L’étoffe du diable

L’article suivant est un condensé du livre de Michel Pastoureau consacré à la rayure, « L’Etoffe du Diable », paru aux éditions du Seuil. Ce résumé nous permettra de mieux comprendre une facette de l’histoire du vêtement que nous étudions en ce début d’année.

L’histoire débute au 13ème siècle époque où le diable commence à apparaître avec des habits rayés. Il existe peu de mention antérieure, surtout de « bonne » rayure. L’historien a plus de prise sur les transgressions et la rayure en est une. L’histoire de la rayure est donc documentée, à la différence de l’uni, très ordinaire.

Michel Pastoureau nous relate que l’une des premières mentions dans la vie réelle, en dehors de représentation, nous provient d’une controverse qui éclata lorsque les moines de l’ordre de Notre Dame du Mont Carmel adoptèrent la rayure pour leur manteau. Ce premier scandale remonte à 1254. Si les descriptions précises manquent, il semblerait que ce vêtement était rayé de brun et de blanc. S’en suivit une longue discussion entre les supérieurs de l’ordre et le Vatican. Il ne fallut pas moins de 8 ou 10 papes pour arriver à faire changer le costume !

Car à l’époque, le tissu rayé était un tissu mauvais.

Le vêtement rayé était destiné à faire remarquer les gens en marge de la société, donc les prostitués, jongleurs, bouffons, bourreaux à qui il était demandé de porter au moins une pièce rayé, marquant par là un écart. Pour ne pas les confondre avec les « honnêtes » gens. Par exemple, dans certaines villes et états d’Allemagne, lépreux, bohémiens, juifs et non-chrétiens étaient contraints d’arborer des rayures.

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Le rayé est une mise en valeur, positive et bien souvent négative. Le rayé s’oppose au au semé médiéval, signe positif (le semé est cette manière de disposer à intervalles réguliers sur un mur ou une étoffe unie des signes, fleurs de lys, trèfles et autres petits symboles stylisés.) Le rayé ou le barré était une visualisation du mal ou de l’en dehors de la société.

Ceci dit, en héraldique, le rayé est plus complexe et permet de créer des familles et des groupes, des structures de parentés subtiles et complexes. Mais les aspects péjoratifs sont aussi repris. Par exemple, les chevaliers félons ou les princes usurpateurs ont des armoiries à rayures.

C’est à l’époque moderne (romantique ancien régime) que la rayure devient bonne et tend à écarter l’aspect péjoratif des vêtements du moyen âge.

Malgré tout, jusqu’au 19ème siècle et encore après, la rayure reste péjorative. Les domestiques en portent, comme par exemple Nestor dans Tintin. Mais c’est un entre deux, plus mauvais mais pas encore bon.

Vers 1500, la mode des rayures connaît un nouvel essor, d’abord en Italie, puis en Allemagne et en France, comme par exemple avec François Ier ou Henri VIII, qui portent des pourpoints rayés. Les Princes les imitent et la rayure verticale devient aristocratique, alors que la rayure horizontale reste mal vue. Cependant, l’Espagne, héritière de la cours de Bourgogne n’aime pas cela et reste à l’écart de cette mode.

La réforme protestante puis la contre réforme catholique favorise le retour à des vêtements plus sombres et la rayure s’éclipse. Le 17ème siècle est un siècle sans rayure.

Elle revient doucement sous la régence en France car le goût oriental alors en vogue aime les rayures. Mais c’est avec la révolution américaine vers 1775 que la rayure devient à la mode et concerne toutes les classes sociales. Porter de la rayure, c’est être pro-américain, donc anti-anglais. Presque un phénomène de société. C’est aussi à ce moment que les encyclopédistes découvrent le zèbre, ce qui joue beaucoup !

sans culotteLa révolution reprend alors à son compte la rayure et l’idéologie républicaine fait usage de la rayure, à travers de la cocarde et du drapeau. Les sans-culottes sont rayés.

Le 1er Empire et le Consulat aime toujours la rayure dans le style retour d’Egypte et le directoire a également continué l’usage de la rayure pour son aspect romantique. De plus la rayure semble agrandir les volumes.

Malgré tout la rayure péjorative reste. Le rayé est valorisant ou dévalorisant, comme pour les prisonniers vêtus de rayures. Ce serait dans les colonies du nouveau monde que ce costume serait apparu, vers 1760, mais des exemples anglais et allemands plus anciens existent. Notons que les bagnes français n’en feront jamais usage et où les forçats étaient vêtus d’un rouge vif.

Durant le 19ème siècle, nombre de sous-vêtements sont rayés. Michel pastoureau estime que le but était de protéger la peau comme une barrière infranchissable. Ainsi matelas, draps et pyjamas seraient des cages contre les intrus, contre les mauvais rêves aussi.

A partir de 1860, d’abord aux Etats-Unis puis au Royaume-Uni et en Europe, la chemise évolue. Vers 1920, elle est plus colorée. Du statut de sous-vêtement à peine visible, elle passe au rang de vêtement honorable. Une belle chemise et des cols propres sont un signe de respectabilité. Et il est amusant de noter que la rayure du sous-vêtement suit le mouvement et se retrouve visible, dans des tons pastel le plus souvent.

Notons au sujet des sous-vêtements que l’habitude sociétale voulait que ceux-ci restent le plus naturel possible, c’est à dire non-teinté. La rayure permettait alors une légère fantaisie, non par teinture mais pas tissage.

bord de mer rayé maillot de bain ancien

Au bord de la mer, la rayure connaît une histoire plus triviale. La vogue balnéaire pense imiter les marins pécheurs. Il s’agit d’une transgression de l’idéal bourgeois, on s’encanaille en rayures marines ! On s’habille de rayures.

C’est par ce biais que les rayures deviennent synonymes d’hygiène. Un snobisme apparaît même et les crémier ou les poissonniers arborent alors un tablier rayé et posent des stores rayés qui sont synonymes de fraicheur. La rayure pour les enfants devient seine, sereine et dynamique, comme le dentifrice Signal !

Michel Pastoureau finit alors son étude en faisant remarquer que dans certains sports, les arbitres sont rayés. Seulement il ne trouve pas la réponse et se demande pourquoi les historiens du sport ne s’y sont pas intéressés.

Seulement, il manque à cet ouvrage une belle partie sur la rayure anglaise, sur la rayure londonienne, bref sur celle du banquier ! Par quel prisme le rayé est-il devenu synonyme de respectabilité dans les années 30 ? Après lecture de ce fascinant petit ouvrage, qui comme beaucoup des écrits de Michel Pastoureau était fascinant et plein de rebondissement, j’aurais tendance à émettre une hypothèse amusante : et si la rayure de banquier années 30 était précisément une rayure de parvenue, de nouveau riche ? Si précisément ce motif si détesté à travers les âges n’avait pas été adopté par toute une population travailleuse et vite enrichie, contre l’uni sombre des Lords et autres représentants de l’Ancien Monde ? Rayure forte et expressive, parfois bouffie d’égo, vite récupérée par les truands et mafieux divers ? Sentiment négatif que finalement nous aurions encore oublié, comme souvent dans l’histoire de la rayure, où les modes se chassent et les raisons de l’appropriation ou de rejet avec.

Une chose est sûre, la rayure reste sujette à discussion et peu nombreux sont mes clients à s’y risquer. Dommage !

Bonne semaine, Julien Scavini.

7 réflexions sur “L’étoffe du diable

  1. Dubergey Vroe 19 janvier 2015 / 12:03

    Connaissez vous aussi son excellent et jubilatoire travail sur les couleurs, notamment les bleus ?
    Une fois encore, je vous prédis, au vu de votre curiosité gourmande, une carrière scénique…

    • Julien Scavini 19 janvier 2015 / 21:45

      Je dois le lire, celui sur le vert aussi 😉

  2. severe 19 janvier 2015 / 13:32

    Vous noterez que les moines du Mont Carmel mentionnés dans cet article très intéressant et qui a nécéssité des recherches appronfondies faisaient partie d’un ordre monastique situé dans le SInai . Ils suivirent le Roi Saint Louis à son retour de croisade et sont plus connus en Europe en tant que Carmes.

  3. Pompéleup 19 janvier 2015 / 15:42

    Sujet intéressant. Il est vrai que suite aux années ’30 et plus nouvellement aux années ’80, la rayure sur costume semble avoir repris ses mauvaises connotations. A plusieurs reprises j’ai réfléchi à une application possible qui pourrait écarter cette connotation mais il me semble dur de pouvoir y arriver actuellement en portant un habit fait pour le quotidien et ne pas se sentir ‘banquier’. C’est en regardant les tenues de noces de mes parents, grand parents et arrière grands-parents que j’ai commencé à entretenir l’idée qu’il pourrait surement être possible de porter un ‘pinstripe’ de façon élégante, soit en trois pièces avec revers pointés ou bien plus simplement sur un costume bleu marine croisé. Peut-être la rayure pourrait-elle prendre renouveau dans l’occasionnel…

    • ed le b 22 octobre 2016 / 08:43

      Bonjour,
      Sans doute une explication plausible sur le pourquoi des rayures sur les tenues des arbitres dans certains sports :
      Il s’agit certainement de distinguer la tenue des arbitres et la rayure est un moyen sûr pour qu’elle ne soit confondue avec aucune de celle de chaque équipe. C’est d’ailleurs souvent dans les sports de balle ou ballon que c’est vrai, avec traditionnellement une équipe en clair et une en foncé, et une tenue d’arbitre où les deux tons sont également représentés en surface (voir le logo de Foot Locker). Aucune source à l’appui de cette déduction.

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