ont intégré les quelques rares ateliers de Grande Mesure, qui assez vite au fond, sont arrivés à saturation. Ils ont eu assez de stagiaires puis de salariés. Ainsi, vers les derniers temps, Camps De Luca, Lanvin, Smalto entre autres, avaient suffisamment de main d’œuvre qualifié et ne recherchaient plus de petits jeunes.
D’autant que ces ateliers pouvaient aussi recourir à une main d’œuvre plus âgée et bien plus qualifiée, en provenance d’Italie, mais aussi et surtout de Turquie ou du Maroc, voire d’Afrique noire. De ces pays arrivent des messieurs, parfois aussi des dames, souvent forts adroits et très rapides, qui sont plus rapidement au niveau des volumes imposés par la vie de l’atelier. Surtout que dans ces pays, les formations commençant parfois dès 10ans, on a affaire à des athlètes de l’aiguille avec lesquels nous ne pouvons pas rivaliser.
De plus et ces derniers temps, avec la Covid, les voyages étant stoppés, la Grande-Mesure ne se porte pas au mieux de sa forme. Cela reviendra vous me direz.
Certains pourraient avoir l’idée de s’installer à leur compte pour faire du « bespoke » comme m’a demandé un lecteur récemment.
Alors là, autant le dire, je ne crois pas du tout à l’installation de jeunes pour faire de la Grande-Mesure directement après une formation. Je n’y crois pas un seul instant. Je rajouterai même plus que c’est une forme de vol ou d’arnaque. Pour être un bon tailleur en grande-mesure, une formation de dix ans en atelier me semble incontournable et nécessaire. Quelques exemples très réussis de ce genre de parcours existent. Kenjiro Suzuki a passé de longues années chez Smalto et sa femme chez Camps De Luca avant de fonder son atelier. Emanuel Vischer fut de longues années aussi le dernier apprenti du très grand tailleur Gabriel Gonzalez, carte de visite des plus respectables ! Aïdée et Florian Sirven enfin venaient je crois de chez Smalto où ils avaient fait leurs armes. Ils se lancèrent vaillamment avant de fermer boutique pour intégrer Berluti. Ce sont de beaux exemples. Ils sont rares.
Car avant de vendre une grande-mesure, logiquement vendue plus de 4000€, il faut un peu de bouteille. Le client doit être en confiance. Ce n’est certainement pas en deux ans de formation tailleur à l’AFT que l’on peut raisonnablement se dire tailleur. Remarquez, qui ne tente rien n’a rien.
C’est pour cela qu’à mon niveau, je m’en suis toujours bien gardé. Et j’ai préféré faire de la demi-mesure. Je ne pensais pas, et je ne pense toujours pas être le plus qualifié pour faire de la grande-mesure. Si j’en propose, c’est qu’un tailleur de plus de 80 ans m’a proposé ses services, pour son propre plaisir.
Donc soyons sérieux, ce n’est pas en quelques mois de formation que l’on peut acquérir la dextérité et l’œil nécessaires à l’exécution dans les règles de l’art d’un costume fait-main.
Par contre, c’est une excellente base pour de la demi-mesure. Pour savoir de quoi l’on parle.
Ce débouché justement, de devenir boutiquier en demi-mesure, est accessible en revanche. Pour qui est un peu dégourdi et malin, c’est un eldorado. La preuve en est que des zozos totalement dépourvus de toutes connaissances « sartoriales » y arrivent très bien et font pas mal d’argent. Même si dans le cadre des ateliers NA, cela s’est mal fini. Si quelqu’un veut se lancer dans la demi-mesure, nul besoin d’une longue formation. Car les usines de demi-mesure dispensent toutes les informations qu’il faut. Entre une demi-journée et trois jours, et hop, c’est assez pour ouvrir une échoppe et servir ces premiers-clients.
Mais enfin, revenons aux formations. Puisque je concède que la grande-mesure, ce graal, puisse être un rêve. Quelles sont-elles ?
Et bien très peu choses. L’AFT a fermé depuis que M. Guilson est décédé. Combien d’anciens élèves ai-je entendu lui casser du sucre sur le dos, « que cette école était du vol » « trop chère » « qu’ils s’engraissaient sur les élèves » etc. etc. etc. J’ai toujours été estomaqué de l’incroyable méchanceté à l’encontre des Guilson et de leur fille la directrice. Maintenant, formidable, il n’y a plus rien.
Une photo du tailleur André Guilson, piquée à gentlemanchemistry.com
A une époque, il me semblait que le GRETA à Paris dispensait une formation. Je crois que David Diagne la dispensait la, mais c’est terminé je crois.
En quelques rares lycées professionnels, il existe des formations de couture. Mais c’est un niveau pré-bac.
Le mieux que je conseille est de se lancer dans un DMA costumier réalisateur (Diplôme des Métiers d’Arts, en trois ans). Cette formation, très large, destine les élèves aux métiers du spectacle et de la scène. L’enseignement y est super large, tailleur mais aussi flou et chemiserie, vêtements historiques. C’est une formation généraliste et pratique, appliquée au vêtement de spectacle.
Vous me direz, cela n’est pas le tailleur. Oui mais c’est l’une des bases les plus solides qu’il soit possible de trouver ! Avoir un gros bagage généraliste ne peut pas faire de mal. Et sachez que les costumiers que j’ai rencontré avaient bien souvent des doigts d’or, aussi capable de coudre une robe Dior qu’un pourpoint renaissance, ou encore… une veste tailleur. A l’époque de l’AFT, lorsque j’allais visiter l’atelier d’Arnys, je me souviens de conversation intéressée avec la seconde de Karim, le maître tailleur des lieus. Elle avait fait un DMA costumier réalisateur avant d’intégrer cet atelier. Où elle complétait et spécialisait son apprentissage.
Sinon, à l’issue la troisième, il est possible de rechercher un CAP Métiers de la Mode-Vêtement Tailleur (en 2 ans). Je sais qu’il existe aussi des Brevet de Technicien option vêtement création et Mesure (en 3 ans), ou des BTS Métiers de la Mode (en 2 ans). Une voie intéressante est dispensée par la Chambre syndicale de la haute Couture parisienne, le Diplôme de modélisme, en alternance (en 2 ans). Je vois souvent des jeunes qui cherchent cette alternance. Il faut savoir coudre de base pour la trouver. Et comme il y a peu d’atelier… encore une fois, peu d’alternants. Les places sont chères.
Quant à l’idée de partir pour l’étranger, Italie ou Grande-Bretagne, inutile d’en rêver. Un des meilleurs élèves de l’AFT, un certain Victor avait essayé l’Italie avant de je crois, de revenir devant la dureté des Italiens. Et d’Angleterre, je n’ai pas eu d’échos plus chaleureux. Sans parler du coût de la vie londonienne.
Voilà pour cet aperçu loin d’être rose. Ce n’est pas un métier facile. La formation n’est pas simple. L’éclosion des talents y est ardue.
Je finirais sur le meilleur conseil que je pourrais donner, fruit de mon expérience : méfiez-vous des passions. Les passions sont géniales le soir, après le travail, comme une distraction de l’esprit ou des mains. Les passions font avancer et détendent l’intellect en lui procurant des renforcements heureux. Mais attention, il y a un écueil à transformer une passion en métier. Si les choses se complexifient, la passion se transforme alors en cauchemar. La déception est alors proche et peut être immense, souvenez-vous du sympathique Paul Grassart. Rassurez-vous pour moi, j’en suis très heureux.
Si vous voulez vous amusez avec le tailleur, en dehors de toute considération de commerce, d’argent et d’ennuis, au fond de la manière la plus détachée qui soit, pour votre plus simple plaisir, suivez l’exemple d’Eric, que vous pouvez écouter là sur le podcast de Cravate Club : https://soundcloud.com/jessica-de-hody-253917269/eric
Chères lectrices, chers lecteurs, je vous adresse mes vœux les plus sincères pour cette nouvelle année 2021. Joie, santé surtout et prospérité enfin, à vous et vos proches ! Portez-vous bien et à la semaine prochaine. Julien Scavini