J’évoquais la semaine dernière les pinces dos sur une chemise, permettant de galber celle-ci tout en gardant un peu de marge au cas où il faudrait élargir la taille du modèle. Parlons maintenant du haut du dos, des replis d’aisance. Attention, dans cet article, je vais me contredire à chaque paragraphe !
Ces sortes de petits soufflets sont disposées à la base de l’empiècement haut du dos, cette grande plaque de tissus spécifique de la chemise. Les vestes n’ont pas cet empiècement coupé horizontalement, créant un jeu géométrique lorsque le tissu est rayé. D’ailleurs, puisque je suis en train d’évoquer cet empiècement, notons qu’il peut être en une seule pièce. Ou en deux, avec une couture au milieu.
Pourquoi l’empiècement haut peut-il être unique ou en deux parties ? Bonne question pour laquelle je n’ai jamais eu de réponse satisfaisante. Bernhard Roetzel dans L’Éternel Masculin note que s’il est en deux parties, c’est pour permettre au chemisier de mieux régler les pentes d’épaules asymétriques. Balivernes je pense, car ces pentes peuvent être différentes même avec une pièce unique.
Je rajouterais même que les grands chemisiers font en une pièce, comme Charvet. Sans aucun rapport et a contrario, je trouve personnellement qu’une chemise avec cette couture verticale et un empiècement en deux est plus élégant, plus digne d’intérêt. Ne serait-ce parcequ’il y a là un raccord de rayures ou de carreaux à faire, plus technique. Donc plus chic, comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessus, d’une chemise Turnball & Asser. A l’inverse encore, en deux, cela consomme moins de tissu qu’en un. Les industriels seraient plus tentés de le faire en deux parties. Allez donc savoir. Et vous, y aviez-vous déjà pensé ?

Ensuite donc, ces petits soufflets. Ils sont disposés de deux manières très différentes. 1- sur les côtés, généralement sur une chemise habillée. 2- au milieu, rassemblés en plus plat, généralement sur une chemise sport, à l’américaine comme on entend dire parfois.
Sont-ils obligatoires, je ne le pense pas personnellement. D’ailleurs, il me semble que les grands chemisiers réalisant du sur-mesure s’en dispensent. Il y a plus de netteté sans ces replis. Et cela permet d’aller plus près du corps.
Et pour rebondir sur les pinces dos, je pense qu’il est totalement ridicule de mettre des pinces milieu dos et des plis d’aisance en haut. Les deux ne vont pas ensemble. Les plis apportent du bouffant aux omoplates, que les pinces reprennent de manière brutale.
Sauf dans le cas d’omoplates très développées et musclées, et/ou lorsqu’il faut avoir beaucoup d’aisance. Comme c’était le cas pour James Bond, alias Sean Connery, pour répondre au commentaire de « Eric B ». Il m’est arrivé de le faire, mais le moins possible, car cela crée un volume fort impressionnant aux omoplates. Disgracieux même.
Le but avoué de ces replis est de donner de l’aisance aux bras, aux muscles « grand rond » et « trapèze » lors des mouvements. De manière d’ailleurs plus importante lorsqu’ils sont placés sur les côtés. En soufflet rassemblé au milieu, c’est beaucoup plus une question d’esthétique il me semble que de véritable aisance. En soufflet milieu, c’est assez esthétique, je le reconnais bien volontiers. Superbe travail de raccord à l’empiècement haut vous noterez ci-dessous :


Si l’on regarde l’histoire de la chemise, on note avec quel impressionnant volume les chemisiers travaillaient. La chemise a toujours été très très opulente, généreuse. Normal, elle était un sous-vêtement caché sous un gilet et une veste. Jusqu’aux années 90, la chemise était une œuvre de grandeur. Les plis en haut du dos peuvent être vus comme une nécessité pour gérer cette ampleur. Parfois même, j’en ai vu quatre, deux de chaque côté. Un peu comme les plis en bas des manches, au poignet. Brooks Brothers en dispose 7 petits. D’autres 3 à 4. Les chemisiers contemporains sont plus chiches avec cela (2 par exemple), pour éviter de donner trop de volume à l’avant bras de la chemise.
Je crois que les plis côtés en haut du dos sont un peu un reliquat d’une époque où les chemises étaient très amples. Très généreuses. Et que maintenant, c’est plutôt le paradigme inverse. Donc exit les replis en haut et donc, bonjour les pinces en bas, pour galber.
Mais une dernière fois, je vais me contredire. Car dans le cadre d’une chemise bien près du corps, ces petits plis sont intéressants, pour converser une certaine aisance.
Si conclusion il y a, disons que dans le cadre d’une chemise très ample ou inversement, très ajustée sur un corps musculeux, les petits replis côtés apportent de l’aisance. Dans la majorité des cas, ils ne sont pas nécessaires. Quant aux replis centrés et disposés en soufflets, ils sont eux surtout très décoratifs ! A vous de choisir !
Belle et bonne semaine, malgré cette actualité totalement déprimante !
Bonjour,
J’ai eu l’occasion de coudre une chemise pour un gymnaste : petit, épaules et amplitude des bras très importante, muscles dorsaux forts développés. et une taille incroyablement fine. N’étant pas du tout spécialiste, j’ai tatonné longtemps sur une toile taillée dans un modèle ultra basique (sûrement Burda) sur lequel nous avons du tout reprendre. La chemise finale avait : un empiècement en deux parties (pour épouser au mieux les trapèzes), deux plis aux omoplates très proches des emmanchures, et des pinces devant ET dos. Les poignets avaient deux pinces chacuns, et il avait fallu jouer longtemps avec la forme des manches pour obtenir une belle ligne compte tenu de l’amplitude de tissu nécessaire au niveau des biceps et des avant-bras !
Un vrai casse-tête, d’autant que ma pratique reste dilettante.
Le résultat final était vraiment très satisfaisant (autant pour moi que pour le modèle), mais j’avoue qu’à l’époque, je considérait que ce travail de construction relevait du « bricolage » et j’avais un peu souffert sur les finitions que je voulais invisibles.
À lire vos derniers articles, je me dis que finalement, cette approche que j’avais alors trouvée trop empirique (et chronophage) était peut-être quand même la bonne.
« Pourquoi l’empiècement haut peut-il être unique ou en deux parties »
Chez les dames, la conformation et/ou l’âge aidant, cette couture me semble indispensable pour que la base d’encolure milieu dos s’adapte au mieux à « la bosse de bison ». Chez des jeunes hommes musclés ce volume est présent également. Si ce rebondi sur les cervicales n’est pas pris en compte, toute l’encolure – pentes épaules comprises- tiraille jusqu’aux emmanchures. D’où cette couture qui permet de garder la largeur encolure dos et devant identique mais avec une pince emboitant bien l’arrondi de la nuque.
Merci monsieur Scavini et mes compliments pour ce blog superbe, riche et généreux…même si ce n’est pas exactement mon rayon.
Une couturière-dames en dernière année de formation en tailleur.
Très intéressant oui cette hypothèse !
Je me souviens d’avoir eu au début des années 2000 des chemises Figaret avec 2 plis de chaque côté et 7 plis aux manches. Il n’y a plus guère que Cordings of Piccadilly qui continue à faire des chemises amples (et l’assume !).
Frank Foster ne met pas de plis aux manches mais fait plutôt froncer le tissu (« gather » en anglais, je n’ai pas le terme technique…).
Merci pour le petit clin d’œil à mon commentaire.
Bien à vous,
Je rajouterais un avantage aux pinces. Là encore, c’est compliqué à décrire avec des mots.
Pour qu’une chemise soit correctement affinée à la taille, les coutures latérales doivent être courbes. Il en résulte qu’il y a plus de longueur sur les côtés (le long de la couture) que devant et derrière (en partant de la ligne horizontale reliant le bas des emmanchures à celle reliant les deux extrémités de la chemise au niveau du bassin). Et plus la chemise est courte, plus la différence est importante, car les coutures latérales sont d’autant plus courbes.
La conséquence, pour un porteur à la taille fine et qui veut une chemise assez ajustée, va être un excès de tissu sur les côtés, pas très esthétique si la chemise est portée sans veste. Les pinces dans le dos ont donc ici un autre avantage : elles permettent de perdre du tour de taille sans ajouter de la longueur aux côtés.