La chemise : questions techniques

Les lundis à venir, je vais revenir un peu aux essentiels de Stiff Collar, à savoir énoncer certaines règles de l’élégance anglaise. Nous allons étudier la chemise. Car la aussi, il existe quelques règles simples qui tiennent plus du bon sens pour accorder ses mises.

Il fut un temps – les années 50 et 60 surtout – où les hommes portaient des chemises blanches. C’était simple, efficace. Avec un complet ‘sack suit’ anthracite à petits revers et un chapeau feutre trilby, c’est l’archétype de la mode sixties. Mais voilà, la chemises blanches, à la fois ça se salit vite au col et aux poignets et c’est peut-être un peu fade. (Quoiqu’encore je trouve cela très raffiné). Alors ressurgirent les chemises colorées, unies ou à motif.

Évoquons rapidement les armures (= la manière de tisser) des cotons pour chemises qui sont excessivement complexes, bien plus que pour les lainages à costumes. Évidemment la grande reine des cotonnades est la popeline, que l’on peut trouver teinte en pièce (donc très unie) ou teinte aux fils (donc un fils à fils). La grande caractéristique de la popeline est d’avoir plus de fils en chaine qu’en trame. Je rappelle que les fils de chaine sont ceux qui sont tendus sur le métier à tisser et que ceux en trame sont mis en place par la navette. Cette caractéristique a son utilité pour ‘fabriquer’ des rayures, les rayures étant la chaine.

Évoquons aussi le titrage des matières, un point plus intéressant. S’il est utile de comparer les tissus par leurs grammages relatifs les uns aux autres (entre 120gr/m et 185gr/m pour des tissus toutes saisons), il est bon aussi de regarder la qualité des fils. Comme pour les lainages où l’on trouve les termes super 100’s. Ainsi en chemise, il existe des fils de finesses variables (finesse de 30, 40, 50 voire 120, 170 etc). Plus le nombre est grand, plus la fibre est fine, soyeuse. Ensuite, les fils tirés de ces fibres sont :

– soit utilisés tel quel pour le tissage, on parle alors par exemple de 40/1 (on prononce 40 à 1)

– soit retissés par deux pour donner un fil plus épais, on parle alors de double retors, par exemple 40/2 (on prononce 40/2).

Évidemment, un 170/2 est un tissu de grande qualité, vous vous en doutez : fibre très fine et fil doublé pour plus de solidité. Ceci dit, attention, il est des mauvaises qualités qui se font passer pour de très bonnes, et qui proposent certes un fil 120/2 en chaine, mais un fil de 120/1 ou pire, 70/1 en trame… Incidemment, ils ne communiquent que sur le meilleur fils passé dans la masse. A vérifier donc si les deux titrages (en chaine et en trame) sont donnés et identiques.

Il est également possible de serrer plus ou moins les fils dans le tissu. Ainsi, avec un fil double retors 140/2 par exemple, on pourra obtenir après tissage un tissu plus ou moins lourd, plus ou moins lâche, suivant l’usage et la saison. D’où l’intérêt de regarder le poids, comme pour la laine.

Viennent ensuite les origines. Les meilleurs cotons pour chemises proviennent de deux endroits dans le monde : les îles de La Barbade dont on tire les ‘Sea Island’ et les plateaux égyptiens, dont on tire les giza 32, 45, 89 etc… Ce sont des variétés de cotons différentes, comme il existe des patates BF15 ou Charlotte. Une importante catégorie de coton provient d’Amérique du nord. La variété est le Pima. Un classique chez Gap : les pulls en coton pima. Comme pour la laine, d’un même ballot de coton on peut tirer diverses qualités, suivant que l’on raffine ou pas les fibres. Ainsi dans un même ballot, on tirera des fibres longues, la meilleure qualité, achetées au prix fort, et des fibres de deuxième, troisième et quatrième catégorie. Donc dans un ballot, on peut trouver des fibres 180, 120, 80, 40 etc… soit on crée un mélange de fibres diverses, soit on ne recherche que les meilleures. Suivant les usages…

Enfin, notons qu’un tissu de chemise peut rétrécir jusqu’à 3%, ce qui est bien plus important que pour la laine. C’est pour cela que l’on achète une chemise avec un peu d’aisance. A ce propos, au niveau de l’aisance du col, il est vrai que l’on ajoute traditionnellement la valeur d’un doigt à la mesure de tour de cou. Ceci dit, attention si vous portez un nœud papillon, lorsqu’on serre celui-ci, il a tendance à écraser et donc déformer le col, d’où l’interêt de prendre un col plutôt resserré.

Je rajouterai enfin un élément important : un vendeur ne doit pas mettre son doigt entre le centimètre et votre cou lorsqu’il mesure. Car si vous mesurez votre cou et trouvez 39, vous devez acheter une chemise taille 39. Cette chemise aura en réalité un tour de cou de 40cm, car 1cm d’aisance aura été automatiquement ajouté à la coupe. Après trois lavages et un léger rétrécissement, vous approcherez de votre tour de cou. Suivez le raisonnement : si vous ajoutez la valeur d’un doigt à votre tour de cou, au lieu de 39, vous tombez sur 40cm, et une chemise taille 40 a en réalité un tour de cou de 41cm… et là, c’est trop large ! Une veste, comme une chemise, ça doit tenir son homme ; pas le laisser flotter. Ça explique peut-être pourquoi tant d’hommes ont des chemises qui baillent tant ! Ah la formation professionnelle des vendeurs ! Comme disait Pépin, bref.

La semaine prochaine, nous étudierons un peu les motifs de chemises et les bons façonniers.

Julien Scavini

Insaisissable style français, partie III

Difficile question que de mettre au jour une élégance française ou un style national. Nous l’avons vu au cours des deux dernières semaines. En France, l’une des rares pièces très répandue sur le territoire est la veste à collet montant, ou veste à col de chemise. Mais c’est un vêtement de labeur, car comme évoqué la semaine dernière, la mode de la haute société a beaucoup évolué et ne propose pas d’archétype.

Cette petite veste des campagnes semble en revanche être un classique, au moins depuis les année 1880 jusqu’aux années 60. Boutonnée jusqu’au cou pour une question de chaleur, mais ample et peu ajustée pour l’aisance au travail, elle arbore la plupart du temps un col retombant. Voyez sur cette photographie le nombre de vestes de ce genre. Croisée ou droite du reste. Vêtement du mécanicien, de l’ouvrier agricole, du gendarme même (dans une version plus stricte), du postier et d’autres agents publics, elle pourrait constituer une sorte de vêtement français. Mais un vêtement populaire, presque un signe de classe, au moins un signe d’appartenance sociale.

A l’inverse, comme évoqué au travers de l’article sur Old England, l’élite trouva sous le Second Empire une nouvelle élégance importée d’outre-manche, que l’on appela bientôt l’Anglomanie. Le frac de drap noir envahit bientôt les rues de Paris, comme celles d’autres villes européennes. Et dès lors, le style ‘à l’anglaise’ donna le ‘la’ des modes continentales.

Ce style se répandit comme une trainée de poudre. Il était pratique (une allure près du corps mais pas étriquée), rapide à confectionner (les manuels de coupe se répandait rapidement) et les étoffes faciles à dénicher (d’autant que la révolution industrielle anglaise abreuvait les comptoirs du monde en draps peu onéreux). On pourrait dire que jusqu’aux années 50, il est difficile de découvrir des lectures particulièrement nationales. Et même un peu après.

Pourrait-on par exemple dire que les croisés de Jean Gabin sont très français ?  Ou que M. de la Cheyniest interprété par Dalio dans La Règle Du Jeu n’est pas ‘à l’anglaise’ jusqu’au bout des ongles ? Il y a bien eu des tentatives de divers tailleurs pour créer des allures, mais cela tient plus des tics de langage que d’expériences sérieuses. Bien sûr de nos jours, il existe le cran parisien, que certains italiens appellent même comme cela.

En revanche, il perdure dans certaines couches de la société française des rites très à l’anglaise, d’un style si clair qu’il en devient presque plus anglais que l’original. C’est ce que j’appellerai le style Vieille France. Péjoratif pour beaucoup, il possède un vif intérêt à mes yeux. Très conservateurs, les tenanciers de ce goût poussent les codes du chic anglais dans ses derniers retranchements, avec un naturel qui fait envie. Cette notion de naturel est très important.

Évidemment, il y a quelques moyens derrière. Des moyens souvent transmis de père en fils comme le goût : souliers Crockett et Jones ou Bowen et vêtements de tailleur pour la ville (croisés sombres ou vestons droits trois boutons) et pour la campagne (pantalons de velours et vestons de tweed). Ces classiques ont même le bon goût de ne pas mélanger blazer et souliers noirs, conscients du décalage que cela produit. Car à ce moment là on est plus dans le Vieille France de mon point de vue, mais dans le petit bourgeois. On est passé d’une lecture éclairée à une lecture étriquée. Car plus qu’un style, il s’agit là d’une lecture à la française de la manière anglaise de se vêtir. Et la lecture interprète.

Y aurait-il plus avant des spécificités Vielle France ? Premièrement une attention à la coupe. Les vestons sont près du corps. Ils peuvent être défraichis ou avachis, avoir pris les galbes du corps, mais c’est une patine avant tout. Avoir une veste bien trop grande signe de toute évidence un attachement au confort petit-bourgeois (désolé de ces catégorisations à la James Darwen, mais elles clarifient les idées). Ceci n’étant pas vrai pour les grands manteaux type capotes.

Si la laine reste la matière par excellence, les coloris restent sobres. A la différence des anglais aimant taquiner le ridicule par l’usage de carreaux colorés et rayures pimpantes, l’homme Vieille France se contentera de fils à fils et autres discrets motifs, dans des bases plutôt sombres ou alors très claires pour l’été. De même pour ses tweeds, il prendra préférentiellement des unis, petits chevrons marron ou tabac, avec peu de fioritures, mais les rehaussera de velours à côtes dans des coloris réveillés !

Les chemises seront discrètes, unies ou avec de fines rayures ; des rayures ‘à la Charvet’ par exemple (assemblage d’une ou deux rayures de couleurs ou de ton différents, de largeurs et d’espacement différents, sur un fond de blanc dominant). Notons du reste dans cet article sur le style français que Charvet est le premier chemisier du monde a avoir ouvert ses portes et l’inventeur de la chemise moderne, et que les anglais chics disaient jusqu’à encore récemment non pas ‘a shirmaker’ mais ‘a chemisier’. A l’instar des américains, il me semble discerner dans les images publicitaires d’archives un intérêt français pour le col blanc, provenant d’une époque où les cols étaient durs. Et cela donne immédiatement un côté plus affecté à la mise, précisément un adjectif qui pourrait nous convenir. Nous sommes en effet à mi-chemin de l’Italie, et le côté latin transpire quelque fois sous la sobriété nordique.

Cravate enfin. L’homme Vieille France ne se passionne pas pour les modèles italiens, unis dans le bleu marine. Au contraire, il ose les rouges ternis, les oranges atténués, les verts altérés, parfois rehaussés de points et de palmettes. Il considère les imprimés comme plus raffinés que les tissés et évite les cravates clubs, sauf quand il s’y rend (Automobile Club, Traveller’s ou Jockey par exemple). La cravate Hermès avec ses myriades de petites souris ou d’éléphants constitue l’une des rares occasions d’amuser la galerie, mais uniquement à 50cm de l’objet, donc faut-il encore être du cercle rapproché pour s’en apercevoir.

Voilà pour ces quelques bribes de réponses. Il me faudra encore au moins cinquante ans de réflexion pour répondre définitivement à la question, mais alors les bouleversements auront été certainement si profonds qu’il faudra revoir l’histoire encore une fois. Que pensez-vous de cette approche finale ? J’aimerai votre avis sur cet homme ‘Vieille France’, dont le style serait savamment confis dans la marmite anglaise.

L’idée pourrait être de dessiner quelques figurines différentes des miennes, qui éclaireraient le débat. Des figurines qui ne serait ni italiennes, ni anglaises. A vous de jouer ! Faites moi passer en commentaire des liens vers des images, des matières, des tenues que je réorganiserais suivant vos directives…

Nota bene : il va s’en dire que les présentes hypothèses ne constituent que des éléments de débat. L’idée était de simplement touché du doigt l’idée d’un style vieille France revendiquée, en continuité d’un style Old England que nous admirons. Mais avec des spécificités qui seraient les nôtres…

Julien Scavini

Insaisissable style français, partie II

Pour reprendre le fil de la semaine dernière, questionnons nous sur le pourquoi d’une prédominance anglaise dans l’art du vêtement masculin. Car a priori en Europe occidentale, les traditions vestimentaires se sont toujours ressemblées d’un pays à l’autre. Inutile d’attendre le XXème siècle pour parler de mondialisation. A la Renaissance déjà, les principales cours d’Europe s’habillaient plus ou moins sur le même modèle. Il est vrai que déjà les maîtres italiens en parfums et vêtements parcouraient l’Europe du Nord pendant que peintres et bâtisseurs du Nord visitaient des ruines du Sud.

La haute bourgeoisie et l’aristocratie européenne étaient donc vêtues de manière similaire. Les lourdes étoffes – velours de soie ou de mohair, toile de lin, brocards, pashmina – étaient monnaie courante. L’arrangement était le suivant : culotte jusqu’en dessous du genoux, pourpoint, puis plus tard gilet et justaucorps. Notons que le gilet était appelé veste et se nouait par lassage dans le dos.

Les évolutions du vestiaire, donc des traditions qui s’y rattachent, demandent du temps pour se produire. Et un calme relatif. La prime alors va aux anglais. Premièrement car leur régime politique est resté d’une incroyable stabilité au cours des siècles, aidé par une monarchie parlementaire ayant su savamment allier bourgeois et aristocrates. Deuxièmement car bénéficiant d’un territoire insulaire, la question de l’invasion et des guerres de frontières ne s’est jamais vraiment posé, laissant libre cours aux développements les plus divers.

En France, la Révolution sonne le glas de l’évolution naturelle de la garde-robe masculine de la haute société. La révolution d’abord eut à cœur de mettre de nouvelles tenues à la mode. Mais précisément, ce ne fut que des modes. La rupture fut donc brutale, d’autant que le territoire était encore très hétérogène – bretons, basques, savoyards, niçois, alsaciens, etc – et donc les influences multiples. L’Allemagne n’était pas mieux, dispersée en une multitude de provinces, de royaumes et d’états prussiens. Tout comme l’Autriche Hongrie. L’ensemble du continent européen connu à partir du début du 19ème siècle une série de bouleversements et de déchirures politiques d’ampleurs. Difficile alors de rendre le cours des choses immuable et de doucement faire évoluer les traditions.

Dire que l’Angleterre est la terre des conservatismes est peu de chose. C’est son essence même. Ainsi, la décapitation de notre bon roi Louis ne marqua pas un coup brutal à la mode à la française outre-manche. Au contraire, le vestiaire évolua tranquillement. Jusqu’à l’avènement une vingtaine d’année plus tard de la mode ‘garçon d’écurie’. Comme le rapporte Farid Chenoune, cette mode instillée par le ‘beau’ Brummell vit la disparition rapide et complète des ‘atours’, c’est-à-dire de tous les passements, broderies et autres passepoils dorés au profit d’une liquette de drap : de drap de laine. Disparition brutale car excessivement formelle mais évolution douce du point de vue de la forme du vêtement même. Puis après une rapide mode du collet haut, vinrent les revers : empiècement de tissus retombant du col. Le modèle se détachait des soubresauts du continent, il devenait autonome.

En France, la haute société devait revoir ses règles vestimentaires au même rythme que les révolutions politiques. Dès lors, difficile de faire le tri naturel entre utile et agréable, ornements et fioritures… En revanche, notre pays resta de la révolution française jusqu’à au moins la moitié de la révolution industrielle, une terre agricole, provinciale, rurale. Et là, nous pouvons trouver un terreau assez conservateur.

Je pose donc comme hypothèse que cette opposition des conservatismes anglais (concernant la noblesse et la haute-bourgeoisie – appuyées sur la ruralité) et français (se distinguant par sa ruralité uniquement) révèle bien des choses. Mais il s’agira très certainement d’une vision réduite, le vêtement de labeur ne s’intéressant que peu à l’élégance. Nous continuerons la semaine prochaine alors.

Julien Scavini

Insaisissable style français, partie I

Il y a quelques mois, un lecteur m’a envoyé, suite à mon article sur le derby, une passion française, une suite de questions sur le style français. Je vous livre ici une partie de son exposé :  » je suis retombé il y a quelques jours sur l’un de vos anciens articles où vous pointiez le fait que porter des derbys à lacets plats était l’assurance de n’être pris ni pour un anglais ni pour un italien et revenait presque à défendre une sorte de « style français », pas très heureux certes et découlant plus d’un manque d’éducation que d’un véritable jugement esthétique national…

Ceci m’a amené vers cette simple question: qu’est ce qui ferait, aujourd’hui un style français? Est-il possible aujourd’hui de déterminer des caractéristiques qui, assemblées, signeraient à coup sur pour l’œil averti la provenance française de la tenue, un genre d’élégance hexagonal?

La question n’est sans aucun doute pas nouvelle, et je suppose qu’elle doit se poser à tout homme qui s’étant penché sur les subtilités du vestiaire masculin, en arrive après avoir plus ou moins repéré les différences entre les styles anglais et italiens, à se demander si le style français a bel et bien disparu à la fin du XVIIIè siècle… Toujours est-il que la réponse ne m’a pas semblé évidente et que sont nombreux autour de moi les jeunes gens au début de leur démarche qui semblent se la poser.

J’ai bien conscience qu’il y a là deux dimensions: la constatation de l’homme de la rue, qui risque de nous amener sans doute vers la terrible conclusion selon laquelle il n’y a guère de style français actuellement, ou plutôt que celui-ci n’est que l’absence d’un style britannique ou transalpin marqué, une mise fade et sans personnalité véritable, un non-style en somme… Et la préconisation du connaisseur, qui saurait trier dans les usages actuels ce qui relève d’une vraie tendance esthétique distincte et peut-être exhumer quelques éléments de tenue traditionnels que l’on aurait oubliés. C’est, vous vous en doutez, la seconde option qui m’intéresse. « 

Longue interrogation n’est-il pas, qui soulève presque autant de questions que d’ébauches de réponses.

Un style français alors ? Devrait-il d’ailleurs y avoir un style français ? Cette question d’un style nationale – nationaliste ? – est le préliminaire au débat. Car si l’on en a un, ou besoin d’un, il doit en être tout autant des belges, allemands, hollandais, tchèques et autres pays européens. Qu’en est-il justement ?

Nous savons que le style moderne que nous connaissons aujourd’hui a été savamment développé en Grande Bretagne à partir du début du 19ème siècle, pour connaître un essor sans précédent en France à partir du Second Empire. Entre 1920 et 1950 s’est produit une sorte d’âge d’or de l’élégance masculine classique, d’une grande homogénéité à l’échelle de l’occident. Aujourd’hui, l’Italie mène la danse en proposant des idées de style qui font mouches : ensembles dépareillés, notamment avec un jean qui s’est embourgeoisé, tonalités plus claires, bien plus claires que les anglaises. Il est assez facile de reconnaître un anglais d’un italien. Ces deux caricatures en illustration éclairent mon idée. Difficile du reste de trouver l’anglais moyen élégant de nos jours. Un séjour à Londres, même en passant par la City, suffit à s’en convaincre. Le mauvais goût Outre-Manche a repris le dessus et le trop plein de couleurs est vite atteint. Parallèlement, la région constituée du sud de l’Allemagne et du Nord-Est de la Suisse, avec une partie de l’Autriche, a su conserver bien vivantes des traditions vestimentaires folkloriques, faites de culottes en peau de cerf et autres vestons en tweeds alpins.

Se faisant, deux pistes d’étude se dévoilent. D’une part, le besoin de caricatures – voire plutôt de stéréotypes – auxquels nous cherchons à nous raccrocher, et d’autre part le niveau de la société auquel on lit les informations de style vestimentaire.

J’ai un peu approché cette idée dans mon dernier article sur Ralph Lauren. Sa réussite est principalement du à sa capacité à rendre lisible un ensemble de références éparses, à stéréotyper le langage et le code masculin. Il est très facile de décrire en quelques mots son travail et l’expression stylistiques de ses différentes lignes. Qu’on le veuille ou non, le monde d’aujourd’hui fonctionne beaucoup de cette manière : bien plus complexe qu’hier, mais raconté à travers le prisme de concepts et d’idées simples. Je ne pense pas simplistes, mais plutôt simplifiées. Prenons la définition de wikipédia : un stéréotype est l’image préconçue d’un sujet dans un cadre de référence donné, telle qu’elle y est habituellement admise et véhiculée. Ne serait-il pas vain de chercher un style français ? En parler, le rendre rationnel, n’en transformerait-il pas l’idée –fuyante par nature – en stéréotype d’un style français ? Pouvoir dire au premier coup d’œil, ce monsieur est habillé à la française, un tel autre à l’américaine, ne reviendrait-il pas à admettre une telle chose ? Et comment donc jugeons-nous le stéréotypes ? Avec le plaisir et l’extase d’un confort serein ou la méfiance et l’orthodoxie du penseur ?

Par ailleurs, comment lire un style national ? A quel niveau ? Doit-on se placer du point de vue national ou régional ? Doit-on regarder juste Paris, ou encore mieux, juste la Rive Gauche ? Et quelle couche de population ? L’élite ou les basses couches ? Ou l’entre-deux bourgeois, petit-bourgeois ou bobo ?

Les deux prochaines semaines, nous étudierons successivement l’héritage français et ses artéfacts puis une supposée élégance française, avec un prisme ‘veille France’, le seul que j’ai trouvé et qui réalise une synthèse classique, en droite ligne des propos tenus sur Stiff Collar.

Julien Scavini

Je lève mon verre à monsieur Lauren

En proposant à quelques grands élégants de réaliser les milanaises aux revers de leurs vestes, je vois défiler dans mon petit atelier nombre de vestes de grands faiseurs, dernièrement Caruso, Oxxford, Zegna et bien d’autres.

Et récemment, une veste Polo Ralph Lauren. A priori, pas une veste palpitante, un simple thermocollé certainement vendu hors de prix. Et puis, je l’ai regardé, bien aidé par l’ouvrage que je devais y exécuter. Les revers étaient généreux, presque 14cm (sur une taille 56 tout de même) et le cran haut. Mais le tissu – un banal laine et soie – était parcouru d’un carreau type prince de galles marron/beige fenêtré rose. Et quand je dis carreau, c’en était bien un, d’une dimension proprement extravagante, au moins 12cm de haut par 10 de large. Le tout avait l’air d’avoir fait le voyage aux Indes dans une malle des années 30. Insensé.

Et même si j’étais réservé par rapport à la qualité générale, je ne pus m’empêcher d’être subjuguer par ce que j’avais devant les yeux. Je ne regardais plus tellement le produit, mais l’imaginaire qui y était rattaché. Et ça, c’est précisément génial.

Je me demande toujours à propos de l’aménagement de telle ou telle boutique s’il est propice à la vente voire même au vagabondage d’esprit. Pour les plus parisiens d’entre nous, êtes vous allé au flagship Ralph Lauren du boulevard Sait Germain ? Un vrai musée – enfin tout de même pas. Une expérience plutôt où l’on ne se rend même plus pour acheter, mais pour flâner, pour humer. Je m’interroge alors. Entre une boutique Canali ou Hugo Boss à la ‘déco’ très institutionnelle et un tel lieu, lequel je préfère ? Dans le même genre, pour m’être déjà présenté une ou deux fois chez monsieur Marc Guyot, je trouvai l’endroit un peu encombré. Bien au contraire me répondent des clients en commun, c’est une caverne d’Ali Baba. Indeed. Ça a son charme.

Alors, les hommes préfèrent-ils acheter des vêtements dans un lieu qui ne ressemble pas à une boutique de vêtement ? Peut-être. Est-ce plus masculin que féminin? L’aspect club – où l’on achète accessoirement – est-il plus vendeur ?

Je salue en tout cas la netteté de cette ‘œuvre’ car cet empire en est presque qu’une! Ralph Lauren est à la tête d’une petite entreprise dont le corpus référentiel est très homogène, presque ciselé. Et je suis sidéré par sa capacité à vendre pour tous les segments. Combien de marques arrivent en effet à vendre à différentes clientèles, des plus argentées à celles qui le sont moins ? Le B-A-BA du marketing n’est-il pas de cibler au contraire ? Or chez Ralph Lauren, on trouve du prix bas/moyen (aux USA en particuliers) avec Blue Label (autre nom de Polo Ralph Lauren), double RL & Co, Denim & Supply, RLX et autres ; et des prix hauts avec Black Label et Purple Label ; en passant par la joaillerie, les montres, les accessoires, les lignes féminines et la gamme pour la maison. Le tout dans un univers référentiel très aristocratie côtes Est américaines. Je tiens du reste à saluer la ligne Purple Label qui constitue pour moi un exemple de qualité indéniable, pour un prix presque maîtrisé. Une épure de style anglais presque.

Cette démarche parait typiquement anglo-saxonne. Prendre des références disparates et constituer avec un ensemble unitaire, faire du neuf avec du vieux semble être le secret de cette maison. Nous pourrions constater que les grandes maisons françaises ne fonctionnent pas comme cela. Typiquement, le naufrage d’Old England en est un exemple frappant, alors que le lieu était le plus propice ‘à un bazar’ charmant, rempli de thé du Ceylan, d’écharpes en Yak et autres pantalons en cachemire. Ceci dit, Hermès ou Lanvin ont l’histoire de leur côté, c’est un point aussi essentiel. Permettant peut-être d’aller plus loin dans le style ?

Pour ma part, je me demande encore si j’affectionne plus les salons de Ralph Lauren ou ceux d’Hermès. Je me questionne. Et vous? Ceci dit, entre la boutique de monsieur Lauren et les boutiques Sandro ou Comme des Garçons, j’ai vite fait mon choix. Et je rajouterai même que la moins convenue des trois n’est pas celle que l’on croit …

Julien Scavini