Il existe trois types de velours :
- le velours lisse, où la surface douce et duveteuse est unie et continue. On appelle ce velours chez les tailleurs de la palatine. Et chez les anglais, on dit « velvet ». Ce velours est idéal pour couper des habits du soir, des vêtements formels. Et habiller des fauteuils ou des coussins.
- Le velours à côtes, où la surface douce et duveteuse est discontinue, seulement présente le long de lignes, les côtes, de largeur et de densité variables. Chez les anglais, on dit « corduroy » quand il est gros, « needle cord » quand il est petit. Les côtes se comptent par pouce. Un gros velours, c’est 8 côtes par pouces. Un velours fin, c’est 16 côtes par pouces, presque du mille-raies. Ce velours est idéal pour couper de robustes habits d’esprit campagnard.
- Le velours façonné, mélange des deux précédents, où des dessins et arabesques sont créés par des surfaces douces et duveteuses, en relief, s’opposant à la trame de fond. En ameublement, je crois que l’on parle de velours de Gênes ou de velours Damassé.
Tous ces velours présentent des fils dressés et accrochés dans une trame de fond. Ce sont des fils dressés comme du gazon sur de la terre qui donnent la douceur et l’aspect brillant et luisant au velours.
C’est probablement le tissu le plus onéreux qu’il était possible de trouver avant la révolution industrielle. Car en plus d’une trame de fond lisse, il faut une énorme quantité de fils pour créer toute cette surface poilue. Et le fil a toujours été fastidieux à obtenir. C’est le plus long dans l’élaboration d’un tissu.
Il est bon ici de faire une remarque. Le velours est donc une manière de tisser. Qui ne préfigure en rien la matière utilisée. Pour faire du velours, on peut utiliser :
- de la soie. La matière la plus ancienne, et la plus onéreuse, encore aujourd’hui. Le velours de soie, c’est la Rolls des tissus, impraticable ou presque pour un tailleur, apprécié pour habiller fauteuils et intérieurs de châteaux.
- du mohair, solide et endurant. Les bancs de l’Assemblée Nationale sont en velours de mohair. Une composition exclusive de l’ameublement de luxe.
- du coton. C’est le plus simple de nos jours.
- du polyester ou de la viscose. Et plein d’autres merveilles de la chimie moderne qu’il serait préférable d’oublier.
- des mélanges. Par exemple, pour un beau velours d’habillement à côtes, mélanger coton et laine, ou coton et cachemire est un plaisir pour le porteur. Une touche d’élasthanne est aussi possible. Chez Dormeuil, j’avais le souvenir d’un velours palatine de coton et soie, une beauté.
- de la laine. Je n’en ai jamais vu. Mais je sais que cela existe.
La création du velours lisse et du velours côtelé est une merveille d’ingéniosité. Pour faire du velours, il faut déjà créer un tissu composant le fond du velours. Ou plutôt, il faut créer deux tissus, car ce métier à tisser spécial va créer deux velours en même temps. Ces deux tissus sont fabriqués dans le métier, avec quelques millimètres de séparations. Il y a de l’air entre ces deux tissus. Chaque tissu haut et bas possède sa chaine et sa trame. En même temps, une troisième chaine (c’est à dire les fils dans les longueur) est insérée, avec détente, reliant les deux couches. Des milliers de fils, pour relier ces deux tissus, comme pour les coller. Comme un gros sandwich, lisse au dessus, lisse en dessous, et plein de milliers de fils (perpendiculaires) au milieu, comme une éponge.
En sortie de métier, une imposante lame de rasoir attend. Cette lame est située pile entre les deux tissus initiaux. Se faisant, en avançant, le rasoir coupe les milliers de fils constituant le milieu du sandwich. Il en résulte quoi ? Deux tissus de nouveau séparés, mais présentant maintenant des fils coupés et dressés, les scories de la troisième chaine. Malin n’est-ce pas ! Un bon schéma :

Légende : les tissus de fond sont composées chacune d’une trame (en orange) ainsi que d’une chaine qui zigzag entre la trame (rouge et violet). Il y a donc deux trames et deux chaines. Puis une troisième chaine est insérée (en bleu canard) qui relie et fusionne les deux étoffes. A la fin, une lame (en grise) coupe cette troisième trame, dont les bouts deviennent des poils dressés.
Précisons que les tissus de fond ne sont pas obligées d’avoir la même composition que les fibres « poilues » du velours. Généralement en habillement, c’est le cas, sauf l’élasthanne qui n’est présente par exemple quand dans les trames et non dans les « poils ». En ameublement, la trame peut être différente pour soucis d’économie, le beau du velours étant le « poil » et non le fond.
Lors du processus de fabrication de ce velours, une certaine orientation des « poils » apparait. Un velours, lorsque vous le caressez, a toujours un sens. Dans le bon sens, il est doux. A contre-sens, ou devrais-je dire à rebrousse-poil, il est plus rugueux.
Mais il y a la douceur. Et il y a la prise de la lumière. Deux choses différentes.
Car à contrario de la douceur, un velours prend mieux la lumière à rebrousse-poil. Sa couleur est plus profonde, plus vibrante, en particulier pour le velours palatine. Dans le bon sens, le même velours sera terne, presque blanchi.
Lorsqu’un tailleur coupe un vêtement en velours, il doit donc s’interroger sur le sens de la coupe. Coupe-t-il la veste dans le sens du poil pour la douceur ? Ou la coupe-t-il à contre sens, pour l’éclat de la couleur ?
Pour ma part, j’ai le plus souvent fait couper à rebrousse-poil les vestes en palatine, pour une plus grande expressivité de la teinte. Et j’alterne pour les pantalons, les côtes ayant un peu moins ce problème.
Cela dit, tous les tailleurs ne sont pas d’accord. « Un velours coupé à contre-sens s’abime plus » m’avait dit Monsieur Guilson. Pourtant, un vêtement du soir n’est pas si utilisé que cela. Et les grandes maisons italiennes, et Ralph Lauren, coupent à contre-sens ai-je souvent remarqué. Donc…
C’est un petit débat de tailleur, je le concède.
Belle et bonne semaine. Julien Scavini